La Cour administrative d’appel de Bordeaux vient de condamner la ville de Castres à verser 27,7 millions d’euros à la Lyonnaise des eaux pour rupture unilatérale de contrat, nouvel épisode d’une saga judiciaire qui se poursuit depuis plus de dix ans. Le jugement est exécutoire et la ville va devoir commencer à verser cette indemnité, pour laquelle elle avait fort heureusement provisionné près de 20 millions d’euros. Mais son maire (UMP), Pascal Bugis, indigné, dénonçant les pratiques scandaleuses des multinationales de l’eau, a immédiatement annoncé qu’il allait déposer un recours devant le Conseil d’Etat.
Un revers pour cette commune de 45 000 habitants, second pôle industriel de la région Midi-Pyrénées, qui doit donc verser 27,7 millions d’euros à la Lyonnaise des eaux, filiale de Suez Environnement, qui a alimenté la ville en eau potable dès 1991.
C’est un collectif d’usagers, après les premières années d’exécution du contrat, qui attaquera en 1996 devant la justice « les tarifs excessifs pratiqués par la Lyonnaise des eaux, qui incluait un « droit d’entrée » versé à la ville lors de la signature du contrat pour trente ans, d’un montant de 96 millions de francs ».
En 2001, le tribunal administratif avait jugé « illégal », ce prix intégrant ce droit d’entrée.
Elu à cette époque, l’actuel maire (UMP), Pascal Bugis avait dans un premier temps engagé des négociations avec l’opérateur. Trois ans plus tard, aucun accord n’ayant été trouvé, il rompait le contrat en 2004, et re-municipalisait la gestion de l’eau, via la Castraise de l’eau.
Le bras de fer ne s’en poursuivait pas moins, et la Lyonnaise des eaux contre-attaquait, en arguant d’un manque à gagner sur quinze années d’exploitation perdues.
D’abord déboutée, l’entreprise faisait appel. En 2008 la Cour d’appel reconnaissait la nullité des contrats initialement signés dans les années 90, pour irrégularité de forme.
Mais assortissait cet arrêt de la désignation d’un expert judiciaire chargé d’établir le solde des dépenses et des recettes.
L’entreprise demandait alors 64 millions d’euros, que le commissaire du gouvernement ramènera à 29 millions d’euros.
Au final c’est la somme de 27,7 millions d’euros qui a été arrêtée. Dont 15 pour les intérêts.
Selon la Lyonnaise, la somme fixée par le juge vise à indemniser l’entreprise « des investissements importants qu’elle a consentis au profit de Castres, et qui n’ont pu être amortis » parce que le contrat n’est pas allé à son terme.
Un argumentaire critiqué par certains observateurs du dossier qui remettent en cause, et la réalité de ces investissements, et surtout la technique de calcul de leur amortissement.
Un élément crucial dans la perspective des jugements attendus dans les toutes prochaines années au titre de l’arrêt « Commune d’Olivet », et qui explique, au-delà du contentieux Castrais, l’acharnement de Suez-Lyonnaise dans cette affaire. Comme l’illustre en creux la teneur du commentaire d’une porte-parole de la Lyonnaise et de Suez Environnement, Hélène Enginger : « On est satisfait parce que cette décision va dans le sens du respect de la loi et du contrat’’.
Le montant total représente le tiers du budget de la ville qui s’élève à 90 millions d’euros, ou encore le montant de près de cinq années d’investissements.
Pascal Bugis, le maire de Castres, est révolté : « Ces pertes assimilées sont totalement surréalistes. Dans son rapport, l’expert a même conclu qu’ils avaient commencé à faire des bénéfices. C’est quoi cette société qui insiste pour prendre en charge l’eau d’une ville à perte ? »
Et l’élu de mettre en avant l’enjeu stratégique des multinationales pour prendre le monopole de l’eau aux collectivités, afin de devenir incontournables.
Il souhaite désormais saisir le Conseil d’État, car il ne peut admettre « cette logique des multinationales qui viennent dans les communes seulement pour y prendre de l’argent ».
En attendant il va falloir commencer à payer. Mais comme le risque était latent, la commune a provisionné environ 20 millions d’euros pour justement y faire face.
« Nous demanderons un étalement des sommes qui ne sont pas disponibles, avec un recours exceptionnel à l’emprunt », précise-t-il.