La cour d’appel de Bordeaux vient de rendre un énième jugement dans le feuilleton judiciaire qui oppose depuis 12 ans la ville de Castres à la Lyonnaise des eaux. Celle-ci réclame à la ville d’importantes indemnités, à hauteur de 49,5 millions d’euros, dernier chiffre en date, après la rupture unilatérale d’un contrat léonin, révoqué par le maire UMP, M. Pascal Bugis, en 2004...
En 1990, alors que les services de l’eau et de l’assainissement étaient jusque là gérés par une régie municipale, la municipalité dirigée par M. Jacques Limouzy signe un contrat d’une durée de trente ans avec la Lyonnaise des eaux, assorti du versement de « droits d’entrée », équivalent à 96 millions d’euros, qui alimenteront le budget général de la commune, ce qui est illégal.
Des usagers, des élus d’opposition, puis le comité de défense qui se constitue, découvrent que l’entreprise récupère cet apport, majoré d’intérêts de 8,76 % et indexé sur l’inflation, en relevant le tarif de l’eau. En trente ans, les usagers auraient ainsi remboursé trois fois la mise !
Une forte mobilisation conduit la nouvelle municipalité socialiste élue en 1995, dirigée par M. Arnaud Mandement (PS) à renégocier le contrat.
Plusieurs avenants prévoient une baisse du prix de l’eau, mais non la suppression de l’amortissement illégal.
Mais un comité d’usagers conteste devant le tribunal administratif la délibération approuvant la renégociation.
Après le dépôt d’une requête, le tribunal administratif annule, en 2001, la délibération municipale et déclare illégal le prix de l’eau, car il intègre le remboursement du droit d’entrée de 96 millions d’euros. Un jugement qui contraint la ville à négocier avec la Lyonnaise sur l’avenir des tarifs.
De 2001 à 2003, plusieurs tentatives de négociation entre la ville, désormais gérée par M.Pascal Bugis (UMP), et la Lyonnaise pour définir un nouveau prix de l’eau échouent.
Le 24 juin 2003, le conseil municipal décide à l’unanimité de résilier unilatéralement les contrats. Une régie publique autonome est créée le 1er juillet 2004.
Dès l’été, le tarif de l’eau et de l’assainissement baissait de 10 %. Inchangé depuis lors, il n’intègre que les seules charges nécessaires au service de l’eau.
Après la rupture, le personnel repris a été renforcé par trois embauches.
La Castraise de l’eau a reconstitué le service, tout en diminuant le tarif, et en dégageant une marge d’autofinancement de 2 millions d’euros en 2006.
En 2008, elle s’apprétaît à utiliser une nouvelle source pour diversifier son approvisionnement en eau potable.
Exemple éclatant qu’une régie publique peut déployer un savoir-faire qui n’a rien à envier à celui d’une multinationale...
« La régie fonctionne très bien et simplifie considérablement la gestion des travaux, améliorant le service apporté aux usagers », se félicite M. Georges Carceller, président du Comité de défense. Il est aujourd’hui membre du conseil d’administration de la régie et de la commission d’achats.
" Cette présence devrait être généralisée, nous avons accès à toutes les informations sur la gestion, sur la fixation des tarifs, nous intervenons en toute transparence sur la meilleure utilisation possible des marges dégagées."
Harcèlement judiciaire
Mais dès janvier 2004 la Lyonnaise déposait un recours devant le tribunal administratif afin de se faire indemniser suite à la rupture du contrat.
En avril 2006 le tribunal administratif de Toulouse déboutait la Lyonnaise de toutes ses demandes d’indemnisation, estimant que le contrat d’origine n’est pas valable à cause d’une erreur de procédure lors de la signature du contrat entre la Lyonnaise et M. Jacques Limouzy en 1990.
La Lyonnaise faisait appel de cette décision en avril 2006.
En janvier 2009, la cour d’appel de Bordeaux vient de confirmer la nullité du contrat, mais a demandé une expertise afin d’estimer les préjudices réels subis par la Lyonnaise des Eaux entre 1990 et 2004.
Les arrêts de la cour rendus publics cette semaine n’ont pas vraiment démêlé l’imbroglio. Ils semblent toutefois davantage favorables à la municipalité qu’à la multinationale. Et à ce jour, comme l’avait décidé le tribunal administratif de Toulouse, en première instance, la ville ne doit toujours rien à la Lyonnaise. Pour l’instant.
Dans un premier temps, la cour d’appel de Bordeaux a en effet confirmé que les contrats passés en 1990 entre la ville et La Lyonnaise pour lui déléguer la gestion de l’eau et l’assainissement de la commune pour 30 ans ne sont pas valables, en raison d’une bévue administrative du maire de l’époque.
Du coup, la cour laisse entendre que les demandes d’indemnisation de la Lyonnaise pour la période de 2004 et 2020 ne reposent sur rien.
En revanche, la juridiction laisse une porte ouverte en ce qui concerne les demandes de la Lyonnaise, qui argue avoir investi et travaillé pour rien entre 1990 et 2004.
L’entreprise plaidant le fait que les contrats n’étaient pas valables par la seule faute de la ville.
Dans leur arrêt, les juges ont mandaté un expert pour réellement savoir si durant les 14 ans d’exploitation du service de l’eau et de l’assainissement, la société a bien perdu de l’argent comme elle l’affirme. Sans avoir pu le démontrer réellement aux yeux des juges.
Le jugement précise que cette expertise est nécessaire, suite « aux incohérences » des documents fournis par l’entreprise pour légitimer ses prétendues pertes.
M. Pascal Bugis affirme sa sérénité. Sa responsabilité apparaît déjà moins engagée : « Ce n’est plus la rupture du contrat en 2004 qui fait courir un risque financier à la ville, comme certains le prétendaient, mais un vice de forme commis en 1990 », affirme l’élu.
Il se montre aussi rassuré parce qu’on ne voit pas comment un expert pourrait évaluer l’appauvrissement de la Lyonnaise alors qu’elle n’est visiblement pas capable elle-même de l’établir...
Comme l’arrêt n’a fixé aucun délai à l’expert pour rendre ses conclusions, et qu’il n’est même pas nommé, la ville de Castres semble en effet pouvoir attendre sereinement, très longtemps, avant d’indemniser la Lyonnaise...
Bien fait ! Ca leur apprendra à persécuter d’honorables élus, fussent-ils de droite, comme ils le font aussi, depuis 2003, envers le Conseil général des Landes.
Réactions
Dans son édition du 10 janvier 2009, le quotidien La Dépêche publiait un florilège de réactions consécutives à l’annonce de la décision de la Cour d’Appel de Bordeaux. Extraits.
Philippe Folliot, député de Castres-la Montagne (apparenté Nouveau centre) : « En ma qualité de député, il ne m’appartient pas de commenter une décision de justice. Mais en tant que conseiller municipal, pour une affaire dont nous constatons une fois encore la très grande complexité, je prends acte avec satisfaction que la ville échappe ce jour à une condamnation. Constatant toutefois que rien n’est réglé au fond et que « l’épée de Damoclès » pend toujours au-dessus de nos têtes, je souhaite que l’expert désigné rende une décision dans l’intérêt de la ville. (...) »
Samuel Cèbe, conseiller municipal d’opposition (PS). « Je souhaite dire à nouveau mon attachement au principe de la régie municipale. Mais je suis circonspect à la lecture des sommes réclamées par la Lyonnaise. Je reste donc vigilant. Il y a une somme qui est réclamée et une menace qui pèse au dessus de la tête de la ville et du contribuable. Je reste donc en attente du résultat de l’expertise demandée par le tribunal. »
Noël Legaré, comité des usagers de l’eau. « Ce qui s’est passé à la cour d’appel pour l’instant va dans le sens que nous avions prévu. Les indemnités énormes et irréalistes qui sont demandées par la Lyonnaise ne sont pas acceptées par la cour d’appel qui demande une expertise.Pour le moment, les choses se déroulent donc favorablement pour les Castrais. Je vois mal comment la Lyonnaise va parvenir à démontrer qu’elle a perdu de l’argent entre 1990 et 2004. Déjà avant 1990 et avant les augmentations de tarifs pratiquées annuellement par la Lyonnaise, l’ancienne gestion sous régie municipale permettait de dégager des bénéfices tous les ans. Il va falloir qu’elle nous démontre comment elle a fait pour en perdre après 1990 ! »
Philippe Guérineau, conseiller municipal d’opposition « Castres à gauche vraiment ». « Profondément attaché au service public de l’eau, j’ai condamné en 1990 la privatisation de l’eau et de l’assainissement initié par Mrs. Limouzy - Bugis. (...) Depuis une remunicipalisation « contrainte et forcée » était devenue inévitable grâce à l’action du comité des usagers de l’eau (...). Curieusement certains se réjouissaient déjà, à Droite comme malheureusement semble-t-il à Gauche de voir la ville lourdement condamnée face pourtant à une multinationale richissime. Ils devront attendre sans doute encore longtemps et c’est tant mieux pour le contribuable castrais et tant pis pour les profits de la Lyonnaise des Eaux. »