La Ville de Paris a tenté de se soustraire à ses responsabilités en niant l’impact sur la population et ses propres agents de l’utilisation d’une eau brute non traitée, polluée par le COVID-19, pour nettoyer les rues. En affirmant que ce sont des traces "infimes" de COVID 19 qui ont été détectées, la Ville travestit la réalité, comme le démontre ci-après le Docteur Claude Danglot, ancien responsable du Laboratoire de virologie des eaux de la Ville de Paris dans l’entretien qu’il nous a accordé.
– 1. Eaux glacées : Pouvez-vous nous résumer les acquis de votre expérience en matière de virologie au sein du Laboratoire d’analyse des eaux de la Ville, qui s’appelait alors le CRECEP ?
– Claude Danglot : J’ai soutenu un doctorat en médecine à Paris XI, puis un DEA de Virologie à Paris 7. J’ai été responsable de la recherche en biologie au Centre de recherche et contrôle des eaux de Paris (ex-CRECEP). J’y ai créé un laboratoire de Virologie et de Toxicologie des eaux en 1976, puis de Biotechnologie un peu plus tard (1978). Dans ce laboratoire, mes collègues et moi avons inventé un processus de quantification des Entérovirus présents dans les eaux potables et de surface par adsorption/élution sur un lit fluidisé de poudre de verre. Nous avons mis au point un test extrêmement sensible, sur cellules animales en culture, permettant d’évaluer le niveau de toxicité d’une eau (test dit d’ "inhibition de la synthèse d’ARN"). Nous avons étudié la dispersion par les eaux résiduaires et les rivières des gènes de résistance aux antibiotiques portés par des plasmides et des transposons contenus dans des bactéries banales de l’eau et transmises aux Parisiens par l’eau potable. Une époque intéressante où la santé publique n’était pas encore un simple discours ennuyeux dans la bouche d’un administratif.
– 2. Vous avez très tôt attiré l’attention de la Ville sur les dangers sanitaires de l’utilisation de l’eau brute non traitée pour arroser les parcs et jardins et pour nettoyer les rues. Comment la Ville a-t-elle réagi à vos alertes ?
– C D : En 2013, comme retraité, j’ai effectué bénévolement un cours de formation à des salariés d’un cabinet d’expertise de santé au travail (APTEIS) agréé par le Ministère du Travail (Voir le diaporama en fin d’entretien ci-après). J’avais pris comme exemple le « retroussage » du marché du boulevard Blanqui dans le 14ème arrondissement de Paris comme illustration des risques sanitaires apparaissant sur la voie publique.
Il y a plus de 10 ans, j’avais déjà rédigé un rapport circonstancié sur les problèmes que créait l’utilisation de l’eau brute de Seine à haute pression pour nettoyer l’espace public. J’avais même été reçu et écouté poliment par le Directeur de la Direction de la propreté et de l’eau (DPE) de l’époque. Je suppose que mon rapport a dû servir à caler l’une de ses armoires.
– 3. Les analyses effectuées la semaine dernière par le laboratoire des eaux parisien ont utilisé les techniques dites “PCR” qui permettent de détecter et d’amplifier les gènes du COVID-19. La technique de PCR n’est donc qu’un indice parmi d’autres pour identifier des gènes de virus... Or, un virus ne peut pas survivre très longtemps s’il n’est pas à l’intérieur d’une cellule vivante. En l’état actuel des connaissances peut-on évaluer la durée de vie d’une cellule vivante dans l’eau non potable ?
– C D : les cellules vivantes des poissons y survivent très longtemps même dans une eau non potable et toxique comme celle de la Seine.-)
– 4. L’actuel responsable du laboratoire parisien a expliqué au journal Le Monde (voir notre précédent billet), avoir “ repéré un peu moins de 1 000 unités du génome par litre dans le réseau non potable, alors qu’ils en avaient trouvé auparavant 10 000 à 20 000 unités/litre dans les eaux usées après traitement, et 1 million d’unités/litre lorsque ces effluents arrivent dans les stations d’épuration". Comment comprendre cet abattement ?
– C D. C’est probablement la somme de l’effet de la sédimentation du virus sur des particules où il s’adsorbe et de la dégradation rapide de l’ARN viral très sensibles aux RNAses dans un milieu hostile. C’est plutôt rassurant si ces mesures sont confirmées.
Illustration, by courtesy of Mecton
– 5. La Ville déclare aujourd’hui que seules des traces “infimes” de SARS-Cov-2 ont été décelées dans l’eau brute. Cette affirmation est-elle sérieuse sur un plan scientifique ?
– C D : 1 000 unités du génome par litre dans le réseau non potable ça n’est pas du tout une quantité infinitésimale, surtout l’on utilise cette eau dans des Kärcher haute pression pour nettoyer les sols en générant des nuages d’aérosols qui vont entraîner ces particules virales jusque dans nos voies respiratoires. Même en dehors du Covid-19, utiliser de l’eau brute pleine de pathogènes, pour nettoyer les sols est hautement irresponsable de la part de la DPE (Direction de la Propreté et de l’Eau à Paris). En tant que médecin biologiste et ingénieur hydrologue divisionnaire cela fait plus de 10 ans que j’ai demandé à la DPE de cesser ces pratiques d’un autre âge. Mais pour la Mairie les quelques centimes économisés par litre d’eau utilisé sont plus importants que la santé des Parisiens.
A l’époque où je dirigeais le laboratoire de Virologie du CRECEP on se souciait de concentration de poliovirus (le virus responsable de la polio), dans les eaux de surfaces, à des niveaux de quelques particules virales par m3, et non pas par litre.
– 6. L’étape suivante consisterait semble-t-il à filtrer sur membrane suffisamment d’eau non potable, puis de mettre en culture les filtres dans des milieux de culture ad hoc ?
– C D : La présence de virus enveloppés dans les selles des malades puis dans les eaux résiduaires puis dans les eaux de rivière est à ma connaissance un fait nouveau.
Jusqu’à aujourd’hui, seuls des virus nus étaient connus pour être transmis par voie oro-fécale (entérovirus dont la poliomyélite, et l’Hépatite A). Pour les virus nus il est possible de les concentrer à partir de l’eau à tester en les faisant passer à pH acide (pH 3,5) au travers d’un lit fluidisé de poudre de verre (phase d’adsorption sur le verre). Cette méthode permet d’éviter tout colmatage. Après avoir filtré plusieurs m3 d’eau, il suffisait d’éluer le virus adsorbé dans un petit volume de liquide à pH alcalin (pH 11.5, phase de désorption du verre). Ce liquide était alors dilué dans du milieu de culture approprié et titré sur des cellules sensibles en utilisant la méthode des plages (dosage des virus vivants infectieux).
En ce qui concerne le coronavirus contenu dans de l’eau brute de Seine, la filtration sur filtre est quasiment impossible à cause du haut pouvoir colmatant de cette eau et la présence de très nombreuses bactéries qui détruiraient le tapis des cellules eucaryotes sensibles.
Je n’ai aucune idée sur la possibilité d’utiliser la filtration sur un lit fluidisé de poudre de verre pour concentrer les virus enveloppés comme le SARS-Cov-2.
C’est peut-être une voie de recherche à développer par M. Laurent Moulin à Eau de Paris.
– 7. Abordons maintenant la question de fond. Aujourd’hui, avec le coronavirus, comme avec tous les autres polluants présents dans les eaux usées, les gestionnaires des services parisiens parient que le facteur de dilution de ce rejet, après épuration, dans le milieu naturel – les rivières et les fleuves -, va diminuer le risque.
Mais, comme la découverte du Covid-19 est toute récente, on manque évidemment de données fiables et consolidées sur ce virus. Des études de toute nature sont bien diligentées dans le monde entier, et publiées au fur et à mesure, mais de nombreuses questions demeurent encore aujourd’hui sans réponse.
En l’état, avec le coronavirus, la grande inconnue c’est sa durée de vie selon les milieux. Dans l’air, en aérosol, elle serait supérieure à 12 heures. Sur certains métaux, comme le cuivre, elle serait de 8 heures, tandis que sur du carton on parle de durées de vie de 24 heures, de 48 heures sur l’acier inox, et de 72 heures sur le plastique [N Engl J Med 2020 ; 382:1564-1567].
Pour estimer cette durée de vie, les chercheurs s’appuient sur des comparaisons avec les coronavirus déjà connus, comme le SRAS et le MERS, dont la persistance a été évaluée sur différentes surfaces, dans différents milieux, et à différentes températures.
Il en découle que le nouveau coronavirus survivrait, comme ses prédécesseurs, en moyenne entre 4 et 5 jours. À des températures dépassant 30 °C, la résistance diminue considérablement, ne dépassant pas quelques heures. En revanche, des températures plus basses, en dessous de 20°C, favorisent la persistance des coronavirus humains qui survivent jusqu’à neuf jours.
Face à ces incertitudes, de nombreuses recommandations ont été élaborées à destination des services d’assainissement, dès 2013 par l’INRS, puis depuis le début de la pandémie par le Haut Conseil de la santé publique ou l’ANSES
Qu’aurait dû faire la ville de Paris ?
– C D : Une remarque d’abord : certaines des "certitudes scientifiques" que vous mentionnez me semblent plutôt douteuses et à prendre avec des pincettes, en portant des gants stériles. En particulier la soi-disant faible résistante au-dessus de 30°C, alors comment ce "putain" de virus arrive-t-il à se multiplier tranquillement chez des humains à 37, voir 38 ou 39°C ? Il faudrait le prévenir qu’il ne respecte pas les limites administratives.
En ce qui concerne l’administration de la Maire de Paris, et notamment les Directeurs successifs de la DPE, elle aurait dû cesser depuis longtemps d’utiliser de l’eau brute pour nettoyer au Kärcher les chaussées et les trottoirs, comme je leur avais demandé de le faire il y a plus de 10 ans, en tant que médecin représentant de la Médecine préventive de la Mairie de Paris et comme ex-ingénieur hydrologue reconverti dans la santé au travail.
Il y a bien longtemps que les communes de la couronne parisienne nettoient leurs trottoirs et chaussées à l’eau potable.
– 8. Elle se serait donc rendue coupable de manquement en n’appliquant pas le principe de précaution dès le début de la pandémie ?
– C D : J’appellerais plutôt cela de la sclérose administrative en plaque et l’incapacité à s’adapter à une situation changeante, ceci associé au confort d’un bureau douillet bien loin du terrain des employés de la propreté.
– 9 . La santé des Parisiens a donc été mise en danger ?
– C D : Évidemment et depuis longtemps, mais le traçage de cause à effet étant quasiment impossible, l’administration de la Mairie a pu continuer à contaminer les Parisiens sans en subir les conséquences.
– 10. Comment vous expliquez-vous cette carence ?
– C D : Je ne suis pas compétent pour expliquer la cause des carences administratives à la Mairie de Paris. En tant que scientifique je me contente de les observer."
Ecouter :
– L’eau de Paris a quarante de fièvre et tousse sans cesse
Tanguy Pastoureau, France Inter.
Lire aussi :
– COVID-19 et nettoyage des rues : les mensonges de la mairie de Paris
La mairie de Paris a procédé le dimanche 19 avril à une véritable opération de désinformation, le jour même où Anne Hidalgo présentait son “plan de déconfinement”, et quelques heures avant la conférence de presse d’Edouard Philippe et d’Olivier Véran, dédiée à “l’après 11 mai”. Il s’agissait de camoufler les responsabilités écrasantes de la Ville, relativement à la présence de COVID-19, détectée par le laboratoire d’Eau de Paris, dans le réseau d’eau brute non traitée de la capitale, héritage historique d’une histoire complexe. Une eau brute non traitée qui est notamment utilisée pour nettoyer les rues de la capitale. Révélations sur une grossière mystification.
Lire la suite :
http://www.eauxglacees.com/COVID-19-et-nettoyage-des-rues-les?var_mode=calcul
Eaux glacées, 20 avril 2020.
– COVID-19 et nettoyage des rues : les aveux de la Ville de Paris
Le quotidien Le Parisien a publié dans son édition datée du mardi 21 avril 2020 une pleine page titrée : “Des traces de virus dans l’eau non potable : les 10 questions qui se posent.” La lecture attentive des propos (dont certains accablants), tenus par plusieurs maires-adjoints de la Ville confirme, et au-delà, le scandale que nous dénoncions avant-hier. Nous en avons surligné les passages les plus éclairants, qui méritent précisions comme réfutations, que nous apporterons à nos lecteurs dans les meilleurs délais.
Lire la suite :
http://www.eauxglacees.com/COVID-19-et-nettoyage-des-rues-les,2444?var_mode=calcul
Eaux glacées, 22 avril 2020.
– « On a retrouvé le coronavirus dans les eaux usées, et cela pourrait nous aider à mieux suivre l’épidémie »
par Vincent Marechal (INSERM, Sorbonne université) , Sébastien Wurtzer (Eau de Paris), Jean‑Marie Mouchel (Sorbonne Université), Rémy Teyssou (Institut de recherche biomédicale des armées), Yvon Maday (Sorbonne Université, co-fondateur de l’initiative Covid-IA), Vincent Rocher (SIAAP) et Laurent Moulin (Eau de Paris).
The Conversation France, 23 avril 2020.
commentaires
Merci de cet article. Son aspect technique est d’un grand intérêt(même si je suis loin de tout comprendre).
Personnellement je relève d’abord ceci, qui fait écho aux vagues inquiétudes qui m’ont souvent assailli à l’approche des nettoyeurs haute pression : "Même en dehors du Covid-19, utiliser de l’eau brute pleine de pathogènes, pour nettoyer les sols est hautement irresponsable de la part de la DPE (Direction de la Propreté et de l’Eau à Paris). En tant que médecin biologiste et ingénieur hydrologue divisionnaire cela fait plus de 10 ans que j’ai demandé à la DPE de cesser ces pratiques d’un autre âge.....Il y a bien longtemps que les communes de la couronne parisienne nettoient leurs trottoirs et chaussées à l’eau potable."
Retrouve-t-on ailleurs qu’à Paris, dans des villes de taille comparables, ce mode de nettoyage ?
La durée de vie est une chose, la virulence en est une autre : ce coronavirus garde-t-il toute sa puissance infectieuse après deux ou trois jours ? (on pose parfois des questions en espérant une réponse rassurante !). Il est dommage que ce point n’ait pu être évoqué dans le billet. Cette remarque est d’ailleurs un peu vaine vu tout ce qu’on ignore à propos de ce virus !
De même , sait-on si ce coronavirus infecte les cellules de poisson ?
Bonjour,
Seul Paris a conservé cette anomalie.
Sur la durée de vie personne ne sait et c’est justement cela le scandale, puisqu’il aurait fallu impérativement appliquer le principe de précaution, ce qui n’a pas été fait.
Quant à l’affirmation "en quantité infinitésimales", alors qu’on prend soin de préciser que les personnels étaient protégés, juste pour calmer les syndicats.
Misérable.
N’y a-t-il pas d’autres villes (Montpellier ?) qui utilisent l’eau brute pour nettoyer les rues, arroser les pelouses, du tramway, des jardins et terrains de sport.
Soit à partir de réseaux d’eau brute prenant celle de fleuves (Rhône qui collecte bien des eaux usées +/- bien traitées), soit par pompage direct en rivières (pour d’autres villes) ?
Merci de cet intéressant contenu. Tout d’abord parce qu’il met bien en évidence les dysfonctionnements administratifs de nos communes au sein desquelles les maires règnent légalement en despotes pas toujours responsables.
Ensuite, par extension et sans aucun besoins d’analyses supplémentaires, la preuve est faite de la toxicité des eaux de S.T.E.P. qui sont à l’origine de la pollution des rivières. Il faut savoir qu’aujourd’hui à la lumière des règles instituées juste après Louis Pasteur, les eaux de STation d’EPuration des eaux usées, sont déclarées conformes à être rejetées dans le milieu naturel essentiellement en la quasi absence de coliformes fécaux. Mais depuis Pasteur le contenu des eaux usées a bien changé mais pas la manière de les contrôler.
En temps ordinaires les eaux de rivières qui reçoivent les eaux de S.T.E.P sont polluées par tous les micropolluants dont on se préoccupe pas puisqu’ils ne sont pas règlementés et qui pourtant sont là. Comment le savoir ? Il suffit de connaitre le poids de produits pharmaceutique consommés dans l’agglomération, le poids des produits ménagers, le poids des toxiques du bricolage, etc. toutes choses dont les contemporains de Pasteur n’avaient pas connaissance et que notre législation continue d’ignorer. Alors que penser de la mesure de la charge virale ?
Monsieur le rédacteur en Chef,
A lire votre récente chronique aqueuse, on peut se demander si votre méthode, consistant à comparer ce qui n’est absolument pas comparable, est vraiment scientifique :
comment pouvez-vous mettre sur le même plan d’une part, un scientifique, qui ne fonde sa théorie sur que l’expérience, sur des connaissances acquises, que ce soit par lui ou d’autres spécialistes et dont le métier est d’être prudent, qui est préoccupé, et, de l’autre, une personne politique n’ayant comme seul acquis que SA parole et obligée de s’en servir pour empêcher tous débordements de ses adversaires, que ce soit par les côtés ou par en-dessous (le cas d’une supériorité adverse est naturellement impensable).
La Maire de Paris, qui aime les contes, nous raconte bien sûr les histoires qui lui viennent à l’esprit. Elle n’a jamais, à notre connaissance, déclaré parler en vérité. Vous avez grand tort de lui reprocher son innocence. miloub