L’interview accordée par M. Jacques Cavard, directeur général des services techniques du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif), au Journal de l’environnement le 5 septembre 2008 mériterait de faire les gros titres des medias. Dans un contexte de tensions autour du choix du futur mode de gestion du Sedif, affermé à Veolia depuis 1923, choix qui devrait intervenir avant la fin de l’année 2008, notre homme brise un tabou et reconnait benoîtement que les travaux colossaux de remplacement des conduites en plomb des réseaux d’eau potable, engagés dans toute la France depuis une dizaine d’années, ne servent tout compte fait à rien... Certes, une directive européenne les a rendus obligatoires. Toutes les collectivités françaises s’y sont attelées, au plus grand profit de Veolia, Suez et Saur et de leurs filiales, qui y ont trouvé un nouveau relais de croissance. Et tout cela pourquoi ? Pour rien ! Comme le confirme par ailleurs une technicienne de la DDASS de la Seine-Saint-Denis dans une interview publiée il a quelques mois. Dans un contexte de tension croissante autour du « prix de l’eau », si le Sedif tente manifestement de se dédouaner, en soulignant que « la réglementation aurait dû cibler les zones à risque », on n’en demeure pas moins pantois face à la révélation publique d’une gabegie inutile (mais pas perdue pour tout le monde), qui fait d’ailleurs figure de secret de polichinelle Chez les « acteurs de l’eau »...
Dans cette interview décoiffante M. Jacques Cavard met très vite les pieds dans le plat :
– Comment jugez-vous le seuil de 10 µg/l recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et repris dans la directive européenne de 1998 sur la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ?
– Il est extrêmement bas et sévère. Pour le respecter, il est nécessaire d’éliminer les branchements en plomb ou en alliages faisant la liaison entre les canalisations qui ne contiennent pas de plomb et les habitations.
– D’où proviennent les risques sanitaires liés à l’éventuelle présence de plomb ?
– Il existe un risque de dissolution, dans des conditions particulières de pH et de dureté de l’eau. Ce risque, faible en Ile-de-France, est important dans les eaux des Vosges par exemple, où les eaux sont acides et leur dureté est basse. Les seuls cas de saturnisme liés à l’eau distribuée ont été observés dans cette zone géographique. Il n’y a jamais eu de cas en Ile-de-France.
– Remplacer tous ces branchements n’est donc pas nécessaire en Ile-de-France ?
– Les coûts paraissent extrêmement élevés comparés aux bénéfices sanitaires. Il aurait été plus judicieux que la réglementation cible des zones à risque comme les Vosges. Il est par ailleurs important de souligner qu’en France on ne traite qu’une partie du problème, car une grande partie du plomb se trouve en réalité dans les réseaux d’eau potable à l’intérieur des habitations où nous ne pouvons pas intervenir. Rien n’oblige actuellement les propriétaires à les remplacer (...).
(...)
– Finalement, de quelle manière les coûts sont-ils répercutés sur la facture des abonnés, sachant que l’UFC-Que Choisir évoque régulièrement des surfacturations appliquées par le Sedif ?
– L’UFC-Que choisir nous fait un mauvais procès. Le Sedif a financé le programme de renouvellement des branchements en plomb en ralentissant le renouvellement de linéaires de canalisations sans prendre de risques pour le réseau et sans augmenter le prix de l’eau. Cela représente environ 15 centimes d’euro dans le prix du mètre cube d’eau payé par les abonnés. Le coût unitaire moyen du renouvellement des branchements n’est pas constant puisque l’on a remplacé les plus longs en premier, mais ce coût a fortement diminué en regroupant les travaux et en mutualisant ainsi les coûts fixes. Il est désormais inférieur au coût moyen appliqué par les autres maîtres d’ouvrages publics d’Ile-de-France. »
Ca ne sert à rien, mais on le fait quand même...
On a compris, çà ne sert à rien, mais on le fait quand même, à un coût d’ailleurs exorbitant, qui avait conduit en son temps Mme Nelly Olin et l’agence de l’eau Seine-Normandie, qui finance une partie des travaux, avec l’argent des redevances, et donc des usagers, à demander au Sedif, et à Veolia, d’aligner leurs tarifs sur ceux qui se pratiquent ailleurs en France, jusqu’à deux fois moins élevés...
Bon, on conçoit que le Sedif et Veolia s’efforcent par tous les moyens de justifier un tarif de l’eau, dénoncé par l’UFC-Que Choisir comme absolument exorbitant. Ca ne trompera personne mais c’est de bonne guerre...
Mais sur le fond, ça ne sert donc à rien ?
Et non, comme le confirmait sans ambages en avril 2008 Mme Stéphanie Egron, chargée de mission saturnisme á la DDASS 93, dans une interview accordée à la lettre d’information diffusée par la régie municipale de Tremblay-en-France, l’une des rares régies publiques existantes en Ile-de-France :
– Dans les années 1980, les medias avaient relayé des cas de saturnisme d’origine hydrique dans les Vosges dus á la présence conjointe de canalisations en plomb et d’une eau agressive, qu’en est-il aujourd’hui en Seine-Saint-Denis ?
– Dans le département aujourd’hui, nous intervenons pour 99,9 % des cas d’intoxication dans l’habitat insalubre. Les intoxications par voie hydrique sont quasi-nulles, voire inexistantes depuis les années 1980. Le calcaire, très présent dans notre région, protégeant la canalisation limite d’ailleurs fortement tout contact entre le plomb et l’eau ! Ce que l’on constate effectivement c’est que dans l’inconscient collectif, le plomb occupe une place importante dans l’inquiétude des foyers.
Dans les cas avérés de saturnisme infantile, la DDASS intervient sur la base du code de la santé publique (article 1334-1 á 12), dans le cadre d’une procédure bien déterminée, mais spécifique aux intoxications au plomb liées á l’habitat et aux peintures. Si l’origine de l’intoxication ne provient pas des peintures et est malgré tout identifiée (plats á tagine, maquillage, pratiques alimentaires...), la DDASS veille á ce qu’elle soit supprimée.
– Qu’en est-il alors de la procédure en cas d’intoxication hydrique avérée ?
– Si, effectivement, le cas d’intoxication ne trouve pas d’origine dans l’habitat ou les peintures, une analyse d’eau est demandée mais dans quasiment tous les cas, les normes sont respectées. De plus, se poserait le problème de la procédure car á l’heure actuelle nous n’avons pas d’outils pour agir réglementairement face á une intoxication hydrique avérée : qui contraindre pour faire les travaux des réseaux intérieurs vétustes ? Les textes sont á l’heure actuelle adaptés uniquement á l’habitat ancien et dégradé (aux logements insalubres).
– Selon vous, le remplacement des branchements en plomb mis en oeuvre par l’ensemble de collectivités est-il le remède au problème ?
– La réglementation sur le plomb dans l’eau intègre cette démarche de diminution d’exposition au plomb mais remplacer aveuglément tous les branchements publics en plomb sans poursuivre la démarche sur le réseau intérieur n’a en soi pas de sens. Par ailleurs ces canalisations d’immeuble en plomb sont souvent si anciennes qu’elles sont toujours gainées intérieurement de tartre, lequel isole l’eau du plomb. »
La martingale du plomb
Mais pourquoi diable s’est-on acharné de la sorte si cela ne servait à rien ?
Les provisions pour renouvellement contractuellement mises de côté par Veolia, Suez et Saur dans des milliers de contrats de délégation de service public en France, et qui représentent des milliards d’euros, se sont très souvent évaporées, c’est de notoriété publique, sans avoir été affectées au renouvellement des réseaux auxquelles elles étaient pourtant destinées.
A chaque fois qu’a surgi un contentieux, comme à Paris, à Lille, à Lyon, et dans des dizaines d’autres villes, les opérateurs se sont engagés rituellement à affecter ces sommes colossales... au remplacement des branchements en plomb, et très souvent, de l’aveu même du Sedif, au détriment du renouvellement des linéaires de canalisation...
Comme le renouvellement desdits branchements est de surcroît financé par les agences de l’eau, rouge, impair et manque !
On consultera dès lors avec le plus grand intérêt le dossier de presse diffusé le 19 décembre 2003 par les ministères de l’Equipement, de la Santé et de l’Ecologie
Et avec davantage d’intérêt encore,le dossier de presse diffusé en 1999 par la Lyonnaise des eaux, qui argumentait avec force trémolos sur l’ardente obligation de changer les branchements en plomb...
L’arnaque a durablement plombé les budgets des collectivités qui en ont été, et continuent à en être, les victimes consentantes.
Attendez-vous à savoir que le prix de l’eau va fortement augmenter dans les années qui viennent !
Hausse record de 19 % de l’eau du robinet à Poissy
Une hausse bien engagée, en région parisienne comme ailleurs, comme le relatait l’édition des Yvelines du Parisien le 25 août 2008. Soulignant que « Le prix de l’eau n’est pas le même pour tous. Les hausses brutales justifiées par les concessionnaires creusent encore les écarts. »
Comme le portefeuille des consommateurs est soumis à dure épreuve, on va voir que « l’argument plomb ne tarde jamais en ces circonstances à sortir du bois...
« Alors que les prix de l’électricité et du gaz ne cessent de grimper, sans oublier la flambée du carburant, les tarifs de l’eau du robinet enregistrent également une hausse. A Poissy, selon l’association Vivre ma ville, qui s’appuie sur le rapport annuel de 2007 remis dernièrement à la municipalité par le concessionnaire (Veolia), le mètre cube a fait un bond de 19 %, en passant de 2,76 € à 3,29 €.
« De quoi mettre en colère les clients, d’autant que le prix moyen en Ile-de-France tourne autour de 3 €.
"J’ai payé près de 400 € en 2007 contre un peu plus de 300 € en 2006"
« Ainsi, même s’ils ne sont pas les seuls dans ce cas, nombreux sont les consommateurs de Poissy qui se plaignent du coût exorbitant de leur facture.
« J’ai payé près de 400 € en 2007 contre un peu plus de 300 € en 2006, indique un habitant. Les entreprises privées qui gèrent ce service veulent faire des bénéfices sur le dos des gens et elles font ce qu’elles veulent. »
« C’est la ville qui fixe le prix, mais les élus se basent sur les données et les orientations fournies par le concessionnaire », relativise un proche du maire. Et si, cette année, le montant ne devrait subir qu’une hausse d’environ 1 %, la pilule est dure à digérer. « Les foyers ne payent pas uniquement leur consommation d’eau, précise l’association Vivre sa ville.
« La facture englobe également la pose et l’entretien des canalisations, le fonctionnement des stations d’épuration, mais aussi la suppression des branchements en plomb. » Pour justifier la forte hausse du prix du mètre cube, le comité évoque sur son site Internet la mise en service d’un nouveau centre de traitement à Triel-sur-Seine en janvier 2007.
« Le point de vue d’André Santini, président du Syndicat de l’eau d’Ile-de-France (Sedif) et secrétaire d’Etat à la Fonction publique, venu à Vélizy la semaine dernière sur le spectaculaire chantier de déplacement d’une canalisation, est différent.
« Il met à l’index la nouvelle directive européenne de 1998, qui impose une nouvelle réduction, d’ici à 2013, de la teneur en plomb des eaux potables distribuées par les collectivités locales.
« Toutes les villes doivent se mettre en conformité avec la loi. « Sur l’ensemble du réseau francilien, les changements des branchements en plomb vont coûter 500 millions d’euros », insiste le président du Sedif.
« Alors que l’eau du robinet de Poissy provient des stations de pompage d’Aubergenville, les militants écologistes parlent également de la pollution des sols. « Les nappes souterraines les moins profondes sont de plus en plus chargées en pesticides, explique l’un d’eux. Il faut donc aller chercher l’eau plus profond. Les agriculteurs ne sont pas les seuls responsables, les habitants qui ont des terrains et des potagers utilisent parfois à outrance des désherbants. »
commentaires
Autre question sur cet article du Parisien : il me semble bien que Poissy n’est pas desservie par le SEDIF en eau potable ? Pourquoi le journaliste demande-t-il des explications à Dédé si c’est pas le SEDIF qui présente la douloureuse à Poissy ?
Concernant l’augmentation des tarifs de 19% de l’eau à Poissy, ils ne peuvent pas être imputés comme semble le dire "Vivre sa Ville" (selon le Parisien) à la nouvelle station d’épuration de Triel. Ou alors, il faudrait que "Vivre sa ville" et le Parisien nous expliquent pourquoi toutes les autres villes concernées par la nouvelle station (soit donc au minimum une dizaine de communes voisines) ne connaissent pas la même augmentation tarifaire.
Idem pour les remarques de "vivre sa ville" sur les pollutions imputables aux habitants dans leurs usages immodérés des pesticides. On voit mal en quoi ce problème serait particulier ou différent pour les eaux de Poissy de celles qui alimentent toutes les autres communes, lesquelles ne subissent pas une augmentation de 19% de leurs tarifs.
Le parisien est un journal qui peut donner, comme dans ce comparatif, parfois des informations factuelles tout à fait intéressantes, mais qui n’est pas désireux d’analyser vraiment et de creuser ce type de dossier. C’est dommage car effectivement, il serait intéressant d’en savoir plus sur les raisons exactes de ce 19% d’augmentation ?