Oyez, oyez, gents damoiseaux libéraux, la terrifiante et très véridique histoire de Dame Cayeux, dévorée par l’ogre Veolia dans la forêt du Beauvaisis…
Cette histoire s’adresse, une fois n’est pas coutume, aux innombrables élus de droite, intimement convaincus, affection des plus fâcheusement répandue, que le privé c’est bien et que le public c’est mal. Leur collègue Caroline Cayeux, inamovible sénatrice-maire (LR) de Beauvais - actuelle présidente de "Villes de France", ex-Fédération des villes moyennes -, vient d’apprendre à ses dépens que la fable libérale, si libéralement vulgarisée par d’innombrables zélotes (façon la fêlée de l’IFRAP), est un redoutable mirage (1).
Voyons plutôt. Le mercredi 26 septembre 2007 plusieurs membres du conseil municipal, opposants de gauche à la majorité (alors UMP), dirigée par Caroline Cayeux, maire de Beauvais (Oise), organisent un débat public pour débattre de la gestion future du service de l’eau, qui doit être abordée deux jours plus tard au conseil municipal.
Alors que Caroline Cayeux souhaite confier à nouveau à Veolia la gestion de l’eau de la ville (elle y détient une DSP depuis 1992), l’opposition milite depuis plus d’un an pour une gestion de l’eau en régie municipale, voire intercommunale. Formule qui pourrait selon eux faire réaliser à la ville une économie de 20% sur le prix de l’eau dans la commune.
Par ailleurs l’assainissement est depuis toujours géré en régie, à la satisfaction générale.
"Nous protestons contre la précipitation avec laquelle on nous soumet ce dossier", expliquait le communiste Thierry Aury dans les colonnes du Parisien. "L’eau est un sujet important qui aurait mérité l’organisation d’un vrai débat public contradictoire. Nous demandons le report du vote".
Mais un éventuel report du dossier de la gestion de l’eau après les prochaines élections municipales n’était pas du goût de Caroline Cayeux. Selon elle, "Nous l’avons écoutée (l’opposition) sur ce dossier de l’eau et largement. Nous nous sommes donné le temps de faire une étude comparative entre gestion en régie et contrat de délégation de service public. Aujourd’hui, nous sommes arrivés au bout de la procédure. Ce dossier peut être présenté et voté".
Selon la majorité municipale (UMP), aucun doute que l’offre de Veolia soit la meilleure. Selon les « études » réalisées, le prix du m3 reviendrait à 0,931 euros en 2008, alors qu’une gestion en régie municipale ferait monter le prix à 0,965 euros le m3…
Magie des « audits » mercenaires de rigueur en ces circonstances.
De plus, la majorité affirmait craindre des risques sanitaires en cas de gestion par une régie municipale…
Dans ce contexte, ce qui devait arriver arriva, et la majorité de droite décide le 28 septembre 2007 (par 30 voix sur 45), d’attribuer à Veolia, pour une durée de douze ans, une nouvelle DSP, dont le CA annuel est estimé à 3,1 million d’euros.
Le Patron s’en va…
Satisfait du devoir accompli, moins d’un an plus tard, comme l’annonçait Le Parisien le 15 décembre 2008 : « Guy Proucelle, le patron de l’eau, s’en va. » Car, dans le Beauvaisis, le patron c’était lui… Depuis les dernières élections, Guy Proucelle était devenu maire de Bonlier, village de 385 habitants au nord de Beauvais.
Mais ce nouvel élu était déjà très connu des autres maires de la région. Car depuis six ans, Guy Proucelle était le grand patron de la distribution de l’eau dans le Beauvaisis.
En tant que directeur de l’agence de l’Oise de Veolia Eau, il avait pour mission de distribuer l’eau à 250 000 habitants et, de ce fait, était amené à côtoyer près de trois cent élus au quotidien.
Vaste programme : « Que ce soit pour les villages ou des communes plus importantes, il devait rechercher les solutions les plus efficaces et les plus économiques », rappelait Bruno Godfroy, directeur régional Veolia Eau en rendant hommage à son collaborateur.
Agé de 60 ans, Guy Proucelle faisait ses adieux à son entreprise avant de se consacrer pleinement à sa mairie, non sans avoir intronisé son successeur François de Fruyt.
L’attaque au plomb
En janvier 2009, casque sur la tête, chasuble fluo jetée sur les épaules, les agents de Veolia quadrillent Beauvais. Leur mission : éradiquer l’intégralité des branchements en plomb de la ville !
Un (fameux) décret relatif aux eaux destinées à la consommation humaine stipule qu’en décembre 2013 le seuil de la teneur en plomb à la sortie du robinet passera de 25 à 10 milligrammes par litre.
En conséquence, mille et un chantiers fleurissent un peu partout dans la ville, où 700 branchements plomb ont déjà été supprimés.
« Au départ, l’eau de Beauvais n’a aucune teneur en plomb, explique François de Fruyt, le nouveau directeur de l’agence Veolia Eau de l’Oise. Il n’est donc pas possible de réduire cette teneur en travaillant sur la qualité intrinsèque de l’eau. En revanche, on peut travailler sur son contenant. »
Et de remplacer les anciens branchements plomb du réseau, très en vogue dans les années 1960-1970, par du polyéthylène (Voir incidemment ce qu’en pense l’ASTEE...). Sur l’ensemble de la ville, 3000 branchements sont concernés. Veolia a prévu d’en remplacer 500 chaque année pendant six ans, soit entre dix et quinze rues par an.
« Evidemment, selon leurs dates de construction, certains quartiers, comme Notre-Dame-du-Thil, Saint-Just-des-Marais ou Marissel, sont plus concernés que d’autres, précise Pascal Calippe, chef de secteur à Veolia. Par exemple, rue de Clermont, 300 habitations sont concernées et environ 220 rien que sur la rue Notre-Dame-du-Thil. »
Une coupure d’eau de deux ou trois heures, mais Veolia promet un minimum de nuisances. Chaque habitant est d’abord avisé des futurs travaux par courrier. Puis les agents sillonnent le quartier en porte-à-porte.
« Ensuite, les travaux se font un peu à la carte, selon le souhait des clients, détaille François de Fruyt. Pour des questions pratiques et pour ne pas encombrer davantage le domaine public, on préfère installer les compteurs sur le terrain des particuliers, à la limite de la propriété et de la rue. Mais ce n’est pas toujours possible. Certains clients refusent que l’on creuse sur leur terrain ou que l’on casse leur dallage tout neuf. Parfois, certains refusent tout simplement que l’on entre chez eux. »
(On les comprend).
Selon la configuration des lieux, trois méthodes sont envisageables pour remplacer les branchements en plomb : une méthode traditionnelle, avec ouverture de tranchée, une méthode par extraction, et une technique de fonçage. Mais quelle que soit la méthode utilisée, les délais de coupure d’eau chez les particuliers dépassent rarement les deux ou trois heures, rassurait Le Parisien.
Qui se garda bien d’informer ses lecteurs que tout cela était parfaitement inutile, le remplacement des branchements plomb ayant d’abord pour objectif d’abonder les grands travaux de Veolia qui ont contribué depuis deux décennies à améliorer la rentabilité de tous les contrats de DSP… Ceci sans aucun effet avéré sur la santé publique, aucun cas de saturnisme du aux branchements plomb n’ayant jamais été répertorié en France, sans compter l’absurdité de changer les branchements plomb sur les conduites publiques, quand on se garde bien de toucher aux colonnes montantes, en plomb, des immeubles…
M’enfin, tout ceci à rapporté entre 3 et 5 milliards d’euros aux Trois Soeurs en vingt ans, ce dont même M. Macron n’oserait rêver dans ses délires les plus fous.
Le Préfet s’en mêle
Février 2009, fait rarissime, après s’être penchés de près sur le dossier, au titre du contrôle de légalité, (qui a à peu près totalement disparu depuis lors dans l’Hexagone), les services de la préfecture attaquent la ville de Beauvais devant le tribunal administratif pour demander l’annulation de la DSP accordée début 2008 à Veolia.
Les Beauvaisiens payaient-ils l’eau du robinet au juste prix ? A 2,86 € le mètre cube pour une consommation type de 120 m 3 par an (concept totalement bidon qui ne sert qu’à abuser les foules, même le SISPEA hésite à continuer avec çà, c’est dire...), le prix n’était peut-être pas exorbitant, mais n’en avait pas moins déjà augmenté de 20 centimes en moins d’un an (2,66 € le mètre cube en 2008). Tout en demeurant l’un des moins chers de Picardie, où certains habitants des communes rurales le paient jusqu’à 6 €, voire 7 €, le m3… (Merci qui ?).
« Bien souvent, c’est un concurrent évincé qui attaque devant le tribunal administratif, mais il n’est pas fréquent que ce soit le représentant de l’Etat », confiait le 23 février 2009 au Parisien « une source proche du dossier ».
(Là on ne parle pas de captages, Note EG).
Devant le tribunal administratif, les services de la préfecture soulevaient (bien évidemment), des questions de forme. Les griefs portaient ainsi sur des annonces légales qui n’étaient pas toutes identiques, la délibération présentée au conseil municipal qui n’aurait pas permis aux élus d’être suffisamment informés, ou encore le fait de savoir si la DGCCRF avait été conviée à participer à la procédure ?
L’un de ces griefs soulevait indirectement le problème du prix de l’eau.
« Les services de la préfecture considèrent qu’on aurait commis une "erreur manifeste d’appréciation" sur le choix du candidat », expliquait le service juridique de la ville, « car une autre société aurait proposé une offre économiquement plus avantageuse ».
« En matière de DSP, le critère de prix ne serait pas déterminant, ni primordial », croyait savoir Le Parisien.
« De toute façon, Veolia avait présenté le prix le plus intéressant », assurait la ville. Renseignement pris, toujours selon Le Parisien, un autre candidat avait effectivement fait une offre qui, « au départ, paraissait plus intéressante ».
Au départ seulement (poursuivait Le Parisien), car au final, c’est-à-dire « à prestations équivalentes, ce concurrent était plus cher que Veolia. »
(Mystère insondable… Note EG).
Ensuite l’édition locale du quotidien se surpassait :
« C’est comme pour un prêt immobilier, il ne faut pas toujours se fier au taux annoncé, mais tenir compte des diverses assurances obligatoires qui, en fin de compte, font grimper l’addition. Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement a rejeté l’intégralité des griefs relevés par les services de la préfecture. En clair, il a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la DSP. Alors, ce recours de la préfecture va-t-il se traduire par un simple coup d’épée dans l’eau ? Pas impossible, quand on sait que, dans 90 % des cas, le tribunal suit les conclusions du commissaire du gouvernement. Le jugement sera rendu le mois prochain. »
Manque de bol, le TA d’Amiens n’avalait pas cet invraisemblable tissu d’âneries, et annulait un mois plus tard, le 3 mars 2009, la délibération ayant accordé la DSP de 12 ans à Veolia, qui annoncerait évidemment interjeter appel de cette décision, à l’évidence parfaitement inique à ses yeux, comme à ceux de la collectivité.
Du provisoire qui dure…
En attendant les foyers beauvaisiens n’allaient tout de même pas manquer d’eau courante !
L’accommodant conseil municipal de Mme Cayeux votait donc dare-dare le 14 mai 2009 la signature d’une convention de gestion provisoire de la distribution d’eau, dont l’échéance était fixée à un an à compter de son exécution.
Veolia, en dépit de l’annulation de la DSP par le TA d’Amiens à la suite de la requête de la préfecture, gardait la main. Au moins jusqu’à la décision de la cour d’appel.
Et ne manquait pas de clamer haut et fort que le prix du m3 restait fixé à 2,80 €, l’un des « tarifs les moins chers de Picardie ».
Mais qu’allait-il se passer si la cour d’appel confirmait le jugement rendu en première instance le 3 mars précédent ?
« Dans ce cas, nous aurions tout le temps de relancer le débat entre délégation de service public et régie municipale », répondait Jean-Luc Bourgeois, adjoint au maire en charge de l’environnement.
Et l’élu d’ajouter : « De toute façon, les arguments soulevés par le préfet sont fragiles et n’ont surtout aucun rapport avec le fond de la DSP. Ils ne sont pas susceptibles de justifier l’annulation du contrat. Je rappelle d’ailleurs que le rapporteur public avait rejeté l’ensemble des requêtes formulées par les services de la préfecture. Nous sommes donc sereins quant à l’issue de ce dossier… »
Reste qu’avec neuf voix contre, l’opposition de gauche s’était révélée unie sur l’affaire Veolia. La coalition PS-PC profitait de la délibération pour répéter son hostilité à la délégation de service public. « La ville pourrait très bien renoncer à sa procédure en appel et revenir tout de suite à une régie municipale, insistait le communiste Thierry Aury. D’ailleurs, si notre proposition initiale d’une régie directe avait été suivie dès le début, nous ne serions pas dans cette situation. »
Sauf que ni la ville ni Veolia ne semblaient prêts à abandonner le principe d’une DSP. Veolia n’étant aucunement enclin à laisser filer un marché estimé 37,2 millions d’euros sur 12 ans….
Un an plus tard, dans l’attente d’un signe de la cour d’appel, et afin d’assurer la continuité du service public, une seconde convention provisoire d’un an était à nouveau signée en juillet 2010 avec la SEAO, filiale locale de Veolia...
Appel au peuple
Le dimanche 6 décembre 2010, le conseiller municipal (PC) Thierry Aury organise un ciné-débat à l’ASCA sur le thème " Eau : gestion privée ou publique ?" dans la perspective du conseil municipal du vendredi 17 décembre qui doit prendre une première position de principe sur… la signature d’une nouvelle DSP avec Veolia !
Avec son groupe, il diffuse à 15 000 exemplaires une carte-pétition qui comprend une partie détachable à renvoyer par La Poste, ou à venir déposer sur les points de rencontre tenus chaque semaine au Centre commercial des Champs Dolents, les dimanche et lundi matins.
(Et oui, on ne les verra pas à BFM-TV, mais t’as encore des mecs sur les marchés, juste parcequ’ils croient en quelque chose... Note EG).
Trois propositions sont soumises aux beauvaisiens :
– demander un référendum local sur la gestion de l’eau afin d’éviter que le choix se fasse à nouveau en dehors d’un large débat public ; l’eau est un bien commun inaliénable,
– demander la création d’une régie publique municipale comme cela se fait à nouveau dans beaucoup de villes, petites ou grandes qui optent à nouveau pour une reprise publique complète ;
– créer un collectif de citoyens pour contrôler la gestion de l’eau dans notre ville et ce qu’elle que soit le choix qui sera fait au final (c’est à dire en juillet 2011) par le Conseil municipal.
Lors du Ciné-débat organisé en partenariat entre le cinéma Agnès Varda, ATTAC et l’ALEP (Association de lutte pour l’environnement en Picardie affiliée au MNLE), plusieurs cadres de Veolia étaient présents et tentent de justifier la délégation du service de l’eau à une multinationale privée, preuve que Veolia craint le développement du débat public sur cette question.
Poussé dans ses retranchements par le débat - au demeurant très courtois, l’un d’eux a quand même ce "cri du cœur" : "Oui évidemment nous ne sommes pas des philanthropes », après que Thierry Aury lui ai fait remarquer que d’une manière ou d’une autre, la facture contribuait à rémunérer les actionnaires de Veolia, contrairement à une régie 100% publique où la facture ne servirait qu’au service de l’eau.
Paroles, paroles…
Le 17 décembre 2010, une séance homérique du conseil municipal actait la relance du processus de consultation pour une nouvelle DSP, dont le compte rendu est plein d’enseignements (pages 26 à 34 ci-après).
En juillet 2011, Beauvais resignait bien évidemment une nouvelle DSP avec Veolia …
Le prix du péché
Le mardi 30 septembre 2015, le Tribunal administratif d’Amiens devait statuer sur le recours introduit par Veolia, qui s’en vient réclamer benoîtement 1,9 millions d’euros à la ville, après que celle-ci et son opérateur chéri n’aient pu trouver une solution amiable au différend qui les oppose depuis 2009.
Le contentieux est évidemment lié à l’annulation, en 2009, par le tribunal administratif d’Amiens, pour vice de forme, de la délégation de service public (DSP) signée un an plus tôt, entre Veolia et la ville. Décision confirmée par la Cour d’appel de Douai (Nord) en 2010.
Même si Veolia a décroché le nouveau marché de l’eau, en 2011, pour douze ans, elle n’entend pas s’asseoir sur les 1,9 M€ correspondant, selon elle, aux « investissements réalisés avant l’annulation du contrat » (les fameux branchements plomb remplacés en 2009…), et au « manque à gagner » généré par ces péripéties juridiques…
L’affaire a éclaboussé la dernière campagne des élections municipales de 2014 : les opposants de gauche à la mairesse (N’oublions pas les gender studies"), Caroline Cayeux (LR), l’accusant d’avoir « laissé pourrir ce dossier » et de « prendre le risque de faire payer aux Beauvaisiens le prix fort ».
De son côté Caroline Cayeux, considérant la demande d’indemnisation « excessive », a affirmé agir « dans l’intérêt des contribuables Beauvaisiens ».
« On est prêts à aller jusqu’au Conseil d’Etat s’il le faut », déclare aujourd’hui au Parisien l’un de ses proches collaborateurs.
« On trouvera normal de devoir rembourser les travaux réalisés par Veolia mais au juste prix, précise Samira Moula, directrice générale adjointe des services. On estime, en revanche, qu’on ne peut pas parler de manque à gagner vu qu’une convention provisoire a été signée entre les deux DSP. »
(On se régale à l’avance imaginer la DG(A)S de Beauvais évaluer le "juste prix" des travaux réalisés par Veolia...).
Interrogée, la société Veolia, déclarait au Parisien « ne pas pouvoir communiquer avant l’audience ».
Dommage, on aurait pu leur demander quels sont les standards de performances et les "Best Practices" qui s’appliquent dans l’Oise...
(1) En fait, ce sont bien évidemment les Beauvaisiens qui vont payer les pot-cassés de l’ivresse libérale qui a submergé nos villes et nos campagnes…