A l’instar de nombreux autres pays dans le monde, le Parlement québécois a été saisi le 12 mars 2008 d’un projet de loi visant à faire de l’eau le patrimoine commun de la nation. Cette initiative succède aux prises de position et engagements de plusieurs gouvernements en faveur de la reconnaissance du droit à l’eau comme droit humain fondamental. Dans la perspective de la célébration du 60ème anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme par l’ONU en décembre 2008, ces avancées sonnent comme un encouragement pour tous les défenseurs du droit à l’eau sur toute la planète.
Le député de Roberval et porte-parole du Parti Québécois en matière de politique nationale de l’eau, M. Denis Trottier, a procédé le 12 mars 2008 au dépôt, à l’Assemblée nationale, du projet de loi 391, Loi déclarant l’eau patrimoine commun de la nation québécoise.
Le projet vise à déclarer que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation québécoise. Il traite de la protection, de la mise en valeur et du développement de l’eau, de son usage et de la gestion équilibrée et durable de cette ressource.
« Non seulement l’accès à l’eau potable est-il un droit, mais la gestion de l’eau doit être équilibrée et durable. Elle doit permettre de satisfaire, en priorité, aux exigences de santé, de salubrité publique, de sécurité civile, de vie sociale et d’alimentation en eau potable de la population », indiquait M. Denis Trottier.
« En déposant ce projet de loi, le Parti Québécois veut démontrer l’importance de poursuivre la mise en oeuvre de la Politique nationale de l’eau, adoptée en 2002, dont les engagements devraient guider l’État québécois dans sa gestion de la ressource en eau. Donner le statut de patrimoine commun à l’eau, c’est être au service des Québécois d’aujourd’hui et de demain et s’assurer de la pérennité de cette ressource », poursuivait-il.
Le député de Roberval a indiqué qu’il était important que les lois québécoises reconnaissent que l’usage de l’eau appartient à tous et que chaque personne, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable.
Le projet ne comporte malheureusement pas d’article prévoyant l’imposition d’une redevance sur l’eau. Cela s’explique par le fait qu’il n’est pas permis à un député de l’opposition d’introduire des articles qui ont une incidence financière. Or, le député de Vachon et porte-parole du Parti Québécois en matière d’environnement, M. Camil Bouchard, a tenu à rappeler que le Parti Québécois favorisait l’imposition d’une telle redevance depuis la Politique nationale de l’eau et que toute personne physique ou morale utilisant l’eau à des fins commerciales et industrielles devrait normalement
acquitter une redevance sur l’eau.
« Nous estimons que les fruits d’une telle redevance devraient être consacrés entièrement à l’eau, notamment pour sa préservation, sa distribution, son assainissement et sa dépollution. Nous souhaitons que le gouvernement appelle ce projet de loi de sorte à ce qu’il puisse y introduire lui-même des articles concernant la redevance », indiquait-il.
La mise en place de redevances était prévue dès novembre 2002 dans la Politique nationale de l’eau. Lors de la campagne électorale de 2003 et dans les premiers mois suivant leur élection, les libéraux avaient promis d’appliquer cette Politique dans son intégralité. Or, depuis cinq ans, malgré les multiples annonces de tous les ministres de l’Environnement à ce sujet, rien n’a encore été fait.
« Jean Charest, Thomas Mulcair, Claude Béchard ont successivement annoncé leur intention d’imposer des redevances et, successivement, ils y ont renoncé. La population du Québec comprendra, après tous ces reports, que la déclaration faite la semaine dernière par la ministre Beauchamp à l’effet qu’elle envisageait imposer des redevances ne convainc plus personne. Comme tous les députés de l’Assemblée nationale ont unanimement appuyé le dépôt de ce projet de loi pour en débattre, espérons maintenant que le gouvernement sentira la pression nécessaire pour que le Québec aille de l’avant et que, contrairement à son habitude, il agira enfin », conclait M. Camil Bouchard.
Voir le texte du projet de loi 391, Loi déclarant l’eau
patrimoine commun de la nation québécoise.
Une dynamique qui monte en puissance
L’Afrique du sud de l’après-apartheid avait été le premier pays ayant inscrit le droit à l’eau dans sa Constitution. En 2004, l’Uruguay amendait à son tour sa Constitution afin d’inscrire l’accès à l’eau au rang des droits humains fondamentaux et de bannir toute forme de privatisation.
En Bolivie, après l’arrivée au pouvoir du président Evo Morales, la Ley del riego (loi de l’irrigation), entrée en vigueur en août 2006, allait à son tour à l’encontre de la tendance mondiale qui tend à commercialiser l’eau, faisant de la Bolivie l’un des premiers pays à reconnaître l’eau comme un droit essentiel à la vie. De plus, elle donnait la priorité aux besoins essentiels (eau potable et agriculture) sur ceux du secteur industriel, consacrant au passage un système de propriété utilisé depuis des siècles par les indigènes.
Le ministre de l’Eau bolivien, M. Abel Mamani, se faisait dès lors l’ambassadeur d’un accès plus large à l’eau potable, à travers le monde.
Au Forum mondial de l’eau de Mexico, en mars 2006, il animait une coalition de pays qui tentait de faire reconnaître l’eau comme un droit fondamental, et de l’exclure des traités de libre-échange. La proposition ne reçut pas l’aval du sommet, organisé par le Conseil mondial de l’eau, largement dominé par les tenants de sa libéralisation.
Il récidivait en juin 2006 à l’assemblée de l’Organisation des États américains (OEA). Cette fois, l’opposition venait des États-Unis, du Canada, du Mexique et de l’Argentine qui craignaient qu’une éventuelle reconnaissance ne remette en cause la législation de certains États, où l’eau relève déjà du domaine privé. Les pays de l’OEA avaient néanmoins accepté d’étudier la proposition et de la reconsidérer lors de leur prochaine assemblée, en 2008.
En Europe, les Pays-Bas et la Belgique ont également promu des textes qui proscrivent toute nouvelle libéralisation. La chute du gouvernement Prodi en Italie a malheureusement mis un terme au processus initié par une vaste mobilisation populaire, et qui avait conduit l’Assemblée nationale à adopter un moratoire proscrivant toute nouvelle libéralisation. Mais le Sénat italien n’aura pas eu le temps de l’examiner.
A quelques mois du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme que l’ONU célébrera en décembre 2008, ces avancées témoignent toutefois que la communauté internationale sera de plus en plus fortement contrainte par les mouvements de l’eau actifs dans le monde entier à trancher sur le fait de savoir si l’eau est un « besoin », où doit figurer au rang des droits humains fondamentaux.