Notre analyse critique de la création d’une nouvelle compétence de « prévention des inondations et gestion des milieux aquatiques », qui sera obligatoirement dévolue au bloc communal, qui est lui-même invité à s’en défaire au profit des EPAGE et des EPTB, au détriment des missions traditionnelles des Agences de l’eau et de »s services de l’Etat, comme la création d’une nouvelle taxe qui reposera sur les foyers assujettis, sont le montant a été évalué à 600 millions d’euros chaque année, a suscité de nombreuses réactions contrastées. Eaux glacées ouvre le débat avec la réaction d’un technicien d’un syndicat de rivière, et notre réponse à son texte.
« Je suis avec grand intérêt chacun de vos articles, mais je suis quelque peu surpris de votre approche sur cette thématique que je connais particulièrement.
En effet, je suis actuellement en poste dans un syndicat de rivière depuis une dizaine d’années. Ce syndicat a été créé comme de nombreux autres dans les années 90 suite à de violents épisodes de crues et des gros problèmes de qualité d’eau.
Les élus se sont à l’époque courageusement lancé dans l’aventure des premiers contrats de rivières, véritable plan de gestion transversal qui permet à la fois de traiter des problèmes du petit et du grand cycle de l’eau, tels que vous les définissez.
En l’espace d’une dizaine d’années, après de nombreux travaux d’investissement, de communication et de sensibilisation de l’ensemble des acteurs de l’eau de notre bassin versant (à travers le comité de rivière), force est de constater que le milieu aquatique s’en porte bien mieux, que l’ensemble des collectivités ont modernisé leurs équipements d’assainissement, et que l’exposition au risque d’inondation a fortement diminué.
Suite à ce premier succès, les élus ont souhaité s’engager sur un second contrat de rivière plus environnemental, afin d’être en adéquation avec les objectifs de la DCE. Cette thématique est très loin des préoccupations prioritaires du moment (contexte économique oblige), mais malgré tout cette poignée d’élus n’hésite pas à défendre sur le terrain cette noble cause.
Toutes ces actions engendrent des frais importants, tant en fonctionnement qu’en investissement, et il est de plus en plus difficile de trouver les crédits nécessaires.
Heureusement les différents partenaires techniques et financiers continuent à nous suivre (Agence de l’eau, Conseil général et régional).
Tout çà pour dire que ces structures travaillent actuellement sur la base du "bénévolat", car cette compétence n’existe pas aujourd’hui à proprement parler. Ce qui veut dire que nous ne sommes pas reconnus officiellement d’un point de vue juridique.
Ce sont des structures "de terrain" pragmatiques qui travaillent à l’écoute des attentes de la population locale. Ces élus qui siègent au sein de ces structures travaillent sans attendre la moindre récompense, si ce n’est satisfaire les attentes de leurs administrés.
Alors nous les techniciens et chargés de mission sommes bien heureux, mais pas naïfs pour autant.
La création de cette nouvelle compétence qui légitimera notre action de tous les jours, et qui par l’intermédiaire de cette nouvelle taxe, permettra à de trop nombreuses structures telles que la mienne, de pouvoir mener un programme d’actions à la hauteur des enjeux présents sur leur territoire, est un progrès.
Il ne faut pas tout mélanger et mettre tout le monde dans le même panier sur ce sujet-là. Nous ne détournons pas l’argent de nos concitoyens.
Voilà c’était un message d’un simple technicien qui tente de faire pour le mieux avec ce qu’on lui donne. »
Lire aussi :
Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 novembre 2013
- Eau : le gouvernement crée une nouvelle taxe de 600 millions d’euros
Les eaux glacées du calcul égoïste, 13 novembre 2013
- Article 35 et nouvelle taxe : le débat
Les eaux glacées du calcul égoïste, 17 novembre 2013
commentaires
Monsieur Laimé, 2 commentaires sur votre réponse.
1. Les communes n’ont peut-être rien demandé mais ce n’est pas le cas de certaines communautés de communes ou surtout d’agglomération voire de métropoles. Un bon exemple en est l’Agglomération de Montpellier qui a concentré toutes les compétences sur l’eau potable, l’eau brute (du Rhône), l’assainissement, la navigation (si, si... avec les écluses du Lez pour faire de Montpellier un "vrai" port -de plaisance- inutile car on a déjà Sète, Palavas, La Grand Motte à côté), les crues urbaines (bassins d’orage) et bien sûr les inondations (avec le recalibrage dramatique du Lez balançant les eaux polluées de crues urbaines dans des étangs littoraux fragiles) et j’en passe (comme la caporalisation de la Recherche scientifique sur l’eau ou la coopération internationale sur l’eau). Bref cette surconcentration dans une Agglo mal gérée (cf Rapport Cour des Comptes) risque de nous emmener dans le mur.
2. Oui les techniciens de rivière font un travail formidable mais ils ne sont pas présents à des niveaux d’échelle décisionnaires plus politiques (nos élus multi-casquettes et l’eau-ligarchie nationale) ce qui provoque : déception, marginalisation, démoralisation,... voire restant "l’arme au pied" sur ordre de leurs élus pour ne pas contrarier certains intérêts particuliers ou corporatistes voire financiers (agricoles, (dé-)pollueurs, préleveurs,...).
Triste sort pour ces métiers verts qui devaient nous donner de la "croissance verte".
Dans ce débat il semble important de ne pas confondre la gestion des mileux acquatiques et celle des digues. En effet, l’entretien des digues de lutte contre l’inondation et la submersion relève de techniques pointues de génie-civil/TP (en particulier au niveau des digues de défense contre la mer) dont ne disposent pas les communes, ni les EPTB (nouvelles délégations de service public à prix d’or en vue) et me semble n’avoir qu’un lien assez faible avec les métiers de gestion de la qualité écologique des cours d’eau (ces deux métiers sont techniquement assez éloignés). La répartition du budget entre gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations s’annonce comme difficile (le cout lié à l’entretien des digues va littéralement exploser les budgets avec des budgets de l’ordre du milion d’euro par ouvrage sur les ouvrages maritimes, sachant qu’une commune peut accueillir plusieurs ouvrages).
Bonjour,
Merci pour votre message, je connais et respecte votre travail sur le terrain.
On ne peut que se féliciter des progrès que vous décrivez, qui apparaissent beaucoup devoir à l’opiniâtreté, louable, d’élus n’en nageant pas moins à contre-courant.
Mais le processus politique de la création de cette nouvelle compétence et de cette nouvelle taxe et, partant, les jeux d’acteurs à l’oeuvre, m’inquiètent pourtant au plus haut point...
Sur le fond, l’Etat se désengage de la prévention des inondations, après s’être montré totalement indigent en la matière et la transfère d’autorité au bloc communal qui n’a rien demandé.
Les processus d’artificialisation des terres, les constructions en zones inondables et la mise en péril des populations découlant de politiques d’urbanisme laxistes vont-elles cesser avec l’article 35 et la création de cette nouvelle taxe ? Je crains que ce ne soit exactement l’inverse qui se profile.
Quels financements à terme pour la prévention des inondations ? Il ressort de l’article 35 comme du projet de loi Collombat et de la stratégie nationale de lutte contre les inondations que vont être mis à contribution le Fonds Barnier, les Agences de l’eau, et désormais la nouvelle taxe.
Le gap entre les financements disponibles et les besoins réels se mesure en milliards d’euros... Que se passera-t-il à horizon de dix ans quand l’Etat transférera purement et simplement les infrastructures dont il assure (mal) la gestion aux collectivités locales ?
Mais c’est bien sur le volet « gestion des milieux aquatiques » qui suscite davantage encore les questionnements. On va multiplier les EPTB et les EPAGE qui vont venir s’ajouter aux structures existantes comme les syndicats de rivière, sans pour autant les intégrer automatiquement, ils n’ont tout de même pas osé, ce qui ajoute encore une couche au mille feuille…
Ipso facto, des tensions vont se faire jour avec les Agences de l’eau et les services de l’état, que l’on dépouille au passage, sans l’afficher ouvertement, d’une partie de leurs prérogatives.
Comment va-t-on pouvoir maintenir une cohérence d’action nationale avec une telle balkanisation ?
L’article 8 du projet de loi Collombat prévoit de surcroît de modifier le fonctionnement des Comités de bassin, afin d’y conférer tout le pouvoir aux élus ! L’envers exact de l’exigence de la société civile, balayée lors de la récente Conférence environnementale, de création d’un quatrième collège « usagers »…
Autrement dit, l’alliance traditionnelle entre les élus siégeant au sein des Comités de bassin, et les différents intérêts catégoriels qui y font la loi (industrie, énergie et agriculture), et l’imposent sans coup férir aux services de l’Etat, hélas aussi complices que duplices, va être encore renforcée, lors même que les usagers du service public de l’eau acquittent plus de 85% des redevances sans avoir voix au chapitre.
Ici ce sont le consentement à payer de l’usager et la participation de la société civile au système Agences-Comités de bassin qui nous a conduits à la faillite, qui sont en jeu à terme.
Enfin, danger majeur, la privatisation annoncée (ils ne s’en cachent même pas) de pans entiers de l’action publique dans le domaine de la gestion de la ressource en eau, avec Suez et Veolia en embuscade !
Avec cette nouvelle organisation et le nouveau morcellement qui s’annonce, va-t-on passer enfin vraiment du curatif au préventif et faciliter cette transition ou non ?
Sur la méthode enfin, tout a été fait clandestinement, sans que les collectivités ne soient réellement informés.
On attend toujours une réelle étude d’impact… Au demeurant impossible à effectuer puisque l’affaire a très astucieusement été « saucissonnée » entre le projet de loi « Métropoles » et la proposition de loi « Collombat. »
Noter enfin que s’agissant des compétences des collectivités locales, ces dispositions n’avaient rien à faire avec le volet I « Métropoles » de l’Acte III de la décentralisation, et auraient du être examinées avec son volet III, encore à venir, ce qui aurait inévitablement suscité la critique desdites collectivités.
Au lieu de quoi on assiste à un coup de force d’un groupe d’intérêts, qui a aisément convaincu L’Elysée et Matignon de l’intérêt pour l’Etat de se défausser de la lutte contre les inondations au profit du bloc communal, pour mieux ouvrir la voie, clandestinement, à la dévolution de la compétence « gestion des milieux aquatiques » à Suez et Veolia…