La mort du chauffeur d’un camion qui transportait des algues vertes d’une plage à une usine de compostage, le 22 juillet 2009, à Binic, dans les Côtes d’Armor, relance le débat sur la toxicité des algues vertes. Cette mort n’a été révélée par une dépêche de l’AFP que le dimanche 5 septembre 2009, 15 jours après la visite de M. François Fillon à Saint-Michel-en-Grève le 20 août dernier, lors même que les autorités locales en étaient informées depuis le 25 août. L’affaire des algues vertes est désormais une affaire d’Etat. La pollution de l’eau en Bretagne tue. Le gouvernement ne peut plus nier qu’un modèle agricole qui a échappé à tout contrôle menace désormais la vie des bretons.
C’est après avoir vidé un caisson d’algues vertes en état de décomposition à la l’unité de compostage de la déchetterie de Launay-Lantic (Côtes-d’Armor), que M. Thierry Morfoisse, chauffeur âgé de 48 ans, a été retrouvé mort au pied de son camion.
Il avait déchargé, pour la troisième fois de l’après-midi, une cargaison de 10 tonnes d’algues toxiques.
Selon plusieurs associations, fortement mobilisées contre les algues vertes, le chauffeur, qui faisait des allers-retours entre Binic et l’usine de traitement des déchets de Lantic, a heurté une barrière de sécurité, puis a fini sa course dans le mur d’une maison, avant d’être retrouvé mort sur le sol.
Le décès sera attribué à un malaise cardiaque.
Dans le quotidien Ouest France du samedi 5 septembre 2009, M. André Ollivro, le président de l’association Halte aux marées vertes, se dit "surpris" que cette affaire n’ait pas été révélée plus tôt. Pour lui, il y a un lien entre la mort du chauffeur et les algues vertes.
"D’après les informations que j’ai pu collecter, cet agent les déchargeait à mains nues et sans protection : ni masque, ni détecteur d’hydrogène sulfuré", affirme M. Thierry Burlot, président du syndicat mixte de traitement des ordures de Lantic et conseiller régional PS.
Pour le docteur Claude Lesné, médecin au CNRS et au Département de santé publique de l’université de Rennes 1, qui dit ne disposer "d’aucun document écrit", mais a rassemblé des informations, "le chauffeur du camion avait transporté des caissons d’algues vertes en état de décomposition et a été exposé".
Claude Lesné a expliqué que "les scénarios" d’intoxication aux algues vertes, dûs au gaz dégagé par la décomposition, ressemblaient "étrangement" à ce décès.
"D’après ce qu’on m’a dit il était cyanosé", a-t-il ajouté, expliquant que l’exposition aux algues vertes en décomposition pouvait, entre autres, provoquer un oedème pulmonaire et aussi un accident cardiaque.
Mise en cause des pratiques agricoles
M. Sylvain Ballu, ingénieur agronome du CEVA (Centre d’Etude et de Valorisation des Algues) rappelle quelques faits anciens :
"Il y a eu déjà deux chiens qui sont morts. Un homme aussi était décédé au volant de sa voiture. Il y a des endroits où il ne faut pas aller à pied, car les croûtes ont tendance à crever. Il peut y avoir des petites quantités de gaz, mais très concentrées"
"Les algues vertes sont rejetées par la mer. Elles se répandent sur l’estran, la zone de balancement des marées. Ces algues sont fraîches, mais dans les vives eaux, la différence de hauteur entre la marée haute et la marée basse peut être tellement importante, que la quantité d’algues peut s’avérer énorme".
"Ces algues ne sont plus touchées par les marais, une croûte se forme, empêchant les échanges gazeux. Celles du dessous pourrissent, et la putréfaction commence. Dès lors, des gaz assimilables à du gaz moutarde peuvent s’échapper".
Pour Sylvain Ballu, la chose n’est pas simple, il va falloir changer les habitudes : "Il faut multiplier les stations de traitement du lisier, afin d’enlever l’azote qu’il contient en excédent, et il faut aller de plus en plus vers une agrituclture extensive"
Selon l’ingénieur agronome, "c’est pas de chance pour les agriculteurs de la région, car les zones sont sensibles : il faudra, soit adopter des pratiques agricoles pointues, avoir par exemple des blés de printemps au lieu de blés d’hiver, ou alors tendre vers une exploitation extensive"
Embarras des pouvoirs publics
Le préfet des Côtes d’Armor, M. Jean-Louis Fargeas, affirme qu’il ignorait tout de cette mort, lors de la venue de François Fillon, le 20 août à Saint-Michel en Grêve.
Alerté par Thierry Burlot le 25 août, quelques jours après la visite du Premier ministre, le préfet affirme avoir "transmis le dossier au procureur de la République de Saint-Brieuc".
Le procureur devrait décider des suites à donner.
"La rumeur selon laquelle cet homme serait mort à cause des algues en décomposition court depuis un certain temps", indique au Quotidien Le Télégramme le 5 septembre 2009 le procureur de la République M. Gérard Zaug.
"Seulement, la toxicité des algues en décomposition est une chose ; conduire un camion rempli d’algues vertes en est une autre. Mais nous allons essayer de vérifier s’il existe un lien".
En l’état toutefois, selon la préfecture des Côtes d’Armor, la famille du chauffeur n’aurait pas donné son aval à une autopsie, qui permettrait d’éclaircir les causes du décès.
Mais les élus "veulent la vérité après le décès", souligne Ouest-France dans son édition du 5 septembre 2009.
La secrétaire d’Etat chargée de l’Ecologie, Mme Chantal Jouanno, a annoncé dans un entretien publié dans Le Parisien-Dimanche du 6 septembre 2009 que les autorités tenteront "dès le printemps des opérations de ramassage en mer" des algues vertes polluantes.
"Nous allons expérimenter dès le printemps des opérations de ramassage en mer", a-t-elle déclaré. "Interdire l’accès aux plages n’est pas nécessaire dans la mesure où les algues ne sont pas dangereuses lorsqu’elles sont fraîches. L’urgence est donc de les ramasser", a expliqué Mme Jouanno.
Concernant le décès du salarié chargé de transporter des algues vertes dans les Côtes-d’Armor, jugé suspect samedi par un élu PS régional et des associations, la secrétaire d’Etat a souligné que "c’est au procureur de la République (de) décider" d’ouvrir ou non une enquête.
La secrétaire d’Etat déclare par ailleurs dans un entretien à Libération du 7 septembre 2009 que "Sur les algues vertes, la politique de l’autruche c’est fini" : "(...) Quant aux mesures de réduction des nitrates, dès lors qu’il s’agit d’un risque sanitaire, l’Etat doit se donner les moyens. D’abord en évitant que le cheptel augmente dans les élevages. Mais il ne faut pas se mentir, ça ne se réglera pas en deux ans.
Mme Chantal Jouanno se déclare par ailleurs "plutôt favorable au retrait de l’appel que l’Etat à intenté contre les associations qui l’avaient fait condamner sur ce dossier, "sous réserve que cela ne relance pas un contentieux européen. Il ne faut pas mettre en cause non plus les efforts réalisés en dix ans."
Visé par un recours de quatre associations bretonnes de protection de la nature en 2004, l’Etat avait été jugé coupable en octobre 2007 de laxisme en matière de protection de l’eau par le tribunal administratif de Rennes, et donc responsable de la prolifération des algues vertes polluantes. Condamné notamment à verser 2000 euros de dommages et intérêts à l’association Eau et rivières de Bretagne, le ministère de l’Ecologie avait fait appel en décembre 2007.
Des citoyens exaspérés
Près de 300 plaintes ont été déposées jeudi au tribunal de Guingamp contre le préfet des Côtes d’Armor, accusé de ne pas prendre les mesures nécessaires face à la prolifération des algues vertes, a-t-on appris auprès de l’association Sauvegarde du Trégor. Les plaintes ont été déposées avec constitution de partie civile, pour mise en danger délibérée de la vie d’autrui.
Voir aussi la pétition "La reconquête de la qualité de l’eau se fera d’abord par l’état de droit"
Lire :
Les algues vertes, une pollution mortelle, encore sous estimée
Les eaux glacées du calcul égoïste, 24 août 2009.
Algues vertes : 300 bretons portent plainte
Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 septembre 2009.
Algues vertes : mort d’un nettoyeur de plages
Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 septembre 2009.
Lire aussi :
Les algues vertes peuvent tuer
S-Eau-S, 5 octobre 2008.