Pour qui en aurait douté, les résultats des analyses respectivement effectuées par l’Ecole vétérinaire de Lyon et l’Ineris ne laissent plus planer aucun doute. Ce sont bien les algues vertes qui sont à l’origine de la mort au mois de juillet dernier des 36 sangliers et des ragondins retrouvés dans le lit du Gouessant, à Morieux et Hillion, dans le département des Côtes d’Armor. L’ANSES confirme la piste, et alerte par ailleurs sur les risques d’intoxication, non seulement sur les plages, mais dans les vasières...
Effectuées par l’école vétérinaire de Lyon, les premières analyses concernaient « la recherche de deux herbicides, le paraquat et le diquat, des toxines présentes dans les feuilles de l’if, du cyanure et d’un insecticide, le fipronil ».
Or, elle « ne permettent pas de mettre en évidence les substances suspectées dans les échantillons », indiquait la préfecture dans un communiqué publié le 3 septembre.
La totalité des analyses réalisées, 4 dévoilées le vendredi 3 septembre, et 10 dont les résultats étaient connus depuis une semaine, écartent la possibilité d’un empoisonnement des animaux par des herbicides ou insecticides.
L’hypothèse de l’hydrogène sulfuré (H2S), produit par les algues vertes en putréfaction, semble ainsi la seule à pouvoir être retenue.
Début août, d’autres analyses avaient déjà permis d’écarter la présence de poisons et de cyanobactéries pour expliquer l’hécatombe des 36 sangliers, tout en révélant un taux record de H2S chez un ragondin mort.
« En l’état actuel des données, les seuls résultats significatifs portent sur le H2S », avait admis la préfecture à l’époque, qui avait cependant lancé des analyses complémentaires sur les insecticides et les herbicides, désormais mis hors de cause.
Les autorités ont également demandé à ce que des analyses de l’air soient menées mais les résultats ne sont pas encore connus.
Soutenue par les écologistes et des chercheurs, mais récusée par les représentants agricoles, l’hypothèse d’un empoisonnement dû aux algues vertes en décomposition n’avait jusqu’alors été envisagée qu’avec beaucoup de réticence par les pouvoirs publics...
L’ANSES alerte sur les vasières
Par ailleurs, dans un avis rendu le 6 septembre 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), précise pour sa part que « la majorité des cadavres a été collectée dans la zone de l’estuaire et non sur la plage ». L’agence suppose donc que l’H2S a pu être émis par les vasières de l’estuaire.
Or, poursuit-elle, « les enjeux sanitaires associés à la décomposition d’algues vertes, jusqu’à présent documentés pour les plages et ayant donné lieu à des mesures de gestion, pourraient également, le cas échéant, concerner les vasières, les fonds d’estuaires et les lits de certaines rivières ; cette hypothèse restant à explorer ».
L’Ineris confirme
Pour l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), les algues échouées en masse en baie de Morieux sont bien à l’origine de l’hécatombe des sangliers.
Pire. Après en voir apporté la preuve, ses experts n’excluent plus les risques des algues vertes pour la santé humaine !
Sollicité par le ministère de l’écologie pour son expertise en matière de risque sanitaire lié aux algues vertes, l’Ineris publiait le même mardi 6 septembre, un rapport sur la caractérisation des concentrations en sulfure d’hydrogène (H2S).
Apportant un terme à la polémique sur la cause de la mort des sangliers, blaireaux et autre ragondins, en juillet dernier.
Les résultats présentés dans le rapport de l’Ineris sont basés sur deux campagnes de mesures.
La première fut menée du 5 au 6 août 2011, pour « caractériser dans différentes zones de la baie les émissions d’hydrogène sulfuré (H2S), liées à la fermentation des algues vertes ».
La seconde, réalisée du 4 au 11 août 2011, avait pour but d’évaluer les concentrations en H2S « auxquelles les populations riveraines, ou fréquentant la plage de Morieux et la zone de l’estuaire, sont susceptibles d’être exposées ».
Les conclusions du rapport sont sans appel. Les mesures effectuées à la surface du sol mettent en évidence des dégagements importants de composés soufrés, principalement du H2S, lors du perçage de la croûte des dépôts d’algues.
Selon les experts de l’Ineris, des libérations de gaz de type « bouffées instantanées » se produisent alors. Des valeurs de plus de 3.000 mg/m3 ont été relevées. Ces valeurs diminuent à mesure que l’on s’éloigne du sol. Aux points étudiés, les détecteurs, placés à la hauteur de la taille des opérateurs, ont mesuré des valeurs de 15 à 140 mg/m3 d’H2S.
Dans l’air ambiant, les concentrations les plus élevées ont été relevées dans les zones les plus difficiles d’accès, c’est-à-dire dans les zones escarpées et les vasières.
Et le rapport de conclure : « Les concentrations moyennes, sur chacun des points de la zone de mesure, sur l’ensemble de la période étudiée, sont de 5 à 75 fois supérieures à la valeur témoin locale. »
En ce qui concerne la mort des sangliers, des ragondins et des blaireaux retrouvés dans l’estuaire du Gouessant, trois hypothèses ont été étudiées.
D’abord l’exposition à des cyanobactéries, puis à des substances toxiques (ou à de l’H2S. Les travaux de l’Ineris ont été réalisés à partir des résultats d’analyses transmis par la préfecture et la Direction départementale de la protection des populations des Côtes d’Armor, ainsi que par le centre ministériel de veille opérationnelle et d’alerte.
D’après l’analyse des différents résultats, c’est-à-dire les niveaux de concentration en H2S dans les différents milieux de la baie, « les mesures réalisées dans les poumons ou le sang et les symptômes observés chez les animaux morts, l’hypothèse la plus vraisemblable est l’intoxication par l’H2S », affirme le document de l’Ineris.
Avant de préciser : « Par ailleurs, il faut souligner qu’à des doses chroniques les perturbations de l’odorat sont un handicap pour la vie animale. »
On peut dès lors légitimement se poser la question des risques encourus par les huamains…
Dans le cas des riverains, c’est-à-dire pour les expositions de longue durée à de faibles concentrations : « les mesures dans l’air ambiant sur une semaine sont représentatives d’une exposition dite « subchronique », car la saison d’échouage des algues s’étend principalement de juin à septembre, soit une exposition potentielle d’environ 4 mois ».
Dans ce cas de figure, l’Institut estime que « la situation ne semble pas présenter de risque préoccupant pour la santé ».
Les scientifiques considèrent ainsi que l’odeur d’« œuf pourri », si caractéristique de l’H2S est décelée à des doses très inférieures à celles entraînant des effets sur la santé, « ce qui rend certains scénarios d’exposition à des concentrations élevées ou maximales peu probables ».
Et de préciser : « On peut penser, en effet, que les personnes circulant dans les zones fortement malodorantes ne s’y attardent pas et/ou ne s’approchent pas des zones à risques. »
Pour ce qui concerne les expositions de courte durée à des concentrations élevées, ce qui est le cas des promeneurs ou randonneurs qui se déplacent sur des zones de dépôts d’algues, des valeurs de 15 à plus de 140 mg/m3 ont été relevées.
« Ces concentrations se situent à des niveaux pour lesquels des effets -notamment l’anesthésie de l’odorat- ont été observés chez l’homme, au-delà d’une heure d’exposition en continu sur des zones de dépôts d’algues. »
Même s’il est peu probable qu’un individu soit exposé aux concentrations maximales qui correspondent à des « bouffées » au niveau du sol ou dans les dépôts d’algues, « les concentrations mesurées peuvent atteindre les seuils mortels (2.408 mg/m3 pour une exposition d’une minute) », affirme le document.
Les experts confirment ainsi l’hypothèse avancée par les associations de défense de l’environnement : « L’hypothèse de la survenue d’un accident ne peut être écartée ».
Et le rapport de citer pour illustrer ses propos, l’exemple d’un enfant jouant dans le sable ou d’une chute grave…
Il ne va plus être possible de régler l’affaire des algues vertes en jouant au football sur une plage !
Lire aussi :
"Quand les algues vertes, et leur gaz mortel, tuent aussi des hommes"
Nolwenn Weiler, Bastamag, 13 septembre 2011