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Veolia : stratégie du choc et destruction créatrice

17 août 2011

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A l’ère du « storytelling », alors que la « crise financière » fait la « Une » des medias de manière obsessionnelle, l’annonce des « résultats financiers » de Veolia environnement et Suez environnement au début du mois d’août 2011 s’est transformée en un festival de manipulations croisées d’une ampleur sans précédent, dont le décryptage permet toutefois de comprendre des stratégies d’acteurs qui échappent totalement à l’entendement de medias dont l’incompétence le dispute ici à un degré de servitude jamais atteint.



Prolégomènes

Pour Suez, c’est Orwell (« la vérité c’est le mensonge »), et Gramsci : re-conquérir l’hégémonie culturelle pour survivre.

Pour Veolia c’est Naomi Klein, et Schumpeter, revu et corrigé par Attali et sa très fameuse Commission pour la croissance : vive la « destruction créatrice ! ».

Evidemment Le Monde, Les Echos et le Figaro, sans compter les « analystes » ne vont pas s’adorner de ces lunettes là, et vont dès lors nous accabler de billevesées sans intérêt aucun.

Horizon

La crise mondiale. Crise de liquidités, crise de l’endettement, crise de solvabilité des collectivités locales.

Le vieux monde sera plongé durablement dans la récession.

Les émergents vont voir exploser leur marché intérieur.

Cap sur la solvabilité à marches forcées.

Opportunités

Climate change.

Energie.

Besoin d’infrastructures des émergents.

Green economy au Nord. Ca tombe bien, les « Verts » supplantent la social-démocratie et sont tout disposés à co-gérer avec la droite au paradis (perdu) du modèle Rhénan. Tendance lourde de la période.

Obstacles

L’endettement, idiot !

Distorsion

Suez est déjà adossé à un énergéticien (GDF), par la grâce du président Sarkozy, qui avait juré le contraire.

Veolia n’a pas encore fusionné avec EDF. C’est pour la prochaine mandature. Déjà Proglio P-DG, puis la tête de Lauvergeon, ça faisait beaucoup pour l’ami du Fouquet’s.

Echéances

La présidentielle, et avant cela Marseille 2012 et le 6ème Forum mondial de l’eau, entre Pagnol et le Parrain.

Chacun a son candidat, à la présidentielle.

Rectificatif : chacun a ses candidats, ce qui ne facilite pas les choses.

Surtout à la FPEE au bord de la guerre civile, ce qui a conduit à introniser la Saur à sa tête, situation d’autant plus burlesque que l’Ebitda de Séché lui interdisant le rachat de la Saur, le portage (acrobatique) de la Caisse et d’Axa ne saurait perdurer, enfin si, le temps nécessaire pour savoir qui va récupérer le nouveau champion des piscines. Et si Fillon vaudra encore quelque chose... Tout fout le camp.

Bizarreries

A la date du 17 août 2011, Veolia environnement et Suez environnement… sont sortis du CAC 40 ! Enfin ils devraient ☺

Leur capitalisation actuelle les place en effet aux 43ème et 44ème rangs du CAC. Normalement ils devraient gicler si le cours de l’action ne remonte pas très vite. Et comme c’est pas demain la veille, Marseille 2012 ça va être grandiose, avec les deux champions nationaux relégués au rang de « junk bonds »… Bon, attendons et voyons voir comment l’Autorité des marchés, Jouyet et toute la clique vont materner nos hérauts en pensant très fort au Qatar…

La vraie-fausse « descente aux enfers » de Veolia

Le jeudi 4 août 2011, Veolia environnement « dévoilait ses résultats » pour le premier semestre 2011.

Un tsunami qui dévastait illico les colonnes du Monde, du Figaro, des Echos…

Selon la communication financière de la susdite on en apprend des belles !

CP résultats semestriels 2011 Veolia
Les résultats semestriels 2011 de Veolia

Le groupe est constitué de quatre branches : eau, déchets, énergie, transports.

Le chiffre d’affaires global a augmenté de plus de 15% par rapport au 1er semestre 2010, car l’activité transport n’était pas incluse avec le même périmètre en 2010.

En revanche, le résultat net part du groupe a baissé de 28,5%.
Pour ce qui nous préoccupe, l’activité eau et assainissement, le CA a augmenté de 5,5%, mais le résultat opérationnel a baissé de 18%.

Et Veolia de pourfendre les conséquences du référendum contre la privatisation de l’eau gagné par nos camarades italiens, comme l’influence de notre action (« idéologique ») sur les conditions de renouvellement des contrats de DSP en France.

Cependant, c’est toujours l’eau qui fournit le taux de marge de résultat opérationnel le plus élevé, même s’il s’est effondré en 2011, passant de 9,9% à 7,8%.

Pour M. Antoine Frérot, P-DG de Veolia Environnement, l’urgence est d’améliorer très rapidement la capacité de Veolia à générer plus de profit.

Selon lui, il faut « faire de Veolia Environnement un groupe plus réactif face à son environnement, plus efficace, centré sur un nombre de pays sensiblement réduit, avec un nombre d’entités et d’activités plus limité avec un objectif clair : améliorer au plus vite (la) profitabilité… ».

Aussi, d’ici 2013, le groupe réduira-t-il son implantation géographique de 77 à moins de 40 pays…

Pour l’eau, Veolia concentrera ses efforts sur l’Europe centrale et la Chine.

Nous l’avions précédemment souligné à maintes reprises. L’Europe centrale a bénéficié et continue à recevoir la manne des financements pré- et post-adhésion. Quant à la Chine, la partie de poker va s’y poursuivre. L’actuelle exposition de Veolia peut ne pas tourner au désastre si l’atelier du monde commence à se soucier de préserver son environnement, ce qui est hautement probable, sauf à voir le PCC succomber à moyen terme.

On ne découvrira donc pas dans la communication financière de Veolia la moindre référence à la mise en œuvre du droit humain fondamental à l’eau potable et à l’assainissement, ni aux objectifs, pourtant insuffisants de ce point de vue, du Millénaire pour le développement.

L’Afrique subsaharienne, par exemple ne représente que moins de 0,5% du chiffre d’affaire de Veolia, qui subit de graves contestations dans ses dernières implantations au Gabon (SEEG) et au Niger (SEEN).

Et l’on ne parlera pas du Maroc et des émeutes à Tanger !

A bien y penser cela fait un peu désordre à quelques mois de Marseille 2012, où l’amicale des amis de l’humanité bien connue, avec à leur tête M. Sarkozy, va promettre à la terre entière des « solutions » pour sortir de la guéhenne. Bon, chaque chose en son temps. Ici on parle de choses sérieuses.

Storytelling tous azimuts

Comme en témoigne l’invraisemblable chant choral des pleureuses associées, prenant par la main le camarade Frérot, à genoux sur le parterre avec sa paille de fer, pour « accélérer la mutation de Veolia », comme le relatait, énamouré, Le Figaro, dans son édition du 4 août 2011…

Logique, puisque « Veolia dégringole de 19% en bourse après ses résultats », expliquait le même Figaro du 4 août 2011.

Mais c’est hélas Le Monde, sous le clavier télécommandé d’Isabelle Rey-Lefèvre, qui nous livrait un article de commande sans précédent, tout à la gloire de Suez (actionnaire du Monde), et donc n’oubliant pas de faire la pub de ses « nouveaux engagements » (de nous tondre en paix), tout en taclant le mauvais élève Veolia…

L’article du Monde à la gloire de Suez

Pas seulement amusant pour un Monde désormais prétendument « de gauche », (Pigasse, Niel, Bergé), mais plein d’enseignement, cet article de commande sur la nouvelle doxa de Suez, qui fait décidément flèche de tout bois (Bonjour M. le maire sur les routes de France avec Orsenna en clone de Roger Lanzac pour ce nouveau jeu des mille dupes).

Au passage, coup de pied de l’âne de Chaussade à Proglio-Frérot, l’article du Monde nous dévoile que, gage de sa mansuétude et d’un humanisme qui se fait rare, le même Chaussade aurait décidé « d’avancer la communication des résultats de Suez, afin d’éviter que les résultats (catastrophiques) de Veolia ne plongent tout le secteur dans le gouffre !

Ces gens là sont cruels.

Bref, il appert toutefois que nous ne partageons aucunement l’ironie de nos camarades du Canard, qui en profitent pour tacler (facilement) Proglio, pour avoir laissé la Générale dans cet état si pitoyable au pauvre Frérot.

Le volatile, lui aussi, est à côté de la plaque…

L’article du Canard Enchaîné

The Hidden agenda

Retour vers le futur.

N’en déplaise à tous, Proglio a bel bien « sauvé » la Générale sous Messier. Ce n’est pas que cela nous fasse plaisir, mais ce sont les faits.

Veolia boit aujourd’hui la tasse car le même Proglio n’a pu s’opposer à ce que la dette phénoménale contractée par Messier pour construire Vivendi, dont Proglio dirige alors la filiale Vivendi Environnement, soit « logée » dans la nouvelle filiale Veolia Environnement, qui prendra son autonomie du Vivendi qui sera redressé par Fourtou, grâce à ce lest fabuleux de 18 milliards d’euros…

Résumons : sous l’ère Messier, des milliards d’euros de « provisions pour renouvellement » des contrats d’eau, de propreté et de chauffage de la filaile Vivendi environnement sont détournés pour racheter les actions de Vivendi qui s’apprête à boire la tasse. Ce qui ne servira à rien.

Messier est éjecté in extremis.

Les 18 milliards d’euros d’endettement contractés par Vivendi sont balancés sur la filiale environnement, d’abord Vivendi environnement, puis Veolia environnement, qui va donc faire supporter à ses millions d’usagers une véritable double peine : les milliards d’euros de provisions pour renouvellement gaspillés pour maintenir, sans succès Vivendi à flot. Puis les 18 milliards d’euros d’endettement qui vont donc être supportés par les usagers de Veolia…

Avec pareille dot, c’est un vrai boulet que vont dès lors traîner Proglio et Frérot : l’endettement, l’endettement vous-dis-je !

Bon, n’exagérons rien, obligations foncières aidant, y a pas le feu au lac...

Sans compter les ressources, tout aussi considérables, de l’ingénierie fiscale...

Reste toutefois que, quand « laimarché » commencent à se casser la gueule, la seule issue se dessine sous forme de fuite en avant.

Le poids de la dette ne permettra pas au cours de l’action qui s’est lamentablement crashé depuis l’introduction en bourse de Veolia environnement de remonter.

Aka, il faut re-financer la dette, en permanence.

Du coup, pour éviter que les zinzins, et la veuve de Carpentras, et les actionnaires-salariés se fassent la malle, Veolia va cramer chaque année l’équivalent de son bénéfice en dividendes versés aux actionnaires.

Bien sur ils sont grugés puisque le cours de Veolia ne retrouvera jamais le niveau de son introduction. Mais on les maintient en coma dépassé en leur fourguant un dividende de la mort qui tue, que rien ne justifierait par ailleurs rationnellement.

On en était là, et ça tenait plus ou moins.

Et bing, la crise.

Comme dirait le camarade Frérot, « on aura surestimé la résilience de nos entreprises… »

En fait tout se déglingue.

Rien que pour s’être embringué dans la construction d’un funeste tramway à Jerusalem, Veolia a perdu des marchés de plusieurs milliards d’euros en Europe…

Ensuite c’est désormais la guerre ouverte avec Suez, qui lui, horresco referens, a déjà avalé GDF !

Veolia vs Suez vs régie...

Du coup la spin-off de Chaussade est à l’abri. Et c’est ainsi que Mestrallet se venge.

D’autant plus que le traumatisme argentin a conduit l’éternelle seconde à réviser de fond en comble ses fondamentaux et à partir en croisade sur l’air de « On a changé ! On va tout partager avec vous, même les bénéfices des contrats, et même faire de la tarification sociale ! » L’étonnant c’est qu’il se trouve apparemment des jobards pour acheter cette camelote ☺

Et pour ne rien arranger, les « idéologues » de la gestion en régie ne cessent de marquer des points…

Le Monde : les retours en régie

En face pour Veolia c’est dur. Droit dans ses bottes, façon batte de base-ball dans le coffre (façon SAC dans les Hauts de Seine en 1969, ça ne nous rajeunit pas...), quand les autres enfoirés font des ronds de jambe !

Mais surtout, surtout, le camarade Frérot est quand même le premier a avoir ouvert le chantier du « nouveau modèle économique » du service de l’eau, dans une brillante intervention à laquelle nous avions accordé un large écho, ce dont il ne nous sait aucunement gré, on se demande bien pourquoi, bon d’accord, nous l’avions rendu publique un mois avant qu’il ne la prononce ☺

Alors entendre les autres pingouins faire les beaux pendant qu’il se décarcasse avec sa paille de fer, on aurait les boules pareil…

Bref, the Hidden agenda.

Un objectif, un seul : adosser Veolia à EDF, sinon c’est la mort assurée.

C’était « po possible » (Tcho !), avant 2012.

Veolia va donc devoir « gagner la présidentielle » pour pouvoir avaler EDF.

C’est pas gagné, et accessoirement çà promet pour Marseille 2012… Lors même que, selon M. André Flageolet, député UMP de Béthune et président du Comité national de l’eau, récemment nommé au poste de commissaire en charge du Forum mondial de l’eau : « Nous serons en pleine campagne et que ce sera le dernier grand évènement de dimension mondiale où le président Sarkozy délivrera le message de la France sur un thème qui lui tient particulièrement à cœur. »

Même que désormais, après avoir lu la Princesse de Clèves, le Président se pique d’expliquer à NKM au Conseil des ministres comment se rechargent les nappes phréatiques !

Va pas en revenir le secrétaire général de l’ONU en inaugurant le bastringue à venir sur la Canebière !

En attendant, sous la ligne de flottaison, Veolia mue, brutalement, façon Schumpeter.

Se débarrasse du superflu, et de ses grands barons...

Ce qui devrait lui permettre de se délester de son véritable boulet : ses plus de 300 000 salariés, répartis sur toute la planète, qui vont se voir offrir un départ volontaire...

Il faudrait en dégager une bonne moitié.

Réduire l’endettement itou, en bradant tout ce qui peut l’être.

Et continuer à passer la paille de fer sur ce qui restera.

Déprécions, déprécions, vous-dis-je.

Sont gonflés quand même d’avoir attendus de signer le contrat du Sedif, mais de ne pas même attendre de renouveler à Marseille et à Lyon pour passer 800 millions d’euros de "dépréciation d’actifs"... Prennent les Marseillais et les Lyonnais pour des jobards.

Enfin bref.

On connaîtra en décembre prochain l’ampleur réelle du grand nettoyage.

Alors, alors seulement, il pourra être raisonnablement envisagé de racapitaliser avant de s’adosser à un énergéticien, et l’on pourra dès lors voir Veolia dévorer EDF.

Avant cela il y a la présidentielle.

Faites vos jeux.

Putain, v’là Chevreux qui nous rappelle, y a pas moyen d’être tranquilles !

Bon, l’affaire est finement jouée : ou la faillite, ou l’adossement à EDF.

Trop forts !

Veolia a réservé deux stands de 80m2 à la Fête de l’Huma. Y a des signes qui ne trompent pas.

Marc Laimé - eauxglacees.com