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Nitrates, algues vertes et méthanisation : le mensonge politique défait par l’expertise scientifique

15 juillet 2011

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le jeudi 7 juillet 2011, M. Nicolas Sarkozy, s’exprimant sur le sujet des algues vertes lors d’une visite à Crozon (Finistère), refusait "de désigner des coupables, de montrer du doigt les agriculteurs", et dénonçait les "intégristes" de l’écologie. Cette posture électorale mensongère est désormais dépassée, comme en témoignent plusieurs publications ou prises de position publiées par des medias dominants, qui battent en brèche les inepties promues par les pouvoirs publics, relayant les mensonges éhontés du lobby agricole productiviste.



Ainsi de l’exceptionnel dossier mis en ligne par la Gazette des communes, qui dresse un remarquable état des lieux de la problématique nitrates, dont les externalités négatives sont encore très fréquemment niées avec acharnement par les composantes extrémistes du lobby.

Intitulé « Pourquoi et comment les collectivités doivent lutter contre les nitrates ? », ce dossier de la Gazette rappelle à raison que « plus de la moitié du territoire français est classé en zone vulnérable. Une directive européenne de 1991 l’établit lorsque la concentration de nitrates dans les eaux souterraines ou de surface dépasse 50 mg/l. Ces excès peuvent se traduire par la prolifération d’algues vertes, comme c’est le cas en Bretagne. Mais pas uniquement. (Ce) dossier va vous permettre de cerner l’ampleur des enjeux liés à cette pollution : environnementaux, sanitaires, économiques. Il détaille aussi les bonnes pratiques, pour vous permettre de réagir. »

Comme ledit dossier bat en brèche les arguments des tenants de l’innocuité des nitrates, cette publication traduit une prise de position sans équivoque d’un hebdomadaire spécialisé lu par des centaines de milliers d’élus et de fonctionnaires territoriaux…

Le rapport de l’ANSES

Elle intervient quasi simultanément à la publication d’un rapport de l’Anses qui met de nouveau en garde sur les risques des algues vertes pour la santé.

A la date 30 juin 2011, près de 25 000 m3 d’algues vertes avaient été à nouveau ramassés en Bretagne contre 13 045 m3 en 2010 à la même date. Un quasi-doublement alarmant, favorisé par la chaleur précoce, qui rend impossible la fréquentation de certaines plages.

La commune de Morieux (Côtes-d’Armor), dans la baie de Saint-Brieuc, a ainsi décidé le 8 juillet dernier de fermer une plage par précaution et pour une durée indéterminée après que des agents chargés du ramassage des algues ont détecté des "poches de gaz" potentiellement dangereuses pour les marcheurs.
Une décision intervenue au lendemain de la parution d’un avis et d’un rapport d’expertises de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui met en garde sur les risques liés aux émissions gazeuses des algues vertes pour la santé.

Ces travaux développent et précisent les premières recommandations émises par l’Anses en juillet 2010.
 L’Agence rappelle d’abord que le phénomène des "marées vertes", initialement limité, a pris de l’ampleur.

Si la Bretagne est la région la plus touchée, les côtes du Cotentin ou des Charentes sont elles aussi concernées. Cette prolifération "est principalement liée à des concentrations élevées de nitrates dans les eaux, apportés par les activités humaines (en particulier l’agriculture) et une configuration physique du littoral (baies)", souligne l’Anses.

"Ces échouages massifs d’algues vertes sur les plages (...) entraînent, lors de leur putréfaction, des dégagements importants de gaz, notamment de sulfure d’hydrogène", poursuit-elle.

Compte tenu des "dangers connus" de ce gaz, "la question des nuisances olfactives et troubles sanitaires se pose, notamment pour la population générale (promeneurs et riverains des plages) et les travailleurs en activité sur le littoral (pêcheurs à pied, activités de loisirs, etc.)", met en garde l’Anses.

Le rapport de l’ANSES

Collecte à risques

Elle formule donc dans son nouvel avis trois grands types de recommandations, à commencer par des mesures préventives pour éviter la prolifération des algues vertes.

Lorsqu’elles apparaissent sur les plages, l’Agence insiste sur la nécessité d’organiser leur ramassage, leur transport et leur prise en charge dans les centres de traitement "le plus rapidement possible", soit moins de 48 heures après échouage, et ce pour éviter qu’elles ne se putréfient et dégagent des gaz toxiques.

Autre recommandation : "privilégier un ramassage mécanique", "réalisé dans des conditions limitant au maximum l’exposition du public" et assurer "le balisage des chantiers de ramassage".

Pour certaines zones d’échouage inaccessibles pour le ramassage et constituant de fait des zones à risques, l’Agence recommande qu’une information soit mise à disposition des usagers, des promeneurs et des riverains des plages.

"Concernant les professionnels impliqués dans le processus de ramassage-transport-traitement des algues vertes, quel que soit leur statut", l’Anses préconise notamment le port d’un détecteur individuel portatif de sulfure d’hydrogène.

Ces personnels devraient aussi recevoir une information et une formation adaptées, ajoute-t-elle, et leurs expositions devraient être consignées dans leur dossier médical.


L’avis de l’Anses a été publié le 7 juillet, le jour même du déplacement de Nicolas Sarkozy à Crozon (Finistère).

Le président de la République a alors indiqué que les actions de ramassage allaient continuer "car c’est capital pour les activités touristiques, pour toutes les activités" et que "pour le plus long terme, il faut diminuer les flux azotés de façon ambitieuse en associant les agriculteurs". "Ca prendra du temps, nous allons privilégier les appels à projets, notamment les unités de méthanisation", a-t-il déclaré. "J’y crois beaucoup (...), cela permettra de protéger l’environnement et de dégager des revenus complémentaires pour les agriculteurs."

La méthanisation : une fuite en avant inutile et illusoire

Les billevesées relayées par le chef de l’Etat auront rapidement reçu un démenti cinglant, comme en témoigne l’interview publiée dans l’édition du Monde datée du 15 juillet 2011 de M. Alain Menesguen, directeur de recherche à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), spécialiste de la modélisation des écosystèmes marins côtiers qui fut l’un des premiers à démontrer la responsabilité des épandages agricoles dans la prolifération des algues vertes :

« (…) Le ramassage des algues est-il une solution durable ?

 C’est ce qu’on fait depuis trente ans, aux frais du contribuable. Depuis deux ans, ce ramassage s’est intensifié. On traite le problème sanitaire en multipliant les engins sur les plages, mais c’est une fuite en avant qui ne s’attaque pas à l’origine du mal. Il n’y a aucune raison scientifique de penser que le phénomène va s’arrêter simplement en enlevant les algues.

La méthanisation du lisier peut-elle réduire les rejets d’azote ?

 Non, absolument pas. Le méthane se compose d’un atome de carbone et de quatre atomes d’hydrogène, il ne contient pas d’azote ! La méthanisation extrait le carbone du lisier pour produire du biogaz, mais l’intégralité de l’azote se retrouve dans le résidu liquide répandu dans les champs.

 La méthanisation peut même accroître la quantité finale d’azote, car on ajoute des végétaux pour améliorer le processus… La seule vraie solution, c’est d’émettre moins d’azote à la source.

Quelle réduction dans les taux de nitrate est nécessaire à l’éradication des marées vertes ?

 Les scientifiques estiment à 2 ou 3 mg/l la quantité "naturelle" de nitrate dans les rivières bretonnes. En 1971, date des premières mesures, on était déjà à 4,4 mg/l.

 Aujourd’hui on atteint 30 mg/l en moyenne. Chaque année, c’est l’équivalent d’un Amoco Cadiz de nitrates qui se déverse sur les côtes bretonnes ! C’est désagréable à entendre, mais redescendre à 20 mg/l n’aura aucun effet sur les marées vertes. Il faudra passer sous la barre des 10 mg/l pour commencer à rendre la quantité d’algues vertes acceptable. Cela demande un effort considérable. »

Lire aussi :

"La méthanisation n’est pas une solution aux excédents de lisier"

S-Eau-S, 7 juillet 2011

Marc Laimé - eauxglacees.com