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Veolia "Wifi-se" les compteurs d’eau : les usagers trinquent...

23 avril 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Veolia Eau a mis en place depuis 2005 et tente de généraliser depuis lors un système de relevé à distance des compteurs d’eau. Il repose sur la lecture et la transmission automatique des index de consommation, et utilise une technologie sans fil couplant la radio et internet. Fidèle à ses fondamentaux, l’entreprise réalise des gains de productivité considérables, et impose en même temps le paiement de ce « nouveau service » à ses usagers captifs…



La technologie a initialement été testée sur la rive droite de Paris, où le 10 000ème compteur équipé était installé dès la fin du mois de juillet 2005, avec l’objectif d’équiper les 65 000 compteurs que gère Veolia sur la rive droite de la Seine avant la fin de 2007.

Autre territoire d’expérimentation, on s’en serait douté, celui du Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF), le puissant syndicat intercommunal qui regroupe 144 communes de la région parisienne, la vitrine et le plus important contrat français de Veolia, qui assure 50% des bénéfices de l’entreprise dans l’hexagone…

Dès l’été 2005 six mille compteurs y étaient installés « dans des quartiers d’habitat collectif appliquant la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (dite "loi SRU"), et, de façon expérimentale, dans des quartiers pavillonnaires ».

Toujours en 2005, Metz et une dizaine de collectivités lorraines testaient elles aussi le relevé à distance, avant Joué-les-Tours, La Roche-sur-Yon, Nice, Biot, Tours, Lyon…

La technique est simple : un petit appareil, le module radio-émetteur, est fixé sur le compteur d’eau.

Une fois le module installé sur le compteur, il suffit aux agents de Veolia Eau de sillonner les rues avec un récepteur adéquat pour effectuer depuis leur véhicule les relevés de tous les compteurs avoisinants.

Un grand saut dans la modernité

L’innovation présente un intérêt évident pour l’entreprise.

Elle diminue considérablement ses charges de personnel, notamment les postes de télé-opérateurs qui prennent traditionnellement, par téléphone, les rendez-vous avec les clients, afin que les agents puissent ensuite venir effectuer les relevés à leur domicile.

Elle économise également en simplifiant le processus de relevé des compteurs, par exemple en cas d’absence du client lors du rendez-vous.

Ce grand saut dans la modernité est habilement justifié par le fait que la facturation sera désormais établie à partir de la consommation réelle, et non sur la base d’estimations :

"Conçue par Veolia Environnement, cette innovation répond à une attente
essentielle des clients de mieux maîtriser leur consommation d’eau et des
collectivités, de plus en plus attentives à la préservation de leur ressource en
eau. "

Véritable miracle on pourra donc de surcroît désormais « surveiller sa consommation sur le web… ». Et donc sauver peu ou prou la planète, ce qui devrait ravir M. Nicolas Hulot.

L’innovation répond surtout aux attentes de Veolia Eau, qui gère ainsi sa clientèle captive à moindre coût.

Il n’y a donc à priori aucune raison qu’elle soit à la charge des clients, dans la mesure où elle confère des gains de productivité à l’entreprise.

Mais on ne change pas des habitudes profondément ancrées, et le client va évidemment devoir passer à la caisse, qui est plus est contraint et forcé, et c’est là que les choses se corsent…

Soyons magnanime et acceptons l’hypothèse que notre fameuse innovation puisse intéresser certains clients de Veolia Eau, notamment parcequ’elle permettrait de détecter automatiquement les fuites d’eau.

On pourrait admettre que l’entreprise propose à ses "clients" de souscrire à cette option.

Le « gagnant-gagnant » version Veolia

Ce n’est malheureusement pas la procédure que semble avoir privilégié Veolia Eau.

Comme vient d’en faire l’expérience un usager lyonnais.

Après avoir emménagé à Lyon dans un appartement il y a quelques mois, il reçoit quelques semaines plus tard une première facture de Veolia Eau. Cette facture indique que son paiement entraîne l’acceptation tacite du contrat.

Quel contrat ? Veolia Eau a « oublié » de lui adresser ledit contrat, mais pas la facture ! Il réclame donc par téléphone que le contrat lui soit adressé, et le recevra effectivement quelques jours plus tard.

C’est en relisant attentivement la facture, à l’aune du contrat et des explications qui l’accompagnent, qu’il comprend que le radio-relevé est une option "obligatoire" qui permet à Veolia Eau de relever son compteur à distance.

Intrigué par cette option et choqué par son coût, il ne mettra pas longtemps à xomprendre que Veolia Eau veut le contraindre à prendre cette option.

Selon l’entreprise en effet, la décision d’opter pour le « radio-relevé » a été prise par le syndic de son immeuble, probablement avec l’accord des copropriétaires, ce que confirmera le syndic.

Notre homme pointe cependant que les frais associés au « radio-relevé » n’entrent pas dans les charges communes du syndic.

Ce dernier, représentant des copropriétaires, a donc pris la décision d’imposer à tous les habitants de l’immeuble (dans le cas d’espèce une majorité de locataires, dont certains aux revenus modestes), une dépense supplémentaire et récurrente.

Il s’’interroge sur la légalité juridique et commerciale du procédé.

En effet, les charges communes du syndic sont réparties entre les propriétaires. Une partie de ces charges peut être récupérée auprès des éventuels locataires. La liste précise des charges récupérables est détaillée dans un décret du 26 août 1987.

La question de savoir si les frais liés au radio-relevé sont récupérables ou non reste donc entière.

Dans le doute, le syndic a pris la décision de choisir cette option. Cette
dernière devient dès lors selon Veolia Eau obligatoire, et à la charge du signataire du contrat, donc du locataire.

Veolia Eau peut-elle, avec l’accord du syndic, obliger ses clients à souscrire à
une option payante dans le cadre d’un contrat privé entre le client et l’entreprise délégataire de service public ?

En quoi un tiers, le syndic, aurait-il autorité pour prendre cette décision
alors qu’il n’intervient pas dans le contrat qui lie Veolia Eau et ses clients ?

Autre point scandaleux, la facturation récurrente de cette option.

Alors que l’achat et l’installation du module émetteur est un
investissement unique et ponctuel, Veolia Eau entend facturer cette option
semestriellement à hauteur de 18 euros par an ou par semestre, ce que notre usager n’a pas encore réussi à déterminer avec certitude.

L’entreprise réussit donc l’exploit de facturer au client, ad vitam aeternam, une prestation auparavant gratuite, ce qui va lui permettre de surcroît de réaliser des bénéfices substantiels en réduisant ses charges de personnel…

Et une nouvelle martingale, une !

L’entreprise refuse évidemment de répondre sur ce point à notre usager mécontent.

Estimant le procédé déplorable notre homme a réglé sa facture, à l’exception des 18 et quelques euros correspondant au fameux « radio-relevé ».

« Je refuse de payer cette somme puisque la facture indique que le paiement complet de la facture implique l’acceptation tacite du contrat et de la facture, et donc l’acceptation de cette option de radio-relevé. Si le fait d’imposer cette option n’est pas légal, cela pourrait faire grand bruit et obliger Veolia Eau à rembourser tous les clients s’étant vu imposer cette option. »

Lobbying et Loi sur l’eau

Au risque de décevoir notre ami lyonnais, force est de considérer que Veolia a, comme à l’accoutumée, soigneusement ficelé son affaire.

Voyons d’abord la question de la réception puis du paiement de la facture, qui emporterait l’acceptation des obligations contractuelles du fameux contrat, même s’il n’a pas été adressé à l’abonné.

Notre admirable loi sur l’eau (LEMA), finalement votée le 20 décembre 2006, a été saluée par ses promoteurs car elle améliorait considérablement la « gouvernance » du service public de l’eau, et introduisait de nouvelles dispositions réputées augmenter la « transparence » des relations entre l’usager, la collectivité dont il dépend, et dans le cas qui nous occupe l’entreprise à laquelle ladite collectivité aurait délégué l’exercice des compétences eau et assainissement.

Désormais, promis, juré, tout serait clair… comme de l’eau de roche.

Règlement de service et tarification

C’est ainsi que l’article 57 de la LEMA a introduit de nouvelles dispositions relatives aux règlements de service et à la tarification :

« I. - Dans la section 2 du chapitre IV du titre II du livre II de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales, il est inséré une sous-section 2 ainsi rédigée :


« Sous-section 2

« Règlements des services et tarification

« Art. L. 2224-12. - Les communes et les groupements de collectivités territoriales, après avis de la commission consultative des services publics locaux, établissent, pour chaque service d’eau ou d’assainissement dont ils sont responsables, un règlement de service définissant, en fonction des conditions locales, les prestations assurées par le service ainsi que les obligations respectives de l’exploitant, des abonnés, des usagers et des propriétaires.



« L’exploitant remet à chaque abonné le règlement de service ou le lui adresse par courrier postal ou électronique. Le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l’abonné. Le règlement est tenu à la disposition des usagers.



« L’exploitant rend compte au maire ou au président du groupement de collectivités territoriales des modalités et de l’effectivité de la diffusion du règlement de service.

(…)

« Les usagers des services d’eau potable peuvent présenter à tout moment une demande de résiliation de leur contrat d’abonnement. Ce contrat prend fin dans les conditions fixées par le règlement de chaque service, dans un délai qui ne peut excéder quinze jours à compter de la date de présentation de la demande. »

L’article 57 introduit donc de nouvelles règles pour les règlements de service :

 ils sont adoptés après avis de la Commission consultative des services publics locaux (CCSPL), une obligation qui au demeurant s’imposait déjà au regard de la formulation de l’article L. 1413-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) ;

 ils sont remis à chaque abonné par courrier postal ou électronique ;

 le règlement de service devient donc « opposable » puisque : « le paiement de la première facture suivant la diffusion du règlement de service ou de sa mise à jour vaut accusé de réception par l’abonné ».

Reste à savoir si la facture de notre usager mentionne ou non que cette notification a eu lieu, ou, à tout le moins, l’existence de ce règlement de service et des moyens de le consulter, sur la facture elle-même.

Reste aussi à savoir, toujours dans notre cas d’espèce, si ce fameux règlement de service, ou sa mise à jour, relativement à la facturation « obligatoire » du radio-relevé, a été soumis au préalable à la CCSPL.

Dans ce cas précis, à l’évidence non.

La facturation de notre fameuse nouvelle prestation de radio-relevé a débuté avant que les nouvelles dispositions évoquées ci-dessus n’entrent en application, formellement depuis le 1er janvier 2007, sous réserve des délais nécessaires à la promulgation de la soixantaine de décrets, arrêtés et circulaires d’application de la LEMA, qui ne seront pas effectifs, pour la majeure partie d’entre eux avant la fin 2007.

Veolia Eau a donc benoitement anticipé, dans un flou juridique certain.

Mais qui va engager des procédures qui peuvent durer des années, et coûter des dizaines de milliers d’euros, pour faire condamner des pratiques qui seront « légalisées » dans les mois et les années qui viennent ?

Dans le cas d’espèce en insérant les dispositions relatives au « radio-relevé » dans le nouveau règlement de service qui sera un jour ou l’autre avalisé par la Courly, après avoir été soumis pour avis à la CCSPL locale ?

Bien joué…

Vers l’individualisation des contrats

Plus généralement, les usagers du service public de l’eau ont du souci à se faire, partout en France.

Nos champions du lobbying n’ont en effet éprouvé aucune difficulté à « optimiser » des dispositions déjà anciennes, prises en rafale de 2003 à 2006, en application de la loi SRU, et qui leur permettent de se rapprocher peu à peu du Graal : la généralisation de l’individualisation des contrats de fourniture d’eau à tous les « clients » concernés.

Pourquoi ?

Aujourd’hui encore des millions de « clients » potentiels de Veolia, Suez et Saur ne sont pas titulaires d’un contrat avec nos Trois Sœurs, s’ils résident dans une copropriété ou en habitat social.

Pour deux millions d’habitants, Paris ne compte ainsi que 90 000 « clients » titulaires d’un contrat. Pour tous les autres le montant de la facture (qu’ils ne reçoivent donc jamais), est intégré dans les charges locatives.

Avec le bénéfice évident, selon une étude réalisée par la Mairie de Paris, d’un montant annuel de la facture d’eau inférieur de cent euros à celui qu’il faudrait acquitter si l’on était titulaire d’un contrat avec Veolia ou Suez (non merci…).

Le sujet est non seulement effroyablement complexe aux plans technique et réglementaire, mais divise profondément tous les acteurs concernés : collectivités, délégataires, bailleurs, associations de locataires, de consommateurs…

Voir notamment pour mesurer les dimensions du problème l’intéressante
étude, publiée en novembre 2005, qu’y a consacré le Credoc.

Nous y reviendrons.

Plan de gestion de la rareté de l’eau

Reste que nos amis lobbyistes ont accompli des pas de géant, avant, puis avec l’adoption de la LEMA, dont les articles 59 à 61, qui s’inscrivent dans le prolongement de la loi SRU, disposent que désormais :

 il n’est fait systématiquement droit à la demande d’individualisation des compteurs que pour les immeubles à usage principal d’habitation ;

 tout occupant doit souscrire en cas d’individualisation un CONTRAT de distribution d’eau ;

(Je souligne car à chaque fois que je croise le fer dans un débat public avec nos amis de Veolia et de Suez, ceux-ci n’évoquent toujours benoîtement que les compteurs, et non les contrats, les présentant sous l’angle d’une amélioration technique permettant d’économiser la ressource…).

 toute nouvelle construction à usage principal d’habitation doit comporter un dispositif de comptage pour chaque local occupé, selon des modalités fixées par décret.

Bref, grâce à notre admirable LEMA et au « Plan de gestion de la rareté de l’eau », auparavant présenté par Mme Nelly Olin, et adopté en Conseil des Ministres le 26 octobre 2005, tous les immeubles neufs ont désormais vocation à « bénéficier », par principe, de l’individualisation des contrats de fourniture d’eau…

Sans préjudice de la "remise à niveau" des immeubles anciens qui va inévitablement se développer à l’horizon des prochaines années.

En l’absence de notre fameux « radio-relevé » cette « extension du domaine des contrats » (encore à venir, mais on peut leur faire confiance), aurait généré d’importantes nouvelles charges fixes pour les trois géants du cartel de l’eau.

Dès 2003, la Saur, qui avait commencé à équiper les 20 000 compteurs d’eau des Sables d’Olonne pour le compte du Syndicat départemental d’alimentation en eau potable (SDAEP) reconnaissait sans ambage que cette nouvelle technologie avait un surcoût, estimé à l’époque et dans ce cas précis à une note moyenne de 80 euros par abonné.

(Ici le comble étant que cette "innovation" a joué un rôle décisif dans le reconduction du contrat de délégation de la Saur aux Sables d’Olonne, qui arrivait à expiration en 2002, lors même que l’investissement dans le télérelevé aura été supporté, à hauteur de 1,6 million d’euros par le SDAEP, et donc in fine par l’usager !).

Dans le cas d’espèce lyonnais qui nous occupe, Veolia Eau a donc judicieusement anticipé sur d’inévitables évolutions structurelles, quitte à prendre temporairement quelques libertés avec les textes en vigueur.

De surcroît, pour ne rien arranger, il semble que la Communauté urbaine du Grand Lyon (Courly) rechigne à se prononcer sur l’équipement des compteurs en télétransmission car les deux entreprises titulaires de l’actuel contrat de délégation, Veolia Eau et SDEI - Lyonnaise des Eaux, ne parviendraient pas à s’accorder sur la technologie à utiliser…

Informés, les usagers du Grand Lyon, dont l’Association des Consommateurs d’Eau du Rhône (ACER), qui veulent bouter Veolia Eau et Suez dehors à l’expiration de l’actuel contrat, refusent fermement de supporter le coût du nouvel équipement, considérant, à juste titre, qu’il s’agit d’une affaire strictement interne au délégataire.

Position identique à celle qu’ont déjà adopté les usagers et leurs associations à propos des « assurances anti-fuites » que Veolia Eau tente de faire souscrire à ses « clients », autre martingale dont on ne conçoit pas en effet comment elle peut se justifier, dans la mesure où l’entreprise titulaire du contrat s’est contractuellement engagée auprès de la collectivité à assurer un bon fonctionnement du réseau, et même à en améliorer les performances…

Là aussi la Courly semble plutôt encline à déconseiller aux usagers de céder aux sirènes de Veolia Eau…

Mais l’important n’était-il pas de développer à tout prix la nouvelle martingale ?

Dix-huit malheureux euros supplémentaires par an (qui vont vous permettre de contrôler votre consommation sur le web !), c’est pas cher payé pour sauver la planète, à condition que vous n’ayiez pas oublié de couper le robinet en vous lavant les dents !

Oui, dix-huit malheureux euros supplémentaires par an, avec en ligne de mire 23 millions d’usagers captifs desservis en France, ça fait combien ?

Collecte de données personnelles

Notre affaire peut enfin conduire à s’interroger sur un autre point litigieux, celui de la collecte de données personnelles, ainsi effectuée par Veolia Eau.

Comme tout protocole fonctionnant à distance, sans contact et donc
sans possibilité de détecter une intrusion, quelle est la garantie de
confidentialité de la collecte des données ?

Comment la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) apprécierait-elle cette collecte de données ?

Comment être assuré qu’une entité non identifiée, versant obscur de la force, ne s’équipe pas de récepteurs identiques à ceux de Veolia Eau, puis collecte ces données, comme le font certains « hackers » pour pirater sans difficulté les réseaux wifi désormais accessibles depuis les trottoirs de nos belles agglomérations ?

Projetons-nous plus loin : on pourrait imaginer des services de police traquant les immigrés clandestins en repérant les brutales augmentations de la consommation d’eau, identifiant ainsi les foyers abritant des "sans-papiers"…

Fiction paranoïaque ? Dans la France d’après qui se profile, on aimerait en être sur.

Marc Laimé - eauxglacees.com