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Suez et les medias : le bréviaire de la manipulation

17 avril 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La multinationale française des services à l’environnement a élaboré depuis une vingtaine d’années une doctrine très sophistiquée afin de conduire une véritable guerre de l’opinion à l’échelle mondiale. A l’ère de la globalisation et des réseaux les « fondamentaux » de cette doctrine éclairent d’un jour cru les valeurs que véhiculent les entreprises-monde…



Eaux glacées vous a narré la semaine dernière la surveillance dont ce modeste blog faisait l’objet de la part de Suez-Lyonnaise des Eaux, agacée que nous égratignions l’image lisse de « l’entreprise-citoyenne » qui inonde depuis plusieurs mois les medias de publicités la posant en héraut du développement durable, et des marchés y afférents…

Comme il ne se passe plus une journée sans qu’Eaux glacées ne reçoive la visite des crawlers de l’une des officines que Suez rétribue à cet effet, nous nous sommes demandé ce qui les motivait réellement.

Bien sur M. Gérard Mestrallet, P-DG de Suez-Lyonnaise, avait déclaré il y a quelques années lors d’un séminaire stratégique auquel participaient les cadres du groupe que « la seule chose qui les menaçait c’était l’image »…

Pour bien mesurer les enjeux, et l’ampleur des moyens que déploie l’entreprise pour « contrôler son image », rien de mieux que de remonter à la source.

« Visto, Leido y Oido », le document reproduit ci-après, est la traduction d’un article en espagnol paru en avril 2000 dans Planeta Agua, revue des professionnels de l’eau, n° 8, pages 20-21.

Il était signé de M. Christophe Piednoël, cadre de la Lyonnaise.

Une « vision » implacable de ce que sont, pour Suez, l’opinion publique, les medias, les journalistes, les élus…

« Vu, lu et entendu »

« Le baromètre de la presse et l’observation de l’opinion publique sont deux outils essentiels à l’analyse de la répercussion des moyens de communication. Cela nous permettra de mieux adapter nos messages et nos stratégies de communication.

Les medias parlent de nous ? La question est : « en bien ou en mal ? ». Qu’en pensent les journalistes, les hommes politiques, les consommateurs, la concurrence, les experts ? De quels domaines nous fait-on les éloges ou nous critique-t-on ? Quelles image la presse donne-t-elle de nous ? Il est très difficile de répondre à toutes ces questions si on se limite à une simple lecture des journaux.

Analyser la répercussion des medias nous permet de mieux comprendre l’image que nous projetons et de mieux saisir son évolution à long terme. De plus, grâce aux outils d’analyse de la presse, il est plus facile d’orienter plus pertinemment notre trajectoire et nos messages.

Le baromètre des moyens de communication

Dans notre société, tous les moyens de communication, diffusés sur le territoire français (télévision, radio, presse écrite), qu’ils soient internationaux, nationaux ou régionaux, sont suivis de très près. Tout article faisant référence aux traitements de l’eau par le Groupe (Suez-Lyonnaise des Eaux, Degrémont, SDEI…) ou par nos concurrents est enregistré et classé.

Le baromètre des moyens de communication, publié tous les trimestres, regroupe la totalité de ces articles dont est fait une analyse exhaustive : impact sur l’opinion publique, lieu qu’occupait l’article dans le journal, présence plus ou moins claire du nom de la Lyonnaise des Eaux, ton positif, négatif ou neutre de l’article et nature des thèmes abordés : qualité et prix de l’eau, recherche, société, international, gestion, commerce…

Notre présence dans les medias a régulièrement augmenté ces dernières années. En 1999, plus de cinq millions de contacts ont été réalisés, cela signifie que chaque Français a entendu parler de Lyonnaise » des Eaux plus de dix fois par an en moyenne grâce aux medias. En deux ans, l’image de Lyonnaise des Eaux s’est constamment améliorée. Le ton des articles est supérieur à la moyenne générale et l’image diffusée par la presse peut être qualifiée de globalement positive.

Il convient de souligner que les commentaires les plus positifs proviennent évidemment des acteurs internes à l’entreprise, des experts, et le plus surprenant, des journalistes eux-mêmes.

Les plus négatifs proviennent au contraire des élus, des écologistes (mais pas au sujet de l’environnement) et des clients. Parmi nos concurrents français certains sont totalement absents du débat médiatique. Cependant, ceux qui ont un comportement similaire au nôtre face aux medias, jouissent d’une image qui évalue conformément à celle de la Lyonnaise des Eaux, même si le ton est un peu moins positif.

Ces ressemblances dans le profil médiatique démontrent que notre problématique se doit aux difficultés propres à la profession et non à l’image d’une entreprise en particulier face à ses concurrents. Paradoxalement, notre succès dans les medias bénéficie également à nos concurrents, tandis que leurs échecs nous portent préjudice… et vice versa.

L’observation de l’opinion publique

Le baromètre met en évidence la trajectoire de notre image dans la presse qui, bien qu’elle exerce une grande influence, n’est pas le seul media dans lequel elle se projette. Il est fondamental de pouvoir compter sur un outil d’analyse plus précis qui nous permette de comprendre et de prévoir les mouvements d’opinion.

Pour cela nous avons créé un observatoire de l’opinion publique, centré sur deux thèmes d’importance vitale : l’eau et la santé d’une part, l’eau et le service public d’autre part.

Ce nouveau systême d’analyse consiste à recueillir sur une longue durée l’ensemble des opinions des acteurs les plus représentatifs. De cette manière nous rassemblons les articles de presse, professions de foi, débats parlementaires, bulletins, documents internet…

Tout cela est analysé grâce à un programme d’analyse sémantique qui tire les conclusions des propos tenus.

Tous les deux mois les faits sont comparés, permettant ainsi d’étudier l’évolution du discours d’un acteur déterminé. Par exemple, au sujet des boues d’épuration, nous avons compris très tôt que le monde agricole déplaçait le débat du plan économique à celui de la santé publique.

Cet observatoire constitue un véritable outil de prévision, qui fut d’une très grande utilité dans les débats sur la présence de plomb dans l’eau.

Grâce aux données réunies, nous avons décidé de prendre la parole dans le domaine de la compétence technique de la Lyonnaise des Eaux et de réorienter notre activité dans une problématique globale qui aille jusqu’au remplacement des canalisations chez les particuliers.

Nous avons convoqué une conférence de presse et structuré le débat selon ces critères : grâce à cela nous avons contribué à rationaliser le sujet en présentant l’expérience de la Lyonnaise des Eaux de manière positive.

Ton des articles de presse selon l’origine de l’auteur

Dans le domaine de l’eau et de la santé, nous donnons une priorité particulière à l’apparition de nouveaux contaminants dans les medias.

Nous devons être conscients qu’un investigateur qui commence à se prononcer sur un sujet précis auprès d’un public réduit va probablement essayer de diffuser (ou d’étendre) sa préoccupation avec l’aide des moyens de communication.

Ceci est précisément le cas au sujet de la dégradation des réseaux d’eau.

L’observatoire nous permet de contacter rapidement les personnes directement impliquées, de comprendre leurs motivations et d’entamer avec elles un débat serein en dehors des medias.

C’est ce qu’on appelle une opération de « dégagement du chemin » (ou opération de nettoyage du chemin).

Jusqu’à ce jour, ces deux outils sont répartis entre les directeurs et les informateurs régionaux, mais bientôt ils pourront se consulter sur le futur site intranet de l’eau, e-w@ter, de façon à être accessibles à tous les salariés. »

Marc Laimé - eauxglacees.com