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Bordeaux (2) : nouveau bras de fer entre Suez et la CUB

11 avril 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

En novembre dernier M. Alain Rousset, président PS de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB), remportait une victoire « historique » en contraignant Suez-Lyonnaise des eaux à rembourser 233 millions d’euros de trop-perçu dans le cadre du contrat de distribution d’eau, signé il y a plusieurs décennies par M. Jacques Chaban Delmas et M. Jérôme Monod, alors P-DG de la Lyonnaise. Ca continue ! Cette fois il s’agit du contrat de l’assainissement, dont l’association Transcub estime qu’il a lui aussi généré des trop perçus… La tension monte. Dans trois mois M. Rousset ne présidera sans doute plus la CUB. Réussira-t-il d’ici là à conduire à nouveau Suez à Canossa ?



Pour Patrick Du Fau de la Mothe et Denis Teisseire, les deux animateurs de l’association bordelaise Transcub qui militent depuis près de dix ans en faveur d’un contrôle réel de l’entreprise par la collectivité, la semaine du 17 novembre dernier avait relevé du "triomphe romain". Avec Alain Rousset, le président de la CUB dans le rôle du vainqueur sur son char et Bernard Guirkinger, le PDG de la Lyonnaise, dans celui du chef de tribu vaincu, traînant un trésor de 233 millions d’euros…

« Pour nous qui soutenions cette analyse depuis dix ans, c’est une victoire magistrale », déclaraient-ils en décembre dernier au quotidien local Sud-Ouest.

En effet, lors même que l’actuel maire de Bordeaux, M. Alain Juppé, a déclaré que cette « révision » avait été rendue possible par l’adoption sous sa présidence, en 1997, du principe d’une révision quinquennale du contrat, les animateurs de l’association soulignent que cet avenant de 1997 avait seulement formalisé un rendez-vous quinquennal de révision du contrat, disposition dont dispose toute collectivité. Et que l’important est ailleurs.

En effet. Dès 1997 un audit réalisé par le cabinet Service Public 2000, dont M. Juppé avait eu connaissance avant de renégocier le contrat, critiquait déjà les pratiques de la Lyonnaise. Taux de rémunération des capitaux anormaux, besoins en fonds de roulement surévalués, coût des compteurs, etc.

Or l’avenant signé par M. Juppé en 1997 n’avait corrigé aucune de ces anomalies, ignorant purement et simplement les observations de SP 2000. Ce qui conduit Transcub à considérer que « tout fut fait à l’époque pour renforcer la position de la Lyonnaise. »

Une situation qui a radicalement changé dès que M. Alain Rousset à succédé à M. Alain Juppé à la tête de la CUB.

« Entre 1995 et 2004, pas une fois Juppé n’est venu à la rencontre des associations, indiquaient Patrick du Fau de Lamothe et Denis Teisseire à Sud-Ouest. Quand Alain Rousset est devenu président de la CUB, il nous a consacré quatre heures d’entretien. Un mois plus tard, il recevait un rapport d’audit commandé par Alain Juppé dans la perspective de la deuxième renégociation. Un audit suspendu par Juppé durant l’été 2004. Face à cet audit, Alain Rousset a contraint l’administration communautaire à se désavouer. Et il s’est donné les moyens d’accéder à la comptabilité réelle de la Lyonnaise avec la création de l’Inspection générale des services confiées à Jean-Louis Joecklé. Quand Alain Juppé est resté devant la porte, Alain Rousset a trouvé le sésame et il est tombé sur le trésor. Si à chaque fois que Juppé part en vacances au Canada, Rousset fait gagner 233 millions d’euros à la CUB, nous allons trouver du monde pour payer des voyages à Alain Juppé ».

L’association Transcub avait de longue date estimé le surprofit de la Lyonnaise sur trente ans, la durée du contrat, à 430 millions d’euros. Les services d’Alain Rousset lui confirmèrent « avoir le même horizon ».

Mais la CUB a considéré qu’en allant à la rupture de contrat, elle aurait à payer 130 millions d’euros de dédit. Un chiffre avec lequel l’association n’est pas d’accord, mais dont elle a pris acte acte.

430 millions moins 130 millions de dédit, il en restait donc 300 à récupérer. La CUB en a obtenu 233, ce qui n’est pas rien…

Mais pour Transcub, le coût réel pour la Lyonnaise ne sera pas de 233 millions. En effet le protocole d’accord signé en novembre 2006 prévoit qu’à l’échéance de 2021 il restera une dette d’emprunt destinée au financement des branchements en plomb de 32, 3 millions à la charge des usagers.

Par ailleurs la diminution de la redevance versée par la Lyonnaise au titre de l’occupation du domaine public contenue dans le protocole fait économiser 10, 5 millions d’euros à la Lyonnaise sur les quinze ans qui restent.

Ce sont donc, selon Transcub, 190 et non 233 millions d’euros qu’Alain Rousset a obtenu.

L’association considère donc que si la mission est accomplie, 65 % seulement de l’objectif a été atteint.

« Par rapport à la gestion Juppé, c’est un très bon résultat. Mais on restait au milieu du gué. C’est le résultat du travail d’un homme seul. Au lieu de vouloir tirer la couverture à lui, il aurait dû s’appuyer sur les 119 autres élus communautaires pour obtenir davantage. A quoi sert d’entretenir 120 élus communautaires, s’il suffit d’un homme pour bloquer ou débloquer une telle situation ? »

« Il est possible d’avoir, en plus de ce qui a été obtenu, une baisse du prix de l’eau de 10 % soit 80 millions d’euros de plus. Ce protocole d’accord engage la CUB et la Lyonnaise, mais pas les usagers. Nous attendons de voir ce que feront les autres élus communautaires lors du conseil de décembre au cours duquel sera adopté ou non l’avenant », martelait Transcub à Sud-Ouest au début du mois de décembre 2006.

« Si les élus ne font rien en décembre, ils montreront une nouvelle fois, qu’ils ne servent à rien. Ils ont une revanche à prendre. La Lyonnaise est largement discréditée. Nous, usagers, sommes prêts à repartir devant les tribunaux pour demander davantage sur les trop-perçus par la Lyonnaise. Aujourd’hui les choses sont transparentes et les dossiers accessibles. »

Le pactole de l’assainissement

Encouragée à l’évidence par ce premier succès, Transcub vient de remettre le couvert à la fin du mois dernier. Cette fois l’association estime que la Lyonnaise aurait perçu 38 millions de surcroît de rémunération et accumulé 31 millions de réserves, cette fois dans le cadre du contrat d’assainissement…

Alain Rousset s’apprête en effet à conclure une autre renégociation quinquennale avec la Lyonnaise. Elle porte cette fois sur le contrat d’affermage du service public de l’assainissement, passé en 1993 pour une durée de vingt ans.

L’affaire serait demeurée confidentielle si le Vice-président Vert de la Communauté urbaine, Gérard Chausset, n’avait pas rompu l’omerta lors d’un récent bureau du Conseil de communauté urbaine.

"Assainissons l’assainissement" lançait-il avec à propos en résumant le contenu du nouveau rapport de la commission de contrôle.

Cette fois l’analyse financière menée par la CUB afin de déterminer la rentabilité du contrat pour la Lyonnaise a conclu à un surcroît de rémunération de 29, 3 millions d’euros pour la période 1993-2005.

(A l’heure où les collectivités locales, toutes tendances politiques confondues ne cessent de dénoncer, à raison, l’Etat qui les étrangle financièrement et leur transfère des charges nouvelles non financées, on voit pourtant bien qu’existent de considérables « gisements », et que de radieux lendemains qui chantent se dessinent du côté des poches profondes de la Lyonnaise et de Veolia. Elus, encore un effort ! Les municipales approchent…)

Pour établir ce surcroît de rémunération, le service de l’inspection générale dirigée par Jean-Louis Joecklé a reconstitué la situation comptable de la société fermière.

Puis l’a comparée avec le compte-rendu financier que la Lyonnaise doit fournir chaque année à la CUB.

Bingo !

Le fermier aurait dissimulé ce surcroît de rémunération de deux manières.

En basant son compte-rendu financier sur "une garantie de renouvellement" qui ne refléterait pas le niveau réel et comptable des provisions de renouvellement, et en tenant compte de frais financiers calculés sur un besoin en fonds de roulement surestimé.

La rémunération moyenne de la Lyonnaise s’établirait ainsi, selon la CUB, à 13% du chiffre d’affaires quand un industriel prend généralement le risque d’investir contre une rémunération de 6%.

Encore une fois l’opération est tellement simple, et ses résultats si évidents, qu’on se demande décidément pourquoi notre bon M. Rousset ne fait pas davantage école…

(On suggérerait bien à Désirs d’avenir d’ouvrir une succursale dont la raison
sociale serait la « Juste France de l’eau », y aurait du monde au portillon !)

Pour en revenir à nos poches profondes, bien considérer que l’opération décrite ci-dessus est d’autant plus intéressante pour la Lyonnaise qu’elle se borne à assurer l’exploitation du service d’assainissement en affermage, en n’ayant à sa charge que les investissements de renouvellement du matériel.

C’’est d’ailleurs à ce niveau que la CUB a fait d’autres découvertes.

Il suffit donc bien de chercher un peu…

En effet, sI le contrat signé en 1992 entre la Lyonnaise et la CUB n’encadre pas la rémunération du délégataire, il plafonne en revanche les investissements de renouvellement auxquels est astreinte la société fermière.

La Lyonnaise provisionne ainsi chaque année des réserves pour sa garantie de renouvellement, alors que ces investissements sont intégralement autofinancés depuis 1995 !

Résultat, la Lyonnaise a ainsi engrangé depuis la signature du contrat 31 millions d’euros au titre de cette "réserve" que la CUB aimerait bien voir réinvestie dans le service.

"Nous n’avons pas eu connaissance du rapport de la commission de contrôle, s’étonnait dans Sud-Ouest M. Luc Diriekx, responsable de la Lyonnaise à Bordeaux. Je constate que ce dossier de renégociation s’établit sur des bases politiques. Or la transparence est totale. Nos chiffres ne sont pas encore finalisés. Il est certain que l’évolution démographique et des volumes a entraîné une augmentation des recettes. La révision quinquennale servira justement à rééquilibrer les choses."

Là on le sent un peu gêné aux entournures notre responsable. C’est pas avec « l’évolution démographique » et la « finalisation » de ses chiffres que la Lyonnaise va s’en sortir…

Ca sent le roussi ! Tenez bon M. Rousset !

La com de la Lyonnaise n’est pas au top. Le « dossier de renégociation s’établit sur des bases politiques… » Encore heureux ! Ca fait trop longtemps que le bastringue fonctionne sur des « bases amicales »…

Croisons les doigts. Encore un effort, M. Rousset. « La France juste », c’est aussi, et c’est peut-être surtout la fin des « petits arrangements » et des grandes opacités qui désespèrent les Français de la politique.

Voir :

Entretien avec Jean-Pierre Turon, Maire de Bassens, Vice-Président (PS) à l’eau et à l’assainissement à la CUB, réalisé à Bordeaux le 17 novembre 2006.

Présentation le 22 décembre 2006 en conseil communautaire, après des mois de négociation, du 7ème avenant au contrat de délégation de service public, confiant la gestion de l’eau à Suez-Lyonnaise, par Jean-Pierre Turon (PS), Maire de Bassens, Vice-Président à l’eau et à l’assainissement.

Lire :

Bordeaux (1) : la communauté urbaine récupère 233 millions d’euros trop-perçus par la Lyonnaise des eaux

Les eaux glacées du calcul égoïste, 14 décembre 2006

Bordeaux (2) : nouveau bras de fer entre Suez et la CUB

Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 avril 2007

Marc Laimé - eauxglacees.com