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Veolia, coupeur d’eau, vu de Suisse…

4 novembre 2010

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Une lectrice suisse, héritière d’une maison dans le Tarn-et-Garonne, dans le Sud-Ouest de la France, nous a narré, effarée, ce qu’elle a découvert après que Veolia, en son absence, ait été à deux doigts de couper l’eau dans sa résidence secondaire. Une histoire banale qui éclaire singulièrement discours pompeux et poses avantageuses, qui se multiplient dans la période autour du « droit à l’eau pour les plus démunis », dans la perspective de « Marseille 2012 »…



« J’habite en Suisse, mais j’ai hérité d’une maison dans le Sud-Ouest de la France, dans le Tarn-et-Garonne. La commune a privatisé son alimentation en eau il y a des années, et le contrat est récemment passé de la Saur à Veolia. Cela a entraîné un retard dans le paiement de ma facture et j’ai donc reçu un rappel, puis une mise en demeure. J’ai payé, la question n’est pas là.

"Veolia ne m’a pas coupé l’eau, car j’ai immédiatement pris la vache par les cornes et envoyé un chèque. En effet, "mon" eau abreuve les vaches du voisin, et il n’était pas question que ces animaux en soient privés même une journée !

« Le problème est dans le ton, et les menaces immédiates de coupure de la fourniture, « en application du décret 2008-780 du 13 août 2008 ». Intriguée, j’ai appelé Veolia Toulouse, pour m’entendre dire par l’employé au service du contentieux, très aimable par ailleurs, que les coupures étaient "très fréquentes, plusieurs fois par jour", que son service ne faisait qu’ "appliquer l’ordre de coupure", qu’il n’avait "aucune idée de ce qui se passe" si l’arrêt de la fourniture d’eau met en grande difficulté une jeune mère de petits enfants, ou si l’impossibilité d’actionner la chasse d’eau pose de graves problèmes d’hygiène, etc.

J’insistais, et il a concédé que Veolia avait un service d’urgence pour convenir d’arrangements et proposer des paiements échelonnés, et que si la situation des clients était très critique, l’entreprise mettait à disposition un assistant social pour convenir d’un échéancier.

Je précise qu’en Suisse, malgré une classe dirigeante et un gouvernement au moins aussi féroces et néolibéraux qu’en France, l’eau reste intégralement un service public. Je n’ai jamais entendu dire que quiconque s’était fait couper l’eau. D’où mon étonnement et mon indignation devant le courrier de Veolia...

On parle beaucoup des coupures d’électricité, et EDF a ses « Robins des Bois ». Est-ce que l’eau a ses Robins des rivières ? Comment cela se passe-t-il en France ? Y a-t-il une protection pour les raccordés, l’eau étant indispensable à la vie, encore plus que l’électricité ? Pouvez-vous m’en dire plus ? Y a-t-il des associations qui s’occupent de cette question ?

J’ai essayé d’appeler Veolia Paris ce matin, oubliant que le 1er novembre est férié en France. J’essaierai demain, mais comme je sais déjà qu’ils vont me promener, j’ai besoin d’informations plus... réalistes. Je vous remercie si vous pouvez m’apporter vos réponses. »

(Ici, nous renvoyons notre lectrice aux 58 billets que nous avons publié sur le « droit à l’eau », ce qui n’était pas forcément de nature à la rassurer…, avant que d’apprendre la suite de l’histoire par un message en date du 2 novembre dernier)

« Bonjour,

J’ai enfin atteint Veolia.

J’ai raconté l’histoire (véridique) de la non-résidente qui reçoit son courrier en Suisse, alors qu’elle est en France, et trouve des rappels à son retour. J’ai demandé comment ça se passait pour les coupures. Ci-dessous, le quasi sténogramme de ce que la dame du Centre service clients m’a expliqué :

Le mauvais payeur reçoit :

1) un rappel gracieux 15 jours après le délai de paiement ;

2) une mise en demeure 15 jours plus tard, majorée de 12 euros ;

3) une deuxième relance, après 15 nouveaux jours, majorée de 30 euros ;

4) un avis de fermeture avec un délai de 72 heures pour régler la facture, si ce n’est pas exécuté, fermeture. (Elle ne m’a pas donné le tarif de la fermeture, ni celui de la remise en service.)

En résumé, cela aboutit à "un paiement à 60 jours".

La dame admet que Veolia procède "de temps en temps" à des coupures chez des propriétaires de résidences secondaires. Elle ne peut dire si les coupures chez des particuliers français sont fréquentes, car Veolia "gère 800 communes et les choses se règlent au cas par cas".

Pour les gens en difficulté, il n’y a selon elle presque pas de problème, car ils peuvent s’adresser aux services sociaux, aux mairies, aux conseils généraux et peuvent contacter directement Veolia pour demander des délais de paiement.

A mon exclamation "Mais ce doit être long, comment font les gens avec des petits enfants, par exemple ?", elle a soutenu que ce n’était pas long du tout, que les assistants sociaux avaient l’habitude, qu’ils donnaient même des rendez-vous en urgence.

Elle a insisté sur le fait que les clients pouvaient s’adresser directement à Veolia, qu’ils sont "très compréhensifs" et accordent des délais pour des paiements échelonnés. Ajoutant qu’il ne fallait évidemment pas attendre le dernier avis avant fermeture, parce que Veolia ne peut pas deviner les situations, mais tient compte de ce que tout le monde sait : il y a parfois des problèmes avec la Poste, il y a des grèves, etc.

Enfin, pour rigoler, j’ai expliqué (ce qui est vrai), que depuis que la commune qui m’héberge a passé de Saur à Veolia, l’eau a un goût de chlore beaucoup plus prononcé (nous ne connaissons pas ça en Suisse).

Ah non, je fais erreur, ça n’a rien à voir. En été, c’est normal. Et d’autre part, il y a les plans Vigipirate : le gouvernement oblige les fournisseurs à augmenter la teneur en chlore pour éviter les contaminations, met en place des plans sanitaires. Les fournisseurs sont soumis à des contrôles stricts et mettent par conséquent davantage de chlore : "On ne peut rien faire, sinon remplir un pichet et ajouter quelques gouttes de citron"... D’ailleurs, il y a encore des menaces terroristes ces jours-ci.

Bref, tout va bien. De quoi se plaint le peuple, je vous le demande ?

La Suisse n’a pas encore privatisé son eau, mais a signé clandestinement l’AGCS en 1994. A ma connaissance, il n’y a eu qu’une seule tentative de privatiser une source dans un village au pied du Jura neufchâtelois, mais Attac veillait au grain et les citoyens ont lancé un référendum contre la vente de leur source. Et ont gagné. »

In fine, le « droit à l’eau », vu de Suisse, c’est pas mal. Evidemment, ils ont pas Veolia…

Lire aussi :

Le coupeur d’eau, par Marguerite Duras.

Les eaux glacées du calcul égoïste, 20 septembre 2009.

Marc Laimé - eauxglacees.com