Retour au format normal


Le Conseil de Paris vote le départ de Veolia et Suez

27 mars 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

C’est dans une ambiance tendue que, pour sa dernière séance avant l’élection présidentielle, le Conseil de Paris a entériné le lundi 26 mars 2007 la substitution de Veolia et Suez par la Caisse des dépôts et consignations, au sein du capital de la SEM Eau de Paris, qui assure la production de l’eau potable distribuée à deux millions de Parisiens. Veolia et Suez demeurent titulaires de deux contrats pour la distribution de l’eau, qui viendront à échéance en 2009. Ironie de l’histoire, la pédégère d’Eau de Paris, Anne le Strat, conseillère verte du XVIIIème arrondissement, qui s’est battue avec acharnement depuis quatre ans pour obtenir le départ des deux multinationales du capital de la SEM, ne figurera pas sur les listes des Verts pour les prochaines municipales, son courant, minoritaire, a été évincé de la compétition, la veille même de la décision historique du Conseil de Paris…



Le vote intervenu in extremis lors du dernier Conseil de Paris avant les élections présidentielles met fin à un douteux mélange des genres qui prévalait depuis 1987. Veolia et Suez détenaient chacune depuis cette date 14% du capital de la Sem Eau de Paris (ex-Sagep), qui, outre ses activités de production d’eau potable, devait aussi… contrôler les mêmes Veolia et Suez, titulaires depuis 1985 de deux contrats de distribution, sur les rives nord et sud de la Seine…

Les deux entreprises vont donc céder leurs parts à la Caisse des dépôts et consignations, au prix de 300 euros l’unité, pour une valeur nominale de 20 euros.

Détenant chacune 7000 actions de la SEM Eau de Paris, Veolia et Suez empochent donc au passage 2,1 millions d’euros, ce qui peut sembler cher payé dans la mesure où la valeur de leur participation a donc été multipliée par quinze depuis 1987, et que l’on peine à mesurer la plus-value qu’elles ont apporté à la SEM durant cette période, SEM détenue à hauteur de 70% par la ville de Paris.

Le nouveau conseil d’administration de la SEM comptera désormais 7 sièges dévolus à la ville de Paris, cinq pour la majorité et deux pour l’opposition, la CDC disposera de deux sièges sur 10, le dernier étant imparti aux actionnaires résiduels qui détiennent 2% du capital.

Innovation, le réseau France Nature Environnement, qui regroupe 3000 associations actives en France dans le secteur de l’environnement occupera désormais un poste de « censeur », et participera aux Conseils d’administration de la SEM avec voix consultative.

L’objectif affiché par Eau de Paris étant « d’assurer une meilleure participation institutionnelle d’acteurs de la société civile susceptibles de relayer les préoccupations - notamment sanitaires et environnementales – des usagers. Il s’agit aussi de développer une nouvelle forme de gouvernance citoyenne pour la production d’eau à Paris et contribuer ainsi à l’amélioration de la gestion soutenable des services publics environnementaux. »

Un conseil houleux

La décision a donc été finalement votée au terme d’un face-à-face tendu lundi entre M. Bertrand Delanoë et son opposition UMP, sur l’extension du tramway des Maréchaux, mais aussi l’affaire Battisti ou les sans-papiers.

Une première interruption de séance a eu lieu un quart d’heure à peine après l’ouverture des débats, après que M. Delanoë eut accusé Mme Françoise de Panafieu d’avoir "démontré son sectarisme et son intolérance".

La chef de file de l’UMP à la mairie venait de critiquer le soutien apporté en 2004 par la municipalité à Cesare Battisti, militant italien d’extrême gauche accusé de meurtres et arrêté au Brésil à la mi-mars.

La garde à vue d’une directrice d’école maternelle dans le XIXe arrondissement vendredi 23 mars 2007, après l’arrestation d’un sans-papier près de l’établissement, a également été l’occasion d’une passe d’armes, M. Delanoë accusant l’ancien ministre de l’Intérieur M. Nicolas Sarkozy, qui a quitté lundi son poste, de "ne cesser de faire des clins d’oeil à l’extrême droite".

Mme de Panafieu a "salué", elle, l’action de "la police républicaine". M. Philippe Goujon, président de la fédération UMP de Paris, a dénoncé l’"exploitation politicienne d’un incident regrettable".

L’opposition a également été frontale sur le projet d’extension du tramway des Maréchaux depuis la porte d’Ivry (XIIIe) vers l’est et le nord de la capitale, jusqu’à la porte de la Chapelle (XVIIIe) : le groupe UMP a été le seul à s’abstenir sur le lancement des études.

Refusant les "procès d’intention assez stupides", Mme de Panafieu, candidate UMP pour les municipales de 2008, a plaidé pour un "moratoire" sur ce dossier tramway, affirmant que la priorité pour les Parisiens était l’amélioration de la ligne 13 du métro ou des lignes C et D du RER. Elle a aussi plaidé pour le projet "Métrophérique", une rocade métro autour de Paris.

Ironisant sur la "position extrêmement embarrassée" de la député-maire du XVIIe sur le tram, "puisqu’elle a toujours été contre tout ce qui marche", M. Delanoë a mis en cause le désengagement de l’Etat en matière de transports collectifs. Selon lui, les investissements dans ce secteur ont baissé de 48% sous les gouvernements UMP depuis 2002 par rapport à ce qui a été fait sous le gouvernement de gauche plurielle de M. Lionel Jospin de 1997 à 2002.

L’opposition a également été marquée sur la décision de faire sortir les groupes Suez et Veolia de la production de l’eau à Paris, via la vente à la Caisse des dépôts et consignations de leurs parts au sein de la société d’économie mixte Eau de Paris.

Le groupe UMP a été le seul à voter contre.

Vigilance du groupe communiste

Intervenant au nom des élus communistes, Mme Catherine Gégout, conseillère du XXème arrondissement de Paris, tout en se félicitant de cette avancée demeurait vigilante quant à la suite des évènements, et notamment la fin des contrats de distribution impartis à Veolia et Suez jusqu’en 2009.

« Nous ne pouvons que nous réjouir que Veolia et Suez sortent du capital de la Société d’Economie mixte Eau de Paris. Enfin !

« Comme vous le savez, les élus communistes militent pour un service public de l’eau dégagé des puissances d’argent, donc des multinationales de l’eau. Il s’agit d’un bien commun de l’humanité, il ne peut faire l’objet d’une marchandisation.

« C’est notre position constante : nous nous sommes opposés en 1985 au Maire de Paris de l’époque, Jacques Chirac, qui a affermé la distribution à La Compagnie Générale des Eaux et à la Lyonnaise des Eaux, aujourd’hui intégrées aux groupes Véolia et Suez. A l’époque la ville avait laissé dépérir les réseaux faute d’investissement en utilisant à bien autre chose les sommes perçues par la régie. « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage », et le tour était joué, la régie municipale a été sacrifiée sur l’autel du grand capital.

« Nous n’avons cessé depuis de réclamer la remunicipalisation de la distribution, tout comme nous nous sommes battus dans le passé comme aujourd’hui pour sauver le Centre de recherche et de contrôle des eaux de Paris (Crecep), d’une mort annoncée, convaincus de l’absolue nécessité d’un laboratoire d’analyse et de recherche indépendant de tout intérêt privé, pour assurer une maîtrise publique de la qualité de l’eau.

« Concernant Eau de Paris, ex-Sagep, les élus communistes, par la voix de Pierre Mansat, n’ont cessé de réclamer, dans la précédente mandature comme dans celle ci, que ces deux sociétés sortent du capital. Leur présence était d’autant plus choquante qu’Eau de Paris était chargée pour le compte de la ville du contrôle des distributeurs, qui étaient bien sûr… les deux mêmes groupes.

« Il y a certes eu une volonté d’aboutir à ce retrait, tant de la part du Maire de Paris que de la Présidente d’Eau de Paris, et pourtant il a fallu des années pour aboutir.

« Dans cette période, et ce rappel vaut d’être fait, s’appuyant sur le rapport de la Chambre régionale des comptes, une renégociation des contrats de délégation a été menée par la ville et sanctionnée par un vote du Conseil de Paris en décembre 2003.

« Cela a permis d’assainir la gestion de la distribution et de son contrôle, et de faire restituer par ces sociétés au moins une part des sommes considérables qu’elles avaient prélevées profitant de l’absence totale de contrôle par la municipalité de droite, qui n’avait même pas pris la peine de revoir les conventions tous les cinq ans comme cela était officiellement prévu.

« On pourrait d’ailleurs revenir sur l’augmentation du prix de l’eau dans cette période et en analyser les causes… Même si bien entendu les conventions continuent à générer du profit pour ces sociétés, celui-ci est davantage maîtrisé. Un budget annexe de l’eau a été recréé. De plus, un effet très bénéfique de cette renégociation opérée par notre municipalité est qu’il est maintenant possible de faire un autre choix et de récupérer la gestion de la distribution sans heurt, en ayant à notre disposition les informations et outils techniques nécessaires.

« Donc la Caisse des dépôts va remplacer Veolia et Suez et disposer de 28% dans le capital d’Eau de Paris. C’est positif puisqu’il s’agit d’un partenaire institutionnel des collectivités locales et nous voterons cette délibération.

« Permettez moi cependant de mettre ici un bémol. Les multinationales de l’eau ont plus d’un tour dans leur sac, et rentrent par la fenêtre quand on les sort par la porte ! Tout est bon : monopole technique, propriété des brevets, marchés, interpénétration de capitaux, et j’en passe.

« Donc même lorsque tout à l’air public, la dépendance vis-à-vis des groupes privés prend de multiples formes. D’ailleurs la Caisse des dépots est elle-même le premier investisseur institutionnel présent dans le capital de Véolia, et est en passe de devenir l’actionnaire majoritaire de la Saur…

« Maintenant, quelles sont les prochaines étapes ?

« Comme vous le savez, en 2006 les élu(e)s communistes sont intervenus fortement en rappelant leur position sur la remunicipalisation de l’eau et en demandant que le travail s’engage pour que les décisions de choix de gestion puissent être prises en prévision de la fin des contrats de délégation en 2009.

« Aussi de nombreuses études aient été engagées et nous nous en réjouissons. Elles seront pour l’essentiel rendues à l’été 2007, et sont suivies par un comité d’élus où sont représentés les groupes politiques.

« Elles nous permettront de disposer des éléments d’information nécessaires pour décider d’un schéma directeur de l’eau et des modes de gestion pour l’avenir, pour la distribution bien sûr, mais aussi pour l’ensemble du cycle de l’eau.

« Pour nous le fil rouge doit être la maîtrise publique de l’eau, et municipale pour ce qui nous concerne. Il doit s’agir d’un service public, formant un ensemble cohérent et coordonné, ne se limitant pas aux frontières territoriales de Paris.

« Je sais que certains songent à rassembler dans la SEM Eau de Paris la production et la distribution. Ce n’est pas notre position. Rassembler ces deux fonctions dans une même structure peut s’étudier, même si à mon avis cette concentration comporte des risques.

"Mais si c’était le cas, il ne faudrait sûrement pas choisir une SEM pour cela. En effet le débat que nous avons aujourd’hui montre à quel point une telle solution ne nous protègerait pas durablement de l’emprise des intérêts privés. »

L’envoi d’Anne Le Strat

Anne le Strat, bien sur, notre verte pédégère, y allait de son envoi :

« Monsieur le Maire, mes chers collègues,

En propos liminaires, je tiens à préciser que j’interviens ici en tant qu’élue de la Ville de Paris au nom du groupe Les Verts et que je ne participerai pas au vote.

Enfin ! Voilà une délibération pour laquelle je ne peux cacher ma satisfaction. Alors que nous célébrions la semaine dernière la Journée mondiale de l’Eau, la Ville de Paris décide, enfin, de « couper le cordon », au sein de sa Société d’économie mixte Eau de Paris, opérateur municipal de la production d’eau, entre elle et les distributeurs et de clarifier ainsi le rôle de chacun dans l’organisation actuelle du service de l’eau.

Précisément, il s’agit, d’une part, et cela a été rappelé par les différents intervenants, de « sortir » les deux distributeurs, la Lyonnaise des Eaux et la Compagnie Générale des Eaux, filiales des deux plus grosses multinationales de l’eau dans le monde, respectivement de Suez et Veolia, du capital d’Eau de Paris.

Il s’agit, d’autre part, « d’introduire » un partenaire traditionnel des collectivités locales, la Caisse des dépôts et consignations, qui a accepté dans ce cadre de ne pas recevoir de dividendes. La CDC en rachetant intégralement 28 % des actions des groupes privés occupera les deux postes d’administrateur.

Il s’agit enfin, et je regrette que cela n’ait pas été souligné par les autres intervenants, d’ouvrir au monde des usagers et associations acteurs de l’eau, le conseil d’administration d’Eau de Paris.

France Nature Environnement devient donc censeur en tant que personne qualifiée avec voix délibérative, au sein du conseil d’administration.

Cette entrée s’inscrit dans la volonté d’assurer une meilleure participation institutionnelle d’acteurs de la société civile, susceptibles de relayer les préoccupations notamment sanitaires et environnementales des usagers.

Principale organisation environnementale agréée en France, elle joue le rôle de porte-parole de plus de 3 000 associations réparties sur l’ensemble du territoire national qui oeuvrent chaque jour pour la sauvegarde de l’environnement.

C’est la première fois que F.N.E accepte cette responsabilité et nous ne pouvons que nous en réjouir.

Nous nous félicitons donc de cette importante délibération.

Dès mon arrivée à la tête d’Eau de Paris, j’ai régulièrement, au sein du Conseil de Paris, pointé le conflit d’intérêt, m’appuyant notamment sur les observations de la Chambre Régionale des Comptes et l’Inspection générale de la Ville. Je voudrais ici rappeler quelques extraits de ces deux rapports.

Ainsi dans sa lettre d’observation définitive, la Chambre Régionale des Comptes d’Ile-de-France du 7 septembre 2000 soulignait « qu’en confiant le mandat de contrôle des distributeurs de la SAGEP, SEM dont les sociétés contrôlées sont actionnaires, la Ville a semble-t-il pris le risque que le contrôle soit moins approfondi. Si le caractère minoritaire de la participation financière de la C.E.P. et de la société Eau et Force paraît limité, le risque en la matière, leur influence réelle, l’accroît au contraire considérablement. Et dans la conclusion de son rapport, elle insiste sur le fait que l’influence réelle des distributeurs est beaucoup plus grande que leur représentation au capital de la SAGEP et au conseil d’administration. »

L’Inspection générale de la Ville de Paris, dans son rapport de juin 2001, rapport commandé d’ailleurs par Jean Tiberi, proposait également de réviser les statuts de la SAGEP afin de remplacer les distributeurs par deux actionnaires. C’est donc chose faite aujourd’hui.

Je n’ai cessé d’ailleurs depuis 2001 et notamment lors de la renégociation des avenants au contrat en 2003, de déplorer cet état de fait, issu d’un passé chiraquien aujourd’hui révolu. Je regrette seulement que le processus ait été si long.

Ce « mélange des genres » devenait d’ailleurs de plus en plus insupportable à mesure que les contrats arrivaient à échéance.

Mais cette délibération n’est qu’une étape, et cela aussi a été souligné par les différents intervenants. La prochaine reste à écrire et il s’agit de la création d’un véritable service public de l’eau à Paris.

Revendiquons l’aspect politique de cette décision prise aujourd’hui par le Conseil de Paris.

En 1987, Jacques Chirac avait ouvert le service public de l’eau aux multinationales en les introduisant au capital de la SAGEP, après leur avoir confié la distribution de l’eau en 1985. Nous tournons aujourd’hui une nouvelle page de l’ère chiraquienne sur ce dossier.

En les sortant du capital d’Eau de Paris, nous initions une étape.

La prochaine sera de rendre publique, et sous contrôle municipal, l’exploitation du service de l’eau à Paris, de la production à la distribution.

Ainsi, la Ville ne rendra compte de son service municipal qu’aux usagers et non pas aux intérêts privés. Nous développerons une nouvelle gouvernance citoyenne de l’eau dans une logique d’intérêt général et non pas de profit.

Je vous remercie ».

Les Verts parisiens éliminent la pédégère d’Eau de Paris !

Avec leur art consommé de se tirer des balles dans le pied, les Verts parisiens avaient la veille même de la réunion du Conseil de Paris, qui a vu la victoire de la pédégère d’Eau de Paris sur Veolia et Suez, éliminé le courant de cette dernière de la liste des Verts qui concourera aux municipales de 2008 !

La roche Tarpéienne est proche du Capitole…

C’est en effet M. Denis Baupin, adjoint aux transports du maire de Paris, qui a été élu le dimanche 25 mars 2007 tête de liste des Verts pour les municipales de 2008 par l’assemblée générale des Verts de la capitale.

Deux autres candidates étaient également en lice : Mme Pénélope Komitès, adjointe aux handicapés, et Mme Véronique Dubarry, vice-présidente du groupe Verts au Conseil de Paris.

Au premier tour M. Denis Baupin a obtenu 240 voix (49,9%), ratant d’une voix la majorité absolue, Mme Véronique Dubarry 140 (29,11%) et Mme Pénélope Komitès 92 (19,13%), avec 9 blancs et 2 nuls, les blancs étant chez les Verts comptabilisés pour le calcul des pourcentages.

La participation au vote était légèrement inférieure à 50% des quelque 1050 adhérents parisiens.

Après avoir assuré qu’elle irait "jusqu’au bout", Mme Véronique Dubarry s’est finalement retirée entre les deux tours sous les applaudissements d’une partie de la salle, et les huées d’une autre partie qui criait à la "manipulation" et à la "mascarade".

M. Denis Baupin, seul candidat au second tour, a donc été élu à la quasi unanimité des 306 votants (93%).

Plus tôt dans la matinée, les adhérents parisiens avaient voté sur des scénarios pour la composition et l’ordre des listes des Verts dans les arrondissements.

Les sensibilités de M. Denis Baupin et Mme Véronique Dubarry avaient présenté un projet commun de listes qui a été voté par l’Assemblée générale à 67%.

Ce projet devrait exclure à partir de 2008 plusieurs figures du Conseil de Paris dont Mlle Anne Le Strat, présidente de la SEM "Eau de Paris", société d’économie mixte de la ville chargée de la production d’eau potable, et Mme Danielle Auffray, adjointe en charge des nouvelles technologies.

Des minoritaires ont toutefois émis l’intention de déposer plusieurs recours devant le Conseil statutaire du parti, considérant que l’équilibre des sensibilités n’avait pas été respecté.

Marc Laimé - eauxglacees.com