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L’affaire du SEDIF devant le Tribunal administratif de Paris

10 mai 2010

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le Tribunal administratif de Paris examinait le vendredi 7 mai 2010 à 11 heures le recours déposé par une association et une dizaine d’usagers du Syndicat des eaux d’Ile-de-France contre le vote, à leurs yeux entaché d’irrégularités, qui avait vu une majorité des délégués représentant 144 communes d’Ile-de-France, opter le 11 décembre 2008, dans un vote à bulletin secret, pour le renouvellement d’un contrat de « régie intéressée », à l’expiration de l’actuel contrat détenu par la Générale des eaux depuis… 1923. L’affaire a fait grand bruit, et n’a cessé depuis lors de défrayer la chronique, tant le déroulement d’une procédure de plus en plus baroque voit s’accumuler incidents, coups de théâtre, rebondissements, dans le cadre d’un duel sans précédent, qui oppose les deux géants français de l’eau, Veolia et Suez. Notes d’audience.



Par une curieuse coïncidence, le Tribunal administratif examinait ce même jour, avant l’affaire du SEDIF, le recours déposé par deux conseillers UMP au Conseil de Paris contre la décision de M. Bertrand Delanoe et de sa majorité municipale de recréer dans la capitale une régie publique de l’eau, privant Veolia et Suez qui jouissaient depuis 1987 de la rente de situation que leur avaient accordé Messieurs Chirac et Tibéri, d’un atout qu’ils avaient depuis lors largement utilisé pour décrocher des marchés à l’étranger…

Ce recours ubuesque était rejeté par les conclusions du rapporteur public (l’ex-« Commissaire du gouvernement », qui ne représente pas le gouvernement, mais incarne à lui seul Themis, devant la justice administrative, comme l’ont appris des générations d’étudiants en droit), faisant litière des rocambolesques stupidités selon lesquelles, et d’une la régie nouvellement créée n’était plus sous le contrôle de la ville, et de deux, pour ce qui concerne la période de transition, la précédente SEM n’en était plus une car elle ne possédait plus de capitaux publics ( !), nos huluberlus ayant un peu oublié en cours de route ce qui motivait leur ire à l’origine, à savoir que la décision de la ville de Paris d’opter pour la gestion publique de l’eau contrevenait au sacro-saint « Droit de la concurrence », « alpha et omega » des politiques publiques dans l’espace européen, et qu’il aurait fallu organiser un appel d’offres avant que de republiciser la gestion de l’eau ! (Quand on pense que tout cela est sorti de quelques cervelles veoliasuedesques associées à des nuques de cuir umpistes, vivement 2012…)

Cette circonstance imprévue introduisait, cocassement, un parallèle immédiat avec l’affaire du SEDIF qui suivait.

Concernant le recours déposé contre le vote du SEDIF par une association et une dizaine d’usagers, le rapporteur public reconnaissait tout d’abord la capacité de l’association, puis celle de son président, à ester en justice contre la délibération du SEDIF, et rejetait les demandes d’irrecevabilité du SEDIF à ce sujet.

Puis rejetait parallèlement les demandes des usagers, qui contestaient à l’identique la capacité de M. André Santini, président du SEDIF, à ester en justice, tout comme celle de ses avocats, au motif, en soi intéressant, que le cabinet Cabannes est l’un des trois membres du Groupement qui a remporté l’appel d’offres lancé par le SEDIF pour l’assister dans la très lourde procédure qui a été mise en œuvre pour le choix du futur mode de gestion du plus important syndicat des eaux français et européen. (Un marché de 3 millions d’euros dont le montant a fait grincer des dents dans la profession de l’audit…).

Le rapporteur rejetait ensuite les demandes du SEDIF concernant de soi-disant propos diffamatoires que les usagers auraient tenu dans leurs mémoires successifs adressés au tribunal, estimant que lesdits propos ne contrevenaient aucunement à ce que la loi autorise dans ce type de débats. `

Ensuite, l’intervention du rapporteur porta essentiellement sur le fait que l’acte incriminé (le vote des 144 délégués du SEDIF en faveur de la « régie intéressée » comme futur mode de gestion du syndicat à dater du 1er janvier 2012), n’était pas « détachable » (de l’ensemble de la procédure définie par la loi Sapin en matière de choix du mode de gestion d’un service public par une collectivité), que la jurisprudence l’établissait clairement, et qu’il n’était pas nécessaire de consulter sur ce point le Conseil d’Etat, comme le demandaient les requérants.

Le rapporteur demandait donc au Tribunal de rejeter le recours pour cette raison. Puis concernant les demandes (exorbitantes) du SEDIF, dont les avocats avaient, dans leurs mémoires, demandé la condamnation de l’association, comme de chacun de la douzaine de plaignants individuels, à des dommages et intérêts de 3000 euros, il ne recommandait qu’un montant de dommages et intérêts de 500 euros à l’encontre de l’association, et dispensait les requérants individuels de toute sanction financière.

Le président de l’association prenait ensuite la parole, et lisait une pièce élaborée par ses conseils, qui synthétisait les arguments des requérants.

La présidente du Tribunal intervenait enfin, expliquant en substance (et fort civilement), aux requérants que le juge n’avait pas à se mêler des décisions politiques, mais ne pouvait intervenir que sur la façon dont la procédure était menée une fois la décision politique prise, qu’il fallait bien distinguer les deux, etc.

S’en suivait un échange éclairant.

L’association soulignait son plein accord avec les remarques de la présidente du tribunal, réaffirmant, ce qui est au fondement de son recours, qu’il fallait séparer la décision de principe sur le choix d’un mode de gestion (première étape du processus défini par la loi Sapin), et ce qui suivait logiquement, soit le choix d’un mode de gestion particulier en DSP, la mise en concurrence, le choix du délégataire, etc,

Soulignant par-devant le tribunal que c’est justement cette décision de principe qui n’avait pas été prise, puisque les délégués avaient été invités à voter en faveur ou non d’une « régie intéressée », et non du principe d’une délégation de service public… Anomalie qu’on ne retrouve dans aucune procédure loi Sapin similaire, qui est très fréquemment mise en œuvre par des milliers de collectivités en France.

Il semble qu’à cet instant la présidente du tribunal ait été saisie de quelques doutes, car elle a commencé à relire attentivement son dossier.

Elle donnait ensuite la parole à l’avocat du SEDIF, qui a affirmé que le débat sur la question de principe avait eu lieu, que les délégués avaient eu toutes les information requises, etc.

Reste que l’avocat du SEDIF n’a pas réussi à démontrer formellement que le vote incriminé portait sur la question de principe, ce qui relevait il est vrai de la mission impossible…

Et les usagers d’enfoncer le clou, tandis que le rapporteur public semblait se tasser dans son siège.

Continuant à répondre aux questions de la présidente, les usagers précisaient donc leurs doléances en matière de manque d’informations, d’absence de réponse du SEDIF à leurs courriers, d’impossibilité pour le public d’assister de visu à un vote décisif (qui se déroulait dans une salle défendue par des vigiles, et était réputé être retransmis sur un circuit video interne, jusqu’à la panne fatidique qui priva ledit public au moment fatidique, de la retransmission du vote, etc.

En cet instant le spectre des innombrables précédents localisés dans les défuntes démocraties populaires semblait en vérité s’inviter subrepticement dans la salle…

Autant de points, de surcroît, que l’avocat du SEDIF ne contestait pas, tant il aurait été en peine de le faire.

Au final, la présidente mettait l’affaire en délibéré à un mois, soit au 7 juin 2010, contre quinze jours pour l’affaire précédente, le recours des deux conseillers UMP contre la remunicipalisation de l’eau à Paris.

Suspense.

A la réflexion peut-être les libertés prises par le SEDIF vis-à-vis de la procédure définie par la loi Sapin, fondement du recours des usagers qui dénoncent le fait que les délégués du Syndicat aient été appelés, non à se prononcer sur le principe d’un mode de gestion (public ou délégué), ce qui est la norme dans le cadre d’une procédure loi Sapin, mais sur la seule modalité de « régie intéressée », déjà en œuvre au SEDIF, alors que la régie intéressée a disparu partout ailleurs en France, tient-il au fait que si M. Santini avait respecté la procédure habituelle, et avait fait voter les délégués sur le principe d’une délégation de service public, sans évoquer à ce stade un mode de gestion particulier (la régie intéressée, et non l’affermage ou la concession), il se serait heurté à une contestation juridique du fait même que la régie intéressée puisse être considérée comme un mode de délégation de service public.

Et c’est en tentant de contourner l’obstacle, au plus grand profit de Veolia, que le président et le bureau du SEDIF se sont peut-être placés dans une situation embarrassante, sur laquelle se prononcera donc le Tribunal administratif de Paris le 7 juin prochain.

Difficile décision. Il s’agit en fait aussi de trancher le fait de savoir si le premier contrat de délégation de service public français et européen dans le domaine de l’eau peut s’accommoder d’une forme et d’une procédure aussi atypiques que fragiles. Et qui pourraient à l’identique générer de nouveaux contentieux dans les mois qui viennent, quand le SEDIF aura fait connaître sa dilection pour Veolia ou Suez (suspense insoutenable), puisque le Syndicat vient d’annoncer par communiqué en date de ce même 7 mai 2010 la clôture de la procédure d’appel d’offres.

Le communiqué du SEDIF annonçant la clôture de l’appel d’offres, 7 mai 2010.

SEDIF : Le dossier d’Eaux glacées

Marc Laimé - eauxglacees.com