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Après Copenhague, par André Abreu

11 avril 2010

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Notre camarade brésiliano-français André Abreu de Almeida, en direct de Copacabana, nous a adressé le 10 avril, saudade, une réjouissante pochade dans laquelle il nous décrit les affres éprouvées depuis décembre dernier à tenter d’accommoder sans succès, après le terrifiant échec de Copenhague, sa « COP à soi »… Petite lueur d’espoir, comme la prochaine COP aura lieu sous le soleil de Mexico, notre homme, qui dans le civil officie à la Fondation France-Libertés, nous prédit que « sous le soleil » (de Mexico), tout devrait s’arranger… Même si « l’écologie de l’intérieur » ce n’est pas triste, la soudaine gaîté de notre camarade nous paraît néanmoins relever d’un abus caractérisé de l’une ou l’autre de ces boissons exotiques qui font tout le charme de son riant pays…



« Hier soir en faisant mes courses au supermarché du coin, entre deux réflexions écologiques sur la charcuterie française et sur le saumon de Norvège, j’ai pu enfin renouer avec une idée que m’était venue à Copenhague pendant les sept heures d’attente que j’ai du déguster sous la neige pour essayer de rentrer a la fameuse conférence climatique dite COP 15.

En fait, il va falloir que j’organise ma COP à moi ! Je ne peux plus attendre ni l’ONU, ni l’Europe, ni Obama, Lula et les gouvernements. J’ai besoin de finir avec mes prises de têtes intérieures sur le saumon d’élevage, sur les origines illégales du thon rouge ; Je ne veux plus de doutes devant le rayon de tomates irrigués d’Espagne, devant les bouteilles de Jus d’orange trafiqué de Californie. Basta de désordre, Il faut que la Raison, l’Intuition, tous les ministres de la Conscience, du Sens, du Goût, le président de l’Assemblé des Désirs et les grands représentants de la Gourmandise, du Budget, du Travail, enfin toutes les « Parties » du moi puissent trouver un accord définitif entre eux.

Tous sont d’accord donc que nous ne pouvons plus nier que notre modèle de vie « industrielle » alimente la surconsommation et la pression sur les ressources naturelles, cause principale du réchauffement, du changement climatique et aussi des inégalités sociales. Oui, je dois donc changer mes modes de consommation et d’alimentation, mon rapport avec les sacs et les emballages, mes déplacements et ma voiture, la gestion de ma maison et surtout mon rapport avec l’argent.

Oui, parce que de l’autre côté la pression monte du coté de la conscience collective : Après le succès des films d’ecolo-fiction « La vérité qui dérange », « Le Grenelle de l’environnement » et « Home », après le retour de Dany et le score d’Europe Ecologie aux européennes, les écolos sont de plus en plus armés, et ils ont raison. Ils ciblent à nouveau les carnivores avec la récente sortie du livre écolo « Bidoche ». Forts de ce nouveau document-choc, mes amis végétariens ont brandi des nouvelles menaces face à ma consommation encore importante de viande. Oui, je sais. Il faut réduire, je sais. Mais là il faut que j’avoue qu’il s’agit d’un terrain où les négociations seront très difficiles : Les élus les plus populaires de la Faim continuent en fait d’avoir largement plus d’influence que les hauts représentants de l’Ethique. OK donc : le fameux steak frites de la brasserie d’à côte de mon bureau est encore une priorité à midi et ne devra pas se voir menacé.

Ouf ! Mais par contre la Gourmandise devra faire preuve de responsabilité et modération le soir pour éviter les charcuteries avant le dîner. Avec les nouvelles révélations sur les effets de la suinoculture dans le dossier de la nappe phréatique en Bretagne, les lobbies anti charcuteries sont en train de monter en puissance, grâce à l’appui de ma Conscience Ethique, très forte en ce moment dans le domaine de l’eau, symbole majeur de la planète en danger.

Dans l’opposition, mes forces épicuriennes ont par ailleurs émis des réserves face au manque de jambon et de saucisson sec à la maison en période de grand froid. Mais il semblerait que la décision de réduire la charcuterie va être maintenue, où se limitera seulement aux saucisses de Strasbourg avec les enfants et à un bon jambon fumé (bio) du Jura récemment découvert parmi les cochonneries bretonnes qui dominent les rayons du supermarché du coin.

Sur un autre terrain de négociations, le Ministre de la Conscience Professionnelle a déclenché une grave crise diplomatique contre les nouvelles résolutions concernant la Santé. Il refuse d’accepter la décision d’éteindre les lumières et de dormir plus tôt, par crainte de perdre des horaires nocturnes pour la recherche et pour la révision des textes. Les juges du Portefeuille Economique sont aussi inquiets avec ces résolutions qui demanderont des nouvelles dépenses de santé – notamment avec le cours de yoga et la piscine deux fois par semaine - ce qui augmentera encore plus le déficit dans mon Budget mensuel.

C’est vrai que depuis des mois que la Raison Economique lance des alertes, les découverts bancaires sont à chaque fois plus élevés, notamment avec le froid intense, les nouvelles dépenses au magasin bio et grâce aux dettes venant des travaux réalisés pour installer le double vitrage avant l’hiver. Même si le Ministère de l’Intelligence assure que ces investissements auront des retours au long terme, il faut avouer que la dégradation de l’état de mon compte en banque est un facteur qui complique les négociations, notamment dans un contexte de récession et de crise du marché du travail.

La crise économique et les déficits risquent en effet de menacer frontalement certaines résolutions demandées par la Conscience Ethique de Consommation depuis pas mal de temps, comme la fin des courses au supermarché hard-discount, le boycott des produits Nestlé, la priorité totale à la fromagerie artisanale face aux laitages industriels, juste pour citer quelques points phares de mes décisions prises à la fin de l’année 2009.

Contre toute attente, les négociations sont dures aussi pour la question du recyclage : si les experts de l’Intelligence Rationnelle peuvent argumenter parfaitement sur le besoin de recycler les déchets et de ne pas gaspiller de la nourriture, la Raison Pratique demande par ailleurs beaucoup d’attention pour ne pas passer trop de temps a séparer des emballages et à laver des barquettes, histoire de ne pas menacer l’emploi du temps pour le travail nocturne ; enfin les représentants de la Paresse - souvent absents et sous-estimés - continuent malgré tout d’avoir une forte influence, surtout en période d’hiver et notamment après le dîner, où la gestion des déchets devient plus difficile après quelques verres de vin.

Pour compliquer un peu plus la situation, même la Raison Politique est venue récemment soutenir la paresse avec des infos chocs sur la mauvaise gestion des déchets recyclables par les entreprises privés, notamment à Marseille mais aussi à Paris où les opérateurs des incinérateurs de déchets brûlent joyeusement des tonnes de papier, cartons et plastiques - au lieu de les recycler – pour aider à faire disparaitre les déchets « non recyclables ».

A la maison aussi certains lobbies internes résistent même aux consignes les plus simples d’économie d’énergie. La Perception refuse d’accepter les nouvelles lampes blanches à baisse consommation : trop froides, ambiance pas chaleureuse, en fait ça ne plait pas du tout dans l’Assemblée des Sens.

L’Esprit Artistique - qui n’a jamais apprécié cette lumière blanche - est bien d’accord pour soutenir la Perception : donc pour l’instant pas question de virer les ampoules jaunes normales. Plus récemment le Ministère de l’Intelligence a demandé un test avec des ampoules LED, avec plein d’arguments pertinents et intéressants, mais pour l’instant le Portefeuille Economique bloque la proposition : ces technologies vertes sont encore trop chères pour un militant classe moyenne de la banlieue, donc il va falloir attendre un peu pour suivre la tendance des quartiers parisiens.

Sur la question du chauffage, apparemment avec des enjeux plus consensuels, les négociations sont hélas aussi très dures : les représentants de la Santé et du Bien Etre refusent les quotas de réduction de température proposés par la Conscience Collective. Ils argumentent que l’hiver est rude et qu’en légitime brésilien de Rio je ne serais jamais à l’aise avec une température interne de moins de 25° chez moi. Les divers sentiments représentant la « Saudade du pays brésilien » sont aussi farouchement contraires à toute réduction de température. Ils insistent que la température idéale est de 28°. Mais cette demande ne semble pas très réaliste en France, surtout parce que de son côté la Conscience Ecologique est soutenue par l’Autorité des Finances, qui pointe du doigt mes vieux radiateurs électriques comme cause principale des factures d’électricité très élevées.

Côté transport, les choses ne sont pas plus simples ; les différends portent surtout sur les demandes ambitieuses de la Conscience Ecologique sur l’achat d’une voiture moderne plus économe que ma vieille coccinelle année 72, très sympa mais définitivement condamnée par ces époques où tout se jure par l’injection électronique, les biocombustibles ou par les moteurs électriques. Mais attention, ici aussi les voix qui représentent le domaine affectif organisent une opposition farouche : en effet ils restent très attachées à la vielle voiture rondelette avec son charisme sans pareil, surtout si on la compare à la pléthore de caisses modernes sans âme que se ressemblent toutes entre elles aujourd’hui.

Et surtout face aux pressions de la Conscience Sociale qui s’enflamme contre l’industrie automobile, refusant toute achat de voiture nouvelle pour ne pas alimenter cette puissante industrie qui a englouti plus de six milliards d’argent public en subventions l’année dernière, sans parler des licenciements et délocalisations de Renault et PSA en Turquie et en Roumanie ; alors, tout compte fait, avec ou sans vignette écologique, je devrais plutôt garder ma veille caisse en attendant que les constructeurs automobiles montrent des vrais signaux de changement.

Oui, je dois avouer : même avec ma ferme décision d’organiser ma COP 15 à moi, tout seul, je n’ai pas trouvé le consensus espéré parmi mes différentes « parties ». Mais quelques mois après Copenhague, et avec le recul je crois avoir trouvé les sources du problème. En fait nous essayions de trouver un consensus pendent l’hiver (rude) et en Europe, sous un climat de grand froid, de crise sociale. Nous étions tous réunis pour parler de réchauffement… sous un climat très froid avec des tempêtes de neige abondantes !

Alors une fois rentré au Brésil, sous le soleil et sans crise économique, les choses me paraissent bien plus simples. La plage est gratuite, la mer est bonne, la bière pas chère et la musique est partout dans la rue. Les gens se touchent et se parlent, s’échangent des choses, vivent ensemble, même si l’argent est rare.

Cela change tout. Pour comprendre le futur, il faut voir le monde depuis le sud, où il fait bon vivre, mais où les gens sont pauvres. Oui mais, de quoi vraiment sommes-nous pauvres ? Quelles sont les richesses que nous devons préserver ? Questions pour nous tous qui voulons construire un futur possible pour nos enfants.

Après l’échec de Copenhague, la négociation officielle devient très compliquée, même Yvo De Boer l’a avoué, et Sarkozy qui enfonce le clou avec son « l’écologie, ça commence à bien faire ».

Mais ne désespérons pas, au moins nous avons une bonne nouvelle : la COP 16 ne se déroulera pas sous la neige, mais au Mexique, sous le soleil de Cancun !

Au moins cette fois-ci on ne gèlera pas pendant qu’on fait la queue pour rencontrer les officiels. Et peut être que, regardant le monde sans le rideau de fumée tiré par nos héros écolos européens - les Barroso, Sarko, Borloo, Jouanno, comme disait Marc Jolivet - mais avec une vision progressiste et pragmatique tirée par les acteurs du sud – nous pouvons espérer une meilleure issue.

Viva Mexico, même si, franchement, je n’attends plus grand-chose. »

André Abreu de Almeida

Rio de Janeiro, 10 avril 2010

Marc Laimé - eauxglacees.com