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Eure-et-Loir : assiégés par les pesticides

6 février 2010

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Ils croyaient s’être achetés un coin de paradis dans la Beauce. Ils ont découvert que leur vie et la santé de leurs enfants ne pesaient rien face aux dérives du lobby agro-industriel qui a transformé l’Eure-et-Loir en cauchemar environnemental sans équivalent en France. La moitié des captages d’eau du département sont impropres à la consommation. Si rien ne change l’Eure-et-Loir connaîtra une crise sanitaire sans précédent.



En juillet 2004 Bertrand Pouchin et sa femme font l’acquisition d’une maison dans un minuscule village de l’Eure-et-Loir, aux confins du Perche, afin d’offrir à leurs deux enfants, aujourd’hui âgés de 4 et 5 ans, « de l’air et le contact avec la nature ».

Ils pensent avoir gagné « un petit coin de paradis ». En mars 2005, alors qu’ils fêtent l’anniversaire de l’un de leurs enfants dans le jardin, où se trouvent une vingtaine de personnes, surgit l’énorme tracteur automoteur de l’un de leurs voisins agriculteur, qui commence à épandre un nuage de pesticides à l’odeur nauséabonde sur le champ qui entoure leur maison. Le tracteur roule à un mètre de la haie, et la rampe d’épandage déborde carrément au-dessus de la petite haie du jardin.

Bertrand demande à l’agriculteur de cesser. Sans succès, celui-ci l’envoie paître. Excédé le père de famille « caillasse » le tracteur, qui finit par s’en aller. Il s’attend à ce que l’agriculteur porte plainte. Rien.

La semaine suivante, alors qu’il se promène sur la petite route qui conduit à sa maison en tenant son enfant par la main, nouvel incident avec un agriculteur qui épand massivement des pesticides à partir de la route. Altercation. Le tracteur le bouscule. La plainte qu’il dépose à la gendarmerie sera classée sans suite.

Il fait appel au maire qui, dans un premier temps, temporise. "Le conseil municipal, composé de huit céréaliers sur onze élus, a fini par m’envoyer promener, raconte-t-il. Chez les gendarmes, même chose ! On m’a répondu que les agriculteurs étaient là avant moi, et qu’ils doivent travailler." Il ne trouve donc personne pour constater l’infraction qui consiste à pulvériser ces produits même par vent de force 3, soit 19 km/h. "C’est pourtant fréquent dans la Beauce, premier parc éolien de France !", observe-t-il. "De mars à octobre, on vit un enfer, poursuit-il. Les céréaliers déversent des herbicides, des insecticides, des fongicides, des hormones de croissance, des hormones de contrôle..."

Dès lors la famille est ostracisée. On les évite, on ne leur parle plus. Les enfants ne sont plus invités aux anniversaires de leurs camarades d’école.

En 2006 Bertrand découvre par hasard en pleine nature un stock de bidons ayant contenu des pesticides. Il saisit le maire de la commune concernée, proche de son village. Le maire, femme de céréalier, rétorque qu’il s’agit d’une propriété privée et que ça ne le regarde pas. Les bidons seront évacués trois mois plus tard.

Inquiet mais déterminé, Bertrand fait l’acquisition d’un Code de l’environnement et commence à étudier la question des pesticides. Il découvre que les épandages sont interdits dès que le vent dépasse les 19 kilomètres à l’heure, et que l’usage des produits phytosanitaires est, en théorie, très réglementé.

Mais il se rendra compte peu à peu, qu’en cas de pulvérisation illicite, et en admettant qu’un particulier mandate par exemple un huissier pour constater les faits, compte tenu de l’inertie des pouvoirs publics, la pulvérisation continue, et le mal est donc fait. Certains céréaliers connaissent parfaitement les ambiguïtés de la réglementation, et profitent largement de l’absence de sanctions pour épandre.

Le maire de son village reste obstinément sourd à toutes ses requêtes.

A l’automne 2008 il découvre un nouveau stock de bidons ayant contenu des pesticides, encore plus important, dans une ruine à proximité d’un puits de captage d’eau potable.

Recevant peu après la visite d’un agent des services d’assainissement qui vient procéder à un diagnostic de leur installation d’épuration, à qui il expose le problème, il s’entend répondre « qu’ils ne sont pas concernés et ne peuvent rien faire. »

En octobre 2008, Damien, son garçon de 3 ans, qui est né sur place, tombe malade. Alors que l’enfant est bon vivant, bon mangeur, il a constamment froid, est toujours fatigué, ne veut plus manger. Il perd 3 kilos en quelques semaines, est constamment surexcité, ses yeux sont marqués. Une consultation médicale débouchera sur un diagnostic d’hyperthyroïdie. Un an après Damien n’a toujours pas retrouvé les kilos qu’il a perdus.

En novembre 2008 la presse locale se fait l’écho de la découverte du stock de bidons ayant contenu des pesticides abandonnés dans la nature. L’Echo républicain, puis la République et l’Action républicaine relatent l’affaire, qui prendra un tour judiciaire, puisque lors d’un reportage réalisé par une chaîne de télévision, la police de l’eau et les gendarmes interpellent l’agriculteur qui a abandonné les bidons en pleine nature. Celui-ci ne fera l’objet d’aucune poursuite.

Au début de l’année 2009, Bertrand, qui est désormais en contact avec le WWF-France, puis le MDRGF, participe à plusieurs réunions publiques dans le département, notamment à l’occasion de la projection du film « Nos enfants nous accuseront ». Il débat à plusieurs reprises avec des représentants de la FNSEA présents à ces réunions publiques, qui le connaissent alors que lui ne les connaît pas.

Il recevra sur son téléphone portable, outre des menaces de mort anonymes, un appel d’un haut gradé de la gendarmerie départementale, qui lui conseillera peu ou prou de « se calmer »…

Le département de l’Eure-et-Loir est en situation de crise. La moitié de ses captages d’eau ont été abandonnés ces dernières années car ils contenaient un taux de pesticides ne permettant plus de produire de l’eau potable.

La préfecture d’Eure-et-Loir a rappelé le 7 juillet 2009 que faute d’interconnexion des réseaux d’eau potable pour résoudre les problèmes de pollution aux nitrates et pesticides, certains plans locaux d’urbanisme (PLU) pourraient être gelés. En l’absence d’échéancier précis de travaux, la préfecture refusera d’autoriser des constructions en ne validant pas certains PLU. Une position que nombre de maires qualifient de « chantage »…

La presse locale multiplie les articles alarmistes. Les autorités se veulent rassurantes.

Bertrand reçoit cette confidence d’un agriculteur : « On nous demande de ne pas mettre de combinaison quand on épand avec le tracteur pour ne pas effrayer les Parisiens ».

D’autres agriculteurs, rencontrés au fil de débats publics, l’interpellent aussi : « Monsieur Pouchin, aidez-nous à changer… »

C’est dans ce contexte que Bertrand a activement participé à la création d’Eau secours 28, et multiplie les contacts dans tout le département, qui enregistre une véritable fuite en avant dans l’interconnexion des réseaux, dans l’espoir, toujours démenti, de retrouver ce faisant des taux de nitrates et de pesticides « acceptables » dans l’eau distribuée. Un aveuglement qui l’indigne :

« L’interconnexion , c’est le geste désespéré des élus soucieux de préserver leur pouvoir.

« Et le le pire est encore à venir, car pour réaliser une interconnexion, il faut fermer les puits les plus pollués et se servir de celui qui, très curieusement reste "potable" au milieu des autres. Ensuite, les zones de cultures situées à proximité des puits fermés vont devenir des véritables poubelles chimiques.

« Un peu de technique : lorsque l’on pompe de l’eau en quantité dans une nappe, on provoque une dépression en sous sol et, par gravitation, l’eau située aux alentours remplira la zone en dépression. De plus les nappes se déplacent dans le temps.

« L’interconnexion ne peut donc être qu’une mesure transitoire, la phase suivante doit être l’arrêt immédiat de tout traitement dans les zones de captage.

« Ce que je déplore, au même titre que pour les algues vertes, c’est que personne n’ose s’opposer aux méthodes ultra polluantes de l’agro-chimie.

« Les céréaliers font très peur, mais ils sont de moins en moins nombreux et surtout leur image de marque c’est très fortement dégradée, tout comme l’environnement.

« Les conséquences de cet aveuglement sont claires. Dans le département la SAUR a par exemple gagné l’appel d’offres pour les travaux d’interconnexion des réseaux d’eau potable de la Communauté de communes des Trois Rivères. Or c’est la même SAUR qui a vendu de l’eau "non-conforme " à Châteaudun, sans avertir la population ! L’avenir est donc tout tracé pour eux comme pour Veolia et la Lyonnaise, car il y a beaucoup d’argent à se faire.

« Les céréaliers sont devenus des industriels. Pourquoi ne pas leur imposer les normes ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement), comme à la plupart des installations où l’on utilise des produits toxiques ?

« Quand verrons-nous un élu qui osera dire "stop", plus de ça chez nous ! Et qui mettra en place un concept de village HQE (Haute qualité environnementale), sur les cantines les écoles, l’eau, les entreprises, les transports...

« L’Eure-et-Loir est le plus mauvais élève de France et d’Europe en gestion des ces ressources en eau. J’espère que nous aurons encore le temps d’inverser la tendance… »

Au début du mois de juin 2009, alors que sa femme est seule à la maison avec ses deux enfants, l’un de leurs voisins, avec qui ils ont convenu qu’il les préviendrait avant d’épandre des pesticides, rompt le pacte et commence à épandre tout autour du jardin. La femme de Bertrand prend des photos. Altercation. Elle enferme les enfants à l’intérieur de la maison, avant de la quitter, contrainte de passer toute la journée avec eux à Chartres.

Le 26 septembre 2009, le préfet d’Eure-et-Loir, M. Jean-Jacques Brot, dressait un tableau accablant de la dégradation des ressources en eau du département devant le congrès des maires d’Eure-et-Loir à Chateaudun.

Le discours du préfet d’Eure-et-Loir

Lire : « Les agriculteurs exposés aux pesticides portent des précurseurs du cancer »

« Il existe un lien entre l’exposition des agriculteurs aux pesticides et des anomalies du génome pouvant faire se développer un cancer. Lors d’un colloque organisé à Marseille, vendredi 5 février, par la Ligue contre le cancer, Bertrand Nadel (Centre d’immunologie de Marseille-Luminy) a présenté des résultats obtenus lors d’une étude (Agrican) lancée en 2005. Ces travaux pourraient déboucher sur une stratégie de dépistage précoce de cancers du système lymphatique.

Agrican est une grande étude effectuée auprès des affiliés de la Mutuelle sociale agricole, le régime de sécurité sociale des agriculteurs. Elle comprend un versant épidémiologique, appuyé sur un questionnaire, et un versant biologique, avec des prélèvements sanguins (…)"

Paul Benkimoun, Le Monde, 6 février 2010.

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The Dark side of the farm

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