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Les SEM se jettent à l’eau (3) : une Europe à gé-eau-métrie variable

20 février 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La majorité des pays européens privilégient encore massivement la gestion publique, avec des modèles d’organisation spécifiques qui trouvent leurs fondements dans l’histoire institutionnelle de chacun des pays concernés. La variété même de ces modes d’organisation n’en renvoie pas moins à des préoccupations communes. Comment assurer le meilleur service au meilleur coût ?



L’intervention de M. Klaus Nutzenberger, directeur d’Eurocommunale et représentant des villes allemandes à Bruxelles va dynamiser la fin de la matinée.

Car il affirme d’emblée qu’en Allemagne la distribution publique de l’eau est sûre, saine et sociale. Et que les citoyens allemands ont clairement fait le choix du public.

Avec certes un systême extrêmement fragmenté, puisque près de 6000 entreprises interviennent dans le domaine de l’AEP, et autant pour l’assainissement…

Mais c’est en attirant malignement l’attention sur un biais singulier des comparaisons généralement conduites à l’échelle européenne que notre bon M. Nutzenberger va faire un tabac.

De quoi s’agit-il ?

Les chiffres utilisés par la Commission pour légitimer l’efficience (supérieure) du privé relèvent trop souvent à ses yeux… de l’entourloupe idéologique.

Ainsi les différentes études d’Eurostat recèlent-elles un véritable mystère. Eurostat affirme en effet que le ratio valeur ajoutée/effectif est très défavorable à la France, non seulement par rapport au Royaume-Uni, mais aussi à l’Allemagne, pourtant opérée par 6 000 sociétés d’eau très fragmentées.

Concrètement, Eurostat soutient que la productivité moyenne d’un technicien ou d’un ingénieur travaillant dans le domaine de l’eau en France est deux fois inférieure à celle de leurs homologues allemands ou britanniques.

Ainsi, Eurostat soutient que la valeur ajoutée par employé d’une entreprise d’eau se chiffrerait respectivement à :

 112 463 euros en RFA,

 125 564 euros en Grande-Bretagne,

 mais seulement 65 800 euros en France…

(Sources Eurostat 2006).

Comment cette bizarrerie serait-elle possible au pays de la délégation reine, avec Veolia et Suez qui brandissent à corps et à cris leurs fantastiques gains de productivité, comparés aux performances (lamentables…) du secteur public ? Mystère.

Performance et reporting

Reste que la « vision » de la Commission est claire : la France n’est pas suffisamment performante, et à l’évidence une privatisation du patrimoine, qui appartient aujourd’hui aux collectivités, améliorerait sans conteste les performances des sociétés d’eau…

Plus c’est gros… Sauf que là dans la salle ça ne passe pas, la ficelle est par trop énorme.

Mais on voit tout de suite les enjeux sous-jacents quand on apprend que la Commission a également chiffré le « marché » actuel de l’eau dans l’Europe des Quinze à près de 80 milliards d’euros, soit davantage que le marché du gaz.

Mais les segments pas encore (heureusement !) libéralisés du marché mondial de l’eau sont autrement considérables. Pour la Banque mondiale et Eurostat ils pourraient être chiffrés dans une fourchette de 800 à 3000 milliards de dollars…

Or les besoins en investissement pour nous mettre en conformité avec les exigences de la Directive-cadre européenne sur l’eau sont eux aussi colossaux… L’Allemagne investit ainsi d’ores et déjà 2 milliards d’euros chaque année pour répondre aux exigences de la DCE.

Le spectre d’une crise de financement des politiques publiques de l’eau en Europe volette à travers la salle.

M. Arjen Frentz, directeur de l’eau à Vewin en Hollande, et représentant les sociétés d’eau des Pays-Bas, dressera pour sa part un état des lieux mitigé quant à la situation qui prévaut dans son pays.

« Aux Pays-bas, l’eau est un service d’intérêt national et sa qualité dépend directement du ministère de l’environnement. Sa production et sa distribution reposent sur 11 entreprises publiques managées comme des entreprises privées qui bénéficient de monopoles locaux. »

Le systême est passablement complexe. Au sommet, un niveau ministériel, en charge de l’approvisionnement et du transport, puis 12 provinces, en charge de la gestion intégrée de la ressource en eau, puis 467 municiplaités et 11 entreprises publiques, au statut comparable à celui des SEM françaises. Qui pourraient connaître un processus de concentration, qui ne laisserait subsister à terme qu’une, deux ou trois d’entre elles.

La gestion est publique et les sociétés d’eau sont publiques, selon un monopole territorial. Le prix varie en fonction de la qualité de la ressource. Ce qui est original, dans le modèle hollandais, c’est la transparence des chiffres. Le régulateur publie un benchmark depuis 1997, encadré par la loi : financier (annuel) et indicateurs publics (quadrimestriels).

Les Pays-Bas se sont également dotés d’un système de communication transparent et efficace vers le public, qui a accès à tous les documents, et peut s’adresser, soit aux sociétés d’eau, soit à la Commission de l’eau pour tout litige. La commission de l’eau étant constituée d’experts indépendants.

Le Danemark, la Norvège et la Suède ont suivi ce modèle. L’Allemagne, la Belgique vont également l’adopter. Au total ce sont donc 6 pays européens qui auront à terme le même système de reporting public..

Français, encore un effort…

A suivre…

Marc Laimé - eauxglacees.com