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Algues vertes : une pollution mortelle, encore sous-estimée…

24 août 2009

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le dramatique feuilleton de l’été, qui a précipité la rentrée médiatique du Premier ministre, à la veille de l’Université d’été des Verts, n’en finit pas de susciter des remous. La publication en moins d’une semaine d’un « rapport » commandé à l’Ineris, qui a confirmé, bien au-delà de ce qui était admis jusqu’à présent, l’extrême nocivité des algues vertes qui défigurent les côtes bretonnes, puisque la santé humaine est clairement menacée aux dires des experts de l’institut, comme les mesures promises par M. François Fillon, qui a annoncé que l’Etat allait soutenir financièrement les communes qui dépensent des fortunes pour nettoyer les plages infectées, laissent en effet entières le fond du problème. Surtout si l’on prend en compte une pollution atmosphérique qui relâche chaque année, outre les nitrates directement lessivés par l’eau, près de 200 000 tonnes de nitrates supplémentaires, ensuite relargués par la pluie... L’Etat va-t-il enfin se résoudre à donner un coup d’arrêt à un modèle agricole, et notamment à l’élevage intensif qui est à la racine du mal ? On n’en prend pas le chemin, et les associations bretonnes qui luttent contre les algues vertes depuis des décennies annonceront le dimanche 27 septembre 2009 lors de la manifestation qu’elles organisent dans la baie d’Hillion qu’elles vont attaquer, à nouveau, l’Etat en justice pour faire reconnaître le préjudice considérable occasionné… par le laxisme dudit Etat ! La Commission européenne appréciera…



Danger algues

Force symbolique des images : c’est la mort d’un cheval par asphyxie, et le sauvetage in extremis de son cavalier sur le plage de Saint-Michel en Grève le 28 juillet 2009 qui a déclenché le hourvari.

Le sauvetage du cavalier

Comme chaque année, dès que la température de l’eau augmente, les algues naturellement présentes dans l’eau de mer se multiplient sur les côtes bretonnes, et viennent s’échouer sur plusieurs plages où elles se décomposent. Outre des nuisances olfactives et des coûts de ramassage colossaux pour les collectivités concernées, ces algues sont à l’origine d’émanations de gaz, et notamment d’hydrogène sulfuré (H2S), un gaz toxique et mortel à forte dose.

Une étude de l’Institut national de l’environnement et des risques (Ineris), rendue publique le 19 août 2009, réalisée à la demande du Ministère du Développement durable dans la baie de Saint-Michel en Grève où a eu lieu la mort par asphyxie du cheval, a confirmé la présence des gaz issus de la décomposition des algues.

Les résultats varient d’un endroit à un autre, en fonction de l’état de décomposition mais l’Ineris signale avoir rarement rencontré des concentrations en H2S aussi élevé (jusqu’à 1.000 ppmv), et ce même en milieu industriel où il intervient principalement…

L’Ineris conclut par conséquent que le gaz émis par les sédiments contenant des algues vertes en décomposition pouvait être dangereux, et qu’il convenait d’en maîtriser les expositions, surtout pour le personnel en charge du ramassage.

« Le principal composé mis en évidence, l’hydrogène sulfuré, est toxique par inhalation et à 1.000 ppmv il peut être mortel en quelques minutes », rappelle l’Ineris. 



Le rapport de l’INERIS
Les annexes du rapport de l’INERIS
Les algues vertes

Un danger trop longtemps minoré

Dès le 4 août 2009, dans une note intitulée « A propos d’algues vertes... les effets sur la santé du sulfure de dihydrogène (SH2) », les docteurs Claude Lesné, médecin et chercheur au département de santé publique de l’Université de Rennes 1 (CNRS), et André Picot, toxicochimiste, directeur de recherches honoraire au CNRS, rappelaient pourtant déjà ce qu’ils dénoncent sans succès depuis une dizaine d’années…

Claude Lesné interviendra ensuite à Saint-Michel en Grève le 9 août.

Les risques d’intoxication par l’hydrogène sulfuré

Ouest-France rappellera aussi utilement dans la période que les premiers travaux d’un groupe mis sur pied il y a quelques mois pour cerner la dangerosité de ces algues confirment les inquiétudes qui vont croissant.

Ainsi M. Jean-François Sassi, responsable au laboratoire du centre de valorisation des algues de Pleubian, qui en fait partie, confiait-il au quotidien :

« Quand on atteint 10 ppm d’hydrogène sulfuré, on doit évacuer un chantier. Entre 500 et 1000 ppm, un homme tombe inanimé. Quand on perce une croûte d’algues en décomposition, nos capteurs, limités à 500 ppm, sont saturés. »

On mesurera l’impact réel du désastre en matière de santé publique en prenant connaissance de la recommandation R 420, en date du 23 juin 2005, émise par le Comité technique national de la chimie, du caoutchouc et de la plasturgie, document diffusé par la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

La recommandation R 420
Ramassage

Une pollution sous-estimée

Par ailleurs, dans un commentaire posté par M. François Bonvalot le 13 août 2009 dans le forum d’un article publié le 11 août 2009 par le Journal de l’environnement : « Algues vertes : Eau et Rivières de Bretagne dénonce l’indifférence de l’Etat »,, l’auteur souligne à juste titre un paramètre méconnu dans l’origine des marées vertes :

« La densité des élevages de porcs et de volailles en Bretagne, génère des volatilisations d’ammoniac dans l’air considérables. Ces volatilisations sont dues à des phénomènes naturels comme l’hydrolyse de l’urée, ou provoqués comme le compostage des fientes de volailles. L’hydrolyse de l’urée est irrémédiable et provoque la volatilisation de la moitié de l’azote produit par les porcs. Le compostage des fientes quant à lui rejette dans l’air 35 à 40% de l’azote des fientes sous forme là aussi d’ammoniac. La pollution de l’air en Bretagne par l’ammoniac est donc gigantesque ; or cet ammoniac s’oxyde rapidement dans l’air en nitrates qui retombent sur toute la région avec les précipitations. Cette pollution diffuse, ignorée des autorités (volontairement ?) représente plus de 200 000 tonnes de nitrates déversés sur la Bretagne chaque année par les pluies. Si cette volatilisation d’ammoniac n’est pas stoppée, les marées vertes vont continuer à bien se porter. Pourtant, il existe des procédures à respecter par les élevages pour empêcher la volatilisation de l’ammoniac et le récupérer pour le valoriser sous forme d’engrais. Mais les enjeux et les erreurs faites depuis 30 ans sur ce sujet empêchent tout développement de cette technologie propre. »

Marée verte

La révision de la directive NEC

Cet élément doit d’autant plus être pris au sérieux que l’Ineris, encore lui, vient tout juste de rendre public un rapport évaluant les conséquences pour la France des futures normes d’émissions envisagées dans le cadre de la révision de la directive NEC. 



Cette directive européenne relative à des plafonds nationaux d’émissions (National Emissions Ceilings - NEC), a été promulguée en 2001.

Elle vise à limiter les émissions des polluants acidifiants, eutrophisants et précurseurs de l’ozone troposphérique, et fixe des plafonds nationaux d’émissions pour 4 polluants atmosphériques : NOx, SO2, COV et NH3.

Les États membres doivent respecter ces plafonds à partir de 2010, mais une révision de la directive est prévue afin de fixer de nouveaux seuils notamment d’ici 2020. 


L’Ineris s’est donc intéressé aux différents scénarios envisagés, et a estimé les coûts engendrés et compare les résultats pour la France avec ceux des 27 autres autres pays de l’Union.

Si l’hypothèse évoquée ci-dessus est valide, la France pourrait donc à nouveau être mise en difficulté, à raison des rejets annuels de 200 000 tonnes de nitrates dans l’atmosphère bretonne…

Coïncidence, dans son édition datée du 1er septembre 2009, le quotidien Le Monde, évoquant un article scientifique publié en ligne dans la revue Nature Geoscience le 30 août 2009, soulignera que « Lisier et engrais sont devenus les ennemis numéro un de la couche d’ozone »…

Le rapport de l’INERIS sur la révision de la directive NEC

Dans le même registre on prendra connaissance avec intérêt de la dizaine de commentaires extrêmement pertinents qui figurent dans le forum de l’article « Les algues vertes, un problème de santé publique », lui aussi publié par le JDLE le 21 août 2009.

L’Etat, complice impuissant ?

Lors de sa visite « surmédiatisée » sur place le 20 août 2009, mais qui n’aura duré que dix minutes (!), le Premier ministre M. François Fillon annonçait que l’Etat allait prendre à sa charge le nettoyage des plages les plus touchées.


Fillon algues vertes
par FrancoisFillon

Le gouvernement va aussi créer une commission interministérielle qui, dans les trois mois qui viennent, doit bâtir un plan d’action pour lutter contre la prolifération des algues vertes et pour proposer des solutions de ramassage et de protection de la population.

M. François Fillon annonçait aussi que le ramassage en mer allait être expérimenté dès la fin de l’hiver pour éviter des proliférations comme celle de cet été. 


Autant de « mesures » qui n’ont pas manqué de susciter des réactions exaspérées, à l’image de celle de notre ami Fabrice Nicolino, tâclant à juste titre un « affichage »
qui ne résoudra rien…

Car le discours du gouvernement peine à convaincre, sachant que la problématique est connue depuis plusieurs dizaines d’années, et directement liée à des pratiques agricoles délétères.

Le développement des algues est en effet accentué par la présence d’éléments azotés dans les eaux, due aux activités agricoles de la région. Le surplus d’éléments apportés aux cultures via les épandages d’effluents agricoles est lessivé et se retrouve dans les cours d’eau.

En Bretagne, la situation est critique, puisqu’elle remet régulièrement en cause l’alimentation en eau potable des populations pour cause de pollution aux nitrates, et est à l’origine d’un contentieux avec l’Union européenne pour non-respect de la directive nitrates.

Pour les associations de protection de l’environnement, le plan gouvernemental devrait donc prioritairement s’attaquer à la problématique des pollutions agricoles : « L’élevage hors-sol produit en Bretagne une quantité de déjections qui dépasse largement la capacité d’absorption du milieu naturel. Les expédients mis en œuvre sont inefficaces. La responsabilité du modèle agricole intensif est évidente, tant en matière d’élevage que de cultures, mais aussi, celle de l’industrie agro-alimentaire et de l’agro-business en général », expliquait M. Jean-Claude Bévillard, pilote du réseau agriculture de la fédération France Nature Environnement (FNE), dans une interview publiée par Actu-environnement le 21 août 2009.. 



L’opposition dénonçait pour sa part le « double langage » du Premier ministre : « Contrairement aux déclarations de M. Fillon, rien n’est fait pour engager la mutation de l’agriculture bretonne vers un modèle durable et respectueux de l’environnement, estimait le Parti Socialiste. En 2009, les services de l’Etat ont encore accordé des dizaines d’autorisations d’extension ou de création à des élevages intensifs, » ajoutait-t-il. 



Depuis les premières menaces de la Commission européenne à ce sujet, la France a mis en place plusieurs plans d’action successifs visant à limiter les apports d’azote sur les bassins versants particulièrement touchés.

Un quatrième plan d’action a d’ailleurs été signé par la préfecture des Côtes-d’Armor à la fin du mois de juillet 2009, malgré l’avis défavorable du Conseil général...

Il prévoit notamment la mise en place de bandes enherbées ou boisées le long de tous les cours d’eau, la couverture hivernale des sols en zone vulnérable, l’actualisation de la liste des cantons en zone d’excédent structurel et le report d’un mois des dates d’autorisation d’épandage sur des terres destinées à la culture du maïs (l’autorisation d’épandre interviendra au 15 février au lieu du 15 janvier de l’année).

Mais le département a dénoncé « l’incohérence entre ce projet et le futur Schéma d’aménagement et de gestion des eaux du bassin Loire-Bretagne (SDAGE) applicable dès 2010, et regrette le raisonnement de l’Etat encore fondé sur l’échelle cantonale, alors que l’approche par bassin versant s’impose. » 



Le Conseil général constate que les agriculteurs costarmoricains "ont fait d’importants efforts qui se traduisent par des améliorations de la qualité de l’eau", mais estime qu’il faut aller plus loin encore sur les bassins versants les plus sensibles. Les concentrations en nitrates dans les rivières de Bretagne auraient diminué de près de 20% depuis 1998, mais fluctuent toujours autour de 25 mg/L, alors que pour éviter la prolifération d’algues il faudrait des taux aux alentours de 10 mg/L.

Reste que dans son édition du 2 septembre 2009, Libération soulignera le nouvel accès de colère des associations, après l’autorisation d’un nouvel élevage de 12 000 poulets dans les Côtes d’Armor...

Rivage

Les citoyens invités à porter plainte

Pour sortir de la pollution par les algues vertes et relancer le débat sur le retour à une agriculture de qualité, plusieurs associations invitent les citoyens à porter plainte contre l’Etat.

Marre de lutter contre les algues vertes ! « Ça fait quarante ans que la fuite en avant de l’agriculture productiviste nous mène dans le mur. Mais on n’est pas fatigués. Au contraire, nous sommes pleins d’énergie ! », avertit en substance Denis Baulier, qui a mené et remporté dans le Trégor une « Opération Nénuphar » pour la reconquête de la qualité de l’eau.

Avec lui, Yves-Marie Le Lay, président de « Sauvegarde du Trégor », André Ollivro, fondateur de « Halte aux marées vertes », qui vient à nouveau d’être la cible d’actes d’intimidation,
André Pochon, ancien agriculteur et infatigable militant d’une agriculture plus « intelligente », lancent un « manifeste pour sortir de la pollution en Bretagne » : « Ne plus gérer la pollution mais l’éliminer »

Directement issues des excès de nitrates employés en agriculture, 50000 tonnes d’algues vertes sont ramassées chaque année en Bretagne, dont la moitié en baie de Saint-Brieuc.

Selon les associations réunies à La Grandville, à Hillion, leur élimination aurait déjà coûté un milliard d’euros à la région. La pollution des cours d’eau a entraîné la fermeture de captages, mais les subventions continuent « d’arroser les cultures les plus assoiffées d’engrais chimiques, de pesticides et d’eau ».

« Nous ne voulons plus gérer la pollution, mais l’éliminer. Il est temps de siffler la fin de la partie et de passer à une étape plus contraignante », assène Denis Baulier.

Rassemblement le 27 septembre 2009

Plusieurs associations et collectifs (Halte aux marées vertes, Vivarmor, De la source à la mer, Sauvegarde du Trégor, CANE, AEDD), appellent le public à porter plainte contre l’État « qui ne fait pas respecter la réglementation nationale et européenne. pour le droit des citoyens à une eau de qualité ».

Le 27 septembre à 15h00, à La Grandville, à Hillion (22), le public sera invité à signer des plaintes toutes préparées pour obtenir réparation « d’un préjudice moral et financier, puisque ce sont nos impôts qui financent le traitement des algues ».

La réunion sera festive, comme toujours, et le comédien Jean Kergrist, le "clown atomique", y mettra son grain de sel.

"La reconquête de la qualité de l’eau se fera d’abord par la reconquête de l’état de droit", soulignent le Cédapa, Sauvegarde du Trégor, Halte aux marées vertes, Côtes-d’Armor environnement, Vivarmor, De la source à la mer, AE2D.

Lire :

Les algues vertes, une pollution mortelle, encore sous estimée

Les eaux glacées du calcul égoïste, 24 août 2009.

Algues vertes : 300 bretons portent plainte

Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 septembre 2009.

Algues vertes : mort d’un nettoyeur de plages

Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 septembre 2009.

Lire aussi :

Les algues vertes peuvent tuer

S-Eau-S, 5 octobre 2008.

Le dossier "Algues vertes" d’Eau et rivières de Bretagne

Le dossier du Télégramme

Marc Laimé - eauxglacees.com