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L’Affaire Cristaline (6) : Paysage après la bataille...

26 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

L’affrontement sans précédent entre distributeurs d’eau et embouteilleurs laissera des traces durables. Il dessine clairement les « nouvelles frontières » de la gestion de l’eau, des stratégies d’acteurs inédites, des fractures insoupçonnées. Au vu des enjeux les pouvoirs publics, et au-delà la société toute entière, doivent impérativement se réapproprier une gestion qui ne peut être abandonnée aux logiques mortifères du marché.



La sortie de crise se dessine.

Traduire, la bulle médiatique va se dégonfler aussi vite qu’elle avait éclos.

Pour la vraie crise, on en reparlera.

Concombre (bio) sur la tarte au potiron, c’est notre amie, la verte pédégère d’Eau de Paris qui va faire le boulot.

Communiqués, lettre à la ministre, conférence de presse, radios, télés, bingo !

Ici un grand moment. Balzac aurait adoré.

Scènes de la vie parisienne

Conférence de presse au petit matin, bon n’exagérons rien, 9 heures et demie, au Petit-Ney, dans le 18ème arrondissement.

Eau de Paris, Agir pour l’Environnement, le FNE, la CNL…, nous convient à une conf au cours de laquelle journalistes et dirigeants de Cristaline seront invités à procéder à une dégustation à l’aveugle de l’eau du robinet et… d’une bouteille de Cristaline.

Déjà, rien que l’idée, je me marre à l’avance, si le sieur Papillaud se pointe, côté choc des cultures ça va décoiffer.

Las, évidemment Cristaline ne viendra pas. En revanche le lieu est charmant, restau bio avec coin bibliothèque qu’une phalange de bambins envahiront avant la fin du show pour y entonner des comptines en agitant leurs petites menottes.

S’ensuivent les libelles des camarades militants qui nous racontent tout le mal qu’il faut penser des bouteilles en plastok, et que l’eau du robinet du service public, ah que elle est bonne, et que Cristaline y en a être des vilains méchants, et que le service public et les associations y en a être des super-gentils. OK, pas plus que les deux rédacteurs du gratuit « 20 Minutes » présents, je n’en ai jamais douté une seconde.

Mais comme l’intervention est filmée, y a comme un gag au moment de la dégustation, la fille de la télé ne veut pas filmer une bouteille de Cristaline, ce qui pourrait lui occasionner des ennuis.

Donc toute l’assistance va déguster à l’aveugle des verres d’eau contenus dans 4 carafes d’Eau de Paris, dont 30 000 exemplaires ont été confectionnés il y a deux ans par un designer de prestige, ceci pour celles et ceux qui auraient raté un épisode de la saga. Vu comme ça, ça fait un peu zarbe, mais bon, qu’importe le flacon…

Et puis on nous annonce l’action du lendemain. Un commando de militants, aguerris, va courageusement (ça doit être les petits-neveux des Don Quichotte), partir à l’assaut du bunker des méchants de Cristaline à Thiais dans le Val-de-Marne pour y déverser des centaines de bouteilles (vides ?) en guise de protestation.

Sur ce je m’éclipse et je verrai le clip le lendemain sur FR3. Bravo pour le plan de coupe ! Les militants étaient une demi-douzaine pour vingt-cinq journalistes et on ne verra qu’eux, escaladant une grille au péril de leur jean pour déverser les bêtes immondes en plastok dans la cour du bunker.

Ici tous mes amis verts, militants, enfin les gentils quoi, je les vois déjà hurler : « T’es vraiment un enfoiré, c’est nous les bons et les autres les méchants. »

Ouais, mais on n’est pas obligés d’être benêts et de se faire rouler dans la farine par les « vrais » méchants.

Bon, je n’étais pas à Thiais, à « l’embouteillage » du lendemain, on ne peut pas tout faire, mais on m’a raconté.

Donc, nos amis du CNIID, d’Agir pour l’Environnement de de RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) se pointent à Thiais devant chez Neptune pour foutre le souk, … et parler à la presse.

Malin, notre ami Papillaud finit par leur ouvrir sa porte. Et voilà nos gentils zèbres qui taillent une bavette pendant trois-quarts d’heure avec le directeur commercial et la directrice marketing de Neptune.

Et qu’est-ce qu’ils leur disent les deux méchants ? D’abord qu’ils se réservent le droit d’en remettre une louche. Pourquoi ? Bon, ils n’imaginaient pas qu’allait se déclencher un pareil bordel, et qu’Eau de Paris puis le MEDD allaient réagir aussi violemment.

(Faudra leur expliquer que chez les Verts aussi y a de la campagne électorale dans l’air.)

Et nos deux méchants d’assurer à nos gentils zèbres, qui commencent peut-être à piger qu’il y a de l’eau dans le gaz (là je suis optimiste), que la campagne de Cristaline était une réponse… à celle du SEDIF de 2004, qui laissait entendre que l’eau du robinet était aussi bonne que l’eau en bouteille. Mais surtout à la dernière en date, lancée le 28 novembre 2006, un tantinet plus agressive.

Et de souligner que sur cette fameuse campagne du SEDIF lancée en 2004, la partie inférieure de la bouteille en plastique qui était incriminée était… une bouteille de Cristaline !

Il semble donc bien, hypothèse dont vous avez deviné qu’elle avait ma préférence, que nos gentils militants se retrouvent bel et bien à Chicago dans les années trente du siècle défunt...

In extremis, à la fin de l’entretien, nos jeunes zamis repartent avec un vague engagement conditionnel de Cristaline.

« On arrête les frais, sauf si le SEDIF remet ça. »

Or, selon Neptune, une nouvelle vague de la campagne du SEDIF devait démarrer en février 2007…

Bon, là-dessus Cristaline décide de lever le pied et de demander à son afficheur de stopper la campagne, le mercredi 17 janvier.

Après c’est la fin de la séquence, la Ministre qui nous dit, toujours à la télé, être très fâchée, les agences, les journaux, les sites en ligne, les radios, les télés, qui nous racontent que le Maire de Paris va s’associer à la plainte que sa verte pédégère va déposer contre Cristaline.

On va disséquer la campagne de pub sur le site du MEDD, nous dire que l’eau du robinet elle est très bonne, que si elle sent un peu l’eau de Javel, faut la laisser un peu dans le frigo. Et patati, et patata.

Après on rentre de vacances et on change de programme : l’ISF de Ségolène, Hulot ou pas Hulot, Bové ou pas Bové, la routine.

L’infernal barnum médiatique qui s’est déclenché en l’espace de quelques heures, les affirmations à l’emporte pièce des deux camps en présence, laisseront durablement planer dans l’esprit du public, déjà légitimement enclin à la suspicion, qu’il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la flotte.

En lançant sa campagne destroy Cristaline a limité les dégâts.

Non pas qu’elle ne doive désormais apprendre à ruser avec les contraintes nouvelles que va lui imposer le décret, à ses yeux scélérat, publié au JO du 12 janvier 2007.

Mais l’essentiel n’est pas là.

Son cœur de cible, les acheteurs d’eau de source d’entrée de gamme - pour autant que la campagne médiatique les aient bouleversifiés -, sera même conforté dans son idée bien ancrée que les pouvoirs publics mentent et dissimulent la dégradation croissante de la qualité de l’eau du robinet distribuée en France.

Les pouvoirs publics sont très, très, très embêtés. Ils ont cédé sur toute la ligne aux suppliques de nos amis du Cartel, mais n’ignorent aucunement que la pollution croissante des ressources en eau est tout sauf une lubie d’environnementalistes allumés.

Qu’il faut déjà très souvent recourir massivement à l’eau en bouteille quand on ne peut plus boire l’eau du robinet. Et si une crise grave survient, on fait comment ?

Les distributeurs auraient tort de par trop de se réjouir de cette incontestable victoire, tant le contexte général de la période laisse augurer que la « gouvernance » de l’eau est décidément entrée dans une ère de violentes turbulences.

Le bal des vampires

Ca devait évidemment se produire, mais là je dois avouer que j’en reste sans voix, ou presque… C’est dire. Forme d’apothéose en conclusion de notre saga. Quoique parti de la sorte, le feuilleton nous réserve à n’en pas douter de nouveaux rebondissements…

Dans un communiqué rendu public le 23 janvier 2006, l’entreprise Brita, qui commercialise des « purificateurs d’eau domestique », des « carafes », des « cartouches filtrantes », des « filtres pour fontaines à eau »…, exprime son soutien à Eau de Paris au sujet de la polémique qui l’oppose à Cristaline !


De deux choses l’une, soit l’eau du robinet est nickel, et Brita va être poursuivi pour publicité mensongère, concurrence déloyale et parasitisme commercial.

Soit elle ne l’est pas, et alors…

Brita argue du fait que Cristaline a vivement critiqué l’eau du robinet, à raison notamment du fait que l’on recourt au chlore pour écarter tout risque de contamination bactériologique.

Brita, bon prince, argue que si cette substance est « indispensable à la qualité sanitaire de l’eau », les filtres qu’elle commercialise permettent de faire disparaître l’odeur ou le goût désagréable qu’elle peut engendrer.

Le groupe indique également que ses systèmes de purification réduisent la teneur en calcaire de l’eau, et que les éléments des cartouches pour carafes sont recyclables.

Par ici le cash-flotte !

« Filtrer son eau domestique limite la pollution induite par la fabrication, le transport et le rejet des bouteilles en plastique », indique le communiqué, furieusement développement durable.com.

Quel talent !

On imagine la cellule de crise et les « éléments de langage » sur Powerpoint :

 Crise = opportunité.

 Nos produits concurrencent l’eau en bouteille.

 MAIS ils rendent l’eau du robinet plus pure.

Là c’est le Grand Prix 2007 du développement durable qu’ils vont se voir décerner.

Nous vivons une époque épique.

Cristaline Underground : une ‘’connection that captivate

Il y a mieux ! Avec ces gens-là, monsieur, pouvez être assurés que vous ne serez jamais déçu…

Voilà-t-y pas qu’un dénommé Emmanuel Charonnat, DGA Etudes de Starcom, une filiale française de Publicis Groupe Media, « deuxième réseau mondial d’agences média », qui fourgue au chaland ses élucubrations sur le process ‘‘Connections That Captivate’’ (ou CTC), qui « représente la vision de notre métier », poste le 25 janvier 2007 (à 13h42 pour être précis) sur le blog qu’ils ont ouvert pour vendre du vent (pas encore vu d’éolienne siglée Publicis, attendons la prochaine conf de presse de Mme Olin), une importante réflexion que je ne pouvais manquer de proposer au débat (participatif).

Bon, notre gus il a pris le métro et il a vu une affiche, et voilà ce que ça donne :

« Un matin de la semaine dernière, en pénétrant le quai de métro, j’ai été frappé, comme tout un chacun, par l’affiche Cristaline, qui a défrayé la chronique.


Son slogan était : “Qui prétend que l’eau du robinet a bon goût ne doit pas en boire souvent”.


Ne vous y trompez pas, sur la photo, il s’agit d’une autre annonce qui, elle, n’a pas été affichée, mais qui circule quand même, pour le buzz.

Sans juger de la création affichée, de la pertinence et de l’efficacité du message, et sans vouloir m’immiscer dans le débat (la réponse du berger à la bergère … ?), je constate simplement que l’impact de la campagne est garanti par la médiatisation de l’affaire, et le bouche à oreille, mais aussi, selon moi, par un choix approprié du point de contact.

Le support de cette ‘’connection’’ qui capte l’attention m’a semblé particulièrement adapté :

 regarder cette affiche le matin aux heures de pointe m’a apporté un sujet de discussion pour le reste de la journée et même les jours suivants, sans compter ce billet sur le blog,

 le métro (subway, sous-terrain) est propice à lancer un débat entre ’’eau de source du robinet’’ et ‘’eau de source en bouteille’’ (tiens tiens il paraît que certains hôtels de Las Vegas vendent de l’eau du robinet en bouteille…) : parler d’eau sous terre, quoi de plus naturel ?

 la possibilité de s’arrêter devant l’affiche (parallèle au quai) pour la lire et relire, et de la retrouver le soir en prenant le métro en sens inverse : captivé par le message, je l’ai même prise en photo avec mon téléphone portable !

Et, en général, ça occupe, les affiches dans le métro : ne serait-ce que les annonces de sorties de cinéma, de théâtre,…


Il m’arrive de voyager dans un métro étranger où il n’y a pas d’affiches (pub ou pas pub), et de le trouver triste ou sans vie. »

Le mec il a "pénétré le quai de métro".

Il a vu une affiche.

Ca lui a donné plein de sujets de conversation.

Même qu’il a photographié l’affiche avec son téléphone portable.

Et il est content.

Je serais Castel je lui demanderais de présider le Comité de soutien à Cristaline…

Réplique boursière

Hep, et ce n’est pas fini, vous n’imaginez tout de même pas que vous allez vous en sortir déjà !

Une nouvelle réplique de notre tsunami, qui va cette fois fortement réjouir Jean-Marc Sylvestre, que nous avons perdu de vue depuis plus de deux heures (le temps qu’un ami lecteur a mis à parcourir notre saga, bon il ne semblait pas excessivement fâché), une nouvelle réplique donc.

Jeudi 25 janvier à 16h47. Une alerte. Ah, c’est le secteur « Eau » du « Blog bourse » de nos zamis de Boursier.com…

« Un leader de la filtration profite de la polémique Cristaline ».

Voilà-t-y-pas que « H2O Innovation » s’est fait remarquer pour son 1er jour sur Alternext !

« Alternext, le segment de marché d’Euronext réservé aux petites et moyennes entreprises, a accueilli aujourd’hui sa première société nord-américaine avec l’introduction de H2O Innovation (lien vers la présentation de e-sasha).



(Bon, là si vous voulez l’avoir le lien faudra cliquer chez ces gens là, pas de ça chez nous, non mais !)

« H2O Innovation, déjà côté au Canada, a réalisé un placement privé pour un montant total de 6,5 millions d’euros, lui permettant de s’introduire sur Alternext via la procédure de cotation directe.



« Cette nouvelle introduction, la 3ème d’une société étrangère après l’italien Safwood et le britannique Assima, porte à 78 le nombre total de sociétés cotées à ce jour sur Alternext, soit une capitalisation boursière de 3,7 milliards d’euros.



« Créé en 2000, H2O Innovation est un spécialiste de la conception et du développement de produits pour la production d’eau potable et le traitement des eaux usées.



Le titre, coté au fixing, grimpait de 11% à 1,01 euro ce jeudi, dans un volume de 350.000 pièces. »

« Dans un volume de 350 000 pièces », vous je ne sais pas, mais là je retrouve cette petite musique balzacienne évoquée plus haut, et qui va me valoir des fâcheries avec nos ami(e)s verts…

Nestlé licencie massivement

Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour enregistrer d’autres dégâts collatéraux du séïsme. Le lendemain.

Là ce n’est plus de la rigolade.

Nestlé France a annoncé à son comité d’entreprise, vendredi 26 janvier 2006, la suppression de 350 emplois, d’ici à la fin de l’année 2008, à son siège de Noisiel, en Seine-et-Marne.

La direction de la société a précisé que ces suppressions de postes prendraient la forme de "mesures de départ anticipé de fin de carrière, de préretraites et de mesures de mobilité interne", décidées après des "discussions avec l’intersyndicale".

Elle a ajouté que ces mesures n’entraîneraient pas de licenciements.

Pour justifier ce plan, les dirigeants de Nestlé France avancent que "l’évolution des marchés nécessite des adaptations permanentes pour renforcer la compétitivité".

La CGT du siège social, de son côté, juge que ces "restructurations continuelles" sont "dénuées de fondements économiques".

L’organisation syndicale s’est dit "indignée de cette nouvelle restructuration qui survient après celles des usines laitières et la disparition de l’établissement Saint-Menet, à Marseille".

Cette usine avait fermé le 31 janvier 2006. Elle a été ensuite reprise partiellement par Net Cacao, qui a réembauché 180 des 427 salariés.

Selon les syndicats, des "menaces" pèsent également sur les sites de Dijon (500 emplois), Quimperlé (Finistère, 200 salariés) et Challerange (Ardennes, 80 emplois).

Marc Laimé - eauxglacees.com