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L’Affaire Cristaline (2) : Qualité de l’eau, un déficit en forte croissance...

26 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La violente « guerre de l’eau » qui a brutalement opposé distributeurs et embouteilleurs au début du mois de janvier 2007, quelques jours à peine après l’adoption d’une loi sur l’eau attendue depuis huit ans, tout un symbole, intervient sur fond d’inquiétude croissante des consommateurs, qui s’interrogent, à raison, sur la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine.



Depuis plusieurs années les volumes d’eau potable distribués au robinet en France accusent une diminution de 1 à 2% chaque année. Les causes en sont multiples. Le prix de l’eau augmente, notamment à raison du coût considérable des actions qui doivent être engagées pour combattre la pollution des ressources en eau brute, dont la qualité se dégrade sans cesse. Il faut donc investir massivement, d’une part pour mettre en place des procédés de potabilisation de plus en plus sophistiqués, d’autre part pour assainir les eaux usées.

Du coup les « grands comptes », gros consommateurs d’eau, industriels, hôpitaux, collectivités…, diminuent fortement leur consommation. Les particuliers, sensibilisés par d’incessantes campagnes un rien culpabilisatrices apprennent les « bons gestes » : fermer le robinet quand on se lave les dents, préférer la douche au bain, et autres galéjades. Car ces « bons gestes », certes louables, n’ont en définitive qu’une incidence infime sur les consommations d’eau. En revanche les nouvelles générations d’appareils ménagers consomment nettement moins d’eau, là l’impact est plus directement sensible.

Résultat, à Paris par exemple, les volumes d’eau potable facturés en 2004 sont revenus à leur étiage de… 1954. Depuis 1990 les volumes d’eau potable distribués, et facturés à l’usager, à Paris, ont ainsi diminué de près de 30%.

Là où le bât blesse c’est que le financement des politiques publiques de l’eau et de l’assainissement est, pour résumer, essentiellement assuré par la taxation des volumes d’eau qui transitent dans les tuyaux, qu’il s’agisse de l’eau potable ou des eaux usées : consommation, part fixe ou abonnement et diverses redevances acquittées aux 6 Agences de l’eau pour la dépollution.

Dans le même temps, la consommation d’eaux en bouteille connaît depuis des années des taux de croissance à deux chiffres. Un vrai paradoxe. L’eau en bouteille est certes cent fois, deux cent fois, cinq cent fois plus chère que l’eau du robinet. Mais le consommateur doute. Il sait que l’eau est de plus en plus polluée, s’inquiète pour sa santé, n’aime pas le goût du chlore utilisé pour potabiliser l’eau du robinet…

De plus en plus fréquemment aussi des centaines de milliers de consommateurs français se voient imposer des interdictions temporaires de consommer l’eau du robinet : trop de nitrates, de pesticides… Quand des arrêtés d’interdiction se succèdent deux ou trois fois l’an, et que dans le même temps le montant de la facture ne cesse d’augmenter, la confiance s’effrite.

Du coup, côté embouteilleurs, on s’est précipité dans la brèche. Marketing aidant, l’eau en bouteilles se retrouve parée de toutes les vertus. Basiques : les produits d’entrée de gamme inondent les linéaires des supermarchés. Branchouilles : on se bouscule chez Collette pour acheter à prix d’or les élixirs réservés à l’élite qui acquiert ainsi son passeport de santé éternelle…

L’évolution des consommations respectives d’eau du robinet et d’eau en bouteille peut donc peu ou prou être corrélée à la perception que se font les consommateurs de la qualité sanitaire de l’eau qu’ils ingèrent. Là l’affaire se corse à raison de la regrettable opacité qui règne toujours en la matière. Une opacité qui trouve d’abord sa source dans les disparités croissantes qui affectent un service public de l’eau et de l’assainissement excessivement morcelé, puisque près de 15 000 services ou syndicats d’eau distribuent aujourd’hui de l’eau potable sur le territoire français, et plus de 17 000 s’occupent d’assainissement…

Que leur gestion soit directement effectuée par la collectivité ou confiée à un opérateur privé ne modifie pas radicalement la donne en matière de qualité sanitaire. En revanche cette qualité de l’eau distribuée va pouvoir varier considérablement sous l’effet de plusieurs facteurs. Ici la ressource en eau brute, de surface ou souterraine, sera peu polluée. On pourra donc se limiter à lui appliquer des traitements basiques conventionnels. Ailleurs la ressource sera fortement polluée et il faudra mobiliser des moyens considérables, techniques, et donc financiers, pour la rendre potable. Dès lors les collectivités, urbaines ou rurales, pauvres ou riches, ne sont pas à égalité face à ces défis. Les péréquations qui devraient permettre de les surmonter, notamment grâce à l’intercommunalité, ne fonctionnent pas toujours correctement, loin s’en faut.

Et surtout la marée invisible des pollutions de toute nature monte sans cesse. Riche ou pauvre, toute collectivité est désormais contrainte d’investir des sommes de plus en plus considérables pour y faire face, mais n’en a pas toujours les moyens. Sans compter que la construction d’une nouvelle unité de potabilisation, d’une nouvelle station d’épuration, la réalisation d’un projet d’interconnexion entre collectivités voisines, demande de 5 à 10 ans. Les consommateurs constatent donc que la qualité des eaux se dégrade de plus en plus et les enquêtes alarmistes qui se succèdent ne sont pas de nature à les rassurer.

Pollutions tous azimuts.

Cinquante à 75 % des eaux françaises sont fortement dégradées, sans même prendre en compte de nombreux polluants tels que les dioxines, phtalates, antibiotiques ou micro-algues toxiques, estimait un rapport du Muséum d’histoire naturelle publié le 6 juin 2005.

Cette étude portait pour la première fois à la connaissance du public les résultats des états des lieux réalisés en décembre 2004 par les Agences de l’eau dans les six grands bassins français, conformément à une législation européenne.

La directive-cadre sur l’eau du 23 octobre 2000 demandait en effet aux Etats membres de parvenir à un "bon état" de l’ensemble des eaux en 2015, et imposait un état des lieux au 22 décembre 2004.

Ce premier bilan national démontrait que, dans l’hypothèse la plus optimiste, moins de 50 % des eaux (superficielles et souterraines) du territoire métropolitain pourront atteindre le bon état écologique requis d’ici à 2015. Dans l’hypothèse la plus pessimiste, seulement un quart pourront atteindre le bon état écologique en 2015.

En effet, seulement 25 % des masses d’eau naturelles sont classées en "bon état probable", 25 % sont classées "à risque" et 23 % présentent un "doute". Soit les données sont absentes, soit celles existantes laissent planer des incertitudes. 27 % des eaux, qui ont été fortement modifiées par l’être humain, comme les lacs de retenue des barrages, sont classées à part.

Mais il y a plus. Pour l’équipe coordonnée par le professeur Jean-Claude Lefeuvre, ce bilan, déjà préoccupant, "est loin de refléter la réalité", car il ne prend pas en compte les micro-polluants tels que les produits pharmaceutiques, phtalates (présents dans les plastiques), retardateurs de flammes bromés, dioxines (cancérigènes), ou encore micro-algues toxiques, comme celles qui ont conduit à interdire pendant cinq semaines la vente des huîtres du bassin d’Arcachon en 2005.

Le bilan reposait essentiellement sur l’analyse du "couple infernal" nitrates/pesticides, soulignait le professeur Lefeuvre. Les nitrates proviennent des engrais et des déjections des élevages. Les pesticides sont utilisés essentiellement par l’agriculture pour combattre les insectes.

"On n’a pas mis en place les structures qui permettent de mesurer les autres polluants, cela implique des laboratoires performants, du matériel et de l’argent", estimait-t-il.

Une larme de pesticides, une pincée de micro-organismes et un doigt de nitrates : c’est donc le mélange peu ragoûtant que boivent quotidiennement près de 5 millions de Français. Jugée de "bonne qualité", selon la Direction générale de la santé (DGS), l’eau du robinet peut donc parfois présenter à long terme un risque sanitaire pour certains usagers.

L’eau du robinet est en général de "bonne qualité", mais encore trop de Français se voient distribuer une eau pas toujours conforme aux normes, confirmait à l’identique une étude de la Direction Générale de la Santé (DGS), établie à partir des 4,6 millions d’analyses d’eau réalisées chaque année pour le compte des directions départementales de l’action sanitaire et sociale (Ddass)..

Pesticides, micro-organismes et nitrates coulent donc trop souvent de nombreux robinets.

Cette étude publiée par le ministère de la Santé montrait que plusieurs millions de Français ont bien été alimentés en eau partiellement polluée, au moins une fois, en 2002 et en 2003.

Les pesticides apparaissent, une fois de plus, en tête de tableau. Sur les 369 pesticides recherchés, 332 ont été détectés dans l’eau distribuée au cours de la période 2001 à 2003. Pis, 59 pesticides étaient présents à une teneur supérieure à la limite de qualité au moins une fois entre 2001 et 2003.

De fait, 9 % de la population française a été alimentée en 2003 par une eau du robinet fortement chargée en pesticides. Parmi les 5,1 millions de personnes concernées par cette pollution, 164 000 ont subi en 2003 des restrictions de consommation d’eau pour des usages alimentaires, essentiellement dans l’Oise, la Seine-et-Marne et l’Eure-et-Loir. À long terme, l’ingestion répétée de ces polluants peut être à l’origine de cancers, de troubles nerveux ou de la reproduction.

De la même façon, 5,8 % des Français ont bu une eau chargée en micro-organismes potentiellement nuisibles pour la santé humaine. En effet, "Escherichia coli" et autres entérocoques présents dans l’eau du robinet peuvent être à l’origine de nombreuses maladies, dont les gastro-entérites. Les zones de montagne et celles faiblement peuplées sont les plus exposées à ce risque, car elles ne disposent pas systématiquement d’installations de traitement et de distribution d’eau de taille suffisante au regard des besoins de la population.

Les nitrates, d’origine agricole ou naturelle, ne sont pas en reste. Près de 5,65 % des installations de production d’eau présentaient des teneurs comprises entre 40 et 50 mg/l, soit la limite haute de qualité fondée sur les recommandations de L’Organisation mondiale de la santé (OMS) ! Là encore, les risques de cancer sont réels en cas d’ingestion longue et répétée.

Un bilan qui a de quoi faire pester les consommateurs au moment de payer leur facture d’eau... polluée ! En 2004, le prix de ce précieux liquide a augmenté en moyenne de 3,6 % et de 38 % en 10 ans.

Je m’emporte, je m’emporte. Heureusement que nos amis sénateurs veillent au grain ! Ils ont adopté le 23 janvier, il y a quelques jours, une proposition de loi qui vise à "donner à l’Etat des moyens de réaction rapide" en cas de crise sanitaire en créant un corps de réserve sanitaire.

Approbateur, le ministre de la Santé a insisté sur la nécessité "d’anticiper" pour "garantir la meilleure réactivité possible". Ce corps de réserve sanitaire doit être composé, nous informe La Gazette des communes, de "professionnels de santé, retraités ou en formation". Moi qui m’interrogeais sur le sort de notre ami Douste-Blazy, me voilà rassuré.

La déferlante de l’eau en bouteille.

Du coup la consommation d’eaux en bouteille concurrence désormais réellement l’eau distribuée au robinet, avec des conséquences environnementales longtemps sous estimées. C’est vrai en France, comme dans les autres pays industrialisés. L’eau en bouteille y est de plus en plus plébiscitée, par des consommateurs qui se défient de la qualité de l’eau distribuée au robinet, ou excipent de leur appétence pour la saveur, le goût ou l’odeur de l’eau en bouteille.

C’est tout aussi vrai au Sud, dans les pays pauvres, où il peut s’avérer moins dispendieux d’assurer l’alimentation en eau des couches privilégiées de la population en recourant à l’eau embouteillée, abandonnant du coup l’immense partie des populations paupérisées pour lesquelles on n’investira pas afin de leur permettre d’accéder à une eau potable saine.

Une étude publiée aux Etats-Unis par l’Earth Policy Institute soulignait qu’en 2004 la consommation mondiale s’est élevée à 154 milliards de litres, soit un quasi doublement par rapport à 1999. Même dans les pays où l’eau du robinet est saine, la consommation d’eau embouteillée augmente, avec pour corollaire un accroissement des déchets et de la consommation d’énergie. Or, si l’eau en bouteille n’est souvent pas plus saine que l’eau du robinet, dans les pays industrialisés, elle peut coûter jusqu’à 10 000 fois plus cher si l’on tient compte de l’énergie utilisée pour la mise en bouteille, les livraisons et l’éventuel recyclage des contenants.

Les USA étaient en 2004 les premiers consommateurs d’eau en bouteille avec 26 milliards de litres, soit un verre de 25 centilitres par jour et par personne. Si l’on considère la consommation per capita, les Italiens arrivent en tête avec 184 litres consommés en 2004. La France, forte de ses leaders mondiaux dans le secteur, se classe au 5ème rang avec 145 litres par personne. Cet attrait a également gagné les pays en développement, notamment l’Inde et la Chine, où la consommation a respectivement triplé et doublé sur la période 1999-2004.

Cet accroissement vertigineux a un coût, d’autant plus qu’un quart de la production mondiale est exportée, souvent sur de longues distances, avant d’être distribué aux consommateurs. Le pétrole, utilisé pour son transport, l’est également pour les contenants. Le polyéthylène téréphtalique (PET), qui entre dans la fabrication des bouteilles, équivaut à plus de 1,5 million de barils de pétrole par an, soit un volume qui permettrait à plus de 100 000 voitures de rouler pendant un an.

Au niveau mondial, la fabrication de bouteilles en PET requiert chaque année 2,7 millions de tonnes de ce plastique. Dont 85% se retrouve à la poubelle après utilisation pour être incinérées et dégager des vapeurs toxiques, ou finir dans une décharge avec une durée de vie supplémentaire d’un millier d’années...

Outre ces effets néfastes pour l’environnement, la surproduction conduit paradoxalement à un affaiblissement des réserves d’eau disponibles. C’est notamment le cas en Inde, où une cinquantaine de villages ont vu leur nappe phréatique se réduire anormalement alors que le groupe Coca-Cola l’utilisait pour produire son eau Dasani, qui était ensuite exportée.

Cette croissance fulgurante de la consommation d’eau embouteillée est d’autant plus critiquable qu’elle est fabriquée, dans 40% des cas, à partir de l’eau du robinet à laquelle ont été rajoutés des sels minéraux, pas toujours au bénéfice de la santé des consommateurs...

Marc Laimé - eauxglacees.com