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Kärcherisation du droit de l’environnement (6) : le grand théâtre d’ombres de la « responsabilité environnementale »

26 mai 2009

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Evidemment, pendant qu’on kärcherise, il faut impérativement, du même élan, ripoliner la façade, et multiplier bruyamment les engagements solennels en faveur de l’environnement, pour le plus grand bien des générations futures et des petits nenfants. Dans ce registre le ministère Borloo aura fait très fort, comme en atteste l’époustouflante saga de la loi sur la responsabilité environnementale (LRE), solennellement adoptée le 22 juillet 2008. A y regarder de plus près c’est ici que se dévoilent les fondements du « village Potemkine » du MEEDDAT...



Après les sénateurs le 10 juillet, les députés adoptaient définitivement le 22 juillet 2008 les conclusions de la Commission mixte paritaire (CMP), Assemblée-Sénat sur le projet de loi sur la responsabilité environnementale, qui inscrit dans le droit français ’’le principe pollueur-payeur’’, en vue de prévenir et de réparer les dommages environnementaux. 



Le texte, qui vise à prévenir et réparer les dommages à la nature causés par un site ou une activité industriels, était adopté par l’UMP et le Nouveau centre (NC), alors que le PS, les Verts et le PCF votaient contre ce projet de loi. 



Il a transcrit en droit français la Directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

A priori, on saluerait l’avancée. Les collectivités territoriales pourront désormais se porter partie civile en cas de pollution sur leur territoire et les pollutions marines seront punies plus sévèrement. Tout rejet d’hydrocarbures de la part d’un navire, quel que soit son type (hydroptères, aéroglisseurs, engins submersibles et engins flottants), sera puni de 50 000 d’euros d’amende. En cas de récidive, la sanction est relevée à 100 000 euros. Peines portées à dix ans d’emprisonnement et 15 millions d’euros d’amende pour les navires-citernes et les plates-formes, alors qu’elles n’étaient que d’1 million d’euros maximum auparavant. D’autre part, le rejet de substances nuisibles, solides ou liquides, transportées en colis ou conteneurs a également été renforcé, et sera désormais associé à une amende de 700 000 euros, contre 6000 euros auparavant. 



Le texte renforce également l’autorité des préfets, chargés de veiller au respect des obligations des exploitants de sites industriels susceptibles de provoquer une pollution, mais aussi le dispositif de protection de la faune et de la flore, en élargissant le champ des contrôles possibles sur les activités susceptibles de présenter un risque sur les sites Natura 2000. 



Le projet de loi transposait aussi plusieurs autres directives que la France n’avait pas encore transcrites, relatives à la pollution des navires, de l’air, l’ozone, et le marché européen des émissions de carbone. 



Dans un communiqué, M. Jean-Louis Borloo et Mme Nathalie Kosciusko-Morizet se félicitaient de l’adoption définitive du projet de loi.

« La responsabilité environnementale, c’est la reconnaissance que les acteurs économiques ne peuvent pas faire subir n’importe quoi à l’environnement sans avoir à réparer les dégâts dont ils sont à l’origine. L’adoption de ce projet de loi marque l’irruption du préjudice écologique dans notre droit, soulignait M. Jean-Louis Borloo. 


Condamnation européenne et transcription tronquée

Las, on apprendra quatre mois plus tard que la Cour de Justice des communautés européennes (CJCE), avait condamné la France, par arrêt du 11 décembre 2008, pour retard de transposition de notre directive… 



La LRE définitivement adoptée le 22 juillet 2008 transcrit en droit français la Directive européenne du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004.

Mais elle aurait due être transposée au plus tard le 30 avril 2007…

La Commission européenne a donc assigné le 26 juin 2008 neuf États membres, dont la France, devant la CJCE pour non-transposition de la directive. 



Plus grave, France Nature Environnement dénonçait dans un communiqué un texte adopté « dans la précipitation et transposant « a minima » la directive (qui) n’a pas suffi au gouvernement français pour échapper à cette condamnation de la juridiction européenne, qui a relevé dans sa décision qu’ ’’en ne prenant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive’’. 



Pour FNE, la transposition de la directive sur la responsabilité environnementale serait « loin d’être terminée » en droit français.

Et l’association de dénoncer, notamment, le renvoi de « certaines dispositions importantes de la directive » à des décrets ultérieurs, notamment concernant le rôle des associations de protection de l’environnement comme « lanceurs d’alertes »… 


Des inquiétudes largement justifiées puisque le Décret n° 2009-468 du 23 avril 2009 relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l’environnement, publié au Journal Officiel du 26 avril 2009, s’il permet la mise en œuvre d’un régime spécial de responsabilité environnementale, qui se juxtapose aux régimes de responsabilité existants, laisse sans réponse de nombreuses questions afférent à sa mise en œuvre concrète.

Le nouveau régime, qui concerne la prévention et la réparation des dommages à l’environnement, à l’exclusion des dommages aux personnes et aux biens, ne porte que sur trois milieux : les eaux, les sols, les espèces protégées et leurs habitats. 



Le texte de loi prévoit que constituent des dommages causés à l’environnement « les détériorations directes ou indirectes mesurables de l’environnement qui créent un risque d’atteinte grave à la santé humaine du fait de la contamination des sols, affectent gravement l’état écologique des eaux, ou le maintien ou le rétablissement des espèces ou de leurs habitats dans un état de conservation favorable. »

Si le décret apporte des précisions sur la notion de « gravité », son appréciation laisse la porte ouverte à toutes les interprétations…

La loi prévoit donc un régime de responsabilité, y compris en l’absence de faute ou de négligence de l’exploitant, pour une série d’activités professionnelles dont la liste est fixée par le décret.

Y figurent les installations IPPC ; collecte, transport, valorisation et élimination des déchets ; gestion des déchets de l’industrie extractive ; rejets dans les eaux soumis à autorisation préalable ; installations ou ouvrages soumis à autorisation au titre de la législation sur l’eau ; fabrication, utilisation, stockage, transformation, conditionnement, rejet dans l’environnement et transport sur site de produits chimiques, biocides ou phytopharmaceutiques ; transport terrestre, maritime ou aérien, manutention portuaire des marchandises dangereuses ou polluantes ; installations soumises à autorisation au titre de la directive 84/360 ; utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés soumis à agrément ; mise sur le marché et dissémination volontaire d’OGM ; mouvements transfrontaliers de déchets… 



La loi prévoit également un régime de responsabilité pour faute en cas de dommages causés aux espèces et habitats par une autre activité professionnelle que celles mentionnées ci-dessus. 



Contenant également des dispositions pénales, le décret punit d’une amende pouvant atteindre 1 500 euros le fait de ne pas communiquer au préfet les informations relatives aux mesures de prévention prises en cas de menace imminente de dommages, aux dommages eux-mêmes lorsque ceux-ci surviennent, et aux mesures de réparation prises le cas échéant.

Est puni de la même peine le fait de ne pas mettre en œuvre les mesures de réparation prescrites par le préfet.

Eu égard aux très prévisibles difficultés de mise en œuvre de ce nouveau régime de responsabilité, et aux contentieux qu’il va susciter, puisque l’on peut aisément parier que les opérateurs concernés ne vont pas manquer d’engager une véritable guerilla juridique devant les tribunaux, arguant de l’imprécision, avérée, des textes, on devra donc attendre que de nouveau textes, communautaires ou français, ou des circulaires du MEEDDAT, viennent clarifier la doctrine de l’administration.

Autant de temps gagné.

Mais l’essentiel est sauf. Les ministres ont pu clamer « urbi et orbi » que la France s’était dotée d’une législation « révolutionnaire », ce qui aura été le fondement de leur activité dans la période.

Kârcherisation du droit de l’environnement :

 Kärcherisation du droit de l’environnement (1) : les transactions et amendes forfaitaires en matière de police de l’eau

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (2) : la réforme du régime des « Installations classées pour le droit de l’environnement » (ICPE)

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (3) : la loi sur les risques industriels en carafe

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 mai 2009

 Kärcherisation du droit de l’environnement (4) : les enquêtes publiques flinguées par le « Plan de relance » ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (5) : chassez le naturel, il revient en pesticides…

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (6) : le grand théâtre d’ombres de la « responsabilité environnementale »

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (7) : la « conscience verte » du MEEDDAT

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2009

Kärcherisation du droit de l’environnement (8) : l’Europe en rajoute !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 29 mai 2009

Marc Laimé - eauxglacees.com