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L’Affaire Cristaline (1) : une guerre de l’eau française

26 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La « communauté française de l’eau » vient de voler en éclats. Distributeurs et embouteilleurs d’eau sont en guerre ouverte. Les enjeux du conflit sont considérables. Ils éclairent d’un jour cru la déliquescence d’une « gouvernance » inféodée à un mercantilisme effréné. Symbolique, cette crise témoigne de l’urgence d’une réforme radicale de la gestion de l’eau en France.



La ténébreuse affaire Cristaline, telle que nous l’ont contée les medias, une semaine durant, au début du mois de janvier 2007, dans un invraisemblable crescendo d’affirmations aussi bravaches qu’approximatives, ça revêt l’allure de « Oui-Oui au pays des sources magiques ».

Comme si Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy débattaient des enjeux de l’eau dans « l’Arène de France » de Stéphane Bern, l’infernal clown « vieille France » qui officie, hélas, sur une chaîne (dite) de service public.

Où l’on verrait l’une défendant la main sur le cœur, excellence environnementale oblige, la juste mobilisation des avatars de Désirs d’Avenir ayant muté en faiseurs de pluie au Kahalari dans « The Second Life », tandis que l’autre nous y vanterait les mérites de la Guilde des compagnons-sourciers du Tour de France auxquels son gouvernement accordera, bien sur, valeur travail oblige, des réductions de charge qui leur permettront d’irriguer nos belles campagnes. Le tout agrémenté par l’incontournable expertise de Jean-Marc Sylvestre, interviewé par Adriana Karembeu sur l’évolution des cours de bourse de Veolia, Suez, Danone et Nestlé.

J’exagère ? La « couverture médiatique » de l’Affaire Cristaline était de cet acabit.

Rarement débat touchant à des enjeux cruciaux pour la gestion d’une ressource vitale aura, non seulement travesti la réalité de manière aussi caricaturale, mais, plus grave, en aura occulté l’essentiel.

« Tempête médiatique dans un verre d’eau », titrait le quotidien Le Monde.

Excellent titre qui chapeautait un article aussi indigent que tout ce qui a paru dans la période sur le sujet. Quasiment un lapsus, n’en doutons pas totalement involontaire…

Notre affaire Cristaline, l’image qui conviendrait, c’est bien plutôt celle du Cartel de Tijuana (les distributeurs) qui vient de décimer une bonne partie des cadors de celui de Medellin (les embouteilleurs), à grand renfort de voiture piégée. Mais çà le quotidien de révérence n’allait pas s’aventurer à nous le conter par le menu…

Que nous ont donc raconté les medias ? Un marchand d’eau en bouteilles, Cristaline, filiale du groupe Neptune-Castel, lance le 8 janvier 2007 une campagne publicitaire particulièrement « trash ».

Sur 1400 panneaux, à Paris et dans sa banlieue, les trois « visuels » de ladite campagne de réclame, concoctés par la bien nommée Agence Business mettent en avant le prix élevé de l’eau du robinet, son mauvais goût, sa teneur en plomb, en nitrates et en chlore, ainsi que le fait qu’elle soit issue d’eaux usées, autrement dit des toilettes…

Ca fait désordre dans un paysage dans lequel on nous serine depuis des années que :

« l’eau est le bien le plus précieux, qu’il faut arrêter le robinet quand on se lave les dents pour que les petits nafricains qui nont soif ils aient des puits, et que le Pape, Iouri Gorbatchev, Bill Gates, Madame Mitterrand, et Michel Camdessus et Gérard Mestrallet, et Henri Proglio et José Bové et la Banque Mondiale (et ta mère !), ils disent des prières tous les soirs en trempant leurs doigts dans l’eau bénite pour qu’avec la coopération décentralisée des chanoines Oudin et Santini, y ait encore de l’eau pour le golf l’année prochaine à Marrakech »…

Comme on connaît tous le couplet par coeur, j’abrège.

Bon, c’est quoi Cristaline ?

Déjà y a un blème.

Je prends la bouteille par la gauche : le Christ.

Je la prends par la droite : Staline.

Ca commence bien.

Bon, Cristaline c’est un nom générique, une « ombrelle » qui symbolise la provenance du contenu. En l’espèce 17 sources différentes. Huit d’entre elles, dans les moitiés Sud et Est de la France appartiennent à la famille Castel. Les autres, implantées dans le Nord et l’Est, sont la propriété de Roxane, une société familiale détenue par M. Pierre Papillaud, figure emblématique, jusqu’alors méconnue, de notre ténébreuse affaire. Roxane et Castel se sont associées au sein d’un Groupement d’Intérêt Economique (GIE), pour exploiter lesdites sources, sous la marque (tous en chœur !) Cristaline.

Ces eaux de source, non gazeuses, de goût et de composition variables, sont donc à l’origine de la véritable « success-story » de Cristaline, dont l’insolente prospérité est bien évidemment au fondement de notre ténébreuse affaire.

Car Cristaline, en l’espace de quelques années, est devenue l’eau la plus vendue en France. On la trouve dans le moindre magasin, et vous en verrez de même d’épouvantables stocks dans tous les supermarkets. Neptune et Castel ne manquent pas une occasion de nous assurer, main sur le cœur, qu’elle est absolument polyvalente, et qu’on peut sans souci aucun l’utiliser pour préparer les biberons. En revanche le contenant, la bouteille d’un litre et demi, est toujours le même.

Voilà donc un duo de magiciens qui nous garantissent une qualité uniforme d’une eau puisée dans 17 sources différentes. Là c’est carrément plus fort que Benveniste, on devrait leur décerner une médaille du CNRS.

Bon, ils n’en ont pas grand chose à faire.

La prospérité de la petite entreprise familiale de M. Papillaud, Roxane, suffit à son bonheur.

Quant à la famille Castel, qui possède aussi les eaux Saint-Yorre et Vichy-Célestins, ainsi que la bière 33 Export, elle figure, aux côtés de 33 autres ressortissants francais, "réfugiés fiscaux" en Suisse, au rang des 300 plus grosses fortunes helvétiques, avec un patrimoine estimé à un milliard d’euros. Ah que Johnny à côté, c’est franchement de la rigolade.

On a déjà compris que Cristaline ce n’est pas de la petite bière.

Mais quelle mouche a donc piqué nos amis Papillaud et Castel, au mois de janvier, juste après les fêtes, et les a conduits à s’aventurer à débiner en des termes positivement odieux l’eau du robinet ? Mystère. Si comme moi vous avez lu les journaux et regardé la tévé, je ne suis pas sur que vous en sachiez beaucoup plus.

Cette campagne, bon vous l’avez déjà vu partout, on ne va pas remettre çà, est immédiatement qualifiée de scandaleuse par la verte pédégère d’Eau de Paris, qui part illico dès le 11 janvier en grande croisade médiatique contre une entreprise, maléfique, qui attaque odieusement le service public de l’eau.

Instantanément la machine s’emballe : communiqués, conférences de presse, AFP, radios, télés…, c’est parti. Une myriade d’associations de défense de l’environnement monte au créneau, stigmatisant les dégâts qu’occasionnent à l’environnement les milliards de bouteilles en plastique que commercialisent les embouteilleurs.

La mayonnaise prend si bien que la ministre de l’Ecologie et du développement durable, Mme Nelly Olin, interrogée le mercredi 17 janvier « en marge de la présentation de ses vœux à la presse », fait part de son courroux. On respire, à quoi on aurait eu droit si elle n’avait pas été interrogée « en marge de ses vœux », à des Exocets ?

Puis M. Bertrand Delanoe, maire de Paris, annonce le 19 janvier que la mairie va s’associer à la plainte que va déposer Eau de Paris contre Cristaline.

Fin de la séquence médiatique.

On ne saura pas pourquoi Cristaline a décidé de lancer sa « scandaleuse » campagne d’affichage juste à ce moment là.

On ne saura pas ce qu’il faut penser des accusations que se jettent à la tête les protagonistes du psychodrame : « Ah que, moi mon eau elle est plusse bonne pour les petits nenfants ! Ah que c’est pas vrai, ton eau elle est dégoûtante,… ».

On ne saura rien, même pas ce qu’en pensent Nicolas Hulot, Dominique Voynet, Corinne Lepage ni José Bové ! C’est vous dire que dans le genre débat de société on est acagnardé au fin fond du préau de l’école, à l’heure où CNN éditorialise sur la « bravitude » de Sœur Sourire au pied de la Grande Muraille…

Pendant ce temps là chez Veolia, Suez, et au Sedif, le Syndicat des eaux d’Ile-de-France, c’est peu dire qu’on se frotte les mains.

Ils attendront prudemment le 18 janvier pour se manifester, sous forme de communiqués aussi lénifiants que jésuites.

On les comprend.

Nos amis, mal en point depuis un moment, viennent de se remettre en selle sans coup férir.

Merci Cristaline !

A suivre :

L’affaire Cristaline (2) : Qualité de l’eau, un déficit en forte croissance.

L’affaire Cristaline (3) : Le bras de fer distributeurs-embouteilleurs.

L’affaire Cristaline (4) : L’offensive du cartel.

L’affaire Cristaline (5) : Le point de vue d’un médecin.

L’affaire Cristaline (6) : Paysage après la bataille.

A SONG :

Debout devant le zinc

Marc Laimé - eauxglacees.com