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LEMA (10) La nouvelle politique de l’eau : une "gouvernance" aux airs de balkanisation

18 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

A quelques mois d’échéances électorales décisives, quinze jours à peine après que députés et sénateurs aient feint d’enterrer la hache de guerre, autorisant la promulgation in extremis de la Loi sur l’eau le 30 décembre 2006, plusieurs faits marquants survenus en rafale en l’espace de quelques jours dans la sphère de l’eau témoignent que la fameuse gouvernance française du secteur menace de défaillir sous l’effet d’une entropie croissante.



Le parcours parlementaire cahotique de la LEMA, qui faisait craindre à d’aucuns et espérer à d’autres qu’elle ne soit jamais adoptée, avait conduit in extremis le Premier Ministre, convaincu, à juste titre, que l’Assemblée nationale et le Sénat ne parviendraient décidément pas à s’accorder sur l’ensemble des dispositions débattues, à la renvoyer devant une Commission mixte paritaire (CMP) le 19 décembre.

Après deux lectures dans chaque assemblée, à défaut d’accord, une CMP composée de 7 députés et 7 sénateurs peut en effet être réunie à la demande du Premier Ministre, afin de trancher les dispositions restant en discussion. Chacune des deux assemblées examine puis vote le texte élaboré par la CMP. En cas d’échec de la CMP, ou de rejet de son texte de compromis, une nouvelle lecture peut être effectuée par chaque assemblée. Après cette nouvelle lecture, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement.

Le projet de loi issu des travaux de la CMP a donc été adopté in extremis par l’Assemblée nationale et le Sénat le 20 décembre 2006, la « communauté de l’eau » étant tétanisée par le risque de voir voler en éclats le calendrier de mise en œuvre de la DCE, avec les astreintes financières colossales qu’imposerait dès lors la Commission à la France, et qui seraient ponctionnées dans la trésorerie des Agences. Sauf qu’en la matière la partie est loin d’être gagnée…

Quoiqu’il en soit, le projet soumis à l’issue de la réunion de la CMP n’a pas fait l’unanimité, loin s’en faut.

A l’Assemblée, comme prévu, la gauche s’est abstenue. Et le projet n’y a été adopté que par 58 votants. Sur 58 suffrages exprimés, 50 députés ont voté en faveur de la loi, et 8 contre. C’est dire la mobilisation des députés…

Au Sénat en revanche, forte mobilisation et peu d’abstentions. Mais les partisans du texte ne l’ont emporté que d’une très courte tête. Sur 321 suffrages exprimés, 171 sénateurs votaient le texte, mais 150 le refusaient. C’est dire l’ampleur des désaccords subsistant à l’issue du marathon législatif qui vient de se clore.

Notre fameuse LEMA l’a échappé belle. Quoique.

On aurait pu imaginer une pause, mise à profit pour tenter de peser discrètement sur la rédaction des très nombreux décrets et arrêtés d’application, qui détermineront la portée effective des dispositions-clés de la LEMA.

Il n’en est rien. Sitôt close la trêve des confiseurs, la « gouvernance » s’emballe et témoigne d’une inquiétante entropie.

Un Comité national de l’eau volcanique.

Le Comité national de l’eau devait examiner dès le lundi 15 janvier 2006 plusieurs textes d’application de la LEMA. Et notamment un projet de décret relatif à la création de l’ONEMA (Office national de l’eau et des milieux aquatiques), dont le contenu précis déterminera dans quelle mesure les Agences et Comités de bassin vont, ou non, conserver la marge d’autonomie qui était la leur depuis leur création effective en 1966.

Les très nombreux opposants à la création de l’ONEMA n’ont eu de cesse de dénoncer une « renationalisation » rampante de la politique de l’eau, et « l’agenda caché » du MEDD.

Le MEDD se déchargerait de plus en plus clairement d’une part notable de ses missions régaliennes, financées par le budget général de l’Etat. Et les transférerait à une myriade « d’opérateurs », dont on compte déjà une trentaine aujourd’hui. L’efficience du systême étant sujette à critique, notamment à raison de la multiplicité des tutelles exercées sur ces fameux opérateurs, qui prive peu ou prou le MEDD d’un contrôle réel sur l’ensemble du dispositif.

Agences, Comités de bassin et collectivités locales s’inquiètent donc, et de voir diminuer leurs capacités d’intervention financières, puisque la redevance va devoir financer de nouvelles missions, via l’ONEMA, et de se voir imposer, pour les Agences, une nouvelle tutelle qui ne dit pas son nom, par le biais des missions territorialisées de l’ONEMA…

On comprend mieux, rétrospectivement, qu’un amendement déposé au Sénat ait tenté de porter à 50% la représentation des collectivités au sein des Comités de bassin, amendement qui avait été rejeté par le Gouvernement…

La réunion du CNE s’annonçait d’autant plus mouvementée que les documents transmis le 22 décembre aux Agences ne comportaient que le projet de décret ONEMA et celui sur la transaction pénale (police de l’eau). Alors que l’ordre du jour prévoyait l’examen d’autres projets d’arrêtés, notamment pour la contribution des agences au financement de l’ONEMA, et pour la répartition des dépenses du 9e programme de chaque agence de l’eau, par domaine.

Premier différend, l’argent.

En vertu de l’article 82 de la LEMA, l’application des critères de « potentiel économique » et « d’importance de la population rurale », qui doivent déterminer les montants respectifs de participation financière des 6 Agences au financement de l’ONEMA, fixé à 108 millions d’euros annuels, avaient dans un premier temps conduit le MEDD à arrêter la participation de l’AESN à plus de 50% du total…

Crise de nerfs à Seine-Normandie, qui monte immédiatement au créneau avec l’appui de M. André Santini, dénonce l’application « sans discernement » des critères établis par l’article 82, et obtient de Mme Olin et de la Direction de l’Eau un arbitrage « délicat et difficile », qui ramène la participation de Seine-Normandie à 39,5%...

On voit déjà que le « mythe fondateur » de la solidarité inter-agences, et que les admirables concepts de subsidiarité et de gouvernance volent brutalement en éclat…

La meilleure preuve en est qu’à la veille du Comité national de l’eau, l’AESN mobilise tous les acteurs de Seine-Normandie devant y sièger.

En soulignant fortement : « (…) qu’il convient, donc, aux membres du Comité de bassin Seine-Normandie présents au CNE du 15 janvier, d’être très vigilants sur toute intervention qui conduirait à remettre en cause cet arbitrage, notamment au détriment du bassin Seine-Normandie (Il ne faut attendre, sur ce sujet, aucun soutien des autres bassins, bien au contraire) ».

Atmosphère, atmosphère…

C’est par le biais d’une note de la Sous-direction territoriale, de la directive-cadre et de la pêche – Bureau des Agences de l’eau, en date du 9 janvier 2007, que les Agences vont découvrir par le menu à quelle sauce elles vont être accomodées, sous l’effet d’un « Projet d’arrêté relatif à la contribution des agences de l’eau à l’ONEMA :

« La loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 prévoit en son article 82 :

« V. – L’agence de l’eau contribue financièrement aux actions menées par l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques mentionné à l’article L. 213-2. Le montant de cette contribution est fixé par arrêté conjoint des ministres chargés de l’environnement et des finances. Il est calculé en fonction du potentiel économique du bassin hydrographique et de l’importance relative de sa population rurale. »

Cela résulte de l’amendement n° 84 adopté au sénat et présenté par M. Pierre Jarlier :

« D’autre part, et surtout, il prévoit que cette contribution est calculée sur la base du potentiel économique du bassin hydrographique et de l’importance relative de sa population rurale.

Il permettra ainsi d’assurer une péréquation entre les agences de bassin - qui ne disposent pas toutes des mêmes ressources -, non pas par une augmentation des dépenses de l’ONEMA, ce qui aurait contribué à alourdir les contraintes de gestion de cet établissement, mais par une modulation du prélèvement opéré à son profit sur les recettes de chaque agence. »

Le Conseil d’Etat et la Cour des Comptes avaient critiqué la clé de répartition actuelle entre agences, car elle se référait à des chiffres anciens (basée sur 1/3 population et 2/3 sur le montant des 7° programmes) et faisait référence au montant de redevances voté par bassin. Ainsi, un bassin qui votait volontairement des taux plus faibles que ses voisins contribuait ainsi moins à la solidarité inter-bassin.

Ceci avait été également souligné dans le rapport Flory (page 100), qui contestait le fait que la solidarité inter-bassin doive dépendre du caractère plus ou moins intensif de l’effort contributif d’un bassin par rapport à un autre.

La clé de répartition qui vous est présentée prend en compte ces critiques et est calculée en fonction du potentiel économique du bassin hydrographique et de l’importance relative de sa population rurale. Elle a été élaborée en concertation avec les présidents de Comité de bassin et vise à une application effective de la volonté du législateur sans pénaliser trop lourdement les bassins les plus urbains.

Le potentiel économique est déterminé par un indicateur mixte qui prend en compte pour 80 % la part du revenu fiscal des ménages 2003 de chaque bassin et pour 20 % le PIB 2005. Cet indicateur permet de mesurer la « richesse » du bassin, sachant que les usagers contribuent pour 80 % aux redevances des agences, et les activités économiques pour 20 %. Il est réalisé à partir des données les plus récentes produites par l’INSEE.

Il n’est pas possible de ventiler directement une partie de la contribution à l’ONEMA en fonction de la ruralité du bassin. Cela ne serait pas cohérent et pénaliserait fortement les petits bassins. Une éventuelle répartition en fonction de la population urbaine s’éloignerait du texte de la loi et, de plus, correspondrait à un résultat proche de celui du PIB. Ce serait donc contraire à la volonté du législateur.

L’importance relative de la population rurale est donc prise en compte par un coefficient linéaire par rapport à l’importance relative de la population rurale, et limité à 115 % pour le bassin le plus urbain (Seine-Normandie). On obtient ainsi la clé de répartition en calculant le produit de ce coefficient et du potentiel économique. Le tableau suivant donne le détail des calculs par bassin. »

Résultat des courses, le montant des contributions financières des Agences au fonctionnement de l’ONEMA est fixé comme suit :

Agence de l’eau Adour-Garonne……………... 9 080 000 €

Agence de l’eau Artois-Picardie…………….…. 7 600 000 €

Agence de l’eau Loire-Bretagne…………….… 16 330 000 €

Agence de l’eau Rhin-Meuse…………………… 6 420 000 €

Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse 25 910 000 €

Agence de l’eau Seine-Normandie…………… 42 660 000 €

Ce n’est pas tout.

Si les Agences s’affrontent pour défendre leur cagnotte, elles se retrouvent en revanche pour défendre bec et ongles leurs prérogatives…

Coup de chapeau au directeur de l’Agence Adour-Garonne qui a rédigé dans l’urgence une note qui a vite fait consensus auprès de ses collègues, et qu’il s’est empressé de transmettre aux représentants d’Adour-Garonne au Comité national de l’eau, avant sa réunion du 15 janvier…

M. Vincent Frey y détaillait longuement les points de discorde entre les Agences et le MEDD, relativement aux missions de l’ONEMA :

« L’article 2-§ 1, reprend la rédaction de la LEMA, mais recoupe pour une bonne part le libellé de mission des agences de l’eau. Dans le cas de l’ONEMA, il est spécifié : « au niveau national ». Ce point aura cependant une certaine importance lorsque l’on traite de la mise en œuvre des missions de l’ONEMA au niveau territorial (art.15 et 16). De ce fait, il conviendrait de préciser au 2.1 : « sans préjudice des missions et orientations prioritaires attribuées aux agences de l’eau, au titre des articles 35 et 36 de la LEMA ». Cela précise la portée du texte de loi sans l’amoindrir (application cohérente), et lève tout malentendu ultérieur quant aux missions dévolues aux services territoriaux de l’ONEMA. »

On voit bien ici que les Agences redoutent de se voir imposer une tutelle et perdre de leur autonomie, au bénéfice de l’ONEMA, bras armé de l’Etat, financé par la redevance (108 millions d’euros par an pour commencer), prélevés sur la trésorerie des Agences…

Et de poursuivre :

« A l’article 2-§ 2, il convient de faire remarquer que la mission de « connaissance » est également portée par les agences de l’eau (réseaux de mesures), bien que cela ne soit pas spécifié dans la LEMA, si ce n’est indirectement par la « mise en œuvre du SDAGE ». Ceci a une importance pour traiter de l’alinéa 4 de cet article. »

« L’article 2-§ 4, dans sa dernière phrase, prévoit que l’ONEMA peut associer des collectivités territoriales au système d’information. C’est le texte même de la LEMA, mais sans précisions au niveau du décret, la confusion risque de s’installer. En effet de tels conventionnements s’établissent déjà au niveau des Bassins, entre collectivités et agences, dans le cadre de réseaux complémentaires ou d’observatoires locaux.

On devrait donc mentionner en fin de ce paragraphe : « directement ou par l’intermédiaire des agences de l’eau, opératrices du système d’information sur l’eau au niveau des Bassins ». La distinction pourra ensuite s’opérer selon les domaines de compétences et les conventions mentionnées à l’article 18. Une autre possibilité serait de préciser, pour le cas de l’ONEMA, des domaines spécifiques non superposés à ceux déjà traités par les agences, mais cela paraît difficile à ce stade car cela conduirait à limiter les marges de manœuvre et les évolutions relevant des pouvoirs normaux du CA. »

Ici pointe le spectre du chantier du futur Système d’information sur l’eau (SIEau), qui doit harmoniser tous les systèmes de mesure existants, aujourd’hui un bazar épouvantable, et là encore les Agences veulent défendre leurs prérogatives, face au BRGM, aux DIREN, etc… L’enjeu ? Savoir qui aura le pilotage du futur système de mesures national. Si on contrôle la mesure, on oriente tous les programmes…

Vient ensuite un passage mi-chèvre mi-chou qui éclaire d’un jour singulier la réalité de l’exercice du pouvoir au sein des différentes instances décisionnelles de l’eau :

« A l’article 4, il convient de souligner un aspect positif avec la participation au CA des six directeurs d’agences de l’eau, dispositif à maintenir fermement car cela devrait assurer (et rassurer) une collaboration renforcée entre ONEMA et agences, mais aussi la bonne répartition des rôles de manière concrète et pratique. En ce sens, la participation des directeurs est de nature à maintenir un lien plus direct que si l’on avait eu recours aux présidents de CA. On notera que la ligne de partage théorique des représentations au CA de l’ONEMA donnerait un pouvoir prépondérant à l’Etat (9 ministères + 6 agences + Président), face à 14 « élus et usagers » (les offices de l’eau étant des émanations des collectivités des DOM). Cependant, même si au moment de certains votes les représentants de la sphère Etat seront certainement unanimes, dans les phases de débat les directeurs d’agence se feront aussi l’écho de leurs instances de Bassins. »

Avant de repartir crescendo sur le point qui titille les Agences :

« L’article 16, où l’on évoque (sans les préciser) les compétences attribuées aux délégués régionaux ou interrégionaux de l’ONEMA, illustre la difficulté soulignée ci-dessus, à l’article 2 § 1. Comme cela a déjà été signalé à la Ministre par les Présidents de CB, il est hors de question que ces délégués ne se transforment peu ou prou comme exerçant une tutelle technique sur les agences de l’eau. Ce n’est sans doute pas dans les intentions du MEDD, mais le décret doit inscrire clairement les orientations pour l’avenir. Si le complément de rédaction proposé au 2 § 1 n’était pas retenu, il faudrait donc le faire réinsérer à la fin de la première phrase de l’article 16. »

« Enfin, le principe de conventions généralisées, porté à l’article 18, va dans le bon sens. Pour assurer la meilleure transparence vis-à-vis des instances de bassins, mais aussi la cohérence au sein du service public de l’environnement (Etat et établissements publics), il conviendrait de soumettre ces conventions à l’aval du CA de l’ONEMA. De ce fait, par parallélisme des formes, elles seront aussi soumises à l’approbation des CA des établissements concernés. On pourrait donc proposer, à la fin de l’article 18, une phrase du type : « Ces conventions seront soumises à délibération du CA. » (CA de l’ONEMA). »

Le diable gît dans le détail, et on sent bien nos directeurs d’Agences légèrement paranos. Normal, ils ont compris qu’ils devraient plus que jamais exécuter les directives du MEDD, même contre leurs instances de bassin… Toujours la même obsession de ne pas se voir mettre en place une nouvelle « chaîne de commandement » pilotée par le MEDD, via l’ONEMA, qui rogne leurs prérogatives…. Sauf qu’en gros le combat est déjà perdu… Comme en atteste la chute du document :

« Pour le reste, ces précautions étant prises, il reviendra aux instances de Bassins de s’assurer que la répartition des missions et des tâches confèrera à cette étroite collaboration les vertus de la synergie plutôt que les défauts de la cacophonie. »

Qu’en des termes exquis ces choses-là sont dites…

Bilan ?

La Direction de l’eau mène la danse. Les Agences s’étaient portées pâles au CNE, hormis Adour-Garonne qui s’est battue pour l’honneur, et Daniel Marcovitch, à l’identique pour l’AESN. On sent que dans la période les directeurs d’Agence, qui sont ceux qui décident de tout, se tiennent à carreau car ils ne savent pas ce qu’ils seront demain.

Le poids de la Direction de l’Eau est de plus en plus évident, et l’ONEMA est bien partie pour devenir la « super Agence » qui viendra coiffer les autres.

La « réforme » va encore minorer le poids des consommateurs domestiques dans la gouvernance de l’eau française. Ils n’en continueront pas moins à financer l’essentiel des politiques publiques, dans des proportions exorbitantes.

Les quelques grandes associations de défense de l’environnerment, financièrement exsangues, font elles aussi profil bas…

La camarilla des élus de droite qui dénonçaient à hauts cris une prétendue « étatisation » des Agences sous le ministère Voynet ont peut-être irrémédiablement mis à mal le dispositif créé par la loi de 1964…

Les redevances sont bel et bien devenues un impôt dont l’usage n’est plus lié à un service rendu aux contributeurs. Elles viendront s’ajouter au budget de la direction de l’eau à travers l’ONEMA.

De profundis.

Balkanisation et autarcie.

Comme si cela ne suffisait pas, le même jour, 15 janvier 2006, 65 députés UMP (davantage à eux seuls que leurs 58 collègues qui ont voté la LEMA !) déposent à l’Assemblée nationale une proposition de loi, enregistrée préalablement à la Présidence de l’Assemblée dès le 30 novembre 2006, « visant à encourager l’installation d’un système de récupération et de traitement des « eaux grises », grâce à l’instauration d’un crédit d’impôt, et « pour faciliter la récupération des eaux pluviales » …

Etonnant, après des années de débats furieux, isn’it ?

Pas vraiment à parcourir l’exposé des motifs :

« La présente proposition de loi vise à attribuer un crédit d’impôt afin d’inciter les particuliers à installer des systèmes de récupération et de traitement des eaux grises.

La réutilisation de ces eaux issues des receveurs des douches et baignoires pour l’usage des chasses d’eau des sanitaires est une solution qui présente de multiples avantages. Outre qu’elle permet un second usage des eaux en provenance des réseaux, elle amplifie davantage encore l’intérêt de la récupération des eaux pluviales. Elle permet de sauvegarder 30 % de notre consommation d’eau potable.

Cette solution résout par ailleurs le point faible des eaux pluviales qui sont rares au printemps et en été alors que les besoins en consommation d’eau sont à leur maximum.

La récupération des eaux grises est donc complémentaire à la récupération d’eaux pluviales à travers d’incontestables avantages :

– dans des régions où les précipitations pluviales sont faibles et pendant les périodes de sécheresse,

– sur le plan de la facilité de mise en œuvre des systèmes de récupération dans les zones urbanisées pour des appartements neufs comme en rénovation,

– sur le plan de la maîtrise de la qualité sanitaire : après traitement elle peut répondre aux critères d’eaux de baignades alors que les dernières épidémies de grippe aviaire démontrent
que la qualité des eaux pluviales n’est pas forcément garantie et maîtrisable.

C’est pourquoi il convient d’inciter les particuliers à installer des systèmes de récupération et de traitement des eaux grises pour une utilisation domestique.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qui vise à attribuer un crédit d’impôt, à hauteur de 40 % de la dépense occasionnée, à l’image des aides existantes pour le traitement des eaux de pluie, les installations de chauffe-eau et chauffage solaires.

Tel est l’objet, Mesdames, Messieurs, de la présente proposition de loi que je vous prie de bien vouloir adopter. »

Il en découle ensuite, logiquement, une :

« PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article 200 quater A du code général des impôts, il est inséré un article 200 quater-0 B ainsi rédigé :

« Art. 200 quater-0 B. – 1. L’installation par un contribuable à son domicile situé en France d’un système de récupération et de traitement des eaux grises ouvre droit à un crédit d’impôt. Il s’applique aux coûts des équipements de récupération et de traitement des eaux ainsi que des travaux nécessités pour leur installation.

« 2. Un arrêté du ministre chargé du budget fixe la liste des équipements, matériaux, appareils et la nature des travaux ouvrant droit au crédit d’impôt. Il précise les caractéristiques techniques et les critères de performances minimales requis pour bénéficier du crédit d’impôt.

« 3. Le crédit d’impôt s’applique au titre de l’année du paiement de la dépense par le contribuable.

« 4. Pour une même résidence, le montant des dépenses ouvrant droit au crédit d’impôt ne peut excéder la somme de 8 000 € pour une personne célibataire, veuve ou divorcée et de 6 000 € pour un couple marié soumis à imposition commune. Cette somme est majorée de 400 € par personne à charge au sens des articles 196 à 196 B. Cette majoration est fixée à 500 € pour le second enfant et à 600 € par enfant à partir du troisième. Les sommes de 400 €, 500 € et 600 € sont divisées par deux lorsqu’il s’agit d’un enfant réputé à charge égale de l’un et l’autre de ses parents. Pour l’application de ces dispositions, les enfants réputés à charge égale de chacun des parents figurent prioritairement dans le décompte des personnes à charge.

« 5. Le crédit d’impôt est égal à 40 % du montant des équipements neufs et des travaux réalisés pour l’installation du système de récupération et de traitement des eaux grises.

« 6. Les équipements, matériaux, appareils et travaux mentionnés au 2 s’entendent de ceux figurant sur la facture d’une entreprise ou, le cas échéant, des équipements figurant sur une attestation fournie par le vendeur ou le constructeur du logement.

« Le crédit d’impôt est accordé sur présentation de l’attestation mentionnée à l’alinéa précédent ou des factures, autres que les factures d’acompte, des entreprises ayant réalisé les travaux et comportant, outre les mentions prévues à l’article 289, l’adresse de réalisation des travaux, leur nature ainsi que la désignation, le montant et le cas échéant, les caractéristiques et les critères de performances mentionnés à la dernière phrase du 2, des équipements, matériaux, appareils et travaux effectivement réalisés.

Lorsque le bénéficiaire du crédit d’impôt n’est pas en mesure de produire une facture ou une attestation mentionnant les caractéristiques et les critères de performances conformément à l’arrêté mentionné au 2, il fait l’objet, au titre de l’année d’imputation et dans la limite du crédit d’impôt obtenu, d’une reprise égale à 40 % de la dépense non justifiée.

« 7. Le crédit d’impôt est imputé sur l’impôt sur le revenu après imputation des réductions d’impôt mentionnées aux articles 199 quater B à 200 bis, des crédits d’impôt et des prélèvements ou retenues non libératoires. S’il excède l’impôt dû, l’excédent est restitué. »

Article 2

« Les pertes de recettes pour l’État qui résultent de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par l’institution d’une taxe additionnelle aux droits prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts. »

Récapitulons.

Après avoir joyeusement flingué la proposition ardemment défendue par le Sénat et les collectivités locales d’instaurer un financement optionnel de la gestion des eaux pluviales, et du s’incliner sur ce point in extremis en CMP, un bataillon de députés UMP – et l’on regrette d’y compter Mme Nathalie Kosziusko-Morizet que l’on a connu mieux inspirée -, remonte à l’assaut pour promouvoir une invraisemblable usine à gaz, qui ferait certes les délices de Veolia et Suez, et signe l’assomption du régime autarcique auquel semblent décidément promis les usagers du service public de l’eau…

J’installe un équipement de traitement des « eaux grises » à la maison, que j’acquiers chèrement auprès de l’une ou l’autre de nos Trois Sœurs bien aimées. Ce faisant j’allège le montant de mes impôts. Le tout étant compensé par le budget de l’Etat par une taxe sur les « tabacs et allumettes ». Toujours ça de pris et ç’est bon pour le développement durable, çà coco. Mais encore ? Usager-citoyen-responsable-durable (fan de Nicolas Hulot, au moins jusqu’au 22 janvier), je participe dès lors ce faisant au grand œuvre national en « allégeant » la facture du traitement des eaux pluviales.

A pleurer. La proposition soutient en outre qu’elle contribuera de la sorte à promouvoir un « second usage » des eaux usées, et permettra de surcroît de « sauvegarder 30% de notre consommation d’eau potable ».

J’aperçois d’ici les corsaires de Cristaline qui se frottent les mains, Bernard Barraqué qui tombe de vélo en se rendant aux studios de France-Culture, et Maurice Ouzoulias, président du SIAPP, qui va finir à ce régime par organiser une manifestation avec André Santini place du Colonel Fabien…

La seule chose relativement sure dans la période demeure que le pire est encore à venir.

Ca n’a pas manqué.

L’assomption du « re-use ».

Répondant le mardi 16 janvier 2006 lors de la séance matinale à l’Assemblée à la question orale d’un député concernant la réglementation relative au recyclage des eaux usées, la ministre de l’Ecologie et du développement durable, Mme Nelly Olin, indique que les seules références concernant le traitement des eaux usées domestiques sont des recommandations relatives à l’utilisation après épuration des eaux usées pour l’irrigation des cultures et des espaces verts, émises en 1991 par le Conseil supérieur d’hygiène publique et inspirées de celles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La réglementation dans ce domaine n’a donc pas été finalisée. Un arrêté à ce sujet a été préparé par les services du ministère chargé de la santé, qui a sollicité l’avis de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), dont le rapport n’a pas encore été rendu.

Sachant que le « re-use » est le nouveau Walhala de nos Trois Sœurs, on imagine déjà que les bouchons de champagne ont commencé à sauter dans les staffs de nos multinationales, si durement éprouvées dans la période qu’elles en sont réduites à quémander des articles de complaisance au Figaro, ultime support qui se prête encore avec longanimité à la défense et illustration de la gestion déléguée, quoique très maladroitement en l’espèce, mais là n’est pas la question du jour…

L’échange de Mme Olin avec le député Mourrut mérite, nous semble-t-il, de demeurer inscrit, non dans le marbre, mais dans l’hyperespace numérique, qui en a certes vu d’autres.

Plus sérieusement, il dessine clairement l’horizon des "nouvelles frontières" de la gestion de l’eau.

Un modèle à bout de souffle, des lobbies tout puissants, le refus absolu de toute remise en cause, la fuite en avant dans des logiques qui nous précipitent sans recours vers de véritables catastrophes environnementales.

« Vous n’avez plus de pain, mangez de la brioche »

« Vous n’avez plus d’eau, ré-utilisez les eaux usées »

La famille Castel, propriétaire de Cristaline, lovée de longue date sur son tas d’or en Suisse, peut commander sa prochaine campagne d’affiches et Anne Le Strat, pédégère d’Eau de Paris, se préparer à camper dans les studios de télévision, ce qui ne manquera pas de rendre « furax », non pas Clémentine Autain mais Mme Myriam Constantin, adjointe (PS) au maire de Paris en charge de l’eau et de l’assainissement, qui entretient les meilleures relations « sororales » avec notre verte pédégère…

Mais oyez plutôt la catastrophique saga à venir du « re-use ».

Nous sommes à l’Assemblée, le mardi 16 janvier :

« M. Étienne Mourrut :

 Face à une demande croissante en eau, la disponibilité des ressources devient un enjeu majeur. La réutilisation ou la valorisation des eaux usées traitées sont des solutions intéressantes, mais il n’existe pas en France de réglementation en la matière.

Notre pays a pris du retard par rapport à ses voisins méditerranéens, et les seules dispositions sur le sujet figurent dans un projet d’arrêté de 2000 et dans les recommandations du Conseil supérieur d’hygiène publique.

Il conviendrait de mettre en place un cadre légal et réglementaire, afin d’autoriser le recyclage d’eaux traitées dans un réseau de distribution d’eau brute destinée à des utilisations ne nécessitant pas nécessairement d’eau potable.

La réutilisation de l’eau traitée pourrait également être envisagée dans l’industrie et servir à la recharge des nappes ou à l’irrigation des cultures et des espaces verts. Quelles sont les suggestions du Gouvernement à ce sujet ?"

"Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable :

 Je partage votre analyse. Comme vous le savez, les eaux usées peuvent, au lieu d’être rejetées dans les eaux superficielles après leur passage en station d’épuration, faire l’objet d’une épuration supplémentaire et être réutilisées pour des usages agricoles, industriels ou urbains.

Cette réutilisation permet, vous l’avez dit, de mobiliser une ressource en eau supplémentaire non négligeable et de protéger les eaux réceptrices accueillant les eaux usées traitées.

Mais, en raison de l’abondance globale de la ressource en eau en France, cette technique s’y est peu développée.

Si le principe en est prévu par le décret 94-469 relatif à la réglementation du traitement des eaux usées domestiques, la réglementation correspondante n’a pas été finalisée.

Les seules références sont donc des recommandations relatives à l’utilisation après épuration des eaux usées pour l’irrigation des cultures et des espaces verts, émises en 1991 par le Conseil supérieur d’hygiène publique et inspirées de celles de l’OMS.

Un arrêté à ce sujet a été préparé par les services du ministère de la santé, qui a sollicité l’avis de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, dont le rapport n’a pas encore été rendu.

Les impératifs de protection de la santé publique et de l’environnement doivent en effet être respectés, le risque sanitaire dépendant en l’espèce des concentrations de contaminants et du degré d’exposition des travailleurs agricoles, des consommateurs et des voisins des zones d’irrigation.

Le développement de la réutilisation des eaux usées fait d’autre part l’objet de réticences du public, qui considère trop souvent l’abandon de l’utilisation de l’eau potable pour certains usages comme une régression ou un risque.

Les polémiques relatives à l’épandage des boues d’épuration s’étendent facilement à ce type de projet.

Le plan de gestion de la rareté de l’eau que j’ai présenté en octobre 2005 met l’accent sur la mobilisation de ressources alternatives, dont la réutilisation des eaux usées, et prévoit des expérimentations sur onze bassins versants, ce qui permettra de développer l’usage de ces procédés.

La loi sur l’eau ayant, grâce à vous, été votée, j’ai demandé aux agences de l’eau de promouvoir ces actions dans le cadre du neuvième programme.

Des eaux usées sont néanmoins réutilisées en France. Elles servent ainsi, depuis 1998,à l’irrigation de plus de 600 hectares près de Clermont-Ferrand, et plusieurs collectivités territoriales désirent développer cette technique.

Après la signature, en mars 2006, d’une charte entre le ministère de l’écologie et l’association des gestionnaires de golf, certains ont également entrepris d’arroser avec des eaux usées traitées.

Le changement climatique, avec les périodes prévisibles de sécheresse accrue qui l’accompagneront, nous imposera de poursuivre dans cette voie. »

Je jeunerai désormais quand je passerai à Clermont-Ferrand, et comme l’hypothèse de me voir m’aventurer sur un green est aussi crédible que celle de me voir décerner la médaille du Mérite agricole, il n’en demeure pas moins qu’il m’apparaît pas totalement inutile de continuer à scruter ces « alternatives » exotiques dans la période qui s’ouvre.

Il n’empêche, je sentais bien que quelque chose manquait à mon bonheur. Bingo, merci le JO !

Il appert en effet que l’édition n° 15 du Journal Officiel du 18 janvier 2007, dans son texte n° 33 nous apprend que le « Conseil de la recherche sur l’environnement et le cadre de vie », créé auprès du ministre de l’Environnement et du cadre de vie en 1979, est abrogé :

(...)

Article 1

L’arrêté du 15 septembre 1979 portant création auprès du ministre de l’environnement et du cadre de vie d’un conseil de la recherche sur l’environnement et le cadre de vie est abrogé.

Article 2

Le présent arrêté sera publié au Journal officiel de la République française.

Fait à Paris, le 8 janvier 2007.

La ministre de l’écologie et du développement durable,

Nelly Olin

Le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche,

Gilles de Robien

Le ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche,

François Goulard. »

On me dira que le « machin » ne servait à rien. C’est toujours ce qu’ils disent, vous avez remarqué ?

N’empêche, je tiens ma chute.

Hors donc, brève méditation en très provisoire conclusion, avant de nous aventurer dans les peu ragoûtantes coulisses de l’ébouriffante « Affaire Cristaline », tristounet remake de « Blandine et les lions » en période d’élections :

"L’ancien n’est pas complètement mort, le nouveau n’est pas encore né. La lutte va être terrible." Antonio Gramsci.

Marc Laimé - eauxglacees.com