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LEMA (1) : contexte et enjeux financiers

7 novembre 2006

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les dispositions découlant de la nouvelle loi sur l’eau devraient entrer en application à dater du 1er janvier 2007, sous réserve du délai nécessaire à la promulgation par le Conseil d’Etat des très nombreux décrets d’application qui doivent préciser les conditions concrètes de mise en oeuvre de la loi. Noter toutefois que la loi est réputée produire ses effets dès son vote définitif par le Parlement, avant même la promulgation de décrets d’application.



Le projet de loi initial du gouvernement comptait 50 articles.
Le Sénat en a ajouté 16 en avril 2005.
L’Assemblée nationale en a ajouté 44, supprimés 8, et votés 7 conformes en mai 2006.
103 articles demeuraient donc en discussion lors de l’examen en seconde lecture au Sénat, qui a examiné 515 amendements nouveaux déposés à la date du 7 septembre 2006.

Cet examen en seconde lecture est intervenu du jeudi 7 au mercredi 13 septembre 2006, dans le cadre de la session extraordinaire du Parlement, convoquée par un décret du Président de la République paru au Journal Officiel du 6 juillet 2006.

L’examen en seconde lecture par l’Assemblée nationale était annoncé fin septembre pour la fin du mois de novembre 2006, avant la tenue éventuelle d’une commission mixte paritaire qui aplanirait les différends éventuels demurant entre le Sénat et l’Assemblée.

Le MEDD assurait dans le courant de l’été 2006 qu’eu égard notamment aux poursuites diligentées contre la France devant la Cour de justice des communautés européennes pour non respect de directives antérieures dans le domaine de l’eau, il insisterait afin que le gouvernement décide de la conclusion du processus législatif avant les échéances électorales de 2007.

En dépit des incertitudes sur la date précise d’achèvement des travaux législatifs, l’essentiel des "grandes orientations" privilégiées par le projet de loi seront mises en oeuvre, même en l’absence du vote définitif de la loi avant l’échéance de la prochaine élection présidentielle.

En effet, la date du 1er janvier 2007 est aussi celle de l’entrée en vigueur du 9ème Programme pluriannuel d’intervention (PPI) des Agences de l’eau (2007-2012), qui était examiné par les Comités de bassin fin juin-début juillet 2006, avant leur adoption prévue en décembre 2006. Et qui s’inscrit tout naturellement en cohérence, tant avec la nouvelle loi qu’avec la mise en oeuvre de la Directive-cadre européenne sur l’eau (DCE).

Initialement doté d’une enveloppe de 12 milliards d’euros, le montant du 9ème Programme avait été porté à 14 milliards d’euros, par adoption d’un amendement parlementaire, lors de l’examen en première lecture du projet de loi par l’Assemblée en mai 2006. Mais le Sénat est revenu en septembre 2006 à l’enveloppe initiale de 12 milliards d’euros, aux fins d’éviter une trop forte augmentation des redevances, déjà actée par les maquettes budgétaires étudiées par les Agences et les Comités de bassin.

En matière de gouvernance, la "reconstitutionnalisation" des redevances, qui devraient désormais être encadrées par le Parlement, et la création de l’ONEMA, deux innovations dénoncées par nombre d’acteurs de la politique de l’eau (M. Michel Rocard et M. André Santini, entre autres, l’ont stigmatisé par le biais de tribunes libres dans les quotidiens Libération et le Monde), comme équivalent à une "renationalisation" et une "fiscalisation" des politiques publiques de l’eau, traduisent une évolution sensible des principes de décentralisation et de subsidiarité qui étaient au fondement de l’architecture institutionnelle du systême Agences-Comités de bassin, institué par la loi de 1964. Mais le principe de l’encadrement des redevances a été acté par le Parlement et ne sera pas remis en cause.

Approche macro-économique du marché de l’eau

Le chiffre d’affaires annuel du secteur de l’eau et de l’assainissement peut schématiquement se décomposer comme suit (Sources IFEN 2003-2004 et SPDE-BIPE 2005) :

Fonctionnement (dépenses courantes)

CA collectivités : 3,3 milliards d’euros (consommation facturée à l’usager)
1 milliard d’euros (subventions)
700 millions d’euros (apport départements 2005)

CA redevances : 2 milliards d’euros (percus par les services en régie et délégués, versés aux Agences, puis reversés par les Agences pour l’essentiel aux collectivités, industriels et agriculteurs. Une part variable de ce montant alimentant les missions générales de la Direction de l’eau du MEDD).

CA délégataires : 4,5 milliards d’euros.

Investissements : 5,12 milliards d’euros (dont 1,635 milliard d’euros d’aides aux travaux - Agences, Etat, Départements et Régions).

Total CA annuel marché de l’eau : 17 milliards d’euros.

En matière de financement des politiques publiques de l’eau, les 2 milliards d’euros de redevances jouent un rôle essentiel, en raison de l’effet de levier des prêts, primes et subventions allouées par les Agences aux acteurs de l’eau.

Une comparaison significative.

Le budget du MEDD (missions régaliennes de l’Etat en matière d’environnement) s’établissait en 2005 à 636 millions d’euros "d’autorisations d’engagement". M. Philippe Rouault, rapporteur spécial du budget de l’Ecologie, déclarait à l’occasion de l’adoption du budget de la mission écologie et développement durable pour l’année 2006, le 8 novembre 2005 à l’Assemblée nationale, que les crédits de paiement étaient passés de 636 millions d’euros en 2005 à 615 millions d’euros en 2006, soit une baisse de 3,31% à périmètre constant.

Mme Nelly Olin, ministre de l’Ecologie, évoquait un budget en "croissance opérationnelle", et chiffrait la capacité financière de l’Etat dans son secteur à plus de 3 milliards d’euros. Elle incluait donc dans ce périmètre les 2 milliards d’euros gérés par les Agences de l’eau, ainsi que 219 millions de moyens nouveaux attribués, sous la forme de taxes affectées, aux établissements publics placés sous sa tutelle.

Les contraintes financières de la période

D’après M. Pascal Berteaud, Directeur de l’eau au MEDD, on considère que 2 milliards d’euros de redevances engendrent 5 milliards d’euros de travaux.

Pour M. Serge Lepeltier, ex-ministre de l’Ecologie, le montant des investissements annuels à consentir pour le seul secteur de l’assainissement à l’horizon des 10 prochaines années atteignait de 4 à 5 milliards d’euros par an.

Pour l’ex-président des Canalisateurs de France, M. Patrick Bernasconi, le seul effort de renouvellement, (AEP + assainissement) s’établira à 2 milliards d’euros par an d’ici à 2015.

M. Serge Lepeltier évaluait par ailleurs que le seul rattrapage du retard enregistré par rapport à la Directive ERU de 1991 (120 villes francaises de plus de 10 000 habitants n’étaient pas aux normes en 2005, et 300 STEP doivent en fait être modernisées d’urgence), représenterait 750 millions d’euros par an à dater de 2005-2006.

Pour la seule directive "plomb", le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) a ainsi programmé 550 millions d’euros sur 8 ans...

Le nouveau "marché" des contrôles annuels récurrents de 5,3 millions de dispositifs d’assainissement non collectif (ANC), peut à lui seul être évalué, sur la base d’un coût unitaire variant de 50 à 150 euros, à une charge supplémentaire, pour l’usager du service public de l’assainissement non collectif, de 250 à 750 millions d’euros/an.

Ces très fortes contraintes étaient soulignées le 3 juillet 2006 par Mme Nelly Olin, ministre de l’Ecologie, devant le Comité de bassin Adour-Garonne. Elle y rappelait que :

"Le premier objectif est le respect de nos engagements communautaires issus des directives antérieures à la Directive-cadre. (...) il nous reste des progrès très importants à faire en ce domaine, notamment, et j’insiste particulièrement sur ce point, dans la mise en oeuvre de la DERU 91. Les Préfets ont recu des instructions très fermes sur ce sujet. Nous risquons, à brève échéance, une condamnation assortie de lourdes sanctions financières. Je salue à ce titre l’orientation qui a été prise par le Comité de bassin Adour-Garonne en matière de dégressivité des aides en cas de mise en conformité tardive. Afin de prévenir un nouveau contentieux, les stations de 2000 à 10 000 EH devront être en conformité avant la fin du 9ème programme. Cela demande de réserver les sommes nécessaires, ce que vous avez pris en compte dans vos travaux."

Les principales innovations sur le plan financier

Suppression des Fonds de concours : depuis le ministère Voynet (1998), l’Etat prélevait chaque année des sommes de plus en plus importantes sur la trésorerie des Agences.

A dater de 2000 les redevances sont en premier lieu affectées par des prélèvements croissants qui alimentent le FNSE (Fonds national de solidarité pour l’eau).

Pour les 6 Agences :

2000 : 76,22 millions d’euros.
2001 : 76,22 millions d’euros.
2002 : 81,634 millions d’euros.
2003 : 81,634 millions d’euros.
2004 : 83 millions d’euros.
2005 : 83 millions d’euros.

Un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2003, portant sur l’examen des exercices 2000 à 2002 du FNSE, établira de surcroît que seuls 49,5% de ces crédits ont été consommés...

Noter qu’à dater de 2003 le FNSE sera de surcroît directement versé au budget général de l’Etat.

En second lieu, en 2004 ce prélèvement récurrent était augmenté d’un fonds de concours "exceptionnel" pour un total de 210 millions d’euros, dont 110 millions d’euros pour la seule AESN. Pour cette dernière ce prélèvement découlait du retard d’affectation d’une somme gagée pour le SIAAP (usine des Grésillons), qui ne pouvait être attribuée suite à un appel d’offres infructueux.

Des sources syndicales estimaient que l’ensemble de ces prélèvements représentaient, FNSE compris, entre 15% à 20% du budget des aides à l’investissement 2004, sans compter l’impact financier lié aux premières mesures arrêtées cette même année, dans le cadre d’un premier décroisement des aides entre l’Etat et les Agences.

La pratique des prélèvements par voie de fonds de concours serait désormais proscrite en raison du décroisement des financement MEDD-Agences, acté par le projet de loi et le 9ème programme.

Suppression du FNDAE : créé en 1954 pour favoriser l’adduction d’eau en milieu rural, le FNDAE (Fonds national pour l’adduction d’eau en milieu rural) était alimenté par le biais de transferts financiers complexes, via le FNSE (Fonds national de solidarité pour l’eau), et financé à parité par l’Etat et par un prélèvement effectué sur les recettes du PMU. Ses missions ayant évolué dans les années 80-90 vers le financement de l’assainissement en milieu rural, sa suppression fait planer le spectre d’une moindre solidarité urbain-rural en la matière.

Les missions antérieures du FNDAE seront désormais financées par un prélèvement annuel de 150 à 200 millions d’euros effectué sur la trésorerie des Agences, l’ONEMA ayant vocation à proroger la péréquation mise en oeuvre auparavant par le FNDAE.

Le financement de l’ONEMA sera assuré par un prélèvement annuel de 108 millions d’euros (plafond fixé par la loi) sur la trésorerie des Agences.

Rééquilibrage partiel des transferts de redevance opérés au profit du secteur agricole, par le biais de l’affectation de la TGAP phytosanitaires aux Agences. D’un montant de 40 millions d’euros, ce transfert ne modifiera pourtant qu’à la marge le ratio 1/7 redevances acquittées/aides percues, actuellement très favorable au secteur agricole.

Une opération à somme nulle ?

Le MEDD a réalisé une simulation des capacités financières mobilisables avant et après la réforme, et la présente comme un jeu à somme nulle, un certain nombre d’imputations financières auparavant assignées au FNSE cessant de produire leurs effets.

Il n’en demeure pas moins que l’on constate à ce stade un prélèvement annuel de 250 à 300 millions d’euros effectué sur les 2 milliards d’euros annuels de redevances, qui menace de réduire les capacités d’intervention financière des Agences. Et augure donc d’une augmentation sensible de la redevance, déjà actée.

Mme Nelly Olin saluait ainsi le 3 juillet 2006 à Toulouse la décision du Comité des programmes du Comité de bassin Adour-Garonne d’avoir "examiné une deuxième maquette financière à un niveau de dépenses légèrement supérieur, afin notamment de mettre en place des conditions d’aides attractives pour la mise aux normes des stations concernées par l’échéance 2005 de la directive ERU." Cette opération nécessitera une augmentation cumulée sur le programme (2007-2012) de 18% des redevances, au rythme de 3% par an...

A l’identique, pour l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN), la première maquette financière correspond à environ 5 milliards 400 millions d’euros sur le programme. Et prévoit une augmentation plus importante des redevances, à hauteur d’environ 29% en 3 ans.

(A suivre)

Marc Laimé - eauxglacees.com