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La marche de Santini (*)

12 avril 2009

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Après la décision du comité syndical du Syndicat des eaux d’Ile-de-France en date du 11 décembre 2008 d’opter pour la reconduction de l’actuelle « régie intéressée », (confiée à Veolia, sous la forme actuelle du contrat, depuis 1962, et au total depuis 1923), à l’expiration du présent contrat le 31 décembre 2010, le même comité syndical était appelé à se prononcer sur les « grandes orientations » du cahier des charges d’un "Appel d’offres international" le 9 avril 2009. Sans surprise, à une « écrasante majorité », le comité syndical a donné plein pouvoirs à M. André Santini, actuel secrétaire d’Etat à la Fonction publique du gouvernement de M. François Fillon, aux fins de lancer prochainement cet appel d’offres international dont l’issue ne laisse pourtant planer aucun doute. Le caractère extravagant de la procédure initiée par le plus important syndicat des eaux français et européen, présidé par M. Santini depuis 26 ans, commence toutefois à susciter d’étonnants commentaires, qui peuvent laisser augurer de rebondissements aussi souhaitables qu’imprévus.



En témoigne l’article publié par le site de la Gazette des communes le 9 avril 2009, hebdomadaire que nul ne songerait à assimiler à un organe dédié à la propagande des légions de « l’ultra-gauche »…

En effet, notre consoeur Laurence Madoui ne manque pas de reproduire des propos désabusés, qui lui auraient été tenus par " un élu local, affilié à la majorité présidentielle " : « Il ne peut pas ne pas y avoir de contentieux : le Sedif ne pourra démontrer qu’il a mis en place les conditions d’une pleine concurrence. Fin 2008, il a été décidé que le contrat serait forcément une régie intéressée (type de délégation de service public actuellement en vigueur, ndlr). Aujourd’hui, il est décidé qu’il y aura forcément un marché unique. Demain, le lauréat sera forcément Veolia. »

Les prétentions de Suez Environnement, qui plaidait vigoureusement depuis quelques mois pour un "allotissement" du marché
ont en effet été jetées aux poubelles (de l’histoire), par simple "décision du bureau", et après avis d’une pseudo "commission ad hoc", lors même que M. André Santini s’était publiquement engagé lors de la séance du 11 décembre 2008 à ce que la question de l’allotissement fasse l’objet d’un débat.

On apprendra d’ailleurs le 14 avril 2009 que Suez, que l’on devine passablement courroucé, ne lâche pas l’affaire...

Reste que ce nouvel épisode de notre saga achève de conférer à cette procédure de choix du futur mode de gestion l’allure d’une partie de bonneteau : "Pile, tu perds, face c’est moi qui gagne..."

Etonnant, isn’it ?

"Errare Santini est..."

Tout aussi étonnant, le fait que le communiqué de presse titré « Feu vert pour l’appel d’offres », immédiatement mis en ligne sur le site du Sedif, en principe donc APRES la tenue du Comité syndical du 9 avril 2009, et qui annonce la suite des opérations, soit le prochain lancement de l’appel d’offres précité, soit daté (sur le site) du 4 avril 2009 !

ADDENDUM : "l’erreur" a "magiquement" été rectifiée dans la journée du 14 avril... Quel talent ! Bon, un peu tard pour les centaines de lecteurs qui auront "vu, de leurs yeux vu". Autant de Michel Strogoff qui savent désormais à quoi s’en tenir...

L’été dernier M. Santini écrivait aux représentants des 144 communes du syndicat sur papier à en tête de Veolia, ce dont n’avait pas manqué de se gausser le Canard Enchainé, et qui avait contraint notre homme à réécrire illico aux délégués, invoquant une erreur de sa secrétaire.

A n’en pas douter cette fois-ci ce sera l’imminence de la venue des cloches pascales qui aura troublé le webmaster du site du Sedif. Savoir même s’il n’éprouverait pas quelque coupable inclination pour « l’ultra-gauche » ? A l’évidence le Sedif délaisse les classiques. Il vous faut une Guépéou, camarades ! (Enfin, camarades, n’exagérons rien, là c’est l’allitération qui nous emporte).

A brides abattues

A propos de Guépéou (1), la séance du Comité syndical du 9 avril n’a guère dérogé aux us et coutumes de la petite Corée du Nord de Choisy-le-Roy.

Ainsi notre président a-t-il balayé d’un revers de manche, « as usual », les observations que lui avaient fait tenir par courrier en date du 6 avril 2009 plusieurs délégués engagés de longue date en faveur d’un retour à la gestion publique de leur syndicat. Un courrier qui pointait pourtant certaines étrangetés procédurales, du type de celles qui inquiètent semble-t-il le délégué de la majorité présidentielle dont la Gazette des communes rapportait les propos…

Ensuite ce fut un grand moment démocratique…

Le principe d’une division en lots du marché de l’eau d’Ile-de-France, plus grand service public d’eau en Europe, était donc défendu par le groupe Suez Environnement qui estimait que cela permettrait "une réelle mise en concurrence" et éviterait de donner à l’opérateur sortant, son concurrent Veolia, "un avantage considérable".

Plusieurs élus avaient proposé un "allotissement géographique", par exemple en divisant le contrat en trois lots.


Acte 1 : les délégués sont d’abord appelés à « défendre le service public unifié », et donc à se prononcer pour ou contre le maintien d’un « service unique » sur l’ensemble du territoire, pour desservir en eau potable plus de 4 millions de Franciliens.


Et à une très large majorité (108 voix pour, 12 contre et 9 abstentions), le comité syndical vote donc le maintien d’un service (tout à fait) unique.

Acte 2 : dans la foulée, les mêmes délégués sont ensuite invités à autoriser M. André Santini à lancer l’appel d’offres international.

Cette fois, étonnamment, le vote enregistre 85 voix pour, 2 contre et 42 abstentions.

On se perd en conjectures sur ces sinuosités byzantines.

Le "compte rendu sommaire" du CS du 9 avril 2009

Mais qu’importe puisque l’essentiel est acquis : l’écrasante majorité des délégués présents ou représentés ont donné pleins pouvoirs à leur président pour lancer le fameux « appel d’offres international » qui va, à n’en pas douter, susciter le vif intérêt d’une bonne cinquantaine d’entreprises, tout aussi internationales, appâtées par le fabuleux marché qui va donc être « mis en concurrence »…

"Une offre que vous ne pourrez pas refuser"...

Les "grandes orientations" du Cahier des charges de l’appel d’offres

Accessoirement, enfin non, pas accessoirement du tout, on notera que les valeureux pétitionnaires vont devoir trimer tout l’été pour avoir une chance de remettre leur offre dans les délais... Pas sur, finalement que le Sedif reçoive des offres d’une bonne cinquantaine d’entreprises internationales, comme nous le supputions imprudemment ci-dessus. Quand on sait que les analyses préalables du choix du futur mode de gestion ont déjà demandé deux bonnes années à un groupement de trois bureaux d’études, on salue d’avance la performance !

Tiens, sans compter que grâce à un très ingénieux "tuilage", l’heureux impétrant (Répétez après moi, Vé... Euh, non puisque l’appel d’offres n’a pas encore été lancé !), sera finalement dans ses murs 8 mois avant la fin du contrat actuel. Là on dirait du viager. Nos amis nous surprendront toujours...

Le calendrier prévisionnel de la procédure de DSP

Les chevaux du lac Ladoga

Incise.

L’image s’était violemment imposée à nous le 11 décembre dernier à Choisy-le-Roi.

Les « délégués » du Sedif nous avaient fait songer aux chevaux du lac Ladoga.

L’écrivain Curzio Malaparte rapporte dans son livre « Kaputt » la mort dramatique de près d’un millier de chevaux durant l’hiver 1942.

De très violents combats opposaient alors les armées allemandes et russes à la frontière finno-soviétique autour de la ville de Leningrad (actuellement Saint-Pétersbourg). Pour échapper à un feu de forêt provoqué par de violents bombardements aériens, une horde de chevaux sauvages se précipita dans le lac Ladoga. Malgré une récente vague de froid, l’eau du lac était encore liquide. Pendant que les bêtes nageaient vers la rive opposée, l’eau gela soudain dans un grand fracas, emprisonnant instantanément les chevaux dans une gangue de glace.

Les chevaux du lac Ladoga

Malaparte raconte que le lendemain « le lac était comme une immense plaque de marbre blanc sur laquelle étaient posées des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Les têtes semblaient coupées net au couperet. Seules, elles émergeaient de la croûte de glace. Toutes les têtes étaient tournées vers le rivage. Dans les yeux dilatés, on voyait encore briller la terreur comme une flamme blanche. Près du rivage, un enchevêtrement de chevaux férocement cabrés émergeait de la prison de glace ».

Du "despotisme oriental"

Bien loin de la Carélie, on se prend toutefois à s’inquiéter (pour Veolia et M. Santini) du fait, qu’à force, tant la nouvelle Autorité de la concurrence, que la Commission européenne ne finissent par s’émouvoir des libertés (coupables) qu’un trop long exercice du pouvoir semble conférer à nos amis, lointains descendants des "Robbers Barons" états-uniens du XIXème siècle (2).

Sans doute la lecture de la Princesse de Clèves n’est-elle toujours pas à l’ordre du jour de notre Comité syndical, dont la fréquentation des classiques n’est, à l’évidence, pas l’inclination première, mais la dilection affichée de son président pour la culture asiatique semble décidément l’avoir convaincu que la gestion de l’eau ne saurait se concevoir sans cette once de "despotisme oriental" qu’un remarquable philosophe à de longue date associé à la grande saga de l’hydraulique.

Reste que la Roche Tarpéienne n’en finit décidément pas de rouler vers la Capitole… Il appert donc que notre affaire sombre résolument dans la
« madofferie », comme tout le laissait supposer de longue date.

Par les temps qui courent tout cela n’est guère de bon aloi, et ne laisse pas augurer d’un aimable règlement d’un différent plus sérieux qu’il n’en a l’air.

Mais ce ne sont là que divagations pascales d’un "néo-Tarnacien"…

A suivre.

NOTES

"On vous parle d’un temps que les moins de 20 ans", et hélas nombre de têtes plus chenues ne valent guère mieux... Id est, il appert que nous nous devons d’adjoindre un fastidieux appareil de notes à notre sotie, ce qui en dit long sur la "Baverization" qui nous affecte...

Bref, comme il n’est plus totalement avéré que mêmes les délégués PC "Canal historique", qui nous auront épouvantablement déçus dans la période, aient conservé l’ombre d’un soupçon de vernis de quelque référence historique (à quoi que ce soit), nous adornons donc notre "pamphlet d’ultra-gauche" de quelques références obligées, qui pourront en fait s’avérer des plus utiles, non pas aux susdits qui ont à l’évidence d’autres préoccupations, mais aux cohortes d’étudiant(e)s désoeuvré(e)s qui nous assaillent dans le même temps, nous sommant de leur décrire par le menu les grandes manoeuvres en cours. Ce qui nous expose au grand écart "fabricien" entre Waterloo et la Star Ac, on imaginera aisément l’exercice...

Adoncques, quelques menus rappels, Mephisto reconnaîtra les siens :

 La Marche de Santini * : A l’alangui week-end pascal pizza-Corona et 53ème diffusion de Sissi l’impératrice, préférer « La Marche de Radetzky », de Joseph Roth : un déclin annoncé

(1) : Guépéou : Glavnoïe polititcheskoïe oupravlenie

Créée au début de décembre 1917, la Vétchéka (Vserossiïskaïa Tcherzvytchaïnaïa Kommissia : Commission spéciale panrusse de lutte contre la contre-révolution et le sabotage, plus connue sous le nom de Tchéka) fut confiée à Félix Dzerjinski. Après les assassinats des dirigeants bolcheviques Volodarski et Ouritski, la décision de déclencher la « terreur rouge » est prise dans la seconde moitié de 1918. Dès lors, les secteurs de répression administratifs et militaires de la Tchéka opèrent surtout à proximité des fronts. C’est à cette époque que sont dénoncés les premiers abus dans son fonctionnement et que ses effectifs s’accroissent des éléments les plus divers. À la fin de la guerre civile, la nécessité de réorganiser la Tchéka est proclamée au IXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique ; en temps de paix, le service de sécurité se doit d’être moins expéditif, la charge de juger et de punir doit être transférée aux organes judiciaires, en un mot, il s’agit de limiter les prérogatives de la Tchéka. Le 7 février 1922, elle est remplacée par la Guépéou (Glavnoïe polititcheskoïe oupravlenie : Direction politique principale).

(2) Robbers Barons : Terme péjoratif appliqué, surtout depuis la crise de 1929 et la Grande Dépression qui a suivi, aux grands industriels du « Gilded Age » (l’Age du Toc) qui ont amassé des fortunes immenses en suivant des pratiques commerciales douteuses. Les plus connus : J.D. Rockefeller (pétrole), A. Carnegie (acier), J. Page Morgan (banquier), H.C. Frick (acier), C. Vanderbilt (chemins de fer). On utilise aujourd’hui l’expression « robber boomer barons » pour qualifier les financiers cupides responsables du « meltdown » de la fin de 2008.

L’Espagne et l’Italie :

Pour inscrire notre roman dans son époque, considérer de même vers quels rivages voguent nos
« Barons de l’eau. »

Et sur l’Espagne toujours, ce roman crépusculaire :

Crémation : au plus court vers l’Apocalypse

« C’est la même eau qui coule du détroit du Danemark au golfe du Mexique. Et puis qui remonte l’Espagne, léchant le sable fin des stations balnéaires de la Costa blanca, en Méditerranée. Une eau charriant tout, les mémoires et l’Histoire, les bateaux disloqués, les poissons morts, les cendres, les boues industrielles, les poisons pétroliers. Un flot universel, si pur en apparence.
Qu’en est-il des rivages ? "Encadrés par les immeubles qui se dressent à ma droite, je peux voir les palmiers, le bleu de la mer, et même une fine ligne jaune, la plage du Nido. Je la fréquentais quand j’étais petit, adolescent, mais maintenant je n’aurais jamais l’idée de mettre les pieds dans cet endroit où l’eau est d’une propreté douteuse, et toujours noir de monde", lâche Rubén Bertomeu, essentiel personnage et narrateur par étapes de Crémation, le dernier roman de Rafael Chirbes.

(…)

Ici, c’est l’argent-roi, la frustration, le trouble, l’absence de partage, les illusions perdues. Le monde de Misent est celui de la spéculation poussée à son extrême, servie par la drogue, le sexe, la corruption. Ici, détruire l’environnement, c’est montrer son pouvoir. Quant à détruire les autres, c’est juste s’affirmer. Pourtant, qu’on ne cherche pas les affreux, les ordures. Ni les héros non plus. Le roman de Rafael Chirbes se lit comme un testament d’époque. »

Xavier Houssin

Le Monde des livres, 9 avril 2009.

Crémation (Cremarorio) de Rafael Chirbes. Rivages, 442 p., 23 €.

Sur l’Italie, métaphore d’une Europe malade :

Gomorra en temps de crise

par Eric Jozsef, Le Temps, 14 avril 2009.

A SONG

Bella ciao

SEDIF : Le dossier d’Eaux glacées

Marc Laimé - eauxglacees.com