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L’association des usagers aux politiques de l’eau (4) : la révolution des politiques publiques

8 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les politiques publiques ont vécu une véritable révolution depuis deux décennies. L’accès à l’information, la consultation puis la participation des usagers en deviennent des composantes essentielles. Quel impact sur les politiques publiques de l’eau et de l’assainissement ?



L’accès à l’information s’inscrit dès l’abord dans un cadre très général.

En droit français l’information du public en matière d’environnement se rattache au principe général de la liberté d’accès aux documents administratifs, reconnu par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, "portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal", telle que modifiée par la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, "relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations", puis modifiée à nouveau par l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005.

Noter aussi que la loi d’orientation n° 92-125 du 6 février 1992 a reconnu "le droit des habitants de la commune à être informés des affaires de la commune" comme "un principe essentiel de la démocratie locale".

L’exercice des compétences eau et assainissement par les collectivités entraine par ailleurs l’obligation légale de rendre publics un certain nombre de documents.

En matière de gestion :

 Le rapport annuel du délégataire de service public, prévu par l’article L 1411-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), comportant notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation de service public (DSP), et une analyse de la qualité du service, qui doit être produit le 1er juin de chaque année.

 Les rapports annuels sur le prix et la qualité du service public d’eau potable, sur les services d’assainissement et sur les services de collecte, d’évacuation ou de traitement des ordures ménagères, établis en application de l’article L-2224-5 du CGCT, qui doivent pour leur part être produits avant le 30 juin de chaque année.

 Les bilans d’activité des services exploités en régie dotée de l’autonomie financière.

En matière de qualité :

 Le rapport annuel du maire, mentionné ci-dessus.

 L’affichage en mairie des résultats d’analyse du contrôle effectué par la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS),

 La publication d’une note de synthèse annuelle dans les collectivités de plus de 3500 habitants, le recueil des actes administratifs étant consultable par tous.

 En outre une fois par an une note de synthèse est jointe à la facture d’eau.

Une information dispersée et trop complexe.

Mais nombre d’observateurs soulignent que si ces obligations légales sont très généralement respectées aujourd’hui, la lecture, le décryptage et l’analyse de ces informations demeurent difficiles pour l’usager, qui n’est pas un expert de l’eau et de l’assainissement.

Au delà on peut aussi souligner qu’un usager qui souhaiterait s’investir plus avant dans cette quête d’information devra au préalable posséder des données élémentaires dans les domaines du droit administratif, de l’environnement, de la consommation, du Code de la santé publique, du Code des marchés publics, de la législation communautaire..., ce qui restreint à l’évidence toute intervention pertinente aux acteurs spécialisés que sont les mouvements associatifs investis dans ce secteur, qu’il s’agisse de réseaux environnementalistes ou consuméristes.

Il convient aussi de noter qu’avec le développement massif des dispositifs de communication par internet, les différents services de l’Etat, au niveau national comme au niveau déconcentré publient eux aussi une masse d’informations très abondantes, mais extrêmement hétérogènes.

Qu’il s’agisse des ministères concernés (Environnement, Economie, Agriculture, Intérieur, Equipement...), des Agences de l’eau, de l’IFEN, de l’OIEau, du SCEES du ministère de l’Agriculture, des DIREN, des DRIRE, des DDAF, des MISE, de la DGCCRF, de la DGCL..., sans parler d’autres sources privées, opérateurs, bureaux d’études, instituts de sondage..., il est par exemple impossible aujourd’hui d’avoir accès à une base de données unifiée sur le prix de l’eau, à l’échelle nationale, régionale, départementale, voire plus locale encore...

Cette situation est évidemment de nature à provoquer davantage la polémique que le consensus, et témoigne au-delà d’une inquiétante désinvolture vis-à-vis des interrogations légitimes de l’usager du service public de l’eau et de l’assainissement.

Au total cette hétérogénéité et cette complexité technique de l’information dispensée par des émetteurs multiples conduisent à ce que l’information de l’usager-abonné est plus efficace que celle de l’usager non abonné.

Eau des villes versus eau des champs ?

Par ailleurs les enquêtes de terrain disponibles attestent que l’intérêt de l’usager pour ce type d’information varie considérablement selon la zone de résidence. Dans les grandes métropoles urbaines, où le contact sensible avec l’eau, les pratiques et cultures de l’eau ancestrales, ont disparu, cet intérêt est quasi inexistant. Hormis des phases de sensibilisation médiatique, comme celle suscitée en février 2006 par la publication par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir d’un dossier choc, et controversé, sur le prix de l’eau en France.

Dans l’espace rural, les petites communes, le péri-urbain, les agglomérations moyennes, la sensibilité aux différentes problématiques de l’eau demeure en revanche infiniment plus vivace. Noter que ces territoires vivent par ailleurs au quotidien la décentralisation depuis une trentaine d’années, ce qui n’était pas le cas, en termes d’apprentissage social, des résidents des grandes métropoles urbaines et de leurs couronnes jusqu’à l’orée des années 2000.

La consultation du public.

Son cadre général est notamment défini par l’article L 2141-1 du CGCT, qui stipule le "droit des habitants de la commune à être consultés sur les décisions qui les concernent".

C’est, après l’accès à l’information, la seconde étape vers la participation du public, qu’elle soit obligatoire (comme les enquêtes publiques en France, par exemple) ou facultative. Le pouvoir retient un avis dont il tient compte ou pas, mais qui, en principe, doit éclairer sa décision.

Les outils de consultation ou d’évaluation des réactions et demandes des populations sont très variés :

 des enquêtes publiques (jugées peu satisfaisantes en leur forme actuelle),

 des enquêtes d’opinion,

 des enquêtes de satisfaction (par exemple joindre un bulletin-réponse à la facture d’eau pour avoir l’avis des usagers). Cette enquête permanente doit être traitée par une instance indépendante, avec possibilité de synthèses locales et nationales, avec restitution aux usagers,

 des études d’impact, écologiques, sanitaires, sociétales ou socio-économiques,

 des réunions publiques,

 des référendums locaux consultatifs,

 des conférences de consensus,

 des consultations directes par les nouveaux moyens de communication (Internet),

 et enfin des inventaires, des monographies ou des recueils de données.

Là aussi on note une forte recrudescence à dater des années 2000 des initiatives de ce type qui tendent à se multiplier, sans pour autant que leurs enseignements puissent être réellement capitalisés, aux fins de promouvoir des formes d’apprentissage social qui pourraient faire l’objet d’évaluations fiables. En l’état les enseignements qui peuvent être retirés de ces démarches, s’ils alimentent les travaux des chercheurs spécialisés, peinent à sortir de ces cénacles et à alimenter le débat public, en le structurant efficacement à long terme.

La concertation avec le public.

Elle constitue en théorie le 3ème degré d’association du public, avant la participation.

Elle implique l’intervention des populations ou de leurs représentants tout au long de la constitution d’un dossier, dans des structures pérennes, sectorielles ou territoriales, ou des conseils et comités de quartier, ou bien dans des structures "ad hoc", plus ponctuelles et plus limitées dans le temps.

A cette occasion il est reconnu aux populations un "pouvoir d’expertise" pour des questions qui les concernent, au même titre que les professionnels techniciens. Pouvoir qui peut être favorisé en les dotant de moyens.

Les populations sont dès lors considérées comme des "personnes-ressources". Des opérations de communication, de formation, d’accroissement d’un pouvoir autonome d’expertise peuvent encore améliorer leur intervention.

On peut ainsi citer, à titre d’exemple :

 les "agents de concertation" (médiateurs, chefs de projets), sortes d’animateurs locaux qui favorisent les relations entre les autorités et les habitants,

 la mise en place d’un groupe local de travail sur un projet précis, piloté par un animateur quasi-professionnel, et avec la participation d’experts extérieurs. Dynamique qui peut favoriser la mise en place ultérieure d’outils de concertation. Mais la durée et la prise en compte des cultures ou particularités locales sont indispensables au succès de ces expériences.

La participation du public.

Elle était déjà prévue de longue date par un certain nombre de textes, comme la réglementation sur les études d’impact. Le concept remonte en fait au XIXème siècle. Mais il a connu de nombreuses évolutions dans la période récente.

La loi n° 83-630 du 12 juillet 1983, dite "Loi Bouchardeau", revisitait déjà l’enquête publique en y associant la population.

La loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 sur "la définition et la mise en oeuvre des principes d’aménagement" prévoit ensuite la possibilité pour les conseils municipaux d’organiser, selon des modalités non précisées, des consultations avant toute modification du Plan d’occupation des sols (POS), ou toute opération d’aménagement importante.

Dans le même type d’hypothèses, et en cas de modification substantielle des conditions de vie des habitants d’un quartier ou d’un ensemble immobilier, la loi n° 91-662 du 13 juillet 1991 "d’orientation sur la ville", dans son article 4, semble imposer au maire l’organisation d’une consultation des citoyens, selon des modalités qu’il lui appartient de définir.

Mais ce sera la loi n° 92-105 du 6 février 1992, "relative à l’administration territoriale de la République", dite loi "ATR", qui constituera l’étape majeure de la prise en charge par le droit de la démocratie participative locale. Elle se verra ultérieurement renforcée par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 "d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire", dite "LOADT".

Non seulement elle officialise les comités de quartier et les commissions extra-municipales, mais elle organise enfin (on parlait auparavant de "referendums officieux"), la consultation des électeurs dans le cadre de la commune ou d’une partie de celle-ci sur les décisions prises par les autorités municipales pour régler les affaires de la compétence de la commune. L’initiative relève d’une proposition du maire, d’une demande écrite de la moitié des conseillers municipaux dans les communes de moins de 3500 habitants, ou du tiers des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3500 habitants.

Elle crée aussi les Commissions Consultatives des Services Publics Locaux (CCSPL, voir infra), qui peineront à voir le jour durant près d’une décennie, avant que l’obligation de les mettre en place ne soit réaffirmée par la loi n°2002-276 du 27 février 2002, dite "Démocratie de Proximité".

Toujours dans le domaine des opérations d’aménagement, la loi n° 95-101 du 2 février 1995, "relative au renforcement de la protection de l’environnement", dite "loi Barnier" tend à instaurer la concertation la plus large possible en amont de l’enquête publique dans le cadre de commissions de débat national. Elle crée ainsi la procédure du débat public national, qui sera renforcée en 2002.

La loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, "relative à la solidarité et au renouvellement urbain", dite loi "SRU", va ensuite, par son article 93, introduire notamment le principe de l’individualisation des contrats de fourniture d’eau. Ce principe d’individualisation des contrats été explicité par le décret 2003-48 du 28 avril 2003. La LEMA vient d’en reprendre le principe en rendant obligatoire l’individualisation des contrats dans les constructions nouvelles.

Cette disposition visait essentiellement les usagers du service public résidant en habitat social ou en copropriété. Une situation qui concerne par exemple 98% des Parisiens...

D’où la signature d’un contrat par l’usager individuel, qui devient dès lors "client" de la régie publique ou de l’entreprise privée délégataire de service public.

D’où la pose de compteurs d’eau individuels, ce qui va renchérir notablement le montant de la facture acquitté par l’usager...

Du coup le débat va tendre à se focaliser sur des préoccupations étroitement consuméristes, non exemptes de relents très "égoïstes" : "J’en ai assez de payer pour les locataires du dessous qui vivent à 6 dans un 3 pièces et font couler l’eau toute la journée".

Par ailleurs des conflits surgissent entre différentes associations censées représenter les intérêts des usagers. Tant sur l’aspect financier du problème, sur le caractère aléatoire des économies d’eau censées être réalisées si l’on dispose d’un abonnement individuel, qu’enfin sur la dimension férocement "individualiste" de la démarche, à l’opposé d’une dimension de solidarité et de partage, qui peut conduire à estimer par exemple que : "si je suis célibataire, je peux payer un peu plus pour la consommation de la famille qui habite au-dessous, à fortiori si elle est nombreuse, ne dispose pas de hauts revenus, voire est d’origine étrangère..."

Le 17 mai 2005, reconnaissant que la mise en oeuvre concrète de l’individualisation posait problème, le ministre du Logement et de la Ville, interrogé par un parlementaire, s’était engagé à revoir ce décret avant la fin 2005. Promesse qui n’aura pas de suite, après la démission du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin.

Il n’en demeure pas moins qu’en 2006, dans le plus grand désordre, nombre de collectivités ont initié des programmes d’individualisation des contrats de fourniture d’eau, démarches qui provoquent des débats souvent passionnés autour du "prix de l’eau".

Par ailleurs Mme Nelly Olin s’était donc engagée publiquement, dans la perspective de l’examen en seconde lecture du projet de loi sur l’eau par l’Assemblée nationale, en mai 2006, et dans le cadre général des actions engagées par son ministère aux fins de promouvoir des usages plus économes de l’eau dans un contexte de sécheresse pluriannuelle préoccupante, à relancer la problématique de l’individualisation des contrats de fourniture d’eau.

La loi 2002-276 du 27 février 2002 "relative à la démocratie de proximité", dite "Loi Vaillant".

Témoignant de la prise en compte croissante du rôle des usagers dans l’élaboration des politiques publiques, elle établit le "Droit pour le public d’être associé au processus d’élaboration de projets ayant une incidence grave sur l’environnement ou l’aménagement du territoire".

Elle conforte en premier lieu des procédures préexistantes.

 L’enquête publique, qui avait déjà été refondue par la loi n° 83-630 du 12 juillet 1983, dite "loi Bouchardeau".

 Le débat public pour les grands projets d’aménagement est lui aussi renforcé, avec l’institution de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) comme autorité administrative indépendante.

Le débat public est désormais mené par la CNDP "dès lors que les projets présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l’environnement ou l’aménagement du territoire". La CNDP est ainsi automatiquement saisie dès que le coût de l’aménagement projeté dépasse 300 millions d’euros. La procédure dure 4 mois et peut coûter jusqu’à 1,5 million d’euros pour un chantier de ligne TGV. Elle permet de discuter de l’opportunité d’un projet, et non plus seulement de ses modalités, comme c’est le cas avec l’enquête publique.

(Noter toutefois que la procédure conduite par la CNDP autour du projet de nouveau réacteur EPR à partir de l’hiver 2005 a constitué un échec cinglant. Plusieurs associations environnementales ont dénoncé un débat en trompe l’oeil, au motif que des informations relatives à la résistance d’une centrale au "crash" d’un avion avaient été occultées, et que le gouvernement refusait de les rendre publiques. Deux réunions prévues en province ont même donné lieu à des affrontements entre CRS et manifestants...)

La Loi Vaillant instituait par ailleurs de nouvelles procédures.

 Elle rendait ainsi obligatoire la création de Conseils de quartier (consultatifs) pour les agglomérations de 80 000 habitants et plus.

 Elle instaurait la procédure du referendum local.

 Elle renforcait l’obligation de mise en place des Commissions Consultatives des Services Publics Locaux (CCSPL) au-dessus de 10 000 habitants, mesure qui a précédé leur évolution ultérieure vers la création de groupes thématiques au sein des CCSPL.

Marc Laimé - eauxglacees.com