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La France va-t-elle manquer d’eau ?

3 janvier 2007

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les nouvelles orientations des politiques publiques de l’eau dans le contexte de la mise en œuvre de la Directive-cadre européenne d’octobre 2000, sont-elles de nature à faire émerger une « gestion raisonnée » de la ressource, constitutrice d’une véritable « nouvelle culture de l’eau ? ». C’est la question à laquelle se proposait de répondre un colloque qu’organisait le 1er novembre 2006 le Cercle Français de l’Eau à la Maison de la Chimie. Intervenant quelques semaines avant l’adoption définitive de la nouvelle loi sur l’eau, les échanges traduisaient à la fois les mutations que s’apprête à connaître la gestion de l’eau et l’écart abyssal entre la vision des professionnels du secteur et la perception « grand public » des problématiques de l’eau.



Dès l’abord un Persan ne manquerait pas de s’étonner que ce soit le « Cercle Français de l’Eau », une association créée en 1990 par les trois grandes entreprises françaises du secteur, la Générale, la Lyonnaise et la Saur, qui soit tout à la fois la puissance invitante, l’animateur, le maître de cérémonie, d’une rencontre qui mobilisait ce jour-là le ban et l’arrière-ban des « professionnels de l’eau » français.

Les entreprises convient les représentants des plus grands corps de l’Etat, des collectivités locales, des ministères les plus éminents : tout le monde accourt pour débattre de la « gestion raisonnée de l’eau ». Une situation qui, aussi exotique soit-elle pour un Persan de passage, témoigne de l’emprise de « L’école française de l’eau » sur une ressource essentielle.

Un amphithéâtre bondé. Près de quatre cent personnes. Les retardataires s’assoient sur les marches. Initialement prévu à l’Assemblée Nationale le colloque a du être déplacé à la Maison de la Chimie en raison de l’afflux de participants.

Après les inévitables entrées en matière, du sénateur de droite qui co-préside le Cercle avec un député (PS) de gauche, puis du message de la ministre, Mme Nelly Olin, dont la petite main qui rédige ses discours a aligné les platitudes habituelles, entrons dans le vif du sujet.

Le maître de cérémonie s’appelle Pierre Victoria. Homme politique breton, longtemps suppléant de M. Yves le Driant, député PS de Loire Atlantique, il s’est depuis plusieurs années reconverti en Mazarin de la communication chez Veolia, dont il défend avec une fougue généralement bien maîtrisée (hormis la présence éventuelle de contradicteurs « alters »), les missions industrielles, environnementales et sociales.

Notre homme s’est notamment illustré en élaborant à l’attention des troupes de Veolia, puis du grand public, des « Réponses aux altermondialistes », qui présentaient l’hilarante particularité de développer d’hallucinants argumentaires, « en réponse » à des critiques qui n’avaient jamais été formulées. Le tout, bien sur, pour éviter de répondre à des questionnements autrement embarrassants. Bref, notre GO est l’homme de la situation.

La mise en scène du show suppose évidemment que se succèdent plusieurs « tables-ronde », avec Power Point ou non, dont l’ordonnancement produit des envolées consensuelles qui témoignent toutefois à l’occasion de subtils repositionnements d’acteurs fort attachés à défendre leur pré-carré, ce dont on ne saurait les blamer, eu égard à la très soviétique surveillance qu’exerce notre Mazarin, et ses mentors de Veolia et Suez massivement présents dans les travées, tout au long de la cérémonie.

Trèves de plaisanteries, entrons dans le vif du sujet avec la philippique de l’impressionnant M. Thierry Pointet, chef du département Eau au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dont on perçoit vite qu’il accommoderait volontiers son breakfast de quelques brochettes de Verts et autres environnementalistes dont les calembredaines lui échauffent les oreilles.

L’homme a du souffle, de la ressource. Ca tombe bien, c’est son dada. Ca commence donc très fort. La presse est un miroir déformant. En réalité il n’y a pas de problème de ressources. Car si l’on en croit les très importants programmes de mesures que conduit le BRGM, on constate certes quelques zones de déséquilibre, comme en Poitou-Charentes, qui résultent de l’occupation des sols, des usages et des cultures. Mais en vérité, si l’on prend en compte les mécanismes de recharge des nappes, si l’on fait le pari que de nouvelles méthodes de gestion active vont pouvoir être déployées (soit le « rechargement des nappes »), on se rend vite compte qu’il existe de grandes plages de variabilité. En fait c’est la subjectivité vis-à-vis de l’espace naturel qui fluctue, avec des « minimums historiques » qui finissent par constituer de véritables « barrières psychologiques ».

Car si l’exploitation nette des ressources d’eau françaises peut être évaluée dans une fourchette annuelle comprise entre 30 à 40 milliards de m3, la ponction nette ne se chiffre, elle, qu’à l’étiage, quasiment ridicule, de 8 milliards de m3 par an.

De plus pour un transit évalué à 100 milliards de m3, pour 400 milliards de m3 d’eau de pluie, le stock mobilisable s’établit lui à 2000 milliards de m3. Montjoie Saint-Denis ! Pour un peu on transmettrait illico ces très bons chiffres à M. Claude Allègre qui en ferait son pain blanc…

Bien sur, bien sur, on a malheureusement des usages courants qui sont bien installés, et donc des effets « périphériques » qui peuvent s’avérer pénalisants.

Noter toutefois que les prélèvements pour l’eau potable baissent régulièrement à hauteur de près d’un pour cent chaque année depuis dix ans. Ce qui va poser un vrai problème de financement des politiques publiques de l’eau. Moins nous consommons, et plus le montant de la facture va augmenter. Et une pierre dans le jardin du développement durable à la Française !

Donc, si l’on classe les nappes par degrés d’inertie, on observe des prélèvements amplifiés pour faire face à des situations de tension temporaires. Comme dans la région de Bordeaux, en surexploitation manifeste, dont la nappe qui l’alimente baisse d’un mètre chaque année.

Pour la nappe de Beauce, qui a une très forte inertie, avec un délai de réponse de trois ans, ce qui fait défaut ce sont les maîtres d’ouvrage qui pourraient réguler le déséquilibre.

Nous voilà d’autant plus rassurés qu’un peu auparavant M. Pascal Berteaud, Directeur de l’eau au MEDD avait confirmé la promulgation sous peu d’une Charte pour la récupération des eaux de pluie et les techniques innovantes. Vive la Charte !

C’est au tour de M. Bernard Itier, président du centre Inra de Montpellier, d’enfoncer les barrières du politiquement correct. Si l’on en croit en effet les conclusions d’une enquête que l’INRA vient tout juste de remettre au ministère de l’Agriculture, et qui portait sur la responsabilité des pratiques agricoles quant à la vulnérabilité de la ressource en eau pendant les récentes périodes de sécheresse, ce sont en fait les agriculteurs qui sont les premières victimes de la sécheresse ! Il faut le dire ! (Applaudissements dans la salle). Car enfin nous ne sommes pas menacés d’aridité. Avec une moyenne annuelle de 950 millimètres de pluie sur le territoire, dont les 2/3 disparaissent par évaporation, nous avons un solde moyen de 300 millimètres au m2. Or l’irrigation ne consomme que 10 milliards de m3 par an, soit à peine 1% de l’eau disponible chaque année.

En fait l’appréhension du phénomène à l’échelle nationale ne constitue pas un cadre pertinent puisque l’irrigation témoigne de très fortes disparités territoriales, soit un tiers des volumes d’eau consacrés à l’irrigation concentrés dans les seuls Sud-Ouest et Sud-Est.

Ce trouble de la perception découle en fait d’un déficit d’études par bassin versant. Des études partielles ont bien été initiées dans le Centre, en Poitou-Charentes et en Midi-Pyrénées.

Elles témoignent que l’agriculture pluviale restitue en fait davantage d’eau au milieu naturel que ce même milieu à l’état de jachère. Donc, l’excès d’irrigation, dénoncé ici et là, restituera en fait au milieu naturel ce qui sera pompable demain. Euréka !

Considérer aussi que la profession agricole a accompli un réel effort et promeut notamment la rotation des cultures.

Dommage pour notre homme, le quotidien Le Monde se fera l’écho une semaine plus tard d’une alarmante enquête pointant les dégâts environnementaux considérables provoqués par l’extension massive de la monoculture, à fortiori irriguée, et la décrue massive des pratiques de rotation des cultures qui en découle, depuis une vingtaine d’années…

M. Itier consent certes à reconnaître que si sa démonstration vaut pour les eaux souterraines, il en va tout autrement pour les pompages en rivière, ou les efforts d’amélioration des pratiques déjà engagés doivent être poursuivis… La litote vaut aveu. Quand ce type d’argumentaire affleure, traduire que la catastrophe est déjà à peu près irréversible…

L’orateur qui lui succède, M. Bruno Detanger, président de la Fenarive (Fédération nationale des associations de riverains et utilisateurs industriels de l’eau), va s’en tenir à son antienne soft habituelle. Il est vrai que les industriels ne sont plus sur la sellette depuis belle lurette.

Il annonce d’emblée que ses mandants ayant accompli de considérables efforts, il ne reste plus grand chose à gagner en terme de gains de productivité. Les besoins demeurent importants, notamment dans les domaines du thermique et de la chimie. On ne doit donc pas s’attendre à de fortes réductions de volume, mais de nouveaux progrès sont espérés par le biais d’une meilleure dépollution des rejets.

La table-ronde se poursuit avec l’intervention du représentant d’EDF, M. Thierry Meyerfeld, qui rappelle que les prélèvements nets annuels pour l’énergie se chiffrent à 1 milliard de m3, dont 85% sont affectés à la production d’électricité. Ce qui représente rien moins que 500 centrales, dont 400 opérées par EDF.

Représentant 20% de la puissance installée, l’hydro-électricité française assure 10% de la production électrique nationale. Un pourcentage remarquable. Et qui souligne en creux l’importance des mutations actuellement en cours dans le secteur de l’énergie.

Suez annoncera ainsi le jeudi 21 décembre 2006, dans l’indifférence générale des medias, le rachat à la SNCF de 59,63% de la Société Hydroélectrique du Midi (SHEM) pour 504 millions d’euros. Elle en avait déjà acheté 40% en janvier 2005. Avec les centrales de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), le groupe produira désormais 35% de l’électricité d’origine hydraulique en France…

Notre représentant d’EDF aura ainsi beau jeu de souligner que ce sont ces 5000 mégawatts hydro-électriques qui ont permis quelques semaines plus tôt d’éviter un effondrement total du réseau, suite à l’accident survenu en Allemagne qui avait rapidement dégénéré en black-out partiel dans une dizaine de pays européens.

En rappelant dans la foulée que 75% des réserves d’eau de surface françaises sont dédiées à l’hydro-électricité, ce qui a conduit l’opérateur national à conclure une cinquantaine de conventions et de partenariats avec d’autres grandes institutions consommatrices d’eau, notamment pour la coordination des « lâchées d’eau » à partir des barrages, absolument cruciales, et pour l’agriculture, et pour la gestion des fleuves et rivières en période d’étiage, l’intervenant éclairera ce faisant l’importance des nouvelles dispositions arrêtées par la LEMA dans le domaine de l’hydro-électricité.

Tout en laissant pendante une question considérable, fort peu évoquée dans le débat public : qui gérera demain les 75% de réserves d’eau de surface françaises dédiées à l’hydro-électricité, si l’opérateur national, EDF, poursuit à marches forcées la course engagée vers sa privatisation, sachant par exemple que Veolia et EDF sont déjà étroitement associés au sein de Dalkia, la filiale « énergie » de l’ex-Générale des eaux ?

Notre marathon se poursuit avec l’intervention, un peu décevante, du docteur Thierry Serfaty, directeur de « Medic’eau ». Kézako ? Une discrète antenne du Centre d’Information sur l’Eau (CIEau), l’un des outils de propagande créés par Veolia, Suez et la Saur, qui accomplit chaque année le prodige d’intoxiquer l’ensemble des medias qui répercutent religieusement les conclusions des sondages que diligente le CIEau sur « Les Français et l’eau ». Medic’eau a été créé pour fournir une information spécifique (formatée par notre cartel), à destination du corps médical, intercesseur de choix auprès du grand public.

Notre ami Pierre Victoria, GO de Veolia, introduit donc son compère avec le rappel solennel de la phrase prêtée à Pasteur selon laquelle « Nous buvons 80% de nos maladies. »

Soyons équitable avec le bon docteur Serfaty, qui aura le mérite de pointer quelques incongruités sanitaires de la vie moderne. Ainsi du développement de l’hospitalisation, de l’explosion de la restauration collective (la bande à Ronald), qui conduisent à ce que l’ancienne habitude de se laver les mains avant de passer à table tombe gravement en désuétude. D’où le risque de contracter des maladies hydriques. On touche ici du doigt le professionnalisme de nos amis du cartel : si d’aventure on assistait à un développement inquiétant des maladies hydriques, la faute en incomberait à la bande à Ronald, détestable parangon de la vie moderne, justement vilipendé par José Bové. Bien joué.

Le dernier intervenant de la première table-ronde sera M. Vincent Frey, directeur de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, dont le discours frappe d’emblée en revendiquant de faire montre d’humilité et d’éviter les généralités. Pour lui les clés d’un partage raisonné sont à rechercher dans la nature des besoins. D’où une grille opératoire qui voit s’enchaîner allocation de ressources, besoins induits, coûts incidents et enjeux stratégiques.

Ainsi pour revenir sur les interventions précédentes, il rappelle que la production énergétique est assurée à partir des eaux brutes de surface, sous forme d’un flux permanent. Que les besoins pour l’eau potable et l’industrie relèvent pour leur part à hauteur de 60% des nappes souterraines.

Pour l’irrigation, qui concerne 1 million et demi d’hectares en France, elle représente chaque année 14% des prélèvements mais 50% de la consommation, et est assurée à 75% par les eaux de surface, l’été, dans un laps de temps de 3 à 4 mois.

M. Frey s’interroge : peut-on comparer ces différents mètres cubes ? Il insiste aussi sur le fait que l’on oublie trop souvent les besoins propres des milieux aquatiques, qui s’expriment en négatif, sous forme « d’à-secs » ou d’eutrophisation. A quoi il faut ajouter les problématiques de température, de débit, de morphologie des berges, etc.

Il appelle pour conclure à une dynamique associant l’expérience, le consensus, l’expertise, afin de se rapprocher d’un équilibre durable des milieux qui intègre pleinement la confrontation des ressources et de leurs usages.

A l’échelle de l’Agence de l’eau Adour-Garonne cette approche a permis de faire apparaître, par l’élaboration d’un « Débit objectif d’étiage » un déficit annuel de la ressource de 250 millions de m3, soit 10% de la ressource mobilisable.

Quelques échanges révélateurs vont ponctuer la session de questions émanant de l’assistance. Interpellé par le Vice-président du Conseil régional de Normandie, M. Thierry Pointet du BRGM (« La ressource est là, il suffit de creuser… »), consentira ainsi à reconnaître que les mêmes causes ne produisent pas partout les mêmes effets, et qu’on ne saurait comparer la nappe de Beauce au grand Sud-Ouest. Ré-interrogé sur les possibles marges d’erreur en matière de quantification de la ressource, il bottera en touche en insistant sur l’importance de réfléchir à des disponibiltés pas encore sollicitées, tout en attirant l’attention sur un autre type de gisement tombé lui gravement en désuétude.

Celui des études hydrogéologiques, des thèses, des analyses innombrables effectuées depuis des décennies, qui justifieraient d’une action nationale de remise à jour de ces innombrables données dispersées, fondamentales pour ce qui concerne le calage des modèles et l’étude des états initiaux et des phénomènes transitoires. Ainsi les agronomes peuvent-ils aider à déterminer les états-limites.

Intéressant et tout aussi inquiétant quant aux questionnements qui affleurent sur l’effectivité du futur Systême d’information sur l’eau (SIEau), réputé nous permettre d’accomplir à l’avenir un saut qualitatif considérable en matière d’exploitation des innombrables systêmes de données sur l’eau qui se sont développés dans le plus grand désordre depuis des décennies, à l’initiative des centaines d’institutions et organisations impliquées dans sa gestion…

La seconde table-ronde, en fin de matinée, continuera à dérouler les innombrables questionnements que génère aujourd’hui la gestion de l’eau.

Ainsi du patrimoine en matière d’AEP et d’assainissement. Mme Stéphane Mimoser, chargée de mission auprès du Président des Canalisateurs de France, excusé, rappelle ainsi l’importance et la valeur considérables dudit patrimoine. AEP et assainissement confondus il représente rien moins que 1 100 000 kilomètres de « tuyaux », soit l’équivalent des infrastructures routières françaises, pour une valeur estimée à 150 milliards d’euros, et un coût de renouvellement annuel de 2,5 milliards d’euros, légitimé par une estimation nationale des taux de fuite pour la seule AEP à 30%. Soit 30% de l’eau potable, de plus en plus chèrement produite, qui disparaît dans la nature…

Comme à l’accoutumée, la défense et illustration de l’agriculture emportera une première intervention d’un représentant du Farre (Forum pour une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement), qui insistera à l’envi sur le fait que les cultures irriguées ne représentent que 6,9% de la Surface agricole utile française (SAU), avec 40% pour le maïs et 11% pour le fourrage et les cultures légumières. Chiffres qui témoigneraient d’une diminution de la SAU irriguée de 10% dans les cinq dernières années. L’intervention se concluant par un appel à un effort accru de recherche, publique pour l’aspect systèmes, et privée sous l’angle de la phyto-génétique.

Avec l’intervention de Mme Martine Vuillerme, présidente de la Commission « Distribution de l’eau » de l’Association scientifique et technique pour l’eau et l’environnement (ASTEE), se dessineront plus clairement, et les grands enjeux de la période, et les ambiguïtés de la gestion de l’eau à la française. Seuls les « professionnels de la profession » savent que Mme Vuillerme est un cadre éminent de Veolia, qui préside une commission stratégique de l’ASTEE, qui regroupe l’élite des professionnels du secteur, et dont la capacité d’influence sur le monde de l’eau est considérable.

Très habilement Mme Vuillerme débutera par des interrogations « radicales » destinées à retenir l’attention : « Qu’est-ce que la ressource ? Quelle est la valeur de l’eau ? »’ Avant d’enchaîner sur la nécessité de réduire les prélèvements, et surtout de donner de la valeur à toutes les ressources.

Ici se dessineront clairement les orientations stratégiques désormais privilégiées par les grandes entreprises du secteur, bien au-delà de leurs interventions dans le domaine de la délégation de service public au profit des collectivités locales.

Cap sur le dessalement, la gestion des eaux pluviales, et le « re-use », la réutilisation des eaux usées, notamment pour l’industrie et l’agriculture.

Le positionnement est loin d’être anecdotique. Face aux problèmes croissants que pose la gestion de la ressource, tant sous l’angle quantitatif que qualitatif, l’option de la « réponse technique », forme de fuite en avant, l’emporte sans conteste sur la remise en cause des pratiques qui sont à l’origine des problèmes quantitatifs et qualitatifs que pose désormais la gestion de l’eau.

Aussi est-il tout-à-fait logique d’entendre Mme Vuillerme insister sur l’importance de ne pas renoncer à la qualité sanitaire de l’eau, de préserver l’héritage des hygiénistes et des ingénieurs, de ne pas y renoncer sous prétexte d’économies.

Et d’énoncer les orientations qui devraient donc être privilégiées : une amélioration de la gestion patrimoniale des réseaux, (voués à être sondés 24 heures sur 24 par les instruments de monitoring développés par la Générale et la Lyonnaise), le développement des Systêmes d’Information Géographique (SIG), l’analyse des matériaux…

En matière de gestion des eaux pluviales, si leur réutilisation dans les process de « froid industriel » lui semble souhaitable, frein debout en revanche sur la réutilisation des eaux pluviales à l’intérieur des habitations, puisque la Direction Générale de la Santé n’y est pas favorable.

Dans un autre registre ce sont bien plutôt la recharge artificielle des nappes qui est privilégiée par Mme Vuillerme, qui rejoint ici M. Thierry Pointet du BRGM, recharge justifiée notamment sur le littoral par le problème des biseaux salés, le dessalement, qui ne serait donc plus réservé aux pétro-monarchies du Golfe, mais représente à l’horizon des prochaines années une solution pouvant être acclimatée pour résoudre certains problèmes spécifiques en France. Et bien sur le « re-use » pour les usages tertiaires voire quaternaires, dans la mesure où les programmes de recherche communautaires engagés sur le sujet laissent augurer d’une diminution sensible des coûts énergétiques des traitements à appliquer aux eaux usées vouées au « re-use ». Idem pour la production de biogaz à partir des boues d’épuration des STEP…

Une dépêche publiée le 4 janvier 2007 par le JDLE illustre bien les enjeux de cette montée en puissance du « re-use ».

Elle relate en effet que selon un article de la revue « Environmental science and technology » paru le 27 décembre 2006, un simple renforcement des techniques traditionnelles d’épuration de l’eau pourrait permettre d’éliminer une grande partie des médicaments et des produits d’entretien corporel.

« Ces substances se retrouvent en effet dans les cours d’eau, car les stations d’épuration n’ont pas été conçues pour les éliminer mais pour retenir des composés comme le phosphore et l’azote.

Or, une étude américaine menée par MWH, société consultante spécialisée dans l’ingénierie liée à l’environnement, montre qu’un temps de rétention des particules solides de 5 à 15 jours est suffisant pour éliminer plusieurs des composés pharmaceutiques et cosmétiques testés. Des composés volatils comme les cétones résistent toutefois à la biodégradation par les bactéries.

Cette étude confirme des résultats obtenus en Europe, et a été menée au niveau d’usines à grande échelle dont les capacités se situent entre 5 et 300 millions de gallons (18.950 à 1,1 million de mètres cubes) par jour.

Selon Rolf Halden, assistant professeur à l’école de santé publique John Hopkins Bloomberg, « cette étude fournit davantage de preuves montrant que le temps de rétention des solides est un paramètre opérationnel important, qui influence l’élimination des substances médicamenteuses et des produits d’entretien corporel pendant le traitement biologique des eaux usées ».

Pour Joan Oppenheimer, qui a mené les recherches pour MWH, ces résultats ont de l’importance dans l’optique éventuelle de la consommation des eaux usées recyclées. »

On mesure dès lors sans peine les perspectives que pourrait dessiner une montée en puissance du « re-use » dans les prochaines années…

L’intervention de Daniel Yon, membre du Directoire du réseau Eau de l’association France Nature Environnement (FNE) va être l’occasion d’entendre (enfin ?) une voix émanant de la « société civile ». Notre homme siège certes au CA de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, et appartient peu ou prou à « l’establishment » de ladite société civile, d’ailleurs sinon, il ne serait pas là… Il n’en a pas moins le mérite de rappeler quelques vérités qui semblent s’être évaporées depuis ce matin. Et d’abord que la sécheresse ne saurait se résumer à un « trouble de la perception » ! La sécheresse induit aussi des modifications chimiques, substantielles, des milieux et du sol, notamment pour ce qui concerne leur degré de salinité. A l’identique il faudrait ne pas occulter l’impact de la sécheresse sur la répartition des espèces, sachant qu’elles ont commencé à s’adapter à l’amplitude des variations sur les écosystèmes.

L’écosystême du monde de l’eau va immédiatement témoigner de sa remarquable capacité d’adaptation… à la controverse, puisque l’intervention suivante va constituer un grand moment dans le registre de la défense et illustration du monde agricole odieusement vilipendé par les « bobos Verts », et autres huluberlus notoirement citadins, dont on se demande bien ce qui les qualifie à intervenir sur des sujets aussi controversés que l’impact de l’agriculture sur les ressources en eau…

Représentant la FNSEA, notre homme n’est pas dénué de talent. Ainsi commence-t-il par reconnaître que si des erreurs ont pu être commises, elles découlent en fait de demandes sociales, que le corps social se refuserait à assumer.

Et de décrire les trois grandes périodes de l’agriculture contemporaine :

 de 1960 à 1975 : « Produire pour produire »,

 de 1975 à 1990 : « Produire pour détruire », PAC oblige,

 depuis 1990 : « Produire pour séduire… »

Séduisant.

Et d’enchaîner sur le nouvel argumentaire qui s’est bien rodé dans les toutes dernières années. Le consommateur aussi doit faire son mea culpa : c’est lui qui réclame des goldens supercalibrées, sans une tâche, 365 jours par an. Et en avant pour les PMPOA, les CTE, les efforts considérables accomplis par le secteur agricole qui a réalisé une véritable révolution culturelle et se bat, le dos au mur, pour continuer à satisfaire le consommateur, cet ingrat, alors que la mondialisation des marchés le conduit (l’agriculteur), à la ruine…

Incisif, dynamique, notre homme fait un tabac. Gageons que nous le reverrons dans d’autres enceintes…

Nous n’en étions qu’à la fin de la matinée, l’heure de se restaurer avant d’enchaîner sur l’hypothèse de voir éclore une « Nouvelle culture de l’eau ».

Et c’est ainsi que « la nave va ».

Comment trouver meilleure illustration de l’abîme qui se creuse entre les mécanismes de pensée, la doxa des professionnels de la profession et les préoccupations des citoyens de plus en plus alarmés par la dégradation croissante d’une ressource essentielle, qui ne doit rien à des « blocages psychologiques », mais tout à un modèle de société qui nous conduit droit dans le mur ?

L’article 14 de la Directive-cadre européenne sur l’eau enjoint à tous les états-membres d’associer réellement à l’avenir les citoyens à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques de l’eau.

Le défi s’annonce considérable.

Marc Laimé - eauxglacees.com