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Gestion de l’eau en Ile-de-France : la lutte finale

28 octobre 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les délégués des 142 communes membres du Syndicat des eaux d’Ile-de-France sont appelés à voter le 11 décembre prochain pour choisir le futur mode de gestion du plus important syndicat des eaux français et européen, affermé à Veolia depuis 1923, et dirigé depuis 24 ans par M. André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux, secrétaire d’Etat à la Fonction publique du gouvernement de M. François Fillon, et président du Comité de bassin Seine-Normandie. Engagée il y a plusieurs années la bataille fait rage depuis quelques mois. M. Santini exprime publiquement sa dilection pour la gestion privée. A gauche, ça bouillonne et ça se déchire aussi parfois. L’enjeu est considérable. Déjà mal en point après avoir vu le cours de son action se vaporiser depuis le début de l’année 2008, Veolia déploie tous ses moyens, considérables, pour conserver ce contrat qui lui procure des bénéfices somptueux puisque l’association de consommateurs UFC-Que Choisir a estimé à 90 millions d’euros annuels des « surfacturations » à l’évidence abusives. Les délégués qui vont devoir choisir un nouveau mode de gestion sont littéralement noyés sous un flot d’études difficilement compréhensibles pour le commun des mortels. Echange d’anathèmes, coup bas, grandes et petites manœuvres, le spectacle est permanent. Etat des lieux.



Le Sedif ? Quatre millions de Franciliens desservis. Un patrimoine, soit l’ensemble de ses installations, estimé à 9 milliards d’euros, dont 7 pour le réseau et 2 pour les usines de productions, stations de pompages et réservoirs.

Un contrat « historique » pour le leader mondial de l’eau, qui dure depuis 85 ans... Sous sa première forme du 1er janvier 1923 au 2 avril 1962, puis du 3 avril 1962 au 31 décembre 2010.

Le comité syndical était appelé le jeudi 23 octobre 2008 à l’une de ses réunions qui se déroulait comme à l’accoutumée dans l’enceinte de l’une des gigantesques usines du syndicat, à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne.

Ambiance tendue, comme l’attestait la présence des vigiles qui cernent le site, qui est d’ailleurs classé Seveso. Seuls les délégués peuvent rejoindre la salle où se tiennent les débats, très houleux depuis quelques mois. Public et journalistes sont cantonnés dans une salle distincte et peuvent y suivre les débats, retransmis par video.

L’ordre du jour de cette réunion du Comité syndical était particulièrement copieux et les débats ont donné lieu, comme c’est le cas depuis plusieurs mois, à des échanges attestant de la tension qui a succédé au « consensus » qui a longtemps prévalu dans la petite « Corée du Nord », gouvernée d’une main de fer depuis 25 ans par son inamovible président.

Le Sedif connaît donc en ce moment une mue accélérée.

Ravalement de façade

Plusieurs modifications du règlement intérieur sont adoptées. En particulier le 1er alinéa de l’article 6 qui stipule que chaque EPCI membre est représenté par un nombre de délégués équivalent au nombre de communes composant l’EPCI, élus par l’Assemblée délibérante de ce dernier.

Ce qui peut vouloir dire qu’une ville pourrait être représentée par une autre ville de cet EPCI. Opportun puisque qu’un litige faisant suite à l’éviction de Jean-Luc Touly, bête boire du Sedif et de son président, fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de Versailles concernant la ville de Wissous (91), dirigée par le PS, mais finalement représentée au Sedif par un élu, de droite, de Chatenay-Malabry...

Incident révélateur. Jean-Luc Touly, président de l’ACME-France, ancien salarié et syndicaliste de la Générale des eaux, pourfend obstinément les dérives de son ancienne entreprise depuis des années.

Elu maire-adjoint de Wissous, dans l’Essonne aux dernières municipales, une commune membre du Sedif, son conseil municipal le désigne comme délégué au Sedif.

Mais cette nomination sera invalidée par la structure intercommunale à laquelle appartient Wissous, dirigée par la droite, et présidée par l’un des vice-présidents du syndicat, proche de M. André Santini,... qui désignera à sa place un élu de droite de Chatenay-Malabry !

L’affaire a fait du bruit car elle remettait en cause une pratique qui prévaut dans l’ensemble des syndicats intercommunaux de la région parisienne.

Un autre vice-président du Sedif, la commentera en ces termes :

« Le règlement intérieur ne modifie rien de la situation antérieure sur ce point.

« A partir du moment où la compétence eau est transférée à une structure intercommunale, celle-ci est souveraine pour désigner ses représentants au sein du Comité du Sedif.

« Seul le nombre de délégués de la dite structure intercommunale au Comité est lié au nombre de communes la constituant. Il n’est pas possible juridiquement pour le Syndicat d’imposer des règles de désignation à des structures intercommunales.

« Dans la pratique et de manière tacite, il a toujours été compris que chaque commune de l’interco envoyait un représentant, de la même sensibilité politique que le maire. Mais ceci n’est qu’une règle de bonne conduite, pas une obligation juridique. »

Une commission de contrôle financier (CCF) vient aussi tout juste d’être créée, en application de l’article R.2222-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), dont on notera au passage qu’il avait donc été largement méconnu jusqu’à présent.

La Commission consultative des services publics locaux (CCSPL) est désormais composée de 13 représentants. Soit 7 délégués du Sedif, dont le sénateur UMP de la Seine-Saint-Denis, Philippe Dallier, très actif depuis deux ans dans le dossier du « Grand Paris », et 6 associations : la Confédération Logement et Cadre de Vie (CLCV), la Fédération des Familles de France, l’Union Civique et Sociale d’Ile-de-France, l’ UFC-Que Choisir (depuis peu réintégrée après avoir été écartée depuis 2006), la Confédération Syndicale des Familles et l’Organisation générale des consommateurs dite Orgeco créée en 1959 par FO (qui l’a depuis lors quittée), la CFTC et la CGC.

Tout cela fait un peu ravalement de façade accéléré, des fois que quelques libertés auraient été prises avec la réglementation...

Une réunion de travail sur la mutualisation des outils de production à l’échelle de l’Ile-de-France est aussi proposée par le Sedif à Eau de Paris, la mairie de Paris, le Syndicat des eaux de la Presqu’ile de Gennevilliers (affermé à la Lyonnaise des eaux), la communauté d’agglomération de Cergy-Pontoise (qui vient tout juste de reconduire Veolia pour un nouveau contrat de 18 ans !), le Syndicat mixte pour la gestion du service des eaux de Versailles et Saint-Cloud, qui est en fait une filiale commune (50/50) de Veolia et Suez... (Filiales communes que le Conseil de la concurrence a enjoint en 2000 à Veolia et Suez de dénouer, ce dont elles se contrefichent allégrement, même si Mme Christine Lagarde, qui a certes d’autres « fat cats » à fouetter par les temps qui courent leur en a gentiment rappelé la nécessité, à l’initiative de Que-Choisir...)

On voit dès lors aisément quels sont les objectifs qui sous-tendent les appels vibrants à la « mutualisation », sous forme de redécoupage, aussi technique que politique, qui assurera à la droite la maîtrise de la gestion de l’eau en Ile-de-France, au plus grand profit de nos amis de Veolia et Suez...

Ernst & Young flingue Veolia

La tension monte soudainement quand les conclusions du cabinet Ernst & Young, qui a audité les comptes 2007 du syndicat (qui lui a confié le contrôle des comptes de Veolia pour les quatre prochains exercices) sont présentées aux délégués. Le cabinet flingue en effet allégrement les dérives de l’actuelle « régie intéressée » confiée à Veolia depuis 1962, déjà dénoncées à maintes reprises, tant par la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France que par l’UFC-Que-Choisir. Réjouissant puisque on peinerait à trouver un quelconque auditeur dudit cabinet qui ait jamais délaissé Hayek pour s’abandonner par inadvertance à la lecture d’un libelle gauchiste, même chez son coiffeur, et en bande dessinée...

Ernst & Young a en effet relevé rien moins que 14 points « litigieux », dont les travaux facturés par la Sade (filiale de Veolia) à hauteur de 50 millions d’euros par an, l’évolution des coefficients de révision des prix, les charges de personnel, les frais d’entretien des canalisations, branchements et compteurs, les travaux délégués, la rémunération du régisseur, les débits à établir, les surcoûts des lits de séchage, les provisions pour litiges, la taxe professionnelle, le « Petit guide de l’eau » à destinations des petits nenfants franciliens...

Une « régie » très intéressante

Or, après des mois de suspense insoutenable, qui ont vu nos 142 valeureux délégués se voir assaillis de rapports d’audit aussi abscons qu’incompréhensibles pour le commun des mortels, dont, de l’aveu général, ils reconnaissent être dans l’incapacité d’y comprendre quoi que ce soit, après que nos amis de Veolia et le président de la petite Corée du Nord aient assuré, main sur le cœur, que toutes les options envisageables quant au choix du futur mode de gestion seraient « objectivement » étudiées, pour un coût coquet de 3 millions d’euros que vont empocher le groupement de bureaux d’études rémunéré à cet effet, surprise, enfer et damnation, le Syndicat, son président et son bureau, presque à l’unanimité nous le verrons, proposent donc à l’issue de ce brainstorming épouvantable... de reconduire le contrat de Veolia sous forme d’une régie intéressée « rénovée » !

Là on croit rêver. Non seulement c’est un modèle, un concept de contrat intrinsèquement léonin qui devrait être reconduit, mais nos amis délégués seront appelés à voter le 11 décembre prochain sur la proposition du bureau, qu’il doit officialiser sous forme d’un avis le 7 novembre prochain, qui ne proposera à leur vote que cette seule option : oui ou non à la régie intéressée rénovée. Point barre !

Même le sénateur Dallier (UMP) en est interloqué. C’est dire...

Et le tout à un moment où le cours de l’action de Veolia laisse augurer qu’à ce rythme nous serons bientôt en capacité d’en réclamer la légitime nationalisation pour un euro symbolique !

Quand on songe que même Mme Judith Jiguet, la toute nouvelle directrice de l’eau du Meeddat, s’était investie dans le choix du futur mode de gestion du Sedif, alors qu’elle effectuait un "stage" à la direction banlieue de Veolia avant d’être appelée à de plus hautes fonctions, on s’inquiète fortement de la gestion "démocratique" de l’eau dans l’Hexagone...

Le PS sort du bois

Dès le lundi 20 octobre, M. Pascal Popelin annonce sur son blog la position des élus socialistes en faveur d’une gestion publique de l’eau par le Sedif.

Il appert que nos amis socialistes considèrent que la coupe est pleine. S’étant engagés en mai dernier, avec leurs camarades délégués du PC à œuvrer à un retour en gestion publique du Sedif, les délégués du PS, unanimes, se révoltent et affichent désormais une position sans ambiguïté aucune. La régie, toute la régie, rien que la régie. Comme en atteste l’explication de vote de leur (nouveau) chef de file, M. Pascal Popelin, Vice-président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis.

Le vote du groupe socialiste en faveur de la régie

Le PC à la peine

Sauf que leurs camarades du PC affichent de leur côté une position pour le moins chantournée, qui ne tient pas la route, et se prononcent pour leur part pour une « régie avec marchés publics ». Ceci après s’être "courageusement abstenus" quand il s’est agi d’avaliser ou non la proposition de "future régie intéressée rénovée" soutenue par M. Santini et Mme Veolia !

N’importe quoi. Dans le cas du Sedif ça relève d’un habillage réglementaire qui viserait à pérenniser la rente de situation de Veolia.

Et le pire c’est que c’est purement et simplement impossible. Dans ce cas de figure, le Sedif créerait une régie qui intégrerait les 1192 salariés de Veolia qui travaillent pour le Sedif (enfin en principe, mais c’est une autre affaire, quoique...), puis la « régie avec marchés publics » devrait retransférer des lots de ces personnels à chacune des entreprises, Veolia ou autres, qui obtiendrait partie des marchés que leur passerait cette régie...

Espérons que cette position intenable sera révisée et que les délégués concernés par cette prise de position de leur parti prendront le temps de parcourir l’impeccable argumentaire de leur camarade Popelin qui, quoique socialiste, leur dessine les voies de la sagesse : opter pour la régie sans autre forme de procès.

Voir la position des élus communistes et partenaires au Conseil syndical du Sedif du 23 octobre 2008.

Les usagers toujours mobilisés

Ceci d’autant plus que les usagers ne désarment pas, ce qui se comprend au vu de ce qui précède...

Plus d’une centaine de personnes se sont ainsi retrouvées à Ivry-sur-Seine le 23 octobre dans la soirée, dans une ambiance combative et unitaire, pour exiger le retour en gestion publique du Sedif.

Dans la journée, le Conseil syndical avait refusé le délai de six mois demandé par plusieurs élus, afin d’informer et de débattre au sein des conseils municipaux et avec la population, avant de prendre une décision à la fois cruciale et sujette à controverse, sur le futur mode de gestion du syndicat.

Ainsi, même au sein du Conseil syndical du Sedif, il n’y aura, en tout et pour tout, qu’un seul unique débat en trois ans sur cette question !

Refus aussi de laisser les délégués choisir entre plusieurs options.

Le 11 décembre, les délégués devront se prononcer sur une seule option : le renouvellement de la régie intéressée (en réalité, elle n’a de régie que le nom, il s’agit d’une forme de délégation à une entreprise privée), sous les injonctions de M. Santini qui va mener campagne sur le thème « la régie intéressée ou l’apocalypse » !

Le soir à Ivry, élus et associations se sont donc retrouvés au coude à coude, dans la salle et à la tribune avec Daniel Hofnung (ATTAC 94), Philippe Kaltenbach (maire de Clamart), Marc Laimé (journaliste), Christian Métairie (vice-président de la Communauté d’agglomération du Val-de-Bièvre et premier adjoint d’Arcueil), Jean-Claude Oliva (coordination EAU Île de France), Jacques Perreux (vice-président du conseil général du Val de Marne), Christian Métairie et Jean-Claude Oliva assurant même une animation conjointe des débats.

Le ton était résolument au rassemblement avec l’expression dans la discussion de toutes les sensibilités de gauche : PS, Verts, LCR, PCF, PRS… La mobilisation de tous est indispensable pour mettre en échec le 11 décembre, la tentative de poursuivre le mode de gestion actuel, pourtant unanimement décrié, y compris par les bureaux d’études favorables à la gestion privée.

Pour se donner toutes les chances de l’emporter le 11 décembre, différentes actions ont été décidées par l’assemblée :

 Tout d’abord, la poursuite et la multiplication des actions engagées dans de nombreuses villes : pétition, débat et vœu au conseil municipal, débat public, voire même prolongation par référendum d’initiative populaire.

 Demandes de rendez-vous avec les fédérations départementales et nationale des élus communistes et républicains pour s’assurer que pas une voix ne manque pour refuser la régie intéressée, les élus socialistes s’étant déjà clairement engagés dans ce sens.

 Appel de plusieurs centaines d’élus des conseils municipaux pour exiger la transparence dans le choix du Sedif tant la procédure est entachée depuis le début par l’opacité et le manque de démocratie.

 Préparation d’une démarche administrative sur les nombreuses irrégularités du dossier.

Dans la presse

L’enquête de Politis du 23 octobre 2008
La tribune de Jacques Perreux dans l’Humanité du 28 octobre 2008

Lire :

SEDIF, le dossier d’Eaux glacées

Marc Laimé - eauxglacees.com