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Assainissement non collectif (44) : le coup d’état de Veolia (1)

4 septembre 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Sous le patronage de M. Jean-Louis Borloo, le Meeddat et le ministère de la Santé doivent présenter officiellement lors des 5èmes Assises nationales de l’ANC qui se tiendront à Lons-le-Saulnier les 15 et 16 octobre 2008, un nouvel arrêté, se substituant à un arrêté précédent de 1996, qui va réformer profondément les prescriptions techniques applicables aux installations d’ANC inférieures à un seuil de 20 équivalents-habitants. Ce texte était attendu avec impatience par tous les acteurs concernés, tant les enjeux de cette réforme sont considérables. Eaux glacées a assidûment suivi depuis le mois de mai 2007 toutes les étapes d’une réforme qui concerne plus de 10 millions de foyers français. Dans l’indifférence sidérante des grands medias, les perspectives qu’offre un marché considérable, qui va se chiffrer à plusieurs dizaines de milliards d’euros dans les prochaines décennies, ont suscité l’une des plus féroces batailles d’influence qu’ait connu le marché de l’eau et de l’assainissement en France. Bataille que semble en passe de remporter le géant français de l’eau et des services à l’environnement, Veolia, dont le lobbying semble avoir convaincu le gouvernement de se ranger à ses vues. L’affaire est aussi exemplaire qu’inquiétante. De nombreux acteurs professionnels du secteur sont déjà intervenus sur ce sujet sur Eaux glacées au cours des derniers mois. Nous publions aujourd’hui, en même temps que ce projet d’arrêté, un nouveau point de vue d’un professionnel, indigné par ce qu’il assimile à un véritable coup d’Etat d’une entreprise à laquelle les pouvoirs publics semblent décidément n’avoir rien à refuser. La charge est terrible. La démonstration limpide.



« Cet arrêté est un véritable scandale et témoigne d’une collusion entre le pouvoir et les groupes d’intérêts qui mérite d’appeler à la désobéissance civile.

Dans le cadre de la Loi sur l’eau du 30 décembre 2006 (LEMA), l’obligation faîte aux collectivités de créer les Services publics de l’assainissement non collectif (SPANC), en 2005 pour gérer le dossier de l’ANC a entraîné la révision des textes en vigueur.

Un premier arrêté sort en juin 2007, qui régit les prescriptions techniques applicables aux installations d’assainissement non collectif recevant une charge brute de pollution organique supérieure à 1,2 kg/j de DBO5, pour les ANC à partir de 21 Equivalents Habitants (EH).

Précédemment, des textes européens sont déjà sortis avec une partie de la déclinaison 12566 (1 à 7). Bizarrement, le législateur français ne cale pas ses textes en matière de seuil sur ceux-ci, qu’ils transposent pourtant en texte nationaux avant la sortie de ce premier arrêté.

Ce premier arrêté de 2007 est conforme à l’esprit de l’évolution réglementaire européenne, en étant articulé autour de l’obligation de résultats plutôt que l’obligation de moyens.

En toute logique, l’arrêté régissant les ANC de plus petite taille aurait dû sortir en même temps, d’autant que, d’une part, la création des SPANC devenait déjà effective dans bon nombre de collectivités, et que, d’autre part, les normes européennes, notamment la EN 12566-3, auraient du être d’application obligatoire en imposant le retrait des textes nationaux contradictoires dès le mois de mai 2007.

Va suivre une incroyable saga, qui va entretenir la confusion au sujet de ce fameux arrêté de quelques pages sur un sujet somme toute plutôt simple, mais urgent à traiter : il ne s’agit pas de refaire le monde, mais d’adapter une réglementation obsolète à la réalité de la gestion environnementale des eaux usées de plus de 12 millions de Français.

Cette réglementation, que certains jugeaient archaïque, et datant de 1996, était articulée sur l’obligation de moyens, sans référer, ou si peu, à l’obligation de résultats, base incontournable de toute politique environnementale qui se respecte.

Autre faiblesse notoire de ce texte, il bloquait toute innovation technologique, et empêchait la libre circulation des produits à l’échelle communautaire.

Qu’est ce qui peut expliquer qu’on va mettre des années pour écrire un texte réglementaire de quelques pages qu’il est pourtant urgent de sortir au nom de l’intérêt général ?

Rappelons qu’il s’agit ici de traiter un problème aigu de pollution diffuse (certains logements ne disposent même pas d’ANC), et que la population concernée est considérable.

Derrière ce problème se pose aussi celui de l’urbanisation dans un contexte d’envolée des prix du foncier. Au passage, on peut noter que le manque de visibilité ne pouvait que conduire les élus à privilégier une urbanisation « raccordable » aux réseaux collectifs, un terrain de jeu favori des géants de l’eau.

L’arrêté de 2007 pour les installations au-dessus de 20 EH ne pose pas de problèmes aux grands groupes (Veolia, Suez, Saur...), qui sont déjà en ordre de bataille et présents sur le marché.

Un marché du ressort des collectivités, régi dans le cadre des marchés publics, pas de souci pour eux : ils sont dans leur jardin… Déjà, sur ce marché, l’offre concurrentielle est très limitée : souvent juges et parties, ils « maîtrisent la maîtrise » d’œuvre publique ou privée, cannibalisent l’affermage etc…

En dessous, c’est beaucoup plus compliqué.

 Les trois grands groupes sont pour l’heure inexistants sur un marché considérable, qui va représenter sur les décennies à venir des dizaines de milliards d’euros.

 Il leur faut investir la propriété privée.

 Ils vont avoir à gérer une multitude de petits intervenants : bureaux d’étude, entreprises de travaux publics, du bâtiment, fabricants de fosses ou de micro-step, etc...

 Ils vont avoir à gérer un lobbying déjà bien installé et puissant, essentiellement celui des fabricants de fosses toutes eaux, des producteurs de granulats, auxquels est venu se greffer un fabricant de filtre à pouzzolane.

Veolia, le géant de l’eau et du déchet, va prendre la main avec le soutien bienveillant des pouvoirs publics, en montant une très efficace opération de communication avec sa fameuse grande étude intitulée : "Etude comparative des performances de 8 filières de traitement : résultats et évaluations".

On rameute tout ce qu’il est possible de mobiliser : le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), le CEMAGREF, les agences de l’eau.

On crée l’événement et le porte-voix, les Assises nationales de l’ANC, outil permettant d’occuper le terrain médiatique… et d’un coup on devient le référent incontournable du secteur.

Première explication à la non sortie en temps et en heure du texte tant attendu : l’étude précitée, qui se veut irréprochable, prend du temps : 40 semaines de tests. Entre le temps nécessaire à l’élaboration de la stratégie, à son montage, à sa réalisation et à la production médiatique on dépasse allègrement une année !

L’autre avantage, c’est que parallèlement, pendant tout ce temps, on investit le terrain autant que faire se peut : délégations de service public (DSP) au niveau des SPANC, diagnostics, etc.

L’Europe avait mis au point un protocole, mais on décide de faire mieux, plus sérieux. Le protocole sera celui qu’on souhaite en décrédibilisant le protocole européen jugé minimaliste. C’est de notoriété planétaire : la France est un exemple pour l’Europe en termes de gestion des contraintes environnementales...

Pendant tout ce temps, on assiste à une valse à quatre temps des projets de nouvel arrêté, retouchés, corrigés, qui naviguent, qu’on diffuse savamment… pour entrevoir un projet qui serait le projet définitif fin mars 2008 !

Sa date de sortie ? Mystère. Des centaines de milliers de particuliers déjà touchés par la déferlante des mises aux normes ANC, les bureaux d’étude, les SPANC, les industriels, les élus : tout le monde est dans l’expectative et suppute à qui mieux mieux...

Le dernier projet jeté sur la place publique semble être un texte de compromis :

 on garde les filières classiques, qui ont tant fait leurs preuves en France, et dont on peut tirer grande fierté en s’exonérant de l’obligation de résultats.

 on rend les solutions alternatives réglementaires, à condition que celles-ci répondent à un objectif de résultat et de conformité aux normes européennes.

Bizarrement, la France, qui avait déjà obtenu de Bruxelles le report de l’application des normes européennes de mai 2007 à juillet 2008 (et pour cause), redemande au dernier moment… et obtient un nouveau report d’un an pour l’application des normes 12566-3 concernant les installations alternatives aux filières classiques franco-françaises.

Pourtant transposées en 2005, et entérinées en France par arrêté ministériel en octobre 2006, celles-ci prévoyant le retrait des textes en contradiction en juillet 2008, plongent alors la France dans la confusion réglementaire : le report demandé ne pouvait plus nous concerner. Il aurait fallu revenir sur l’arrêté de 2006 concernant l’application d’une norme qui était devenue… française déjà depuis novembre 2005 ! Oui, novembre 2005 !

Revenons donc fin mars 2008 : le devenir du texte qui a été annoncé comme définitif va rester flou, avec des informations contradictoires, jusqu’à ce qu’on apprenne qu’il a été notifié à Bruxelles le 3 août 2008, en pleine période de léthargie estivale et qu’il serait présenté à Lons-le-Saunier le 15 octobre 2008 par les ministères de la Santé et de l’Ecologie.

Enfin ! Après tant d’années !

La période de statu quo se terminant 3 mois après la notification, l’intervention annoncée des ministères le 15 octobre laisse à penser que Bruxelles a donné des assurances à la France quant à un retour anticipé du texte.

Le texte tant attendu parti en catimini un 3 août pour validation à Bruxelles : mais quel texte ?

Mettre autant de temps pour le sortir laisse à penser qu’on va disposer d’un outil réglementaire remarquable, d’autant que toute la population concernée, de l’usager au professionnel, va en prendre pour des années.

En fait un arrêté à peu près conforme à la version annoncée comme définitive en mars, à quelques « détails » près qui modifient totalement son esprit :

 On garde les filières classiques, en ressuscitant au passage le catastrophique filtre à sable horizontal (on se demande bien pourquoi).

 On privilégie le traitement par le sol en place, ou reconstitué, en précisant que ça reste compliqué en matière de vérification d’aptitude du sol à le permettre. Par contre l’absence de nappe (y compris en période de battement), ou de possibilité d’inondation, qui devaient être vérifiées et être rédhibitoires, peuvent désormais être « exceptionnelles » !

 On interdit les filtres plantés de roseaux qui constituent pourtant (à tort ou à raison) la filière privilégiée pour les STEP semi-collectives. « … En outre, elles ne doivent pas présenter de développement de gîtes à moustiques favorisant la transmission de maladies vectorielles, ni engendrer de nuisance olfactive… ».

C’est une évidence que les moustiques, à qui on a réussi à interdire le gîte dans les roselières plus importantes, auraient eu tendance à être beaucoup plus indisciplinés chez le particulier !

 On permet d’utiliser des techniques alternatives sous conditions :

 respect des objectifs de performances en termes de DBO et de MES. Bizarrement aussi, on squeeze la DCO.

 agrément par les ministres en charge de l’Environnement et de la Santé, après évaluation technique. Vu la crédibilité et l’objectivité du ministère dans la rédaction de ce texte, on a de quoi être inquiet !

Et, on sort du chapeau des annexes à l’arrêté (et là c’est la surprise du chef) :

« Caractéristiques techniques et conditions de mise en oeuvre des dispositifs de l’installation d’assainissement non collectif ».

Ces annexes, que personne n’avait vu, simple copié/collé de l’arrêté de 96 ( !), dénaturent complètement le texte, sont en contradiction totale avec les normes françaises NF-12566-3, en écartant de fait les stations préfabriquées si elles utilisent la technique de la boue activée ou de la culture fixée.

En d’autres termes, ce qui a été appelé à tort parce que trop générique, toutes les « micro-steps » considérées comme de simples fosses toutes eaux.

On était capable, en France, de pondre des textes différents et contradictoires, là on met des années à sortir un arrêté qui se contredit à l’intérieur même du texte :

Article 5 :

« Les installations d’assainissement non collectif qui peuvent être composées de dispositifs de prétraitement et de traitement réalisés in situ ou préfabriqués doivent satisfaire :

 aux exigences essentielles de la directive produits de construction relatives à l’assainissement non collectif, notamment en terme de résistance mécanique, de stabilité, d’hygiène, de santé et d’environnement ;

 aux exigences des documents de référence, en terme de conditions de mise en œuvre afin de permettre notamment l’étanchéité des dispositifs de prétraitement, et l’écoulement des eaux usées domestiques et afin d’empêcher le colmatage des matériaux utilisés. »

En résumé, le scandale de l’ANC en France conduit à laisser à l’usager, qui va payer, un choix imposé par les lobbys : marchands de FTE, producteurs de granulats et les grands groupes.

Veolia en première ligne affiche clairement sa volonté de faire payer l’usager sous forme de redevance ad vitam aeternam, avec une « technique innovante » régie par l’ article 7 de ce fameux arrêté et agréé par le ministère !

L’évolution réglementaire tant attendue n’apporte rien de plus en matière de protection de l’environnement.

Elle permet seulement d’anéantir une offre technologique gênante pour les champions du lobbying.

On comprend mieux pourquoi la gestation de ces quelques pages a pris tant de temps.

Veolia, qui devait composer avec les lobbyistes déjà en place, a donc probablement opéré un choix technologique et l’analyse de leur fameuse étude et les derniers rebondissements permettent d’y voir plus clair.

Ce qui est rassurant, c’est qu’il reste des économies d’échelle à réaliser en cette période de disette budgétaire.

M. Boorlo devrait déménager son ministère au siège de Veolia.

Car enfin, après avoir pondu le « crédit vert à 0% » pour des investissements liés aux économies d’énergie dans le cadre de l’amélioration de l’habitat (très bien !) où il n’y a aucune obligation, pourquoi ne pas l’étendre à l’ANC qui touche l’environnement, avec des mises aux normes obligatoires, et qui va frapper de nombreux foyers à revenus modestes ?

Parce que c’est incompatible avec la stratégie Veolia de redevance ! Ça aussi c’est un scandale ! Celui qui va avoir les moyens de mettre une pompe à chaleur sera aidé, celui qui devra refaire son assainissement devra payer de 6000 à 10 000 euros !

Ici, on est sur le blog de Marc Laimé, journaliste et écrivain. Pour faire un parallèle, c’est comme si un auteur était jugé publiable, non pas à partir de la qualité de ses textes, mais en fonction de la machine sur laquelle il les a écrit.

Heureusement que Bill n’était pas français, Marc, un arrêté ministériel vous aurait probablement interdit, à cause de votre Mac, d’accéder au statut d’écrivain.

En conclusion : l’offre concurrentielle réduite à peau de chagrin, des millions de français floués, des milliards d’euros en perspective pour les copains.

La France, une république de plus en plus bananière ? »

Le projet d’arrêté notifié par la France à Bruxelles le 3 août 2008

Lire aussi :

Assainissement non collectif (43) : le dossier d’Eaux glacées

Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 septembre 2008.

En lien avec cet article :

Assainissement non collectif (33) : l’arrêté de 96 et le DTU 64.1 sont morts !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 1er août 2008.

Assainissement non collectif (34) : polémique sur les micro-stations, l’arrêté de 1996 et le DTU 64.1. L’avis d’un expert.

Les eaux glacées du calcul égoïste, 1er août 2008.

Assainissement non collectif (36) : l’OPA de Veolia

Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 août 2008.

Assainissement non collectif (37) : précisions sur Norme, DTU et arrêté

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 août 2008.

Assainissement non collectif (38) : le débat norme, DTU, arrêté, rebondit...

Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 août 2008.

Assainissement non collectif (39) : polémique sur le traitement par le sol

Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 août 2008.

Assainissement non collectif (40) : Veolia ne passera pas

Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 août 2008.

Marc Laimé - eauxglacees.com