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Assainissement non collectif (36) : l’OPA de Veolia

5 août 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Un observateur avisé du monde de l’ANC a soumis à Eaux glacées cette analyse implacable de la véritable OPA fomentée par le géant mondial de l’eau, qui entend bien s’arroger le colossal marché que va représenter la mise aux normes et l’entretien du parc français de l’assainissement non collectif, autre exception française, puisqu’il est le plus important d’Europe, et concerne plus de 10 millions de particuliers dans l’Hexagone. Au vu des péripéties qui ont déjà jalonné notre saga, il est fortement à redouter que cette analyse au vitriol ne dessine malheureusement un futur déjà bien compromis.



« L’ANC en France, jusqu’à une période récente, n’était pas considéré comme un enjeu environnemental. Marché diffus, il n’intéressait au premier chef que les « cuvistes », qui étaient non pas des assainisseurs, mais des manufacturiers de produits bétons puis plastiques, les vidangeurs et les PME, maçons, et enfin les entreprises de travaux publics ou agricoles, au niveau de la pose.

« On ne traitait pas : on se débarrassait des eaux usées et des boues. De la fosse étanche, quand il y en avait, on est passé à la fosse septique puis, grande innovation dans les années 70, à la fosse « toutes eaux », précédant un filtre majoritairement à sable.

« Le cahier des charges s’est précisé et on a confié aux DDASS le contrôle de tout ça. L’arrêté de 96 n’a fait qu’encadrer les règles devenues au fil du temps « les règles de l’art », sans un quelconque objectif de performance.

« Un industriel a eu l’idée de mettre sur le marché des « bactéries en poudre », pour « activer » la dégradation biologique sans que personne ne se soucie vraiment du travail des bactéries endogènes… au boulot depuis toujours dans les intestins humains, et dans notre belle et grande nature.

« Eparcyl s’est dit ensuite qu’il serait juteux de vendre aussi le support à ces microbestioles, plutôt que ça ne soient les carriers et autres sabliers qui le fassent.

« Là on a commencé à avancer dans le traitement biologique et l’émanation d’Eparcyl, Eparco, a rejoint les acteurs du marché, cuvistes, producteurs de granulats, pour investir, lobbying oblige, les commissions en charge du dossier et des textes réglementaires, au point de modifier l’arrêté de 1996…

« Parallèlement, les grandes lois de 1992 vont faire bouger les choses. Pour l’eau et l’assainissement, entre autres, va se profiler la responsabilisation des collectivités locales, avec l’obligation de créer les SPANC, ce qui va réveiller le champion du monde de l’eau et du déchet, à qui les collectivités « doivent tant ».

« Un nouvel acteur sur ce marché diffus, et somme toute pas très organisé, et quel acteur : Veolia qui entre temps avait sorti sa calculette !

« Acteur ? Dans un premier temps, pas comme professionnel du traitement ! Parce qu’un monstre désirant capter un marché privé, qui plus est on ne peut plus diffus et dont on est complètement absent : sacré challenge. Donc Veolia sur le sujet, partant de rien, devait construire une stratégie compte tenu du verdict implacable de la calculette.

« Laissons parler Christian Vignoles, Monsieur ANC chez Veolia, qui s’exprimait ainsi, lors des Assises nationales de l’ANC, à Cahors en 2007 :

« La vérité sur les petites installations d’assainissement actuelles…

« Des diagnostics réalisés sur un échantillon de plusieurs dizaines de milliers d’installations réelles montrent que si de l’ordre de 5% ne fonctionnent pas, nous sommes sûrs du fonctionnement de 15% d’entre elles, cela laisse une incertitude sur la protection des milieux pour 80% de ces ouvrages !

« Cela nous laisse plus de 4 millions de dispositifs en position de ne pas assurer leur mission. C’est tout simplement énorme !

« Résoudre ces problèmes est techniquement possible, il faudra évidemment du temps, de l’ordre de 20 à 25 ans, mais l’essentiel est d’aller vers un assainissement durable en qui on puisse avoir confiance.

« Une petite installation d’assainissement peut être très performante…

« Un marché qui ne peut que croître…

« On évalue aujourd’hui le marché français des petites installations d’assainissement à 150 000 unités annuelles environ, composées de 110 000 neuves et de 40 000 réhabilitées.

« Avec une durée de vie de 25 ans des installations, c’est 4% du parc à renouveler par an pour, en 2032, accéder à des petites installations d’assainissement performantes pour la protection des milieux naturels, le rythme de réhabilitations s’établirait à 200 000 unités annuelles.

« Le marché des P.I.A. en France se dirige vers un montant de l’ordre de 300 000 unités annuelles en incluant les opérations neuves, cela va nécessiter une organisation professionnelle de l’ensemble des acteurs du domaine. »

Le renard libre dans un poulailler libre

Un pactole à saisir

Revenons à notre observateur avisé : « Sur 20 à 25 ans, des millions d’installations et un marché qui oscillera entre 50 et 70 milliards d’euros, pour ne parler que du marché français !

« Comment l’aborder et l’investir quand on en est quasi absent ?

« La vision de Véolia ne peut être que celle du marchand d’eau qui va vendre le traitement des eaux usées, et l’eau, « à la campagne », comme il sait si bien le faire « à la ville » !

« L’objectif final : s’occuper de tout, installation, entretien, financement et facturer ça au consommateur vache à lait au m3 d’eau consommé et vite pollué dès que le robinet s’ouvre !

« Difficulté, quand même : il faut investir la propriété privée et maîtriser la multitude d’intervenants déjà en place sur le marché.

« La stratégie :

 Investir les SPANC, en multipliant autant que faire se peut les DSP (délégations de services publics) ;

 Investir les bureaux d’études, autres nouveaux acteurs du marché avec les fameuses études de sol et de filières qui se sont imposées ;

 Investir les commissions au niveau du ministère, des organismes de normalisation. Et voilà qu’en relativement peu de temps notre Monsieur ANC de Veolia collectionne les présidences, alors que notre cher traiteur d’eau n’est toujours pas acteur du secteur… sur le terrain.

 Mieux, devenir LE référent, en crédibilisant l’image de grand spécialiste du secteur avec la complicité des organismes d’accréditation et autres émanations publiques ou para publiques : CSTB, Cemagref, agences de l’eau etc… C’est la « grande étude Veolia » programmée sur la durée, fusée à plusieurs étages dont le premier a été lâché à Cahors, avec les tests réalisés par le CSTB à Nantes.

 Le rouleau compresseur à communiquer s’est mis en route en direction des élus et des techniciens des SPANC, enfin ceux qui échappent aux DSP.

 Le protocole CE : pas convaincant.

 La référence : le protocole Veolia !

« Reste qu’avec tout ça, on n’en est pas encore rendu à facturer quelque chose au captif après avoir investi son jardin. Il faut que l’évolution réglementaire aille au rythme imposé par la grande maison, et dans la direction souhaitée par celle-ci.

« Techniquement, le plus simple, le plus facilement maîtrisable, le plus rassurant pour investir le marché : les micros-steps ! On approche les gens d’expérience à l’échelle européenne, on fait des chèques à quelques acteurs marginaux français, et on prépare l’opinion à une future avancée majeure en matière d’ANC en France : la STEP Veolia.

« Que dit, entre autres, la fameuse étude présentée à Cahors ?

« Traiter des eaux c’est quoi ?

D’abord c’est rendre au milieu une eau de qualité compatible avec ce qu’il peut accepter,

C’est, tout simplement, dégrader la charge organique contenue dans l’eau usée,

C’est utiliser de l’oxygène pour l’activité des bactéries au sein d’un milieu de traitement,

C’est se servir de techniques simples, efficaces et suivies dans le temps.

Ne pas confondre fosse et petite installation d’assainissement…

La France place le sol en solution prioritaire de traitement. Est-ce bien raisonnable ?

Le sol passe pour être un outil apte à abattre simplement la charge microbiologique d’une eau usée, il est un outil de protection pour la santé humaine.

L’appréciation des qualités d’un sol est une science délicate et les divergences d’interprétation illustrent cette réalité.

A quelques exceptions près, le sol ne peut pas être un outil durable de traitement biologique d’eaux usées sorties de fosse septique.

Le sol représente une excellente solution d’infiltration des eaux usées traitées pour rendre localement l’eau à la nappe, pour assurer une désinfection naturelle.

Le sol est un bien précieux, sachons l’utiliser tout en le protégeant.

L’installation de ces petites unités de traitement est une chose d’autant plus délicate qu’elle doit faire l’objet d’une construction sur site.

Tout dispositif prémonté en usine et installé rapidement sera à privilégier à performances comparables.

L’installation est la cause aujourd’hui, de par la complexité de ce qui doit être réalisé par des constructeurs occasionnels, de fonctionnements insatisfaisants de l’ordre d’une unité sur deux.

Les procédés extensifs, type filtres à sable, contrairement à des certitudes non étayées, sont des installations très délicates à bâtir qui nécessitent, pour leur bonne mise en place, une surveillance continue du chantier.

La notion de compacité des installations est essentielle, plus encore en réhabilitation qu’en mise en place initiale.

Une petite installation d’assainissement doit être jugée sur sa capacité à traiter une charge organique et l’évolution du marquage CE en ce sens est acquise.

Une démarche de choix dans une dynamique de développement durable passe par une projection économique sur une durée de vie estimée qui peut être conseillée à 20 ans.

Privilégier un dispositif dont les composants sont accessibles est la démarche pragmatique, le contrôle aisé de bon fonctionnement de l’installation en sera facilité de même que les actions correctives éventuelles. »

(Toujours du M. ANC de Veolia dans le texte.)

« La suite ?

« Le futur arrêté ne sera que transitoire et préfigurera l’arrêté définitif, qu’on pourra baptiser, celui-là, « arrêté Veolia ». Les prescriptions seront conditionnées par la proposition technologique et le cahier des charges déjà figé ci-dessus…, quand la grande maison sera réellement prête.

« L’importance du marché mérite de prendre son temps. Les filières classiques devront mourir le moment venu : pas avant !

« Restera aussi à convaincre les collectivités de lancer des appels d’offre pour la fourniture, la mise en place et l’entretien des installations, et par le biais des DSP de facturer tout ça à notre pauvre consommateur sur sa facture d’eau, en avilissant les petites boîtes de TP locales « à qui on assurera à l’année un chiffre d’affaires ».

« L’histoire est déjà écrite, et nos braves spankeurs, aujourd’hui serviteurs des collectivités qui croient lutter pour la bonne cause en se battant contre les vendeurs de micro-steps, et qui pensent que l’arrêté de 96 est leur futur, auront rejoint alors leurs copains déjà en DSP, ou auront changé de métier !

« L’ANC est un cas d’école en France, en termes de lobbying d’un côté, d’incompétence de l’autre.

« Il est révélateur de la toute puissance des grands groupes !

« Ce ne sont ni les taux de DBO, DCO, MES ou de nitrate et la protection du milieu qui font avancer le bateau.

« Ils représentent simplement le meilleur moyen pour un géant de capter dans les décennies qui viennent la part la plus importante possible d’un marché de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ainsi vont les choses en ce début de XXIème siècle dans notre beau pays... »

Voir les deux interventions de M. Christian Vignoles aux Assises nationales de l’ANC à Cahors en 2007

M. Vignoles est membre du groupe consultatif mis en place par le MEEDDAT pour la refonte des arrêtés sur l’ANC, animateur AFNOR de la GW 41 (normalisation européenne), président de la commission de normalisation AFNOR (normalisation française), président du GS 17 (groupe spécialisé épuration chargé des instructions des avis techniques et des documents techniques d’application), membre actif de la FP2E, membre actif et influent du groupe assainissement non collectif de l’ASTEE, intervenant dans des colloques et conférences (Réseau IDEAL), et bien sûr expert chargé de mission à la Direction technique de Véolia Eau, ce sans quoi nous en parlerions moins...

Le dossier de l’ANC :

Assainissement non collectif (1) : les usagers vont trinquer

Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 mai 2007.

Assainissement non collectif (2) : les difficultés commencent

Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 juin 2007.

Assainissement non collectif (3) : Point de vue du Syndicat de l’ANC des Vosges

Les eaux glacées du calcul égoïste, 12 juin 2007.

Assainissement non collectif (4) : le grand bazar

Les eaux glacées du calcul égoïste, 10 juillet 2007.

Assainissement non collectif (5) : les arrêtés d’application de la LEMA

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 septembre 2007.

Assainissement non collectif (6) : les micro-stations d’épuration

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 octobre 2007.

Assainissement non collectif (7) : pourquoi les lits de roseaux plantés sont-ils interdits aux particuliers ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 6 novembre 2007.

Assainissement non collectif (8) : comment réduire la facture ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 novembre 2007.

Assainissement non collectif (9) : recherches tous azimuts

Les eaux glacées du calcul égoïste, 16 novembre 2007.

Assainissement non collectif (10) : comment financer les SPANC ?

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 novembre 2007.

Assainissement non collectif (11) : l’Agence de l’eau Adour-Garonne crée un observatoire international

Les eaux glacées du calcul égoïste, 11 décembre 2007.

Assainissement non collectif (12) : les usagers continuent à trinquer…

Les eaux glacées du calcul égoïste, 4 janvier 2008.

Assainissement non collectif (13) : zonage, raccordement et permis de construire…

Les eaux glacées du calcul égoïste, 7 janvier 2008.

Assainissement non collectif (14) : Les toilettes sèches au tribunal !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 9 janvier 2008.

Assainissement non collectif (15) : contrôle avant la construction et permis de construire.

Les eaux glacées du calcul égoïste, 19 janvier 2008.

Procès des toilettes sèches à Brest : audience reportée

Les eaux glacées du calcul égoïste, 23 janvier 2008.

Assainissement non collectif (17) : des milliers d’usagers se révoltent et s’organisent dans le Vaucluse

Assainissement non collectif (18) : le sondage !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 20 février 2008.

Assainissement non collectif (19) : les aides promises aux particuliers de plus en plus incertaines…

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 février 2008.

Assainissement non collectif (20) : le projet d’arrêté déclenche un tollé dans les Spanc

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 février 2008.

Assainissement non collectif (21) : polémique sur les micro-stations d’épuration

Les eaux glacées du calcul égoïste, 3 avril 2008.

Assainissement non collectif ( 22 ) : Informations, sites, blogs...

Les eaux glacées du calcul égoïste, 21 avril 2008.

Assainissement non collectif (23) : le blues de l’usager

Les eaux glacées du calcul égoïste, 16 mai 2008.

Assainissement non collectif (24) : les projets d’arrêtés

Les eaux glacées du calcul égoïste, 18 mai 2008.

Assainissement non collectif (25) : le Finistère adopte une Charte de l’ANC

Les eaux glacées du calcul égoïste, 18 mai 2008.

Assainissement non collectif (26) : les positions de la CLCV et de l’AMF

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2008.

Assainissement non collectif (27) : l’action des usagers

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 mai 2008.

Assainissement non collectif (28) : les industriels français estiment que la France sera bientôt « exemplaire en Europe et dans le monde... »

Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 juin 2008.

Assainissement non collectif (29) : une enquête nationale avant les prochaines Assises de l’ANC

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 juin 2008.

L’affaire des toilettes sèches tourne à l’inquiétant polar en Bretagne

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 juin 2008.

Assainissement non collectif (30) : mon petit SPANC à moi il est génial

Les eaux glacées du calcul égoïste, 8 juin 2008.

Assainissement non collectif (31) : l’Association des Maires de France interpelle Jean-Louis Borloo

Les eaux glacées du calcul égoïste, 18 juillet 2008.

Assainissement non collectif (32) : quatre textes d’application en attente

Les eaux glacées du calcul égoïste, 25 juillet 2008.

Assainissement non collectif (33) : l’arrêté de 96 et le DTU 64.1 sont morts !

Les eaux glacées du calcul égoïste, 1er août 2008.

Assainissement non collectif (34) : polémique sur les micro-stations, l’arrêté de 1996 et le DTU 64.1. L’avis d’un expert.

Les eaux glacées du calcul égoïste, 1er août 2008.

Assainissement non collectif (35) : zonage, raccordement et eaux pluviales, une polémique dans les Vosges

Les eaux glacées du calcul égoïste, 3 août 2008.

Assainissement non collectif (36) : l’OPA de Veolia

Les eaux glacées du calcul égoïste, 5 août 2008.

Marc Laimé - eauxglacees.com