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Gestion de l’eau (6) : les Agences à bout de souffle ?

10 mai 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Un lecteur attentif que ses fonctions contraignent à la réserve a adressé à Eaux glacées la contribution ci-après, que nous apportons volontiers au débat, tant elle conforte le constat qu’un nouveau paradigme va devoir être formalisé, à mesure que les tensions s’accroissent sur l’actuel modèle de gestion de l’eau.



« Il y a encore quelques années, le modèle des Agences de l’eau françaises, le principe « pollueur-payeur », comme l’instauration de redevances votées par un « parlement » de l’eau, avec des représentants des différentes catégories d’usagers du bassin-versant était plébiscité au niveau de l’ONU pour son efficacité et sa relative équité. Incarnant l’excellence de « L’école de l’eau française », il a été promu dans le monde entier depuis une vingtaine d’années. Des centaines de délégations internationales ont visité la France pour s’en inspirer.

Mais plus de quarante ans après la création des agences financières de bassin, force est de constater que le modèle souffrait aussi de défauts rédhibitoires.

 il n’est jamais vraiment parvenu à mettre en adéquation les fonds collectés auprès des usagers, qui atteignent désormais 2 milliards d’euros par an, avec les capacités de réaction des collectivités. Ainsi ont-elles fréquemment présenté une trésorerie par trop excédentaire à un moment ou celle de l’Etat ne l’était pas. D’où la tentation, pas toujours repoussée, de ponctionner cette cassette miraculeuse.

 le personnel de base des Agences, constitué de chargés de missions, s’est progressivement vu imposer une déconnection des réalités de terrain, pour passer à une gestion plus administrative et financière imposée par le haut.

 agences, comités de bassin, direction de l’eau, et in fine tout l’appareil d’Etat voué à la protection de l’environnement, n’ont jamais pu l’emporter sur le ministère de l’Agriculture, et imposer des arbitrages qui auraient permis à temps de responsabiliser et entraîner dans un cercle vertueux les « pollueurs diffus », qu’il s’agisse bien sur des agriculteurs, mais aussi des collectivités et des particuliers. Ce qui aurait permis de passer de la dépollution de masse concernant les industriels et les collectivités, pour laquelle des progrès considérables ont été accomplis en 40 ans, à la prévention des pollutions diffuses par le biais d’actions d’accompagnement de type SAGE, de l’animation de contrats de territoires assortis de bonus financiers. Sans préjudice de l’instauration de taxes nouvelles comme une véritable TGAP, un impôt sur l’eau..., à la hauteur des enjeux de société. A cet égard la LEMA apparaît totalement dérisoire.

 il s’inscrit dans un système économique productiviste générant des effets pervers sur la ressource, et dans un contexte politique toujours plus défavorable aux dépenses publiques préventives.

 aucune véritable péréquation n’a jamais pu être instaurée entre Agences « pauvres » et « riches ».

 le système n’a clairement pas été défendu par les élus qui l’administrent en partie.

Avec la LEMA, la « réforme » annoncée des Agences s’incarne essentiellement sous l’angle d’une reprise en main par l’Etat (la « reverticalisation »), et l’accaparement d’une partie des recettes du système pour financer des missions ressortissant de l’action régalienne de l’Etat (Onema). Tour de passe-passe qui n’est aucunement garant d’une quelconque amélioration de l’état des milieux aquatiques, loin s’en faut.

Hypothèse DERU aidant, on se recentre sur le curatif, mais avec toujours moins de moyens, et en étant de plus en plus éloigné des réalités de terrain, toujours plus complexes.

Une dérive qui semble parfois hors contrôle mais dont les usagers-contribuables vont devoir acquitter le prix fort dans les toutes prochaines années.

Sur le fond, aussi longtemps que le modèle économique dominant du « marché de l’eau » n’intègrera pas les véritables coûts environnementaux et sociaux induits par ces tares rédhibitoires, aussi longtemps que ne s’imposera pas le respect de règles identiques pour tous, avec la création d’un organisme doté des pouvoirs lui permettant de les faire respecter, Agences de l’eau ou pas, seules des solutions palliatives s’imposeront, sur le modèle des droits à émission de CO2 régulés par le marché, et nous progresserons par bonds successifs, suivis de phases de stabilisation, puis de recul.

A l’exemple caricatural des marchés financiers. Ils se « régulent » par crises successives, que les « autorités » voient venir mais sont incapables de prévenir, mais tout au plus de pallier par injection massive d’argent public quand telle bulle menace de mettre tout le système à bas...

Pourquoi en irait-il autrement avec l’eau, puisque le « modèle » est similaire ? Celui de la sacro-sainte croissance, de la compétitivité économique, de l’attractivité des territoires, le tout désormais fortement aggravé par la relance sans frein du modèle agricole hyper-productiviste, légitimé par la crise alimentaire mondiale...

La première crise systémique du fameux « modèle français » de gestion de l’eau pointe clairement le bout du nez.

Comment en sortir ? Revenir à la gouvernance locale de l’eau par unité hydrographique cohérente, les agences de l’eau conviennent ici parfaitement, avec un modèle économique adapté : taxes incitatives sur l’eau et impôt, très probablement à court ou moyen terme, dans un contexte régulé au niveau national (péréquation et police de l’eau effective), le tout en lien avec les ambitions, engagements et contraintes européennes et internationales.

Changer seulement de modèle économique pour l’eau comme semble le proposer Véolia n’est donc pas la réponse adaptée au problème. Juste une fuite en avant… en attendant des jours meilleurs, où les SAGE taxeront l’eau et lèveront l’impôt sur les acteurs locaux, avec la péréquation de l’ONEMA, fusionné avec les Agences, les contrôles de la police de l’eau et la bénédiction de Bercy... »

Lire aussi :

Le ministère de l’Environnement a perdu la bataille qui l’opposait à l’Équipement depuis près de 40 ans

Corinne Lepage, Actu-environnement, 7 mai 2008.

Le Grenelle est un crime

Gilles Clément, Rue 89, 10 mai 2008.

Gestion de l’eau :

Gestion de l’eau (1) : le réquisitoire de l’IFEN

Gestion de l’eau (2) : la vision de Veolia

Gestion de l’eau (3) : le cri d’alarme de Bernard Barraqué

Gestion de l’eau (4) : la tentation autarcique

Gestion de l’eau (5) : les pauvres et l’eau

Gestion de l’eau (6) : les Agences à bout de souffle ?

Marc Laimé - eauxglacees.com