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Gestion de l’eau (1) : le réquisitoire de l’IFEN

2 mai 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Les “fondamentaux” de la gestion de l’eau sont devenus obsolètes et nous devons en changer d’urgence. C’est la conclusion que l’on peut retirer de la lecture de deux analyses publiées en 2006 par l’Institut français de l’environnement (IFEN), étrangement passées inaperçues, et que rien n’est venu contredire depuis lors. A la lumière des débats suscités par le “Grenelle de l’environnement”, elles méritent pourtant une relecture attentive, à l’heure où les Français sont invités à s’exprimer sur les grandes orientations de la politique de l’eau. Les urgences sont désormais telles que le débat sur une nouvelle gestion de l’eau doit impérativement s’ouvrir. Les grands groupes privés du secteur ne s’y trompent pas qui, anticipant une grave crise sanitaire, promeuvent une véritable fuite en avant technologique qui ne résoudra rien. La poursuite infinie d’une logique "curative" nous conduit droit dans le mur. Nous devons radicalement changer d’approche et élaborer un nouveau paradigme.



Publiés par l’IFEN, sous le titre “Perspectives : continuité ou changements structurels ?” dans le "Rapport sur l’état de l’environnement en France - Edition 2006. Etat des lieux de l’environnement en France et de son évolution." pp 193-234, ces deux textes renversent en effet radicalement les perspectives auxquelles nous sommes accoutumés.

Un modèle non durable

Le premier d’entre eux soulignait l’inefficacité des politiques actuelles et pointait surtout leur non durabilité.

“Les rejets des stations d’épuration des collectivités participent de façon significative à la pollution des cours d’eau : ils contribuent environ au cinquième de la charge azotée et à la moitié de la charge phosphorée véhiculées par les fleuves français. Les systèmes d’assainissement sont à l’origine de la moitié des contaminations microbiologiques recensées dans les eaux superficielles.

Et malgré toutes les mesures et toutes les réglementations, seulement 68% des Step des grandes agglomérations (41) de la France métropolitaine ont des performances épuratoires conformes en 2003-2004.

Avec le changement climatique, les étiages estivaux risquent d’être plus fréquents et plus sévères dans les années à venir, si bien que les rejets des Step devront subir des traitements plus poussés pour être tolérés par les milieux récepteurs, avec pour conséquence directe l’augmentation des coûts de l’épuration. Les boues produites ne se valorisent pas facilement dans l’agriculture à cause de leurs teneurs éventuelles en contaminants toxiques.

En l’absence de maintenance préventive, l’ensemble des réseaux d’assainissement et d’eau potable risque fort de devenir vétuste et déficient dans 40 à 50 ans (42), avec un coût de réhabilitation prohibitif.

Le tiers des volumes prélevés pour l’eau potable ne peut pas se faire dans une ressource de bonne qualité, et la qualité de la ressource se dégrade avec pour conséquence directe l’augmentation des coûts de traitement de potabilisation. Les prélèvements pour l’eau potable ne baissent pas (43) et 10 % des masses d’eau souterraines sont en déséquilibre quantitatif.

“Pour l’agriculture, les démarches mises en place à l’échelle nationale et régionale, par les voies de l’incitation, de la réglementation ou du volontariat, commencent à modifier les pratiques et à porter leurs fruits, mais restent pour l’instant très insuffisantes.

Sur le plan quantitatif, les activités agricoles sont à l’origine de la moitié des volumes prélevés hors refroidissement dans les eaux superficielles et de quatre cinquièmes des volumes consommés pendant la période estivale, avec pour conséquence un impact majeur sur les écosystèmes aquatiques. Leur taux de comptage est aussi très insuffisant.

Sur le plan qualitatif, l’agriculture est responsable d’environ deux tiers de la charge azotée et du tiers de la charge phosphorée véhiculées par les cours d’eau. De plus, les nitrates et les pesticides sont omniprésents en zones de cultures intensives et difficiles à appréhender à cause de leur caractère diffus. L’agriculture intensive favorise l’érosion des sols et leur appauvrissement en matière organique, avec pour conséquence directe la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des eaux souterraines.

“Tous ces éléments conduisent à un constat de non durabilité. On constate une stabilisation des prélèvements pour l’eau potable et une baisse des dégradations causées par l’assainissement. Mais l’amélioration de l’état des milieux a atteint une phase asymptotique qui ne correspond pas au bon état des milieux aquatiques.

Une question se pose : est-il possible d’améliorer ces résultats de façon significative en poursuivant dans la même voie ? Le réexamen des problématiques liées à des activités manifestement non durables semble inévitable à terme. Ce réexamen doit être effectué sans a priori et à la lumière des connaissances scientifiques actuelles sur le cycle de l’eau. Un certain nombre de pays dans le monde ont déjà entamé cette remise en question sur des sujets comme l’eau potable, l’assainissement et l’agriculture.”

Le diagnostic est au demeurant largement partagé, comme en attestent ces propos de Mme Alice Auréli, hydrogéologue à l’Unesco, dans une interview réalisée lors de la dernière Journée mondiale de l’eau, publiée le 20 mars 2008.

« (...) Le problème qui se présente en France est le manque de mesures par rapport à la pollution souterraine. On n’en parle pas suffisamment. Les eaux souterraines sont les ressources en eaux des prochains millénaires et on ne les connaît pas. En France comme ailleurs, on exploite donc encore très mal ces ressources. 
Dans 50 ans, si on continue comme ça, on peut craindre une pénurie nationale. La France devra alors s’asseoir avec les pays riverains pour trouver des solutions. La crise de l’eau est quant à elle commencée dans le reste du monde. Il faut aussi comprendre que le changement climatique entraîne l’appauvrissement de l’eau.

Il existe des gestes simples (pour éviter cette pénurie d’eau en France). Le problème est qu’ils ne sont pas tous défendables politiquement car ils risquent de toucher des intérêts énormes. La production agroalimentaire serait à changer, il faudrait repenser toute la politique agricole, repenser le développement économique du pays. Mais vous imaginez la complexité que cela représente pour les hommes politiques et leurs intérêts ! Surtout en France, où il est difficile de bousculer les choses. Là est tout le problème. »

Notes :

(41) Agglomérations de plus de 10 000 habitants en zones sensibles et agglomérations de plus de 15 000 habitants hors zones sensibles.

(42) On compte environ 800 000 km de conduites pour distribuer l’eau potable, 250 000 km de canalisations pour la collecte des eaux usées et
80 000 km de canalisations pour la collecte des eaux pluviales. Environ 1 % des réseaux sont renouvelés chaque année. Selon une étude conduite par l’Office international de l’eau en 2002 pour le compte du Medd, « pour le réseau d’assainissement comme pour le réseau d’eau potable, il n’existe pas de maintenance préventive ni de remplacement de conduite avant dégradation majeure. Si les collectivités locales ne peuvent pas réaliser un renouvellement préventif de ces réseaux, le risque pour que l’on arrive, à un horizon de 40-50 ans, en particulier pour l’assainissement, à une situation où l’ensemble des réseaux sera vétuste et déficient deviendra très élevé ».

(43) Et s’ils baissaient trop, la stagnation de l’eau dans les systèmes d’approvisionnement engendrerait des problèmes bactériologiques. Source : Agence allemande de Presse, juin 2005.

Des pistes pour le futur

Le second texte, titré : “Eau potable, assainissement et agriculture : des pistes pour le futur” dessine lui un nouveau paradigme, et insiste sur des initiatives qui ont déjà démontré leur pertinence dans d’autres pays européens.

“Les progrès de l’industrie dans les domaines qualitatifs et quantitatifs proviennent essentiellement de la prise en compte des pollutions à la source et du recyclage des eaux de process grâce, en particulier, aux nouvelles technologies membranaires.

Certains pays de l’Europe du Nord ou d’Asie, en voie de développement ou situés dans des régions arides, commencent à se pencher sur l’application de ces deux principes à l’eau potable et à l’assainissement.

Le modèle occidental de gestion de l’eau a été conçu au siècle dernier, sans contraintes de durabilité. Il est à présent contesté : « Il n’est pas adapté au niveau de développement et il n’est pas la panacée. » (Semaine mondiale de l’eau en août 2005).

Les réflexions et les recherches se basent sur un constat de dilution des pollutions et de gâchis des ressources de très bonne qualité. Ce constat, décliné pour la France, est le suivant : 90 % de la pollution domestique en demande biochimique en oxygène (DBO5), demande chimique en oxygène (DCO) et azote, et 50 % de la pollution en phosphore proviennent uniquement des urines et excréments, eux-mêmes concentrés dans seulement 1 % du volume des effluents.

L’essentiel de la contamination en germes pathogènes provient uniquement des excréments dont le volume ne représente que 0,1 % de celui des effluents.

Seuls 3 % des 55 m3 d’eau potable consommés chaque année par un Français sont destinés à un usage alimentaire ou apparenté : boisson, lavage et cuisson des aliments. Les 97 % restant servent à d’autres usages qui n’ont pas la même exigence de qualité de l’eau : lavages corporels, lavages des sols, de la vaisselle, du linge et de la voiture, arrosage du jardin, remplissage de la piscine, eaux vannes, etc.

Plusieurs pistes techniques émergent. Pour l’assainissement, il s’agirait de ne plus mélanger les urines et excréments avec les eaux de lavage ou « eaux grises », essentiellement chargées en tensioactifs et phosphates.

Les lisiers humains pourraient être récupérés par une filière séparée (toilettes sèches par exemple) et traités par compostage de façon à produire des boues organiques valorisables sans risque par la filière agricole.

Les eaux grises nécessitent des traitements épuratoires moins coûteux que les effluents domestiques actuels et sont en grande partie recyclables après ces traitements.

Pour l’eau potable, il s’agirait de ne prélever que les 3 % nécessaires du volume actuel dans les réserves d’eau souterraine de très bonne qualitéb. Les 97 % restants peuvent se contenter de la ressource superficielle de qualité moindre.

La réduction de l’exploitation des eaux souterraines pour l’usage eau potable permettrait de préserver ces ressources faiblement renouvelables pour les générations futures. Elle permettrait aussi à ce compartiment de jouer son rôle de maintien des ressources en eaux superficielles, en particulier des débits d’étiages.

Par des pratiques agricoles et des cultures adaptées, les sols végétalisés pourraient alors retrouver leur rôle de régulation des régimes hydrologiques et hydrogéologiques, et de prévention des pollutions des eaux superficielles et souterraines.”

Notes :

(a) Car non mélangées avec les autres effluents responsables des apports en contaminants toxiques.

(b) Les systèmes d’assainissement actuels pourraient être utilisés pour la collecte et le traitement des eaux grises nettement moins impactantes en cas de fuites. Les réseaux d’eau potable actuels pourraient être utilisés pour distribuer une eau répondant aux normes de potabilité pour la microbiologie, mais à des normes beaucoup moins contraignantes pour d’autres polluants comme par exemple les nitrates ou les pesticides. Cette eau proviendrait du recyclage des eaux grises complété par des prélèvements dans des cours d’eau ou des nappes superficielles de moindre qualité. L’eau potable proviendrait des nappes profondes de très bonne qualité et serait distribuée en contenants recyclables. Les hôpitaux, industries agroalimentaires et autres établissements qui ont des besoins en eau potable particuliers peuvent abaisser la teneur de l’eau en certains paramètres en installant des postes de traitement complémentaires.

Quelle qualité de l’eau à l’horizon 2015 ?

La France assure que 50% des masses d’eau, voire les deux tiers, seront au bon état d’ici 2015. Mais des interrogations subsistent quant à l’atteinte de cet objectif, et au financement des mesures à mettre en œuvre.

La direction de l’eau du ministère français chargé de l’Environnement prévoit une approbation de la version définitive des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage), qui tiennent lieu de plans de gestion comme exigé par la DCE et la loi de transposition en droit français, à l’automne 2009.

Dans le cadre du « Grenelle de l’environnement » qui s’est déroulé en France à l’été 2007, un objectif ambitieux a été fixé, celui de deux tiers des masses d’eau de surface au bon état d’ici 2015. Mais les ONG environnementales françaises se montrent sceptiques : « L’objectif sera dur à atteindre », estiment-elles.



Outre les problèmes propres à chacun, les bassins sont en effet tous confrontés à deux obstacles majeurs : les pollutions diffuses, en particulier celles d’origine agricole, et la modification de la morphologie des cours d’eau. Le retrait de substances pesticides dangereuses décidé dans le cadre du « Grenelle » doit permettre « des gains en matière de qualité de l’eau ».

Mais cette pollution est le résultat d’une « politique agricole hyperproductiviste », et certains acteurs de l’agriculture ne sont pas prêts à changer de mode de production. On note par ailleurs que le niveau de nitrates « va en augmentant » dans certaines zones, et que plus de 50% du territoire français est en zone vulnérable, ce qui constitue une « raison majeure » de non atteinte de l’objectif. La lutte contre les pollutions agricoles et l’enjeu morphologie représentent plus de 70% des dépenses du programme de mesures français 2010-2015. Mais la question de savoir qui va payer demeure posée au niveau national.

De plus le 2 avril 2008, la Commission européenne adressait une lettre de mise en demeure à la France pour non-conformité de sa transposition de la DCE. Pour la Commission, la France n’a pas complètement transposé le texte de la directive. Et devra renvoyer les compléments d’information nécessaires à Bruxelles avant le début du mois de juin 2008.

Les procédures d’infraction se déroulent en trois étapes. La Commission adresse tout d’abord à l’Etat membre concerné une mise en demeure à laquelle celui-ci doit répondre dans un délai de deux mois. Si la réponse ne donne pas satisfaction à la Commission, celle-ci adresse un avis motivé, auquel l’Etat membre doit également répondre sous deux mois. En l’absence de réponse satisfaisante, la Commission peut saisir la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) et l’inviter à infliger une amende au pays concerné si celui-ci ne se conforme pas à l’arrêt de la cour.

Pour M. Pascal Berteaud, directeur de l’eau au ministère chargé de l’environnement, il s’agiraitt d’une question de forme et non de fond. « Les services de la Commission n’ont pas regardé tous les documents transmis », estime-t-il, précisant que la loi de transposition de 2004 n’aurait pas été prise en compte. « C’est possible, mais compte tenu de la complexité de la DCE, on essaie d’être extrêmement précis », indiquait en réponse une source à la Commission.

Les non-conformités de la France porteraient notamment sur l’article 2 concernant les différentes définitions (eaux côtières, masse d’eau de surface, aquifère, masse d’eau souterraine et bon état écologique). De plus, le paragraphe 6 de l’article n’aurait pas été transposé. Il précise que « la détérioration temporaire de l’état des masses d’eau n’est pas considérée comme une infraction aux exigences de la présente directive » si elle résulte de circonstances exceptionnelles.

Une situation dérangeante puisque dans le même temps une consultation publique sur les plans de gestion (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, dits Sdage) et programmes de mesures exigés par la DCE, débutait en France le 15 avril 2008 et durera jusqu’au 15 octobre. « Les Français pourront dire si les niveaux d’ambition fixés dans chaque bassin leur semblent suffisants, trop faibles ou trop élevés », expliquait M. Pascal Berteaud.

Selon la Commission, le cas de la France, dont les manquements portent sur des détails techniques, n’est pas très compliqué comparé à celui d’autres pays pour lesquels les problèmes sont « beaucoup plus aigus ». « A ce stade, tous les Etats membres sont susceptibles de recevoir une lettre de mise en demeure », ajoute-t-elle. La majorité, dont le Danemark, l’Allemagne, la Belgique et la République tchèque, en ont déjà reçu une. Plus grave, le Luxembourg n’a pas transposé la DCE.

Depuis plusieurs années l’atteinte du bon état de toutes les masses d’eau à l’horizon 2015 est devenu un véritable slogan. La réalité est toute autre. La France, pas plus qu’aucun autre Etat-membre, ne respectera pas les objectifs européens qu’elle s’est assignée.

Comment changer de modèle ?

On peut aujourd’hui entrevoir autre chose que le système de gestion de l’eau “à la française” que nous exportons de surcroît sans vergogne dans les pays pauvres...

Si l’on garde à l’esprit que "82 % du volume total des eaux souterraines exploitées est destiné à la production d’eau potable et à l’industrie", et que les dégâts causés par les prélèvements pour l’irrigation dans les eaux superficielles sont comparables à ceux causés par les prélèvements dans les eaux souterraines pour l’eau potable et l’industrie, même si on le les voit pas à court terme, comme dans la nappe de l’éocène en Gironde, aujourd’hui la nécessité écologique c’est donc d’arrêter de ponctionner les eaux souterraines profondes, et de recycler le plus possible en surface.

Dans cette nouvelle perspective, c’est de l’eau hygiénique, mais non potable, qui circulerait dans la tuyauterie actuelle d’alimentation en eau potable.

Il s’agit finalement de mettre sciemment en place un mode de fonctionnement dégradé de l’alimentation en eau potable et de l’assainissement, mais intelligemment dégradé pour réhabiliter les ressources en eau en qualité comme en quantité. Plutôt que de subir un mode dégradé qui ne tardera pas à se faire de toute façon, mais contre notre gré, compte tenu de l’état de la ressource et du changement climatique.

Compte tenu des hautes compétences de nos gestionnaires, autant dire qu’on y va tout droit...

C’est parce qu’on supprime la contamination bactériologique des effluents que l’on peut les recycler et les réutiliser. Dans les pays du Sud c’est une nécessité sanitaire. On supprimera aussi tous les rejets en rivière de médicaments présents dans les eaux usées et que les Step sont incapables d’éliminer. Ces substances peuvent être détruites par compostage ou méthanisation adaptés des lisiers humains.

Dès lors la distribution de l’eau potable en bidons recyclables, en installant des fontaines dans les maisons, ne signifie pas du transport augmenté car une agglomération ou un quartier urbain peuvent être alimentés par une seule conduite ou l’eau ne stagnera pas, l’embouteillage se faisant sur place. Ce qui crée de l’activité de proximité et de la visite pour les personnes âgées...

Pourquoi pas aussi utiliser des chevaux dans les villes pour récupérer une fois par semaine les bidons de lisier et distribuer les bidons d’eau potable ? Le cheval est le meilleur biocarburant.... on peut aussi utiliser le biogaz produit par le lisier.

Cette eau potable peut être gratuite pour la consommation normale. Et l’eau hygiénique coûtera beaucoup moins cher, sans restriction de consommation. Les stations d’épuration traiteront uniquement les eaux grises.

Inconcevable ? Aujourd’hui dans les réseaux d’assainissement on dilue la pollution contenue dans les lisiers pour ensuite la traiter en Step, ce qui est une ineptie sur le plan technique comme sur le plan énergétique. De plus, une partie non négligeable des eaux usées n’arrive jamais à la Step, vu le mauvais état des réseaux d’assainissement. Et il est aussi des conduites du réseau d’alimentation en eau potable qui ne donnent pas franchement envie de boire cette eau...

L’assainissement a été conçu à l’origine pour éloigner les lisiers des villes.

Il n’est pas raisonnable de continuer sur ce modèle.

Comment sortir de ce cercle vicieux, sinon en promouvant un nouveau paradigme de la gestion de l’eau ? Une démarche qui constituerait un véritable point d’appui et pourrait trouver d’utiles prolongements en Afrique, en Palestine, en Inde...

Trois références importantes pour approfondir la réflexion :

“Allemagne, arrêtez d’économisez l’eau, gaspillez-là, réclament les autorités sanitaires”

L’approvisionnement en eau potable de la ville de Munich

“Concepts for ecologically subtainable sanitation”

L’exemple allemand

Le 20 mars dernier le quotidien Ouest-France publiait un reportage d’Anne-Françoise Roger, titré : “Comment les Allemands retrouvent une eau pure”.

“En agriculture, produire propre coûte moins cher que dépolluer l’eau. C’est la conclusion des autorités bavaroises. (…) En Bavière, le coût de pouce à la filière bio a permis de faire chuter la facture de dénitrification. Une expérience qui intéresse la France.

En agriculture, produire propre coûte moins cher que dépolluer l’eau. Ce n’est plus parole d’écolo, mais le discours officiel du ministère de l’Ecologie et du Développement durable (MEDAD) qui fonde cette affirmation sur des exemples concrets. Le ministère invite les Agences de l’eau à encourager le développement de l’agriculture biologique afin de protéger les captages d’eau potable. Un des exemples sur lequel s’appuie le ministère est celui de la ville de Munich, en Allemagne, qui a peaufiné ses calculs grâce à plus de seize ans de recul. Constatant que les teneurs en nitrates et en pesticides augmentaient depuis les années 1960 (à raison de + 0,5 microgramme/litre/an de nitrates entre 1975 et 1991), Munich débute, en 1991, un programme de promotion de l’agriculture biologique.

La ville décide d’accompagner les agriculteurs à tous les niveaux : technique, financier et commercial (Munich est devenu le premier client des producteurs bio, pour ses cantines notamment). Résultats : depuis 1991, 83 % des 2 250 ha de terres agricoles sont passés en bio (en plus des 2 900 ha de forêts).

À l’inverse de la tendance générale, les agriculteurs sont plus nombreux : 23 dans les années 1990, 107 aujourd’hui. Quant à l’effet sur l’eau, les chiffres parlent d’eux-mêmes : les teneurs en nitrates ont diminué de 43 % et les teneurs en produits phytosanitaires de 54 % depuis 1991. Cerise sur le gâteau : le programme de soutien à l’agriculture bio est rentable : il coûte 750 000 €/an à la ville de Munich, soit moins d’un centime d’euro par mètre cube d’eau distribuée.

« À titre de comparaison, le coût de la dénitrification d’une eau de plus de 50 microgrammes/litre est estimé en France à 27 centimes d’euros par mètre cube d’eau distribuée », précise le Medad. Il faut encore ajouter le coût de retraitement des pesticides.

La France, maintes fois épinglée par Bruxelles pour la mauvaise qualité de ses eaux, va t-elle emboîter le pas de la ville de Munich ?

Pour la première fois, une agence de l’eau, celle de Seine-Normandie, a signé, le 31 janvier, à Dourdan (Essonne) un contrat de cinq ans avec un groupement d’agriculteurs biologiques (GAB), en vue de préserver 342 captages d’eau potable prioritaires de la Région Ile-de-France, dont 202 en Seine-et-Marne.

Le contrat est doté d’un budget prévisionnel de 200 000 €/an (qui s’ajoute aux aides à la conversion), cofinancé à 50 % par l’Agence de l’eau, à 25 % par le Conseil régional et à 25 % par le GAB d’Ile-de-France. Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’Écologie, présente lors de la signature, a souhaité que les agences de l’eau concluent des accords de ce type sur tout le territoire. D’autres contrats sont à l’étude en Champagne-Ardenne et dans le Nord.”

Dans un entretien accordé à La Terre à l’automne 2006, titré Subventionner la bio pour préserver l’eau, Bernard Barraqué évoquait déjà une question dont la résolution de va pas de soi :

« Quand on parle de qualité de l’eau, les esprits s’échauffent. Les consommateurs accusent les distributeurs de les spolier, ces derniers rejetant la faute sur les agriculteurs qui polluent. Bernard Barraqué propose à tous ces acteurs de se mettre autour de la table. Pour cet économiste du CNRS, l’équation sera résolue si on rémunère les agriculteurs pour qu’ils adoptent des pratiques proches de l’agriculture biologique. Une démarche adoptée par l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Angleterre. »

Reste que le « mirage » allemand ne semble pas encore en passe d’être « durablement » acclimaté dans l’Hexagone, comme le soulignait ce billet de Gérard Borvon, de l’association S-Eau-S, le lundi 5 mai 2008... Titré « Le Roundope, ça suffit ! » il relatait que de nombreux bretons, lecteurs matinaux de leur hebdomadaire préféré, ont eu du mal à avaler leur première tasse de café : sur une demi page ils pouvaient découvrir un placard publicitaire scandaleux de la société Monsanto en faveur du Roundup, à destination des particuliers. (70% des ventes des herbicides destinés aux usages non agricoles).

L’association Eau et Rivières de Bretagne, fortement engagée dans la lutte contre les publicités mensongères des marchands de phyto-toxiques ne tardait pas à réagir...

Gestion de l’eau :

Gestion de l’eau (1) : le réquisitoire de l’IFEN

Gestion de l’eau (2) : la vision de Veolia

Gestion de l’eau (3) : le cri d’alarme de Bernard Barraqué

Gestion de l’eau (4) : la tentation autarcique

Gestion de l’eau (5) : les pauvres et l’eau

Une citation :

« Il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage ; la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au lieu de suivre ; la force d’inventer notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent. »

Aimé Césaire

Lire aussi :

La grande crise de 2010 (1) : une fiction réaliste, 17 mars 2007

La grande crise de 2010 (2) : comment en est-on arrivé là ? 23 mars 2007

La grande crise de 2010 (3) : catastrophe ou sursaut ? 29 mars 2007

La grande crise de 2010 (4) : agriculture, environnement et territoires, 6 avril 2007

Qualité de l’eau : alertes dans toute la France, 10 mai 2007

Le « Plan de bataille Borloo » pour traiter les eaux usées, 29 octobre 2007

Pollution de l’eau : cote d’alerte exceptionnelle ! 12 janvier 2008

Menaces de sanctions communautaires pour défaut de traitement des eaux usées, 31 janvier 2008

Marc Laimé - eauxglacees.com