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Retour sur le colloque « La ressource en eau en Ile-de-France dans un contexte de dérèglement climatique », par P.A. (*)

1er décembre 2022

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Membre d’un réseau d’agronomes engagés, un participant nous raconte les apports comme les limites d’un colloque organisé par FNE et la mairie de Paris les 7 et 8 novembre 2022.



« Pour commencer par les aspects positifs, je voudrais mettre en avant la richesse et la qualité des interventions de vulgarisation scientifique. Les interventions ont permis de poser un constat sur les sources de pollution des cours d’eau en île de France, sur le changement climatique global et ses conséquences sur le bassin de la Seine en termes de risque de sécheresse et d’inondation, et de conséquences néfastes sur la biodiversité. Principalement mené par les scientifiques du PIREN Seine, ce constat scientifique a notamment mis en avant, à partir du développement de différents scénarios, l’idée peut être trop peu répandue que chaque degré, chaque centième de degré compte. Même si le scénario « +1.5 degré » dans le cadre de l’accord de Paris n’était pas respecté, il reste largement utile de maintenir une mobilisation forte.

A l’échelle de l’IDF : avec un scénario à +1.5 degré, les risques majeurs de sécheresse se déclareraient d’après les modélisations à l’échéance 2100 alors qu’avec un scénario à +4 degrés dit « business as usual », cela serait le cas à l’échéance 2050. Dans le premier scénario, après 2100, les conséquences devraient se stabiliser, dans le second à l’échéance 2100 ce sont des risques majeurs d’inondation qui apparaîtraient. Ainsi, il est intéressant de se placer dans la perspective où il est bon de se mobiliser pour limiter le réchauffement global pour limiter au maximum les effets du changement climatique, certes, mais peut être aussi surtout pour donner du temps aux sociétés pour s’adapter aux multiples perturbations en découlant.

La faiblesse de cet événement se situe justement au niveau de la manière de mettre en œuvre ce processus d’adaptation. Malheureusement, l’intérêt du colloque s’est un peu arrêté au constat scientifique et sur la reconnaissance du consensus autour d’un ensemble de bonnes pratiques et de déclarations d’intention sur la qualité de l’eau de la Seine, sur les bienfaits de l’agriculture biologique, sur l’importance de sortir d’une mise à distance trop forte de la nature notamment grâce aux très à la mode « solutions fondées sur la nature » etc.

Cependant, les leviers du changement, le politique au sens large sont restés les angles morts de ce colloque, laissant l’impression qu’il suffit de poser un constat scientifique clair et de faire émerger les interdépendances et les intérêts communs pour faire évoluer les comportements, voire même faire mettre de côté par certains acteurs leurs intérêts spécifiques. C’est négliger ici toute la sociologie des organisations ayant montré les inerties propres aux fonctionnements interne des institutions et de construction de l’intérêt spécifique.

L’expertise du GIEC et les COP successives ont montré que réunir les parties prenantes autour d’un constat commun ne suffit pas. Tant que n’ont pas lieu les discussions sur la manière de mettre en œuvre collectivement les mesures à prendre, d’imposer des décisions contraignantes, les intérêts spécifiques prévalent et les Etats et les multinationales privilégient leurs intérêts particuliers.

A l’échelle de l’Ile de France, il est difficile d’imaginer qu’il suffise de réunir des politiques de la ville de Paris, des entreprises comme Veolia, des associations et des scientifiques pour que tous ces acteurs aillent au-delà de la déclaration de bonnes intentions et la mise en avant d’initiative de faible ampleur face aux enjeux.

A ce titre, l’emphase très forte mise, par les industriels et les politiques de la ville tout au long des deux jours, sur la baignabilité de la Seine pour les JO 2024 peut paraître bien cynique face au volume d’artificialisation des sols que provoquent les travaux en amont des jeux. Il en va de même de la renaturation de la Bièvre sur quelques centaines de mètres.

A ce titre, l’intervention d’un agriculteur bio dénotait. Au-delà de l’exposé sur ses bonnes pratiques et les bienfaits de son mode de production agricole, il appelait surtout clairement à des aides financières, de la cohérence législative, une redéfinition de la PAC et des incitations pour que d’autres agriculteurs puissent faire évoluer leur mode de production ou même simplement conserver leur exploitation. Un appel qui n’aura suscité aucune réaction et qui illustre assez bien la difficulté pour cet événement de monter en généralité et de faire émerger une réflexion sur les modèles économiques, agricoles et législatifs qui pourrait permettre de penser la mise en œuvre de la résilience dont il a tant été question.

Je veux souligner ici la relative faiblesse de l’heure consacrée à la question fondamentale « comment fabriquer du commun ? » qui s’est limitée à un exposé des enjeux partagés par tous les acteurs, une liste des associations engagées sur la question en IDF et seulement 20 minutes sur une tentative de mise en place d’un dialogue autour de la nappe phréatique de Champigny.

Au cours de ce dernier exposé, aucune définition d’un commun ne sera donnée et aucune limite ou difficulté ne sera évoqué comme si la discussion entre les acteurs suffisait à faire émerger un commun. Pas de mention de la manière de créer un mode de gouvernance propice à l’émergence et la défense de l’intérêt commun. Les entreprises jouent-elles le jeu ? Faudrait-il des règles contraignantes ? Quel mode d’arbitrage ? Quel rôle pour l’Etat ? Faut-il rendre publiques les discussions ? Quelle place pour les citoyens ? Quelles interactions entre experts et acteurs économiques ?

Nous n’aurons aucune réponse à ces questions fondamentales qui permettrait effectivement de répondre à la problématique revendiquée. L’apparent consensus et la mise en avant de la bonne volonté de l’ensemble des acteurs font l’impasse sur la question du politique au sens des rapports de force, de l’organisation des rapports sociaux. Les enjeux politiques, les divergences, les aspérités sont invisibilisés. Il n’a pas été question une seule fois des choix faits par les gouvernements successifs.

Il en découle naturellement que la gouvernance ne peut être abordée de manière concrète puisque que tous les acteurs semblent aller d’eux même dans la même direction par la simple évocation de l’intérêt commun qui serait de préserver la ressource en eau.

De manière symptomatique, les scientifiques refusent de répondre à toute question à propos aux mesures à mettre en place ou à tout commentaire sortant de leur champ de compétence stricte, même à titre purement personnel : « je ne suis pas en position de répondre à cette question d’ordre politique ». De même, il apparait qu’il était donné comme consigne de ne pas parler du nucléaire alors même que c’est un enjeu évidemment non négligeable quant à l’utilisation de l’eau et les conséquences sur sa qualité (intervention d’une militante « bon on m’a dit qu’il ne fallait pas parler de nucléaire »).

Le seul semblant d’échange contradictoire a fait suite au constat posé par une scientifique sur la consommation de viande trop importante et ses conséquences. La discussion engendrée par une contestation dans le public, a été rapidement interrompue par le modérateur pour passer à l’intervention suivante. Comment construire des solutions « adaptées et partagées », comme le revendiquait l’événement, en invisibilisant les divergences ? Le consensus n’est utile au changement que s’il est construit collectivement avec une confrontation des intérêts spécifiques, s’il se fait à partir du plus petit dénominateur commun, il se contente de favoriser l’ordre établi.

Que cette consigne d’atténuation des désaccords ait été passée de manière explicite ou découle naturellement aux yeux des participants de la nature du dispositif, soulève deux cas l’enjeu de la recherche de solutions à l’atténuation du changement climatique, à l’évolution des techniques agricoles, de la gestion des ressources et la possibilité de penser des modes de gouvernance à même de permettre une meilleure résilience dans un cadre aussi institutionnel en mettant de côté les aspects politiques et les aspérités.

On peut ici faire le lien avec les partenaires officiels de l’évènement qu’ont été la ville de Paris, la République française, Veolia, Suez, le Préfet de la Région île de France… On est en droit de s’interroger sur la pertinence d’un tel dispositif. L’Hôtel de ville, les ors de la République et sa puissance symbolique sont inhibant de l’aveu même de plusieurs intervenants, militants de terrain, pourtant les plus à même de briser l’apparent consensus mis en avant.

Cet évènement pose à mes yeux, in fine, la nécessité pour les acteurs associatifs de se placer sur le plan politique, de faire émerger les divergences et de travailler à une mode de gestion de ces conflictualités dans un cadre où l’intérêt commun est construit collectivement.

Le temps du constat scientifique est peut être passé et il apparait difficile de parler des leviers de changement concrets sans parler des arbitrages entre les intérêts spécifiques, de la définition de l’intérêt collectif et des modes de gouvernance.

Cette question existentielle pour le monde associatif se pose d’autant plus à l’heure où les positionnements critiques sont de plus en plus sanctionnés (suppression de la défiscalisation des dons, subventions de plus en plus difficile à obtenir et surtout à pérenniser, criminalisation des luttes etc.).

En conclusion et pour résumer mon propos ; ce colloque aura offert un bon état des lieux, à savoir que le changement climatique va avoir des conséquences graves sur la ressource en eau en île de France et ce dans une ampleur très variable en fonction de la réduction à venir des émissions de GES à l’échelle mondiale.

Au niveau plus local, l’agriculture biologique est bénéfique pour le climat, la qualité des sols, de l’eau et la biodiversité, il va falloir limiter les rejets polluants dans le bassin de la Seine pour préserver la ressource et surtout, il va être important de rediscuter l’usage de l’eau entre les acteurs. On sait donc qu’il faut faire, nous ne saurons simplement pas comment le faire et surtout comment surpasser les blocages politiques, institutionnels, économiques, sociaux, culturels…

Au travers de l’absence de réflexion sur les leviers concrets législatifs, institutionnels ou militants du changement et surtout dans la mise en œuvre d’une forte dépolitisation et d’une invisibilisation des rapports de force et des divergences entre les intérêts des différents acteurs, ce colloque questionne la raison d’être d’une telle mobilisation de ressources. Enfin, peut-être encore plus fondamental, il n’y aura pas eu de retour d’expériences ou de réflexion stratégique sur les manières pour les citoyens et les associations pour mieux s’organiser, interpeller les politiques, provoquer le changement chez les entreprises, faire évoluer les comportements, les lois et les modes de gouvernance. »

Le programme du colloque -.

(*) P.A. présente ci-dessus un compte rendu critique de ces deux jours de prises de paroles et d’échanges autour des stands des différentes parties prenantes. »

Marc Laimé - eauxglacees.com