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SIAAP : le temps des barbouzes

1er août 2021

par Marc Laimé - eauxglacees.com

« Votre mission, si vous l’acceptez : espionner les salariés, et leurs représentants syndicaux, susceptibles de renseigner les medias… ». Eaux glacées révèle aujourd’hui le scandaleux marché signé à la fin 2018 entre le Syndicat pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement, et le géant anglo-saxon de l’audit Ernst & Young (rebaptisé EY), aux fins d’espionner les salariés du syndicat.



A l’approche de l’élection de son nouveau président, qui doit intervenir le 15 septembre prochain et suscite de nombreux remous, comme nous l’avons évoqué il y a peu, les errements du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP), qui agrémentent depuis des lustres la rubrique des faits divers, se révèlent plus graves encore que ce que l’on en connaissait. Eaux glacées a en effet pu prendre connaissance de ce qui revêt tous les atours d’une affaire d’espionnage à grande échelle de personnels du syndicat, au premier chef de délégués syndicaux, suspectés d’informer les medias de ses dérives.

L’affaire débute à la fin de l’année 2018 quand le SIAAP confie à un département du géant anglo-saxon de l’audit EY, ex-Ernst and Young, un bien curieux marché, pudiquement qualifié « d’audit de sécurité ».

Le SIAAP était déjà au cœur d’une véritable tourmente judiciaire et médiatique, qui avait culminé le 13 mars 2018 avec la diffusion d’une enquête choc d’Elise Lucet dans « Cash investigation », intitulée « Scandale dans nos tuyaux », affaire ou plutôt affaires à tiroirs de corruption présumée autour de marchés publics, que nous avions nous-même relatée ce même jour :

« Eaux usées d’Ile-de-France, un scandale exemplaire »

https://blog.mondediplo.net/2018-03-13-Eaux-usees-d-Ile-de-France-un-scandale-exemplaire

Alors que de nombreuses « fuites » défrayaient déjà la chronique médiatique depuis des années, le SIAAP confiait donc en décembre 2018 à EY un marché d’une durée de neuf mois, et d’un montant de 85 000 euros HT, qualifié « d’Audit de sécurité », consistant en « Audit, recherches, investigations de toutes nature afin de cerner les éventuelles failles », avant d’indiquer que « Le titulaire du marché devra, pour réaliser cet audit, effectuer des recherches et des investigations dans les réseaux du siaap afin de cerner, évaluer et identifier les éventuelles failles.
 »

Derrière ce jargon anodin les choses se corsent quand on entre dans le détail de la « mission », précisé par EY dans son offre de candidature qui sera donc avalisée par le SIAAP :

« Afin d’établir une proposition sur une base concrète, nous nous proposons de partir de l’hypothèse d’une fuite de données dont le SIAAP aurait été l’objet.


Nous vous aiderons ainsi à comprendre les faits en menant une investigation propre à identifier les informations qui ont fuité, l’origine de ces fuites (interne, externe, collusion) et les moyens d’actions.

Plus particulièrement, l’investigation factuelle que nous proposons de mener aura un objectif triple :

• Identifier les informations/documents qui ont fuité à l’extérieur de l’organisation et les mesures de protection dont elles faisaient l’objet ;

Identifier le(s) salarié(s) qui avaient accès à ces informations internes confidentielles et qui auraient pu les communiquer à des tiers ;

Evaluer la robustesse de la gouvernance de l’information autour de ce type de projet (accès, partage d’information, outils de stockage et de communication, etc.) afin d’identifier d’éventuels risques. »

Sous couvert d’un anodin « audit de sécurité », le SIAAP a donc confié en 2018 au géant anglo-saxon de l’audit EY une véritable opération d’espionnage de ses salariés, et notamment de plusieurs représentants syndicaux, aux fins d’identifier d’éventuels auteurs de « fuites » en direction des medias.

Ces opérations étaient-elles légales ?

Quel est leur fondement juridique ?

Ont-elles été poursuivies depuis lors ? Et notamment depuis "l’accident industriel" de l’incendie dévastateur qui a frappé à l’été 2019 la station d’épuration d’Achères ?

https://blog.mondediplo.net/omerta-sur-une-catastrophe-industrielle-majeure

Les boites aux lettres électroniques et ordinateurs de plusieurs militants et représentants des personnels ont-ils été espionnés à leur insu ?

Autant de questions qui éclairent d’un jour cru l’extraordinaire détérioration des « relations sociales » au sein de l’entreprise publique ces dernières années, et auxquelles le SIAAP risque à l’évidence de devoir apporter des réponses dans un avenir proche.

Lire aussi :

La présidence du SIAAP déchaîne les appétits

http://www.eauxglacees.com/La-presidence-du-SIAAP-dechaine

Les eaux glacées du calcul égoïste, 22 juillet 2021.

Marc Laimé - eauxglacees.com