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Quel avenir pour le SEDIF ? Entretien avec Eric Requis (*)

25 mai 2021

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (SEDIF) a confié depuis 1923, sans discontinuer, la gestion du service public de l’eau qui dessert 4 millions de Franciliens à la Générale des eaux, aujourd’hui Veolia. A l’approche du terme de l’actuel contrat de concession, Eaux glacées a interrogé Eric Requis, Directeur général adjoint du syndicat, en charge du contrôle de la délégation, des finances et des ressources humaines, sur les perspectives d’avenir du plus grand syndicat des eaux hexagonal.



- Eaux glacées : Rééditant le précédent de 2008-2010, le SEDIF a mis en œuvre, avec la « Mission 2023 », une procédure de choix de son futur mode de gestion qui va très au-delà des contraintes qu’impose la loi Sapin, comme des pratiques usuelles en la matière dans d’autres collectivités. Pourquoi ?

- Eric Requis : Le service public de l’eau géré par le SEDIF est d’une envergure hors normes, avec une responsabilité étendue : plus de 4 millions de franciliens desservis, répartis sur 7 départements, des infrastructures lourdes et un budget en conséquence. Un centime sur le prix de l’eau correspond à plus de 2 M€ de recettes par an. La plupart des décisions courantes engagent donc sur des montants importants et doivent être pesées. Lorsque revient périodiquement la question du mode de gestion, cet enjeu est démultiplié. Il ne s’agit plus de quelques millions mais de plusieurs milliards. La réflexion menée doit être à la hauteur.

Il est donc tout à fait pertinent d’engager une réflexion de fond, structurée, qui ne soit pas qu’un exercice de forme, destiné à répondre à une obligation réglementaire. La responsabilité prise vis-à-vis des usagers desservis est énorme et il s’agit de défendre aux mieux leurs intérêts.

Accepter de confronter à nouveau les points de vue avec le regard extérieur d’un magistrat conduit à se remettre en question sur tous les pans de notre activité et de nos modes d’action, et à le faire dans une logique de transparence (tous les travaux sont publiés en libre accès sur le site internet du SEDIF, les débats en Comité entre les élus, les services et les AMO sont publics).

La démarche suivie nous a aussi conduit à voir plus en détail ce qui pouvait se faire ailleurs ou dans d’autres domaines, au-delà des comparaisons que nous pouvons faire en temps normal. Réfléchir aux possibilités de se mettre à la page, voire de se placer à la pointe, une fois tous les 12 ans, est une mesure saine : la gestion du SEDIF est bonne à plein d’égards ; cela ne doit pas nous amener à considérer que nous n’avons pas de points d’amélioration à travailler. Qui n’en a pas ?

En 2023, la loi Sapin aura 30 ans. Je ne remets pas en cause les avancées fondamentales que cette loi a pu apporter en particulier aux services d’eau et d’assainissement. Mais peut-on encore considérer que le cadre de réflexion posé 30 ans auparavant par une loi est toujours approprié pour traiter des enjeux de services publics qui ont beaucoup évolué pendant ces mêmes 30 ans ?

- EG : Alors que l’environnement réglementaire n’a guère évolué depuis 2010, hormis la transcription de la directive concessions et la création des SemOp, le débat « public-privé » n’a plus du tout la même âpreté qu’à l’époque. Comment l’expliquez-vous ?

- ER : Quel est l’enjeu de la réflexion ou de la discussion ? Est-ce la finalité (le rapport qualité/prix du service rendu à l’usager, le degré de sécurité et d’assurance que l’on peut lui apporter sur l’eau qu’il consomme et utilise) ou le moyen (le mode de gestion) ?

L’époque des DSP à l’ancienne, traitées dans des contrats de 20 pages, sur le mode « Monsieur le Maire, donnez-moi les clés, je m’occupe de tout », est loin derrière nous. Heureusement ! La transfiguration en 40 ans du service public de l’eau piloté par le SEDIF en atteste. La plupart des grands services publics que ce soit dans l’eau ou d’autres domaines ont engagé et réalisé leur mutation, pour certains en régie, pour d’autres avec un opérateur privé, ou en mode mixte comme au SEDIF, puisque nous réalisons en direct la très grande majorité des actions de gestion patrimoniale du service public de l’eau, le délégataire assurant essentiellement l’exploitation.

La question posée a un côté surprenant : en soi, les évolutions apportées par la Directive concessions et la possibilité de gérer un service public de l’eau par le biais d’une SEMOP ne sont pas anodines. Nous avons d’ailleurs étudié en détail ce que portaient ou pourraient nous apporter ces nouveaux cadres et outils. Et in fine, le SEDIF n’optera pas pour la SEMOP.

Les études que nous avons récemment publiées, et réalisées par l’AMO indépendant qui nous accompagne sur le choix du mode de gestion, puis sur sa mise en œuvre, illustrent pleinement la question du débat public/privé et rejoignent les conclusions de l’observatoire national des services d’eau et d’assainissement géré par l’Office Français de la Biodiversité : l’écart entre les services gérés en régie ou avec un opérateur se resserre sur de nombreux plans, que ce soit technique, en termes de gestion du service aux usagers, mais aussi sur la question du prix.

Elles redémontrent également une évidence constante : aucun mode de gestion ne s’impose de façon universelle comme étant le meilleur : le contexte local, les difficultés ou spécificités à gérer, les besoins d’évolution à mener dans des délais plus ou moins contraints, ainsi que le degré de maturité et de compétences des équipes en place, sont des déterminants que les décideurs locaux doivent prendre en compte pour choisir un mode de gestion adapté.

Les principaux points de différenciation entre les modes de gestion portent aujourd’hui sur les questions de gouvernance, de répartition des risques et des responsabilités et donc du coût induit pour les couvrir (un concessionnaire prenant un contrat à ses risques et périls, là une régie sera en « auto-assurance »), sur la capacité d’intégration des innovations issues du digital ou de l’intelligence artificielle dans la conduite des installations mais aussi dans le niveau de service apporté aux usagers.

Déjà en 2008, lors du long débat précédant le vote pour le choix du mode gestion, qui a mené à l’organisation actuellement en place, plusieurs prises de paroles d’élus avaient relevé qu’il n’y a pas un service de l’eau « de gauche ou de droite », que ce dernier ne devrait pas se trouver prisonnier d’enjeux électoralistes. Il y a des services de l’eau bien ou mal gérés, ceux qui répondent aux enjeux et aux attentes des usagers, ceux qui les anticipent et ceux qui ne veulent pas voir leur réalité (nous pourrions débattre longuement de l’état des réseaux de distribution d’eau à l’échelle nationale) : l’horizon de gestion d’un service de l’eau n’est pas celui d’un mandat municipal, il se situe à 30, 40 ans.

La conclusion de ce raisonnement est, de mon point de vue, que le seul mode de gestion qui vaille est tout simplement « le meilleur » : celui qui va répondre aux enjeux et aux attentes des usagers, et que l’on sera en mesure de piloter. Le niveau d’exigences doit ensuite être le même que l’opérateur soit privé ou public, et qu’il faudra contrôler et driver dans un cas comme dans l’autre.

Depuis quelques temps maintenant, les services sont formés et compétents, nos élus sont formés, investis et au fait des sujets du service de l’eau. Les questions ne restent pas longtemps (un peu au début de chaque mandat du fait du renouvellement des élus) sur des points de dogme public/privé mais les débats et les questions se positionnent rapidement sur nos vrais sujets, les élus étant in fine les seuls décisionnaires.

- EG : La région parisienne se caractérise par l’existence de grands syndicats interdépartementaux, dont le « gigantisme » est parfois critiqué. Pensez-vous que ces structures, qui ont vu le jour, pour certaines d’entre elles – dont le SEDIF -, au tout début du XXème siècle, sont encore adaptées, dans leur configuration actuelle, aux grands enjeux de la période qui s’ouvre ?

- ER : Critiquer les « gros » ou les « vieux » n’est pas vraiment dans l’air du temps... Plus sérieusement, on pourrait refaire ici la chronique des évolutions institutionnelles qu’a connu la région parisienne, avec des évolutions récurrentes de son millefeuille administratif, la dernière en date étant issue de la loi NOTRe et la prochaine étant promise par le projet de loi 4D (sur lequel le Conseil d’Etat disait récemment ne pas cacher sa déception). Chacun sera juge.

Les grands syndicats franciliens sont objectivement une « curiosité locale ». De mon point de vue, la question appelle trois éléments de réponse.

Alors que de nombreuses compétences ont été transférées, re-transférées, tricotées/détricotées/retricotées depuis 40 ans, force est de constater que les syndicats ont su démontrer leur utilité, puisqu’ils ont plutôt été confortés au fil de ces évolutions législatives et n’ont pas été mis à mort au détour d’un texte, comme l’ont été d’autres structures.

La logique du village gaulois « qui résiste encore et toujours à l’envahisseur » fait vibrer facilement la fibre du « small is beautiful ». Mais contrairement au village gaulois, l’eau de l’aire métropolitaine francilienne (plus large que le périmètre de la Métropole du Grand Paris) ne peut pas se concevoir avec un puits au milieu du village. Le service de l’eau doit être structuré, sûr, résilient et géré pour un coût optimisé, d’autant plus que de nombreuses charges sont fixes. La solution se trouve donc principalement et plutôt dans l’élargissement et la mutualisation entre services, que dans le rétrécissement et le repli sur soi.

Le format juridique des syndicats est-il daté ? il mériterait très certainement d’être modernisé, en conservant l’esprit qui leur a donné leur force et leur agilité et en leur donnant les moyens de continuer à développer leur action au bénéfice des populations desservies. Le phénix se régénérait en se consumant et en renaissant de ses cendres…

- EG : Le SEDIF et son président ont initié depuis 2003 des réflexions sur un « Grand Paris de l’eau ». Les différentes hypothèses qui ont successivement été évoquées à cet égard ne semblent pas avoir pu s’inscrire dans le réel, à raison, pour partie, du gel de toute évolution de l’actuel schéma métropolitain. Nonobstant, quelles sont les raisons qui légitimeraient une poursuite, voire une accélération, de cette dynamique, et sous quelle configuration ?

- ER : Le SEDIF promeut de manière constante la nécessité d’une approche plus concertée et coordonnée pour la gestion des services d’eau potable de la région capitale, devant aboutir à des mutualisations industriellement intelligentes, dans le respect des choix de gestion de chacun, au bénéfice des usagers. L’intérêt de la mutualisation de la production (usines, stockage, transport) serait d’organiser l’accès à la ressource en tenant compte des impacts et évolutions anticipées liées au changement climatique, de renforcer collectivement la sécurité et la sûreté du service de l’eau et faciliter la gestion des crises, d’optimiser les coûts d’exploitation, de rationaliser le parc actuel d’installations, mais surtout les investissements futurs, au moment où les filières de traitement vont devoir être adaptées et nécessiter de coûteux investissements, hors aggravation des normes et enfin de coordonner les objectifs en matière de qualité d’eau.

En 2018, la Chambre régionale des comptes dans son rapport consacré à la gestion de l’eau potable de la Métropole du grand Paris, partait du constat que les EPT ne constituaient pas un échelon de gestion pertinent et préconisait de confier la compétence à la MGP, dans une logique de rationalisation et de métropolisation (avoir des services de « utilities » à l’échelle de ce qui se fait pour les grandes métropoles internationales), tout en indiquant que cette organisation « n’écarterait pas la possibilité que cette compétence soit exercée par des syndicats de second niveau, sur tout ou partie de l’unité urbaine et aiderait à la généralisation des meilleures pratiques de gestion des services publics d’eau potable ».

L’idée d’affecter la compétence eau potable à la MGP peut se discuter, mais ne devrait doit toutefois pas détruire les solidarités plus larges qui existent déjà : le SEDIF, comme SENEO ou AQUAVESC, participe de longue date à cette solidarité, en proposant une gestion et un prix unique à toutes ses communes, de la petite ET de la grande couronne.

Compte tenu de l’organisation institutionnelle de l’Ile-de-France en vigueur, et sur la base du périmètre actuel de la Métropole, le périmètre pertinent pour cette mutualisation est plus large que la seule MGP. Il correspond à la grande zone dite « interconnectée », avec une population d’environ 9 millions d’habitants.

La crise sanitaire actuelle a également souligné les fragilités de plusieurs services publics. Si chacun des grands services d’eau franciliens a su tenir le cap et garantir l’approvisionnement en eau des usagers, l’intérêt d’une approche collective plus structurée apporterait un niveau de sécurité supplémentaire, qui aurait été très rassurant pendant la période que nous venons de passer. Aurions-nous passé le cap si une crue importante ou une panne grave dans les installations de l’un ou de l’autre était venue s’ajouter à la crise sanitaire ? Sans verser dans le catastrophisme, il est raisonnable de considérer que la gestion des « utilities » d’une aire regroupant près de 10 millions de personne ne peut s’envisager sans les sécurités appropriées aux éléments défavorables du XXIe siècle, et les réflexions communes entre services voisins ont été alimentées par la crise que nous venons de traverser.

La question est de savoir comment y arriver. Si l’on fait le constat que le cadre législatif n’apporte pas toujours une réponse pragmatique et optimisée lorsqu’elle est conçue « par le haut », ce serait une belle réussite des élus locaux de démontrer qu’ils savent construire ensemble ce type de solution collective et collaborative. La mise en place d’une structure de coordination des grandes unités de production franciliennes pourrait constituer une étape pour avancer dans cette voie.

- EG : L’environnement réglementaire actuel, dans toutes ses dimensions et composantes, vous semble-t-il répondre aux enjeux nouveaux qui vont s’imposer aux services d’eau à l’horizon des prochaines années. Y-a-t-il des évolutions et/ou réformes qui seraient indispensables pour mieux y parvenir ?

- ER : Pour reprendre un des thèmes issus des assises de l’eau, sur lequel le SEDIF développe une approche responsable, quoique régulièrement critiquée, un des enjeux fondamentaux planant sur les services d’eau français porte sur le renouvellement du réseau de distribution.

Si rien ne change réellement, il y aura (il y a déjà) en France des communes dont le réseau flanchera avec des épisodes dramatiques de coupures longues. Le constat ne se résume d’ailleurs pas à l’eau et porte sur les « utilities » en général (n’oublions pas la rue de Trévise).

L’investissement à engager est conséquent, il faut le concevoir et le programmer dans le temps (tant pour le financer que pour le mener sans paralyser des quartiers entiers par les chantiers). A titre personnel, je pense qu’il faudrait imposer une part minimale du prix de l’eau consacrée au renouvellement du réseau. Permettant aux uns d’engager les travaux nécessaires, aux autres de constituer des provisions (le cas échéant mutualisées dans un fonds). En sous-jacent, la capacité à connaitre son patrimoine et à en avoir une transcription équilibrée dans ses comptes est également sur la table. Si l’on raisonne en indicateurs réglementaires, un indicateur sur le poids des amortissements sur le prix de l’eau pourrait servir de base de construction à des levier d’action publique tels que les aides des Agences de l’eau.

Un autre axe de réflexion, mais qui ne correspond pas à la logique française, serait de raisonner par rapport à l’unité de l’infrastructure et non en termes de compétences cloisonnées : le réseau d’eau potable est généralement dimensionné en fonction des besoins de débit pour les pompiers, il est utilisé pour le nettoyage des voiries, l’arrosage des espaces verts, il alimente des fontaines et des toilettes publiques fondamentales pour le droit à l’accès à l’eau pour tous, et il est de plus en plus amené à jouer un rôle dans la lutte contre les épisodes de chaleur dans une approche rationnelle (combien de blessés graves dus au street-pooling faudra-t-il encore).

Ses nombreuses utilisations dans une logique de service public pourraient être rationalisées s’agissant des compétences de gestion des infrastructures et équipements associés.

- EG : Identifiez-vous des ruptures technologiques susceptibles de modifier à terme l’organisation, le fonctionnement comme les missions des services d’eau ?

- ER : De nombreuses évolutions technologiques sont en cours et relèvent de l’optimisation (l’instrumentation du réseau, la capacité de pilotage des équipements avec une intervention humaine réduite, les possibilités d’analyse du réseau et des équipements pour optimiser la maintenance et le renouvellement, les outils de comptage des consommations, …), sans constituer des ruptures technologiques à proprement parler.

Elles sont fondamentales (notamment pour tout ce qui relève des technologies de diagnostic non invasif ou non destructif des réseaux) pour accompagner l’évolution des missions que doivent porter les services d’eau, qui ne sont plus en phase de développement et de première installation des réseaux et des équipements mais ont pour mission principale de gérer le renouvellement et le bon entretien de l’existant.

Les évolutions sont également rapides s’agissant de la gestion administrative et financière, les nouveaux outils digitaux permettent d’envisager de mieux accompagner les usagers (sur leur consommation, leurs factures, mais aussi pour les informer).

Comment ne pas parler du projet d’osmose inverse basse pression (OIBP), dans les usines du SEDIF ?

Ce projet repose sur un changement de paradigme : son intérêt ne se mesure pas sur la seule facture d’eau des usagers, qui évoluera un peu (quoiqu’objectivement de façon limitée et maîtrisée puisque les estimations actuelles oscillent et convergent vers un chiffre d’environ 1 euro par mois et par habitant), car il va générer in fine des économies et des bénéfices pour les usagers et l’environnement.

En contrepartie du prix payé pour le service rendu par le service public de l’eau, l’usager bénéficiera, ou pourra générer, des économies sur son budget (estimées par une étude Deloitte à 100 €/an pour un ménage, pour un habitant environ 35-40 €). Principaux postes d’économies identifiés :

 Induites et automatiques : la consommation d’énergie des équipements chauffant l’eau sera moindre (car moins de calcaire) sans intervention des usagers.

 Décidées (des actions de soutien de communication et pédagogie seront à mener) : moindre utilisation de détergents de toutes natures (à la montagne, nous raisonnons à l’envers : il ne faut pas plus d’eau pour se rincer, il faut utiliser moins de gel douche car l’eau est plus douce), meilleure confiance dans l’eau du robinet comme eau de boisson (propension à limiter la consommation d’eau en bouteille).

Les apports principaux identifiés pour l’environnement sont :

 Des consommations d’électricité en plus dans les usines, compensées par les économies induites pour les ménages ;

 Moindre consommations et rejets, de détergents et produits ménagers, impact sur les bouteilles plastiques pour les consommateurs d’eau en bouteille.

Il est facile de faire peur ou d’affoler sur des projets réellement nouveaux ou induisant des changements forts. On le voit actuellement avec toutes les fake news diffusées sur le projet OIBP et on attend le moment où on va nous dire que ce projet est à l’origine de la COVID-19 ou de l’incendie de Notre-Dame… La réalité est que les équipes du SEDIF (et non du délégataire) travaillent sur le projet depuis plus de deux ans, travail qui confirme l’intérêt de ce projet.

N’oublions pas qu’au contraire des projets de simple décarbonatation qui voient le jour ici où là, l’OIBP aura l’intérêt de traiter toute la gamme des micropolluants, virus, etc., ce n’est donc pas un projet de confort, mais également un projet porteur sur le plan sanitaire.

- EG : En dépit des déclarations officielles, y compris du SEDIF, la gouvernance des grandes multi-utilities pâtit encore, non plus seulement d’une relative opacité, qui tient en partie à la complexité technique, juridique et financière des problématiques en jeu, mais aussi à un relatif manque d’intérêt, tant des élus concernés, que des usagers desdits services. En la matière identifiez-vous des pistes d’amélioration ?

- ER : C’est un point auquel je suis personnellement attaché depuis que je travaille au SEDIF.

Nous mettons beaucoup d’information en ligne en libre accès (beaucoup plus que la pratique moyenne). Mais je suis le premier à dire que cela ne suffit pas : comme vous le soulignez, la gestion de l’eau est technique et complexe. Et si on n’arrive pas à expliquer et rendre accessible cette complexité à nos interlocuteurs, leur conclusion est que s’ils ne comprennent pas c’est que le système est opaque. On attribue à Léonard de Vinci la phrase « la simplicité est la sophistication suprême ». J’y souscris totalement.

Nous faisons beaucoup d’efforts pour rendre nos supports pédagogiques et accessibles pour ceux qui le permettent. Ce chantier est encore largement ouvert, mais nous sommes en progrès constant. Comme vous le soulevez également, le fonctionnement du service de l’eau n’intéresse pas plus que ça : on ouvre le robinet, on a la quantité d’eau qu’on veut, et on peut la boire sans se poser de question, même un premier de l’an à trois heures du matin.

On peut faire le parallèle avec le train : en temps normal, lorsque je prends un train, s’il part à l’heure, que j’ai ma place (propre), que je peux aller aux toilettes, et que j’arrive à l’heure, ça ne m’intéresse pas de connaitre la vitesse du train, de comprendre la complexité de l’ordonnancement des départs en gare etc. MAIS : s’il y a un retard, que les toilettes sont inaccessibles pendant un trajet de quatre heures ou que la clim ne marche pas en temps de canicule, je veux des explications.

Le train du service de l’eau n’est jamais en retard car il est bien géré. Le manque d’intérêt que les usagers y portent n’est-il pas légitime d’un certain côté : nous avons tous des préoccupations diverses à gérer, et pas automatiquement beaucoup de temps à consacrer à ce qui marche (si ma voiture démarre tous les matins, est ce que je vais soulever le capot pour comprendre comment il fonctionne). En toute humilité, notre rôle est aussi de gérer ce service fondamental et essentiel pour que nos usagers n’aient pas à s’en préoccuper plus que nécessaire. Mais comme pour les trains, nous devons être en mesure de donner de l’information, aux décideurs, aux associations mobilisées pour s’assurer de notre bonne gestion, et savoir répondre clairement en cas de difficulté d’un usager.

Nous travaillons de longue date sur les actions de pédagogie auprès des scolaires. Nous développons depuis quelques années des moyens de communication de proximité pour développer le lien avec l’usager : avant la COVID avec des cafés de démarrage de chantier pour expliquer l’intervention aux riverains, avec des panneaux de chantiers connectés en capacité de vous relayer des informations sur un arrêt d’eau en cours suite à une fuite, ou encore l’application Mon Eau & Moi récemment mise en ligne qui combine possibilités de gestion d’un compte abonné, mais aussi des conseils et information sur la gestion de sa consommation.

- EG : On peut parfois éprouver l’impression que l’eau est « sortie de l’histoire », supplantée au rang des préoccupations politiques par les questions du climat et de la biodiversité. Partagez-vous cette analyse ? Quelles pourraient être les conséquences d’une relégation prolongée de la question de l’eau en seconde division ?

- ER : Cette question rejoint en partie la précédente : les préoccupations de nos concitoyens sont nombreuses, et ont été démultipliées par la crise sanitaire et ses conséquences. Nous sommes dans une période où ils ont peu de temps à consacrer à ce qui marche. Et heureusement, de nombreux services publics fonctionnent sans difficultés majeures.

Je ne partage pas pour autant pleinement votre analyse : l’eau n’est pas sortie de l’histoire, elle est au cœur des questions sur le climat et la biodiversité. La disponibilité, le partage et la protection de la ressource en eau, est intimement liée au milieu naturel et la gestion des sols. En ville, l’eau et le réseau d’eau sont au cœur des questions liées à la création d’îlots ou de points de fraîcheur, à la capacité de passer les épisodes caniculaires, quand tout le monde veut plus d’eau en même temps (comme pour l’électricité). Mais des sujets plus emblématiques, avec des conséquences perçues de façon plus immédiate ou se prêtant à des approches dramatisantes trouvent plus facilement leur place dans les médias.

Je pense, malheureusement, que la question de l’eau reviendra sous peu sur la place publique lorsque les cas de fuites sur des réseaux insuffisamment ou non gérés se démultiplieront en France. Avec des habitants sans eau au robinet pendant de longues périodes. On viendra peut-être à ce moment-là comprendre pourquoi le SEDIF a de son côté engagé une démarche structurée et ordonnancée pour gérer ce fastidieux renouvellement de réseau, installé pendant les grandes phases de développement et d’urbanisation de la banlieue parisienne. Les Echos consacraient une pleine page sur le sujet début mai. L’eau est bien un sujet d’actualité. Nous ne pouvons pas nous en passer et la vigilance sur les modalités de sa gestion doit rester quotidienne. »

(*) Eric Requis, est directeur général adjoint du SEDIF, en charge du contrôle de la délégation, des finances et des ressources humaines.

 NOTE : Le SEDIF n’a pas souhaité s’exprimer sur l’OPA de Veolia sur Suez.

 Voir la video du SEDIF présentant les modalités du choix du futur mode de gestion de l’eau, qui sera décidé le 27 mai 2021 par les élus représentant les communes adhérentes du syndicat :

Marc Laimé - eauxglacees.com