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Du journalisme

2 novembre 2020

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Régulièrement lectrices ou lecteurs interpellent Eaux glacées pour nous demander quelle est notre vision, ou définition du journalisme ? A nos yeux il n’y a pas de journalisme, ni d’écriture en soi. Mais des journalismes et des écritures, qu’éclairent une foule de témoignages, réflexions, définitions, abruptes, contrdictoires, qu’il fait bon se remettre en mémoire de temps à autre…



 « Journaliste (Littérature), auteur qui s’occupe à publier des extraits et des jugements des ouvrages de Littérature, de Science et d’Arts, à mesure qu’ils paraissent ; d’où l’on voit qu’un homme de cette espèce ne ferait jamais rien si les hommes se reposaient. Il ne serait pourtant pas sans mérites, s’il avait les talents nécessaires pour la tâche qu’il s’est imposée. »

Mélanges littéraires et philosophiques. Diderot.

 Trois conseils de Raymond Chandler :

1/ Ne jamais demander conseil

2/ Ne jamais montrer un travail en cours

3/ Ne jamais répondre à la critique.

La Traversée des plaisirs. Escapade littéraire. Patrick Roegiers, Grasset, 2014.

Vente à la criée -.

 Le journal et son lecteur.

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A présent, regardons d’un peu plus près le contenu du journal. Un journal sert avant tout de lien entre les individus ; il leur fait connaître ce qui se passe et où cela se passe. Ce qui fait l’âme d’un journal, c’est une information fraîche, abondante, intéressante. De nos jours, le télégraphe et la radio jouent un rôle très important dans l’information journalistique. C’est pourquoi le lecteur habitué à un journal et rompu à sa lecture, se précipite avant tout sur la rubrique des "communiqués". Mais pour que les dépêches occupent la première place dans un journal soviétique, il faut qu’elles présentent des faits importants et intéressants sous une forme compréhensible à la masse des lecteurs. Cependant il n’en est rien.

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Un journal n’a pas le droit de ne pas s’intéresser à ce qui intéresse la masse, la foule ouvrière. Bien sûr, tout journal peut et doit donner son interprétation des faits, car il est appelé à éduquer, à développer, à élever le niveau culturel. Mais il n’atteindra ce but que dans le seul cas où il s’appuiera sur les faits, les pensées qui intéressent la masse des lecteurs.

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Nous sommes un Etat révolutionnaire et non un ordre spirituel ni un monastère. Nos journaux doivent satisfaire non seulement la curiosité la plus noble, mais aussi la curiosité naturelle ; il faut seulement qu’ils en élèvent et en améliorent le niveau en présentant et en éclairant les faits de façon adéquate. Les articles et les entrefilets de ce genre ont toujours et partout un grand succès. »

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Léon Trotsky, 1923.

Kim Philby -.doc

Kim Philby

 "L’art de l’investigation scientifique est la pierre angulaire de toutes les sciences expérimentales. Si les faits qui servent de base au raisonnement sont mal établis ou erronés, tout s’écroulera ou tout deviendra faux ; et c’est ainsi que, le plus souvent, les erreurs dans les théories scientifiques ont pour origine des erreurs de faits."

Claude Bernard, "Introduction a l’étude de la médecine expérimentale", 1927.

 "La tâche de chacun de nousest de bien penser ce qu’il se propose de dire, de modeler peu à peu l’esprit du journal qui est le sien, d’écrire attentivement et de ne jamais perdre de vue cette immense nécessité où nous sommes de donner à un pays sa voix profonde. Si nous faisons que cette voix demeure celle de l’énergie plutôt que de la haine, de la fière objectivité et non de la rhétorique, de l’humanité plutôt que de la médiocrité, alors beaucoup de choses seront sauvées et nous n’aurons pas démérité."

Albert Camus, "Combat", 31 août 1944.

 "Ecrire c’est renoncer au monde en implorant le monde de ne pas renoncer à nous."

Georges Pérec.

 Discours des 20 ans du CFJ prononcé par Philippe Viannay :

"Le journalisme, très au-delà des formes économiques ou institutionnelles dans lesquelles il s’exerce, est d’abord une magistrature qui appartient à la nation tout entière, magistrature la plus difficile, celle du témoignage et de l’opinion.

Quand un journaliste affirme, critique ou approuve, son acte doit pouvoir être revêtu, pour celui qui le lit, l’entend ou le voit, du sceau de l’indépendance d’esprit.

C’est très précisément en cela que la mission du journaliste se distingue des tâches de la publicité ou des besognes de la propagande. Il ne peut pas affirmer une chose à cause d’une autre. La presse est, devant la loi, responsable de ses dires.

L’apprentissage de cette indépendance d’esprit, qui est d’abord le fruit de la justesse de coeur et de la fermeté mentale, doit pouvoir se poursuivre après les enseignements donnés au cours des études secondaire, voire supérieures, dans des établissement spécialisés mais protégés de tout souci déformant d’efficacité ou de rentabilité immédiate."

 "A quoi sert le journalisme ? »

"C’est la dernière saloperie de barrière qui nous empêche de sombrer dans la barbarie. Sans journalisme, sans circulation d’information, nous lèverions tous la main aux ordres de Big Brother. Le journalisme, c’est la voix des muets et l’oreille supplémentaire que Dieu donne aux sourds. C’est l’unique saloperie de métier qui vaille encore la peine dans la seconde moitié du XXe siècle. C’est l’équivalent moderne de la piraterie éthique, le souffle de rébellion des esclaves. C’est l’unique saleté de boulot amusant qui puisse encore se pratiquer. C’est ce qui empêche le retour au primitivisme des cavernes. Contradictoirement, c’est un domaine où, récemment, sont apparues des choses éternelles : la vérité, le mal, l’éthique, l’ennemi. C’est la meilleure des littératures, parce que c’est la plus immédiate. C’est la clé de la démocratie réelle, parce que les gens doivent savoir ce qui se passe pour pouvoir décider comment jouer leur vie. C’est la rencontre entre les meilleures traditions morales du christianisme primitif et celles de la gauche révolutionnaire de la fin du XIXe siècle. C’est l’âme d’un pays. Sans journalisme, nous serions tous morts et, pour la plupart, aveugles. Sans circulation d’informations véridiques, nous serions tous idiots. C’est aussi le refuge des rats, la zone la plus contaminée, après les forces policières, de notre société. Un espace qui se dignifie parce qu’on le partage avec les types les plus abjects, les plus serviles, les plus lâches, les plus corrompus. Et, par comparaison, il offre des possibilités d’héroïsme."

Paco Ignacio Taibo II.

Marc Laimé - eauxglacees.com