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Observer et comprendre la qualité de la Seine

3 mai 2020

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La revue « L’eau, l’industrie, les nuisances (EIN), » vient de publier dans sa 431 ème édition,, datée du 24 avril 2020, sous la plume d’Elise Avenas, Directrice du GIP Seine-Aval, un entretien à trois voix dédié au projet « MeSeine Innovation », un « observatoire au service de l’Innovation », dédié à l’observation et à la compréhension de la Seine francilienne.



« Coordonné par la Direction Innovation du SIAAP et des laboratoires de recherche publics, MeSeine Innovation vise à améliorer les connaissances sur les problématiques environnementales émergentes et à porter l’innovation dans les pratiques de suivi et de gestion des cours d’eau traversant les agglomérations urbaines. Rencontre avec 3 acteurs clés de cette initiative : Vincent Rocher, Directeur Innovation du SIAAP, Sabrina Guérin, Responsable du Service Rivière Usine Métrologie Innovante du SIAAP et Régis Moilleron, Directeur du Leesu.

 L’Eau, l’industrie, les nuisances : Quelle place occupe la rivière aujourd’hui dans le cadre de votre action de surveillance ?

 Vincent Rocher : Une place de plus en plus importante. L’évolution du contexte réglementaire et technique place la rivière au cœur du domaine du traitement des eaux usées. La surveillance de sa qualité devient aujourd’hui un enjeu majeur ; ce qui donne tout son sens aux observatoires et réseaux de mesure. Dans ce contexte, l’observatoire MeSeine Innovation vise un triple objectif.

Premièrement, il permet de suivre et d’apprécier les progrès de l’assainissement en Ile-de-France. Il faut garder à l’esprit qu’en 50 ans, le système d’assainissement francilien s’est radicalement transformé, conduisant à une réduction spectaculaire de la pollution rejetée dans les rivières. Très impactées en 1970, la Seine et la Marne sont aujourd’hui préservées. Les eaux sont oxygénées, présentent des concentrations en éléments, promoteurs d’eutrophisation, minimes et accueillent une grande biodiversité ; le recensement de plus de 30 espèces de poissons dans ces deux cours d’eau en est la plus belle illustration. Le suivi sur le long terme de la qualité de ces cours d’eau permis par cet observatoire constitue un moyen d’apprécier cette trajectoire positive.

Deuxièmement, le renforcement et l’ancrage dans le territoire de cet observatoire est en cohérence avec l’évolution réglementaire. Si la DERU[1], adoptée en 1991, est focalisée sur les performances des systèmes de traitement, la DCE[2], adoptée en 2000, fixe l’objectif de restaurer le bon état des cours d’eau européens. L’efficacité du système d’assainissement s’apprécie aujourd’hui à l’aune de sa capacité à préserver la qualité des eaux de surface et ainsi participer à l’atteinte du bon état écologique.

Troisièmement, cet observatoire ambitionne de générer des connaissances nouvelles sur les rivières franciliennes et de catalyser l’innovation dans les pratiques de suivi de leur qualité. L’émergence de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’assainissement permet même d’imaginer la prise en compte en temps réel de l’état de la Seine dans les choix d’exploitation.

Par la gestion intégrée du continuum « réseau d’assainissement / station d’épuration / rivière », l’exploitation du système d’assainissement s’adaptera demain à la rivière. A la clé : l’atteinte des objectifs réglementaires et la réduction de l’empreinte environnementale de l’activité d’assainissement.

 Revue EIN : Pouvez-vous nous apporter quelques précisions techniques sur cet observatoire MeSeine Innovation ?

 Sabrina Guerin : Il s’agit d’un observatoire historique du bassin francilien. Né en 1990, cet observatoire suit la qualité de la Seine et de ses principaux affluents en Ile-de-France, l’Oise et la Marne, en termes de physico-chimie, bactériologie, micro-contamination et diversité faunistique. La collaboration avec le réseau Synapses du GIP-Seine Aval et le projet Phresques permet de suivre la qualité de la Seine sur près de 400 kilomètres, de Paris à l’estuaire.

Cet observatoire s’appuie sur 3 piliers.

Premièrement, des capteurs sont installés in situ pour suivre l’évolution de la qualité de la Seine et évaluer en temps réel l’impact de l’assainissement, en particulier vis-à-vis de l’oxygène dissous. Ce sont 8 sites instrumentés sur plus de 120 kilomètres de rivière, qui permettent de suivre 2 à 7 paramètres à des fréquences de mesures infra-horaires. Cela représente près de 1 000 000 mesures par an.

Deuxièmement, des campagnes de prélèvements et d’analyses hebdomadaires permettent de photographier régulièrement la qualité de la Seine, notamment par le prisme des paramètres de la Directive Cadre sur l’Eau. Ce sont 14 sites de prélèvements sur plus de 110 kilomètres de rivière, sites sur lesquels sont analysés chaque semaine jusqu’à 100 paramètres. Cela représente près de 15 000 analyses par an. Enfin, nous nous intéressons au biote qui permet d’apprécier l’état biologique de la Seine, notamment à travers la diversité des populations piscicoles.

 Revue EIN : MeSeine, un observatoire qui se veut être un espace d’innovation ?

 Régis Moilleron : Effectivement, MeSeine Innovation se veut être un observatoire au service de l’innovation. Coordonné par le SIAAP et des laboratoires de recherche d’universités franciliennes, dont le Leesu[3] (Université Paris-Est Créteil, École des Ponts ParisTech) et l’UMR-METIS[4] (Sorbonne Université), ce programme de recherche vise à améliorer les connaissances sur les problématiques environnementales émergentes et à appréhender l’innovation dans les pratiques de suivi et de gestion des cours d’eau traversant les agglomérations urbaines. Dit autrement, ce programme vise à faire progresser la connaissance sur l’état des rivières franciliennes et à faire évoluer les outils d’évaluation et d’anticipation de leur qualité. Bien entendu, ce programme scientifique pluridisciplinaire est en synergie avec les programmes PIREN-Seine[5] et Seine-Aval, qui travaillent à la compréhension du fonctionnement du bassin versant de la Seine et de son estuaire, et interagit avec les programmes étudiant les systèmes d’assainissement urbains, tels que MOCOPEE [6]ou OPUR[7].

 Revue EIN : En quoi et comment l’observatoire se met-il au service des acteurs de l’eau ?

 Vincent Rocher : Il m’apparait tout d’abord important de rappeler que l’observatoire MeSeine Innovation s’adresse à l’ensemble des Franciliens et des acteurs en charge de la gestion de l’eau sur le bassin versant francilien. Dans cet objectif de partage et de diffusion des informations et des connaissances, des documents opérationnels, tels que des bulletins ou des bilans de qualité, sont produits de manière régulière et des synthèses scientifiques sont fréquemment publiées. Nous voulons que l’observatoire MeSeine Innovation soit utile de trois manières :

 Utile en constituant un baromètre de la qualité de la Seine pour les Franciliens. Pour ce faire, nous produisons et mettons à disposition sur le site du SIAAP[8], une information quotidienne, pour suivre le niveau d’oxygénation de la Seine, un bilan mensuel pour évaluer sa qualité physico-chimique et la positionner par rapport aux seuils réglementaires et, enfin, une synthèse annuelle pour dresser un bilan complet de sa qualité et celle de ses affluents.

 Utile en apportant un éclairage à la prise de décision pour les gestionnaires. Pour ce faire, nous produisons pour les autorités des études d’impact ou des bulletins exceptionnels pour évaluer la qualité des rivières en cas de situations inhabituelles : fonctionnement dégradé du système d’assainissement ou conditions météorologiques extrêmes (crue, étiage sévère, etc.). Le suivi de l’impact environnemental de l’incendie de la clarifloculation de la station Seine Aval de l’été 2019 constitue d’ailleurs un exemple concret et récent de l’importance de l’observatoire pour les gestionnaires et décideurs[9].

 Utile en partageant les connaissances produites avec la communauté scientifique et technique. Pour ce faire, les équipes impliquées dans le programme publient de nombreux articles scientifiques qui permettent de capitaliser les connaissances et les avancées méthodologiques. Des ouvrages de synthèse[10] pour partager plus largement l’état de la connaissance sur les problématiques environnementales actuelles sont également publiés.

[1] Directive Eaux Résiduaires Urbaines 91/271/CEE du Conseil, du 21 mai 1991, relative au traitement des eaux urbaines résiduaires

[2] Directive Cadre sur l’Eau 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau

[3] Laboratoire Eau Environnement et Systèmes Urbains

[4] Milieux Environnementaux, Transferts et Interactions dans les hydrosystèmes et les Sols

[5] Programme Interdisciplinaire de Recherche sur l’eau et l’ENvironnement du bassin de la Seine

[6] MOdélisation, Contrôle et Optimisation des Procédés d’Epuration des Eaux

[7] Observatoire des Polluants URbains

[8] www.siaap.fr

[9] Analyse complète publiée dans Eau, Industrie, Nuisances, n° 424, 2019

[10] Rocher et Azimi et al. (2017) Evolution de la qualité de la Seine en lien avec les progrès de l’assainissement - De 1970 à 2015. Editions Johanet. ISBN : 979-10-91089-31-9

 Rocher et Azimi et al. (2016) Qualité microbiologique des eaux en agglomération parisienne - Des eaux usées aux eaux de Seine. Editions Johanet. ISBN : 979-10-91089-29-6

Le réseau haute-fréquence Synapses et le projet Phresques, des outils connectés à l’observatoire MeSeine Innovation

Fortement connectés au réseau MeSeine, d’autres suivis prennent le relais jusqu’à l’embouchure de la Seine et même en baie, notamment le réseau haute-fréquence Synapses en estuaire de Seine, et les bouées Smile et Scenes en baie, mises en place dans le cadre du projet Phresques. Les données, pour la partie estuarienne, sont synthétisées et diffusées par l’observatoire environnemental de l’estuaire de la Seine, animé par le GIP Seine-Aval.

Du barrage de Poses à la baie de Seine, le GIP Seine-Aval, fort d’une vision d’ensemble des 170 kilomètres d’estuaire, propose un éclairage scientifique sur le fonctionnement environnemental de l’estuaire de la Seine, son état de santé et son évolution. Il s’appuie sur une expertise pluridisciplinaire, reconnue et partagée, pour accompagner les acteurs de l’estuaire dans leurs décisions.

Le méta-réseau Phresques et le réseau MeSeine permettent une vision globale et intégrée de la Seine, par la mise en place d’un dispositif de suivi en continu de la qualité de l’eau cohérent à l’échelle du continuum Seine."

Elise AVENAS, Directrice du GIP Seine-Aval.

Lire aussi :

 « On a retrouvé le coronavirus dans les eaux usées, et cela pourrait nous aider à mieux suivre l’épidémie »

par Vincent Marechal (INSERM, Sorbonne université) , Sébastien Wurtzer (Eau de Paris), Jean‑Marie Mouchel (Sorbonne Université), Rémy Teyssou (Institut de recherche biomédicale des armées), Yvon Maday (Sorbonne Université, co-fondateur de l’initiative Covid-IA), Vincent Rocher (SIAAP) et Laurent Moulin (Eau de Paris).

http://www.sorbonne-universite.fr/dossiers/covid-19-nos-recherches/retrouve-le-coronavirus-dans-les-eaux-usees-et-cela-pourrait-nous-aider-mieux-suivre-lepidemie

The Conversation France, 23 avril 2020.

 "Surveiller l’épidémie grâce aux eaux usées"

https://www.letemps.ch/sciences/surveiller-pandemie-grace-aux-eaux-usees

Le Temps, 30 avril 2020.

Marc Laimé - eauxglacees.com