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Pollution de l’eau en Bretagne : l’envers du décor, par un habitant de l’Iroise (*)

28 avril 2020

par Marc Laimé - eauxglacees.com

La classe politique bretonne, tous partis confondus, a obstinément soutenu depuis quarante ans un modèle agricole productiviste mortifère, niant contre l’évidence les dégâts environnementaux colossaux qu’il continue à provoquer, avec notamment la crise des algues vertes, désormais hors contrôle. La responsabilité de l’Etat, de ses administrations et des collectivités locales est ici écrasante, comme l’illustre l’analyse méthodique du désastre dans le Pays d’Iroise, à la pointe nord-ouest de la Bretagne.



« Accès aux ressources en eau en Iroise

Le contexte

Pays d’Iroise Communauté (Communauté de communes du Pays d’Iroise, CCPI), regroupe les communes de la pointe nord-ouest de Bretagne, au nord de Brest, et totalise environ 50 000 habitants.

Cette région littorale très agricole est un pôle de l’élevage industriel en Bretagne, notamment de l’élevage porcin. A eux seuls, les élevages classés Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), totalisent plus de 200 000 porcs dans la région, pour un total qui dépasse certainement 300 000 têtes.

Ces élevages génèrent des quantités importantes d’effluents, dont une partie est en principe traitée (pas de données disponibles sur la proportion traitée, ni sur le niveau de traitement ou le devenir des eaux traitées), le reste étant épandu sur la plus grande partie des terres cultivables de la CCPI, pour l’essentiel consacrées à des cultures destinées à l’alimentation animale, notamment du maïs.

La cartographie des épandages est inaccessible, mais la pression pour disposer de surfaces additionnelles laisse penser qu’on est proche de la saturation. La très grande majorité des terres cultivables de la CCPI est réservée aux cultures animales associés aux épandages de produits « phytosanitaires » et d’effluents d’élevage.

La région semble disposer de ressources en eau a priori suffisantes pour alimenter sa population. Néanmoins, l’essentiel de ces ressources paraît :

 soit prélevée par des dizaines de forages et captages privés, au seul bénéfice des élevages industriels ;

 soit impropre à la consommation du fait apparemment d’une pollution chronique par les nitrates et les pesticides, les périmètres de protection potentiels des quelques captages ou forages publics n’étant pas protégés réglementairement.

Les rares captages publics se réduisent encore, certains étant purement abandonnés au profit de l’extension des surfaces d’épandage (Lanildut ou Quéléret dans les années 2000).

Au bilan, la CCPI doit importer l’essentiel de son eau potable, au frais des abonnés de la CCPI.

Une partie seulement des eaux usées est collectée et traitée collectivement ; ce traitement a un coût exorbitant (plus de 5€/m3 pour le seul traitement des eaux usées dans certaines communes littorales), et est pourtant régulièrement mis en cause, avec les assainissements non collectifs défectueux, pour expliquer les problèmes chroniques de qualité des eaux de baignade.

D’autres causes de pollution microbiologiques semblent pourtant probables, compte tenu du volume des épandages d’effluents non traités (notamment par rapport au volume des eaux usées domestiques non traitées collectivement), d’autant que les analyses conduites, notamment par les associations de défense de l’environnement, ont démontré l’origine animale d’une partie des pollutions microbiologiques des eaux de baignade.

En effet, chaque épisode pluvieux intense est à l’origine de pollutions simultanées de plusieurs plages de la région, justement celles où débouchent des cours d’eau, ce qui incite à soupçonner le lessivage de sols chargés de pollutions microbiologiques.

La CCPI, dont la gouvernance est majoritairement contrôlée par le secteur de l’élevage industriel, préfère mettre en cause le traitement des eaux usées domestiques (pourtant de sa responsabilité), plutôt que de voir désigner les pratiques agricoles.

De plus, l’étude des pratiques de l’Agence régionale de santé (ARS), chargée du contrôle réglementaire et du classement des baignades, laisse soupçonner des pratiques illégales visant à effacer ces pollutions chroniques des séries de prélèvements de surveillance ; le préfet du département s’oppose d’ailleurs à la communication des informations qui permettraient de lever le doute.

L’activité conchylicole est peu développée, ce qui évite sans doute des problèmes sanitaires, mais aussi probablement des contrôles systématiques de la qualité des eaux littorales en dehors de la saison balnéaire.

L’accès aux ressources en eau

La région dispose de ressources en eau diffuses, mais nombreuses. Il est donc logique de se demander pourquoi ces ressources ne sont pas mobilisées pour la production d’eau potable domestique : difficultés techniques, économiques, qualité, compétition avec d’autres usages ?

LA CCPI relève du SAGE du Bas Léon, dont la gouvernance est elle aussi très majoritairement dominée par des représentants de l’élevage industriel, porcin ou bovin.

Voici une étude sommaire, à partir d’éléments publics disponibles sur internet, des éventuels conflits d’intérêt au sein de la commission exécutive de la Communauté de Communes du Pays d’Iroise - qui dirige de fait la CCPI.

J’ai créé pour les besoins de la cause un "indice cochon" (vert : pas d’intérêt visible ; jaune : intérêt démontré ou très probable ; rose : intérêt direct). Noter les fonctions exercées, qui sont les fonctions clés (aménagement du territoire pour foncier, eau, environnement, déchets...) pour le secteur de l’élevage industriel.

Ça peut expliquer les biais dans les décisions (on retrouve les mêmes au SAGE, avec leurs exacts équivalents des autres CC)...

Et ça pose des questions. Au mieux, de conflit d’intérêt, voire pire...

Indice cochon -.

L’indice "cochon"...

La transparence des décisions y est très faible, et la CLE ne dispose que tardivement de dossiers partiels ; la plupart des décisions sont de fait prises de manière opaque par les élus et les techniciens du syndicat des eaux du Bas-Léon.

L’information relative aux ressources en eau est difficile d’accès, y compris celle relative aux captages publics identifiés (captages du Traon, Queleret).

D’anciens responsables affirment qu’il serait possible de créer d’autres forages (plus éloignés de la mer que celui de Kerenneur désormais trop chargé en sel) mais que les périmètres de protection associés entreraient en concurrence avec les besoins de l’élevage intensif pratiqué dans le secteur, toujours à la recherche des surfaces d’épandage nécessaires pour obtenir des extensions d’élevages.

Aucune information ne semble disponible concernant les forages privés (volumes autorisés, prélevés, contrôle, traitement des eaux usées correspondantes, paiement des taxes et redevances associées).

Les questions aujourd’hui sans réponse :

 Quel volume d’eau brute est disponible sur le périmètre de la CCPI (aquifères, cours d’eau…) ?

 Quelle est la part qui serait techniquement et économiquement exploitable pour le service public de l’eau potable ?

 Quelles sont les limites liées à la qualité des eaux, et quelles sont les causes des pollutions éventuelles ?

 Peut-on créer de nouveaux captages publics, et en a-t-on créé en Bretagne dans les deux dernières décennies ?

 Qui consomme l’eau, en quelles quantités ? Qui la paie ?

 Comment sont accordées les autorisations de prélèvement privées, et comment se fait l’arbitrage entre intérêt général/service public et intérêts privés ?

 Comment sont contrôlés les prélèvements privés ?

 Sont-ils assujettis à des redevances, si oui sur quelles bases ?

 Comment les eaux usées non domestiques sont-elles traitées, qui contrôle, quelles sont les redevances perçues au titre des pollutions éventuelles ?

Le making off de l’article

 Yves le Berre :

« J’ai quitté le marigot quimpérois pour vous proposer une évasion vers la côte des abers où je conserve quelques attaches ...

Ami de combat d’Edouard, je suis un des membres fondateurs d’Eau Secours 29 et fais partie de notre direction collégiale.

Par ailleurs, je suis toujours membre de l’association APPCL (Association pour le protection et la promotion de la côte des légendes), dont je viens de quitter la présidence après 20 ans de "bons et loyaux services".

Notre rayon d’action se situe entre l’aber Ildut et l’aber Benoît . Entre ces deux abers, une superbe côte et les roches de Portsall, où s’échoua l’ Amoco Cadix, de triste mémoire.

Notre association a quelques heures de gloire et a réussi, après un procès retentissant dans les années 1990, à éviter des implantations touristiques lourdes, considérant que le meilleur atout de cette côte était d’en préserver son caractère naturel.

En outre, depuis de nombreuses années, nous sommes confrontés, entre autres atteintes à l’environnement, à une dégradation des eaux de baignade, dégradation due, pour l’essentiel , aux élevages porcins industriels. Le plus gros éleveur du secteur, membre influent de la FNSEA, veut doubler son "cheptel" et, ce avec la bénédiction du préfet, en dépit d’une enquête publique défavorable.

En première instance, au Tribunal administratif de Rennes, nous avons réussi - aux côtés d’Eau et Rivières de Bretagne et d’une autre association locale -, à faire annuler l’autorisation du préfet. L’affaire va en appel à Nantes...

Un de nos amis a bien voulu rédiger l’exposé ci-desus qui traite, de façon plus globale, la problématique de l’eau en pays d’Iroise. Je pense que cela pourrait être lu avec intérêt, nourrir le débat et susciter des réponses à nos interrogations. »

 Un habitant de l’Iroise :

« Il me semble en effet que ces questions ont une dimension qui dépasse largement le niveau local.

J’avais déjà eu l’occasion de constater que les beaux principes exposés dans les politiques nationales (l’eau paie l’eau, pollueur-payeur, solidarité amont-aval, etc.), prenaient un sérieux coup au stade la mise en oeuvre dans les SDAGE : la gouvernance totalement déséquilibrée des comités de bassin (où les agriculteurs et ceux qui les soutiennent font la loi), l’appui inconditionnel de l’Etat censé être l’arbitre, se traduisent par un partage des ressources biaisé, un partage des coûts très déséquilibré, et une action très inefficace en ce qui concerne la qualité de l’eau (eutrophisation, pesticides et autres perturbateurs endocriniens.)

L’essentiel des efforts est fait par les usagers domestiques, et dans une certaine mesure les industriels, l’agriculture se limitant au strict nécessaire pour éviter (et encore, pas toujours) les poursuites de l’UE, tout en exploitant de manière non durable et en polluant de manière irréversible les ressources communes en eau.

Je pensais donc bien retrouver cela au niveau local, mais je ne pensais pas qu’on pourrait encore descendre plus bas, avec des usagers domestiques totalement à la merci d’un secteur de l’élevage industriel prédateur des ressources communes (eau, terres), tout puissant, qui a placé ses pions dans toutes les structures de gouvernance (interco, SAGE), et est soutenu dans tous ses excès par des préfets qui ont oublié qui ils représentent. L’analyse de la situation en Iroise m’a ouvert les yeux...

Je pense qu’il faut vraiment que les citoyens se saisissent de ce sujet de politique publique... en passant s’il le faut (comme ici) par dessus leurs élus.

N’hésitez donc pas à partager mes questions avec des gens compétents !

Leurs noms ne me sont d’ailleurs pas étrangers.

J’ai notamment déjà fréquenté le site de la CACE et je partage ses analyses sur la tarification de l’eau....

J’ai en revanche plus de mal à trouver des références sur l’amont : SAGE, SDAGE... là où sont en principe gérées les ressources qu’on nous vend ensuite très cher alors que d’autres les ont gratuitement ; c’est en fait là que commencent les abus, et il n’est vraiment pas simple de les pister."

Lire aussi :

 Eau et assainissement. Landunvez, Lanildut, Porspoder, les communes qui inventent la tarification anti-sociale.

http://seaus.free.fr/spip.php?article599

Gérard Borvon, S-Eau-S, 2 févier 2010.

 Du lard et du cochon

http://europeanwater.org/fr/actions/focus-par-pays-et-ville/956-acces-aux-ressources-en-eau-en-iroise

European Water movement, 29 avril 2020.

Marc Laimé - eauxglacees.com