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Le "zéro artificialisation nette" des sols pour les Nuls...

24 février 2020

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Une politique réduite à un sigle ou à un acronyme, ici ZAN, est d’entrée de jeu un mauvais signal. La réduction est toujours accompagnée d’une mise à l’écart du plus grand nombre et traduit une volonté, plus ou moins consciente de la part de ceux qui ne parlent plus qu’en sigles, de se cacher derrière le langage techno-administratif et se réfugier dans l’inaction.



Le nouvel exemple concerne la lutte contre l’artificialisation des terres. Le concept dans ses grandes lignes est assez simple à comprendre : en couvrant les sols de béton, enrobés et autres matériaux n’ayant rien à voir avec des sols naturels, on fini par générer des problèmes en cascade (perte de biodiversité, accentuation des ilots de chaleur, accélération du ruissellement, ralentissement du rechargement des nappes…).

Les sols constituent une interface indispensable entre lithosphère, atmosphère, biosphère, hydrosphère et ne se reconstituent pas naturellement au rythme auquel nous les détruisons. Mais au lieu de lutter contre cette artificialisation, on a créé la ZAN.

D’abord on crée un Plan. Ca fait sérieux, ça renvoie à des heures historiques où on avait un Commissariat Général au Plan qui a permis la reconstruction du pays dans l’après guerre (et c’est d’ailleurs un autre Commissariat Général, celui du Développement Durable (CGEDD), qui fixe les éléments de méthodes pour atteindre les objectifs de cette politique), mais ça ne correspond à rien en matière de normes juridiques, ça n’engage que ceux qui y croient, et encore.

Comme on n’est pas dans le réglementaire, c’est une façon de ne pas assumer pour l’État la mise en application. Ensuite on fixe des objectifs tellement macro qu’il est difficile de dire comment ils pourront être atteints.

Le ZAN est-il calculé au niveau national, local ? Chaque opération devra-t-elle être ZAN ou bien aura-t-on un système comptable complexe à une échelle supra ? On voit bien que suivant les choix, l’effectivité de la mesure sera plus ou moins grande… Pour continuer, on met en place des outils d’aide totalement imbitables histoire d’être certains que personne ne sera en mesure de dire si on a mis en œuvre ou non.

Pour construire les « trajectoires » permettant d’atteindre l’objectif, le ministère de la Transition a sorti un document dans lequel il est expliqué : « Les débats à venir sur l’objectif « zéro artificialisation nette » devront se baser sur une estimation prospective des flux physiques pour permettre une évaluation ex-ante des coûts et bénéfices de différentes trajectoires de maîtrise de l’artificialisation des sols et des instruments de politiques publiques à mettre en œuvre pour les atteindre. »

On voit tout de suite qu’on n’est pas prêt de ralentir l’artificialisation du territoire, mais qu’en revanche la bataille pour produire des documents incompréhensible est plus que jamais en passe d’être définitivement gagnée…

Donc, au final, on ne sait pas définir ce qu’est un terrain artificialisé, mais au lieu de contraindre fortement les nouvelles constructions et nouveaux aménagements, on part sur des calculs alambiqués pour sortir la baguette magique de la Compensation.

La compensation, c’est génial. Vous prenez un sol qui a mis des millénaires à se constituer et en quelques coups de godets de pelle mécanique vous le détruisez, irrémédiablement car ce n’est pas renouvelable aux échelles de temps qui sont les nôtres. Mais ce n’est pas grave, car on va compenser cette destruction.

Ca ne veut rien dire sur le principe même de fonctionnement d’un sol, ce qui est détruit en un endroit restera détruit, qu’on ne sait pas ce que la compensation va vraiment compenser, mais ça donne l’impression d’être responsable, de ne pas détruire comme avant. C’est de la destruction de faux-cul alors qu’avant c’était de la destruction inconsciente. C’est mieux ?

On ne voit pas vraiment comment tout ça va permettre vraiment d’améliorer la situation, mais on peut faire confiance aux indicateurs soigneusement choisis pour ne pas donner une image trop négative du tout. Mais même ce peu est vu comme une audace extrême par nos gouvernants.

Emmanuelle Wargon, lors de son intervention le 5 février au bilan des 10 ans des écoquartiers, face à des élus et des aménageurs, n’a eu de cesse de dire qu’il ne fallait pas avoir trop peur du ZAN, que bien sûr on adapterait en fonction des enjeux locaux pour que la contrainte ne soit pas trop forte. Un demi pas en avant, deux en arrière, l’ « écologie punitive » ne va pas faire sa loi !

On nous avait déjà habitué avec la fameuse « séquence ERC ». Autre sigle, même enfumage. Là aussi, on pourrait dire les choses simplement : on va tout faire pour réduire notre impact sachant que toute destruction est irréversible quand toute mesure de compensation est au mieux un pari sur l’avenir. Mieux que rien ?

Certes, si on rendait la compensation exceptionnelle, quand on a réellement cherché à éviter et réduire, pour reprendre les deux premières lettres de la « doctrine ».

Or, c’est là que le bât blesse. En liant les trois volets, on légitime d’entrée de jeu le recours à la compensation, ce que les aménageurs et autres opérateurs de la compensation ont bien compris en passant très rapidement sur les autres solutions.

Eviter ? On oublie, le projet est forcément essentiel et ne saurait être remis en cause.

Réduire ? On joue à la marge pour donner le change.

Compenser ? La baguette magique qui verdit les projets est sortie. Et pour des opérateurs comme CDC Biodiversité qui a acheté un terrain trop grand de plus de 300 ha dans les Bouches-du-Rhône, avec des coûts de gestion associés, l’intérêt est de trouver des aménageurs qui ont besoin de compenser. La page de présentation est sans équivoque… L’intérêt partagé n’est pas franchement à la réduction…

Les retours d’expérience sur la compensation sont mauvais. On ne conserve pas bien la mémoire des secteurs de compensation qui se retrouvent quelques années plus tard sujets à aménagement… à compenser.

En 2017, un rapport sénatorial soulignait que la compensation pour les grandes infrastructures n’était pas mise en œuvre correctement.

Le rapport parlementaire de 2018 pointe les défauts de mise en œuvre, en évoquant la complexité de la procédure. Pour rendre une mesure inefficace, rien de tel que de monter une usine à gaz.

Les chercheurs eux tirent un bilan sans appel : la perte est certaine, les gains sont incertains.

Alors si tout le monde le dit, on fait quoi ?

Rien, puisque les documents hors sol produits par le ministère qui pour le coup évitent soigneusement d’aller sur le terrain voir ce qu’il s’y passe réellement.

Le discours officiel reste que la compensation est à utiliser en dernier recours et comme on l’a dit, si on compense, c’est bien du dernier recours.

Du coup, on reste fidèles à la ligne. On retient de la planification la version soviétique : les objectifs sont atteints puisqu’on a dit qu’ils l’étaient. La réalité ne viendra pas remettre en cause la volonté affichée.

Et l’OFB ? Eh bien à peine créé, l’Office envoie un signal fort. Le Canard enchaîné daté du 12 février nous apprenait que son staff (360 personnes !) était transporté à Chamonix pour « faire la claque à Macron » selon un de ses cadres cités par le Canard.

Mais qu’on se rassure, l’OFB a prévu un dispositif de compensation intégrale. Ceux qui devraient être les premiers à dénoncer la fumisterie de la compensation se donnent bonne conscience comme les autres.

Marc Laimé - eauxglacees.com