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Sivens : non à un nouveau barrage

27 août 2019

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le gouvernement et les autorités locales, s’appuyant sur la pseudo-concertation conduite dans le cadre d’un "projet de territoire", auquel ont participé, comme en Poitou Charentes, des organisations de la société civile revendiquant leur "réformisme", s’apprêtent à passer en force pour relancer un projet de nouveau barrage à Sivens. D’autres représentants de la société civile s’organisent pour y faire face, en élaborant pour commencer un argumentaire qui démontre l’inanité de ce nouveau projet.



"Un nouveau projet retenue de 1Million de m³ semble s’annoncer, ce qui serait presque aussi absurde que le projet initial de 1 Million et demi de m³.

Les syndicats agricoles majoritaires, la chambre d’Agriculture, le Conseil départemental, la maire de la commune de Lisle, Maryline Lherm, poussent pour un ouvrage de ce type et de cette dimension. La canicule de cette année 2019 est outrageusement instrumentalisée dans cette guerre des idées avec un discours simpliste : « Dans la rivière il y a beaucoup d’eau en hiver, et de moins en moins en été. Pour aider les agriculteurs, il faudrait donc une retenue pour stocker l’eau quand elle est disponible, afin de la restituer en été quand il en manque. »

De même, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a-t-il envoyé au début de l’été 2019 une instruction à tous les départements « pour autoriser la construction de retenues d’eau à multi-usages qui doivent permettre l’irrigation de l’agriculture. »

Mais rien n’est encore décidé.

L’opposition au premier barrage, ne demande qu’à être réactivée, et même amplifiée.

Ainsi, le Conseil régional, qui détient les cordons de la bourse, via l’agence de l’eau Adour Garonne, ne sera pas forcément favorable au financement d’un projet aussi rétrograde.

Et une foule de gens habitant le territoire n’ont pas l’intention qu’on leur impose n’importe quoi.

C’est pourquoi, il est de toute importance de créer un mouvement d’opinion,
et de mettre à la disposition du grand nombre les arguments propres à disqualifier ce nouveau projet de retenue à Sivens.

Les raisons de dire non à une retenue à Sivens

1° Argument technique : retenues et barrages aggravent la pénurie d’eau.

En cas de sécheresses prolongées ou répétées, les retenues et barrages accentuent le manque d’eau. Ainsi que l’a établi, notamment, à l’instar de nombreux chercheurs, Florence Habets, hydrométéorologue au CNRS.

En Espagne, sur le Tage, les barrages ne se remplissent plus, et les territoires en aval des barrages sont privés d’eau.

Une étude sur les barrages au Nord-Est du Brésil observés sur 85 années montre que les plans d’eau perdent en moyenne 2 mètres de hauteur à cause de l’évaporation, et autant à cause de l’infiltration. Un des aspects aberrants du projet de Sivens, c’est que la retenue serait à cet endroit en forme d’assiette, et chacun sait que les meilleurs sites ont une forme en bol, pour le coût moindre des travaux, l’emprise réduite sur les terres arables et la température de l’eau moins propice à l’évaporation.

Une retenue comme celle qui est envisagée, d’une hauteur de moins de 10 mètres verrait son volume d’eau réduit de près de moitié par l’évaporation et l’infiltration. Et l’eau restante ne serait guère propre à l’irrigation, vu la concentration des boues et leur toxicité.

(voir sagascience.cnrs : La construction de barrages)

De plus dans le contexte prévisible de raréfaction des débits et d’augmentation des températures, l’hypothèse la plus plausible est que la retenue à Sivens aurait de plus en plus de mal à se remplir.

2° Argument politique : les élus ont commis une erreur en 2013, qu’ils ne doivent pas répéter aujourd’hui

Dans le contexte de réchauffement climatique, les électeurs sont de plus en plus sensibles aux mesures concrètement adoptées pour répondre à l’urgence climatique .

Suite à l’avis défavorable de l’Europe, au rapport négatif des experts nommés en 2014 par la ministre de l’Environnement, et, bien sûr, suite à l’action des opposants, le tribunal administratif de Toulouse avait condamné en 2016 le projet initial avec des arguments de fond, toujours valables pour ce nouveau projet : surdimensionné, trop coûteux, bénéficiant à trop peu de personnes, et sans que les projets alternatifs aient été sérieusement étudiés.

En 2013, au Conseil général, 43 élus sur 46 s’étaient fourvoyés en votant pour un projet que la justice jugera illégal en 2016.

Ces élus, Thierry Carcenac en tête, n’ont pas fait honneur à la démocratie.

A l’approche des élections municipales de 2020, il serait bon que les futurs candidats, notamment celles et ceux de Lisle, de Castelnau de Montmiral ou de Gaillac, ne refassent pas les mêmes erreurs, qui portent atteinte à la cohésion sociale et au consentement à l’impôt. Leurs administrés attendent qu’au lieu d’ être inféodés aux lobbys de l’eau et de l’agriculture, les élus fassent preuve de courage en proposant et validant les mesures qui servent l’intérêt général.

3° Argument écologique : c’est un projet inadapté au contexte actuel

Le changement climatique se traduit par des phénomènes météorologiques extrêmes : pluies torrentielles, inondations brutales, sécheresses de plus en plus longues et répétées.

Paru en août 2019, le rapport du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, met l’accent sur la nécessité de gérer autrement les sols sous peine d’aggraver le déséquilibre entre les besoins alimentaires et la capacité d’y répondre.

C’est dans ce contexte que s’imposent une meilleure adaptation des cultures et des modes de production aux lieux et au climat. Ainsi les cultures gourmandes en eau, et l’irrigation sont à revoir à la baisse.

De même, il faut préserver les forêts et les zones humides, qui favorisent le maintien de la nappe phréatique et la biodiversité, car ce sont des lieux qui absorbent une partie des excès d’eau de crues ou d’inondations. Ils stockent l’eau en période sèche, humidifient l’air, et captent naturellement le carbone qui est responsable de l’effet de serre.

Force est de constater que le nouveau projet pour Sivens tourne le dos à ces préconisations : la retenue achèverait de détruire la zone humide du Testet qui commençait à se remettre du premier chantier.

4° Argument de la légalité : les besoins en eau ne sont pas chiffrés

Après l’abandon du premier projet, et pour sortir de la crise qui a culminé avec la mort de Rémi Fraisse, une instance de "coconstruction", rassemblant différents acteurs a été mise en place. Un des objectifs en est la formulation des besoins en eau pour la vallée du Tescou, entre autres pour les agriculteurs et pour le maintien du débit de la rivière, dans le cadre d’un « projet de territoire ».


Or les partisans de la création d’une retenue refusent d’évaluer leurs besoins en eau, ce qui a conduit à une rupture de la concertation entre les parties.

Une des associations d’opposants à la retenue, le collectif Testet, a d’ores et déjà prévenu le préfet du Tarn, qu’elle refuserait de prendre part au vote pour un projet, tant que les besoins en eau ne seraient pas définis, et que les solutions alternatives ne seraient pas sérieusement étudiées. Ce refus de vote bloquerait toute aide de la région, car l’agence de l’eau Adour Garonne n’acceptera de financer qu’un projet de territoire exemplaire.

En effet, comment imaginer qu’un barrage soit financé sur des fonds publics en dehors de toute légalité ?

En cas d’échec du projet de territoire, ce qui s’annonce mais n’est pas sûr, tout serait à reprendre : demandes d’autorisations d’une part, recours juridiques de l’autre etc. Ce serait surtout et avant tout un cuisant échec pour ce qui concerne une tentative d’associer des citoyens et des associations environnementales à la gestion de leur propre territoire. Un retour en arrière pour la démocratie locale.

5° Argument économique et financier : argent public pour intérêts privés.


La retenue de Sivens serait financée par de l’argent public, lequel a vocation à servir l’intérêt commun.

En 2014 les experts ont été dans l’incapacité d’évaluer les besoins des irrigants faute d’information vérifiable, la quarantaine d’agriculteurs interrogés ayant refusé à l’époque de se prononcer sur le tarif d’achat d’eau qu’ils seraient disposés à valider. Aujourd’hui, on ne s’explique pas le passage de 40 irrigants potentiels à 4 ; un autre, non déclaré, bientôt à la retraite, envisage la vente de ses terres et compte les valoriser en garantissant leur irrigation.

Pour tous ces exploitants, l’irrigation permettrait de décrocher de bons contrats avec les entreprises de l’agrobusiness. L’essentiel des bénéfices de la retenue iraient à ces mêmes entreprises.

Sans modification des pratiques agricoles, les cours d’eau s’assécheraient et le pompage dans la nappe phréatique deviendrait la norme. C’est alors qu’il y aurait concurrence entre l’eau pour irriguer et l’eau à boire : l’eau potable se raréfierait, serait rationnée, coûterait plus cher à chacun d’entre nous."




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Marc Laimé - eauxglacees.com