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Le blues de l’enquêteur public

18 août 2019

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Le statut et les activités des enquêteurs publics subissent depuis quelques années des remises en cause sans précédent, jusqu’à transformer les enquêtes publiques en matière environnementale en pitoyables parodies. Mais ces entraves ne datent pas d’hier. Témoignage.



« Le département des Deux-Sèvres est un département fort politisé, où
l’agriculture est reine. La création d’un important syndicat des eaux avait provoqué un violent conflit entre les communes, et leurs élus, qui s’affrontaient pour conquérir le privilège d’offrir leur ressource en eau à la ville, qui n’en dispose pas. En dépit de l’avis négatif d’un hydrogéologue, le choix se précipita à l’approche des élections…

Ancien garde-chef principal du Conseil supérieur de la pêche (CSP) au moment de mon départ en retraite en avril 1996 mon Préfet m’avait incité à poser ma candidature de commissaire enquêteur auprès du Tribunal administratif (TA) de Poitiers. Ce que j’ai fait et dès la fin de l’année j’étais agréé par ledit T.A.

A ce titre j’ai instruit de très nombreuses enquêtes publiques sans que
les divers présidents du T.A de Poitiers n’aient eu le moindre reproche à
me faire sur mes divers rapports d’enquêtes.

J’ai pourtant été radié de la liste des commissaires enquêteurs le 31 décembre 2015, et ce, pour m’être révolté lors de mes deux dernières enquêtes publiques.

J’avais d’abord mis en cause en juillet 2015 un maître d’ouvrage important, en l’occurrence "Réseau de Transport d’Electricité de Nantes" pour l’une.

RTE-Nantes est propriétaire depuis les années soixante d’un important parc de transformateurs électriques dont toutes les eaux pluviales, de ruissellement, de lavage des transformateurs électriques, mais aussi des garages et des eaux ménagères provenant des locaux d’habitations des personnels présents sur le site rejoignaient à l’aide de puisards une nappe souterraine servant pour l’alimentation en eau brute du syndicat des eaux du Vivier (SEV) de Niort.

RTE-N avait fait une demande d’extension d’un jeu de barres concernant ce site. Cette enquête publique a été entachée d’irrégularités (dont certaines volontaires), dès le départ de la demande de DUP concernant la demande d’exploitation et de délimitation des périmètres de protection présentée par ledit syndicat SEV.

Deux autres enquêtes publiques avaient déjà été réalisées deux années auparavant, sans que les commissaires enquêteurs ne mettent en
cause le mode d’assainissement de ce parc de transformateurs électriques
situé qui plus est dans le périmètre de protection rapproché des
captages d’eau brute du syndicat.

J’ai tenté dans un premier temps d’alerter le presse locale ainsi que l’association Que Choisir. Dès le premier article le syndicat a indiqué mettre tout en oeuvre pour la protection de la ressource en eau.

Depuis lors mutisme complet.

J’ai adressé plusieurs courriers en R/AC au président du syndicat afin de lui faire part de mes constatations.

Ces courriers sont restés sans réponse et mon rapport d’enquête publique
a disparu du site de l’administration un an et demi après la fin de mon
enquête.

La seconde enquête avait pour objet une révision allégée du PLU de la commune de Sansais (classée par décret dans le Parc Régional du Marais Poitevin), afin de changer la destination d’une parcelle de terrain jusque là classée en zone inconstructible et la « reclasser » en zone constructible, au cas où sa propriétaire envisagerait d’y faire une construction.

Cette enquête étant close je ne peux que signaler les pressions exercées auprès du Préfet par le cabinet particulier de la Présidence de la République pour que satisfaction soit donnée à la propriétaire d’origine zaïroise dont la parcelle faisait l’objet de la révision allégée du PLU.

Dès ma première permanence cette personne d’origine zaïroise accompagnée de l’un de ses proches, directeur d’une importante compagnie d’assurance présente dans la région de Niort, sont venus me consulter.

Ils voulaient savoir quelle était la marche à suivre pour que satisfaction soit donnée à leur demande.

Je leur ai expliqué que le Marais Poitevin étant un site classé il serait impossible de donner une suite favorable à leur demande.

Quelques jours plus tard, lors de ma seconde permanence ces deux personnes sont revenues me voir, la femme était munie d’un pli personnel que lui avait adressé le cabinet particulier de la Présidence de la République qu’ils avaient alerté de leur désir de changement de destination d’une parcelle de terrain.

La Présidence de la République portait à la connaissance de la femme qu’un courrier était adressé au Préfet du département, lui demandant de faire en sorte qu’un accord puisse être trouvé entre le Préfet et le maire de la commune pour que satisfaction puisse être donnée à la propriétaire de la parcelle jusque là inconstructible.

Par expérience personnelle il était évident que quel que soit mon avis celui-ci ne serait jamais pris en considération par l’administration.

En cours d’enquête j’ai fait part téléphoniquement au Tribunal Administratif de ce type de pression ainsi qu’à la personne de la Préfecture chargée de cette enquête.

Pour m’en tirer sans perdre la face J’ai émis un AVIS FAVORABLE, au projet de révision allégée numéro 1 du PLU de la commune de Sansais, cet avis étant assorti d’une réserve express : « Si toutefois, les propriétaires du terrain cadastré AD56 entendaient procéder à la vente de celui-ci une fois qu’ il ait été officiellement classé en zone constructible, l’avis du commissaire enquêteur devra être considéré comme défavorable au classement de la parcelle AD56 en zone constructible car cette révision allégée a obligé la commune à supporter des frais d’enquête publique dont le seul but était de permettre aux propriétaires de la parcelle AD56 d’ édifier leur résidence familiale et non de faire une opération financière ».

N’ayant aucune preuve de ce que j’avance sur l’intervention de la Présidence de la République auprès du Préfet, j’ai adressé bien plus tard un courrier à la propriétaire de la parcelle et à la personne proche l’accompagnant pour demander quelle avait été la décision finale de cette enquête publique ?

J’ai donc reçu le courrier suivant à entête du proche qui accompagnait la propriétaire de la parcelle.

"Bonjour monsieur L., suite à votre courrier je vous informe que nous avons bien retrouvé le classement de notre parcelle en terrain constructible.

En effet lors de la révision du PLU qui a suivi votre enquête, notre parcelle a retrouvé le classement qui était le sien avant la modification du POS ; Il est en effet probable que l’intervention de la Présidence de la république auprès du préfet n’ait pas été neutre dans le fait que nous ayons eu enfin gain de cause.

C’est aussi l’occasion pour nous de vous remercier pour votre écoute et votre compréhension.

Bien cordialement. »

Ce message est suivi d’une signature illisible.

J’ai dénoncé cet "arrangement" auprès du tribunal administratif et en ai
fait part dans mon rapport d’enquête essayant tant bien que mal de ne pas
perdre la face tout en sachant que la cause était entendue.

Avant pour finir d’être rédié des listes des commissaires enquêteurs par le TA le 31 décembre 2015…

Les attaques actuelles contre les commissaires enquêteurs s’inscrivent donc dans la droite ligne de dérives très anciennes."

Lire aussi :

 Greenpeace dépose un recours contre la suppression des enquêtes publiques

https://reporterre.net/Greenpeace-depose-un-recours-contre-la-suppression-des-enquetes-publiques

Reporterre, 26 juillet 2019.

 Le gouvernement fait une entorse à l’obligation de débit minimal des cours d’eau.

Alors que la sécheresse continue à sévir en France, le gouvernement publie un décret qui instaure une nouvelle dérogation à l’obligation de débit minimal des cours d’eau. Au grand dam des naturalistes et des fédérations de pêche.

https://www.actu-environnement.com/ae/news/secheresse-debit-reserve-etiage-cours-eau-riviere-prelevements-irrigation-derogation-33908.php4

Actu-environnement, 18 août 2019.

Marc Laimé - eauxglacees.com