Retour au format normal


Pau : François Bayrou condamné pour financement illégal de la gestion des eaux pluviales

19 juin 2019

par Marc Laimé - eauxglacees.com

L’affaire va faire du bruit, puisqu’elle accable l’éphémère garde des Sceaux d’Emmanuel Macron, en sa qualité de président du "Grand Pau". Plusieurs collectifs d’usagers dénonçaient depuis des années le financement de la gestion des eaux pluviales du Grand Pau imputé illégalement, à hauteur de 2 à 6 millions d’euros par an, aux seuls usagers du service public de l’assainissement, alors qu’il aurait du l’être, conformément à la réglementation, par une taxe perçue auprès de l’ensemble des contribuables de l’agglomération… Dans un jugement en date du 17 juin 2019, le Tribunal administratif de Pau a donné raison aux usagers, jetant un véritable pavé dans la mare.



 La Communauté d’agglomération Pau Pyérénées a été créée en 1999. Elle regroupait 31 communes et 154 488 habitants et disposait d’un budget annuel de 115 millions d’euros.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Communauté_d%27agglomération_de_Pau-Pyrénées

 La Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées est ensuite crée le 1er janvier 2017 par la fusion entre la Communauté d’agglomération de Pau-Pyrénées et les communautés de communes Gave et Coteaux et du Miey de Béarn.

Comptant désormais 161 891 habitants dont 77 251 pour Pau, la ville centre, elle est également présidée par François Bayrou.

Son budget annuel s’établit en 2017 à 144 Meuros

Elle exerçait 42 compétences au 1er avril 2019 dont :

 Assainissement collectif

 Assainissement non collectif

 Entretien et réhabilitation des installations d’assainissement non collectif

 Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI)

 Gestion des eaux pluviales urbaines au sens de l’article L. 2226-1 du CGCT

https://fr.wikipedia.org/wiki/Communauté_d%27agglomération_Pau_Béarn_Pyrénées

Un combat de longue haleine

Dès la moitié des années 2000 de nombreuses associations de défense de l’environnement et d’usagers du service public de l’eau potable et de l’assainissement se sont mobilisées pour dénoncer et combattre la gestion calamiteuse de l’assainissement et des eaux pluviales à l’échelle du Grand Pau.

Ainsi le samedi 20 mai 2006 le Collectif Eau Adour Transparente, Eau Secours SIEP de Jurançon, et ATTAC Pau 64 organisaient-ils par exemple un forum sur l’eau à Pau.

Forum associations Pau, 20-05-06 -.

Faute d’avoir constitué et financé dans les formes légales (aussi critiquables soient-elles par ailleurs), un véritable service des eaux pluviales, qui est réglementairement un service public administratif (SPA), et qui doit être financé à ce titre par la fiscalité locale, et donc les contribuables, à l’inverse du service public de l’eau et de l’assainissement, qui est un Service public industriel et commercial (SPIC), financé à ce titre par la facture d’eau des usagers, le Grand Pau a laissé se dégrader une situation qui conduit, à chaque fois qu’il pleut, des volumes très importants d’eau usées et d’eaux pluviales, qui ne peuvent pas être pris en charge par les stations d’épuration, à être rejetés sans avoir été traités dans le milieu naturel. Ceci à hauteur de 25% à 30% des volumes qui transitent chaque année par le réseau d’assainissement.

Au cas d’espèce du Grand Pau, toutes les bornes sont franchies. Au prétexte qu’il est très difficile voire impossible de distinguer eaux usées et eaux pluviales, comme va le soutenir l’agglo, le financement de la gestion de ces dernières est intégralement imputé sur le budget annexe de l’assainissement, dit M49, et donc payé par les seuls usagers du service public de l’assainissement, ce qui est illégal.

Cette absence de financement spécifique du pluvial par le budget général, et donc la fiscalité locale, et donc le contribuable, interdit de surcroît au Grand Pau de mobiliser les financements nécessaires à la consolidation d’un système dit « séparatif », qui permettrait une meilleure gestion des eaux pluviales, et donc une moindre pollution par temps de pluie, qui entraîne des rejets massifs d’eaux non traitées dans le milieu naturel.

La gestion de l’eau dans l’agglomération paloise -.

A titre de comparaison, la Communauté urbaine de Bordeaux reverse chaque année à partir de son budget général, dit M14, rien moins que 11 millions d’euros au budget annexe de l’assainissement (M49) pour la gestion des seules eaux pluviales.

Vont s’ensuivre, sur la base de ce constat, d’innombrables interventions des usagers auprès du Grand Pau, du Préfet et des services de l’Etat, qui font obstinément la sourde oreille.

Des recours en justice en 2017

La nouvelle communauté d’agglo créée le 1er janvier 2017 et présidée par François Bayrou, a formellement pris nous l’avons vu la compétence « Gestion des eaux pluviales ».

Du coup, quand cette dernière adopte son budget en mars 2017, nos usagers excédés saisissent le Tribunal administratif de Pau, lui demandant d’annuler les deux délibérations relatives au service public de l’assainissement qui entérinent le financement illégal de la gestion des eaux pluviales par les seuls usagers de l’assainissement.

Les usagers déposent deux recours, un référé-suspension et un recours en plein contentieux, qui demandent donc l’annulation des deux délibérations querellées.

La requête en référé-suspension sera rejetée au printemps 2017 car "l’annulation des budgets de la CDA de Pau auraient eu des conséquences trop importantes et disproportionnées... »

Requête référé suspension 05-05-17 -.
Requête en annulation, 05-05-17 -.

Le Grand Pau riposte avec un mémoire rédigé par le cabinet de Maître Laurent Richer, éminent professeur de droit parisien, et défenseur attitré de SUEZ. Rien d’étonnant. SUEZ est bien implantée dans l’agglo, puisqu’elle gère l’eau et l’assainissement du SIEP de Jurançon, qui représente la moitié des habitants de l’agglo.

Du coup alors que Pau, la ville centre, est gérée en régie, SUEZ lui a refourgué en 2017 la même camelote pour la télérelève des compteurs d’eau qu’à Paris...

Classiquement Laurent Richer attaque sur l’incapacité à agir supposée des requérants, et plus intéressant encore les troubles que pourraient générer l’annulation des délibérations attaquées… Faut oser.

Mémoire en défense Richer CAPP, 04-07-17 -.

Une condamnation cinglante

Faisant litière, à juste titre, de ces billevesées, le Tribunal administratif de Pau a balayé le 17 juin dernier l’ensemble de ces palinodies et fait droit aux demandes des usagers. Un premier pas décisif puisque les sommes en jeu sont très importantes (entre 2 et 6M€ par an).

Jugement TA Pau, 17-06-19 -.

Mais pour Eau Secours 64, qui avait déposé le recours, le plus important ce sont surtout les moyens financiers qui permettront de mettre en oeuvre des investissements pour éviter de rejeter dans le gave de Pau 25 à 30% d’eaux usées non traitées par an.

L’association souligne aussi la responsabilité des préfets successifs qui n’ont pas joué leur rôle en matière de contrôle de légalité, la possibilité pour les usagers de demander le remboursement de la surfacturation, mais aussi les dégâts environnementaux suite aux 25 à 30% de déversements chaque année dans le milieu natural, notamment en période de fortes pluviométrie, dus au manque de financement de bassins de rétention.

Il est probable au cas d’espèce que le Grand Pau va interjeter appel, espérant lasser nos usagers.

Reste que l’arrêt du TA de Pau est de nature à inspirer d’autres collectifs d’usagers, ailleurs…

Un iceberg enfoui

Chaque année le financement de la gestion des eaux pluviales en France, que nulle autorité ne sait quantifier avec précision, est évalué à près de deux milliards et demi d’euros, davantage que les redevances des Agences de l’eau !

L’encadrement réglementaire du financement de la gestion des eaux pluviales est un scandale absolu, puisqu’il est ouvertement illégal, comme nous l’avons déjà écrit à d’innombrables reprises.

L’enterrement durant 18 mois par le ministère de l’Ecologie du rapport « Roche », qui remettait enfin les choses à plat, et que nous avons rendu public après avoir saisi la CADA, comme les grossières manœuvres de l’actuelle majorité, qui a « encapsulé » l’an dernier les EP dans l’assainissement, sur les bases d’une pseudo analyse juridique aussi infondée que mensongère, et pour les seules métropoles, et agglos ( !) ne suffiront pas à enterrer éternellement le problème, considérablement aggravé de surcroît par les promesses calamiteuses de suppression de la taxe d’habitation…

Bien évidemment aucun candidat aux prochaines échéances électorales qui vont se succéder à un train d’enfer jusqu’en 2022 n’en dira jamais un mot.

Voici venu le temps de l’écologie des catacombes.

Lire aussi :

 Allons-nous vers des contestations des redevances d’assainissement en raison d’une prise en charge des eaux pluviales urbaines ?

https://blog.landot-avocats.net/2019/06/24/allons-nous-vers-des-contestations-des-redevances-dassainissement-en-raison-dune-prise-en-charge-des-eaux-pluviales-urbaines/#more-53

Le blog de Yann Landot, 24 juin 2019.

Marc Laimé - eauxglacees.com