Retour au format normal


Quel changement dans la continuité (écologique) ?

3 juin 2019

par Marc Laimé - eauxglacees.com

On n’avait pas vu depuis longtemps pareil déploiement d’énergie autour de l’une des problématiques les plus sensibles de la gestion des milieux aquatiques, celle de la « continuité écologique », qui oppose depuis des lustres l’administration et les associations de défense de l’environnement aux représentants (selon), des collectivités (et ou) du monde agricole (et ou) des « amis des étangs et moulins », engagés dans une véritable guerre des tranchées qui semblait ne pas pouvoir connaître de terme. Au terme d’une consultation marathon, les premiers proclament que l’heure de l’apaisement est enfin venue. Voire…



D’abord le rétablissement de la « continuité écologique » était l’une des pierres angulaires de la sacro-sainte Directive cadre européenne sur l’eau (DCE), que la même administration vient de passer par pertes et profits, en supprimant l’objectif cible de 2027 comme borne ultime de rétablissement d’un bon état écologique et chimique de toutes les masses d’eau, ce qui relativise grandement l’importance de la continuité, pourtant brandie comme impératif catégorique par ses évangélistes.

http://www.eauxglacees.com/Comment-l-eau-sort-de-l-histoire

Sur le fond, le différend est loin d’avoir été tranché.

Cette fameuse continuité, pour faire simple, serait donc l’indicateur privilégié, selon ses défenseurs, car en permettant d’identifier, et donc d’objectiver, et le transit des sédiments et la libre circulation piscicole dans les rivières (i.e la remontée des saumons), on disposerait d’un étalon incontestable permettant d’apprécier les progrès en matière d’hydromorphologie.

Ce à quoi ses détracteurs rétorquent en dénonçant l’hypocrisie qui consiste à détruire à grands frais (des centaines de millions d’euros) tous genres de "seuils" et "d’obstacles", et notamment des moulins, l’administration s’achetant ainsi à bon compte un brevet de bonnes moeurs, pour mieux dissimuler son échec et son renoncement face aux pollutions diffuses d’origine agricole…

Et ceci sans même évoquer la relance, tout aussi controversée, de la micro hydroélectricité, impulsée durant le magistère de l’ambassadrice des Pingouins.

Bref, pour s’extraire de ce marécage, l’idée a jailli il y a 18 mois… d’organiser un « Grand débat », avant l’autre mascarade, mais les ressorts de l’opération sont bien évidemment les mêmes.

Aux manettes, avec l’aval du Comité national de l’eau (CNE), organisme subclaquant depuis deux ans sous la férule de son insubmersible Kappelmeister, le ci-devant Claude Miqueu, charmant apparatchik vieille France, que l’on voit ici en ambassadeur plénipotentiaire émérite auprès des Mamelouks, faisant équipe avec Simone Saillant, éminente figure de la haute administration de l’environnement, duo haut de gamme searching (no Mister Goodbar), mais l’apaisement.

Et au terme de ces travaux d’Hercule, une fois accouché d’un véritable chef d’œuvre bureaucratique, sous forme de Note technique à donner le vertige, voilà donc que se met en branle une opération de com massive, que relaient bien évidemment à la lettre les medias spécialisés du secteur, à l’image de Localtis ou d’Actu Environnement :

Plan de continuité écologique des cours d’eau : pas de rupture mais un changement de méthode

« Pour répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain, le ministère de la Transition écologique a initié une démarche partenariale formulée dans un plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d’eau.

Fruit de plusieurs mois de discussion au sein du Comité national de l’eau (CNE), le nouveau plan d’action de restauration de la continuité écologique des cours d’eau a été validé par le ministre de la Transition écologique en août dernier.

Dans une note technique, rendue publique le 3 mai, le ministère en détaille les lignes directrices « adaptables au contexte local » pour l’établissement d’un programme de priorisation des interventions sur les ouvrages en vue d’assurer une continuité piscicole et sédimentaire.

L’objectif est de donner des éléments d’aide « à l’analyse au cas par cas » de façon à trouver le meilleur équilibre entre les divers enjeux en présence : l’atteinte du bon état des masses d’eau, la préservation de la biodiversité, le développement des énergies renouvelables, en particulier l’hydroélectricité, la dimension patrimoniale, les loisirs nautiques, la production aquacole etc.

Compte tenu des tensions constatées sur le terrain, un groupe de travail, ouvert aux fédérations de défense des moulins et à l’association des riverains de France, a été constitué en 2017 au sein du CNE, afin de formuler des pistes d’évolution pour une politique « apaisée » de restauration de la continuité écologique.

Priorisation par bassin

Le principal levier reste réglementaire à travers le classement des cours d’eau au titre de l’article L. 214‑17 du code de l’environnement.

Ainsi, le classement en liste 1 empêche la construction d’ouvrages nouveaux constituant un obstacle à la continuité, notamment de type seuils et barrages, tandis que le classement en liste 2 emporte des obligations d’interventions adaptées sur les ouvrages existants.

Ces listes ont été arrêtées par les préfets coordonnateurs de bassin entre juillet 2012 et octobre 2013 (2014-2015 en Corse et outre-mer).

Une fois n’est pas coutume le ministère voit le verre à moitié vide : « Le rythme de 600 ouvrages "traités" par an sur un total de plus de 10 000 restant "à traiter" en 2018 (soit 18 000 obstacles référencés en liste 2, dont il est soustrait ceux qui sont déjà aménagés, supprimés ou ceux qui sont ruinés ou sans effet à réduire) montre le chemin restant à parcourir.

Même si ceux-ci ne sont pas tous à aménager ou modifier, une action demeure nécessaire sur un assez grand nombre ».

« Il est donc essentiel de ne pas se disperser », poursuit la note, prônant une définition « des priorités partagées d’interventions (…) » par bassin.

En langage clair : certains ouvrages bénéficieront d’une focalisation des moyens administratifs, financiers et des contrôles.

Une liste d’ouvrages prioritaires à traiter sera établie dont la mise en oeuvre se déclinera sur la fin du Sdage (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) en cours jusqu’en 2021.

Sur le Sdage suivant 2022-2027, un nouveau programme de priorisation sera préparé et « co-construit avec les collectivités à compétence Gemapi ou de bassin », précise la note.

Solution au cas par cas

Une fois les secteurs et ouvrages priorisés, plusieurs scénarios sont sur la table pour rétablir la continuité. « Il n’existe aucune solution de principe », insiste la note, « chaque situation est différente (type de cours d’eau, espèces concernées, usages, qualité de l’eau, qualité du patrimoine, partenaires, disponibilités financières) ».

L’analyse coût-efficacité constitue un paramètre de plus d’aide à la décision « afin de dégager la solution présentant le meilleur compromis ».

Dans tous les cas, « la suppression de l’ouvrage ne sera envisagée qu’avec l’accord du propriétaire, s’il est connu », précise la note, qui promet également « une concertation plus ouverte avec les acteurs autour du diagnostic des enjeux et des solutions retenues ».

Une com en forme de rouleau compresseur

L’affaire a été préparée en amont avec soin, comme en témoigne l’exégèse de ladite Note technique publiée sur le blog de Landot avocats :

https://blog.landot-avocats.net/2019/05/17/la-continuite-ecologique-des-cours-deau-pourrait-redevenir-un-long-fleuve-tranquille/

Qui ne s’en tient pas là, mais offre ensuite à son Excellence Claude Miqueu une élogieuse interview, sitôt mise en ligne sur le même blog.

https://blog.landot-avocats.net/2019/05/22/continuite-ecologique-des-cours-deau-m-claude-miqueu-nous-fait-part-de-ses-reflexions-et-de-letat-davancement-des-discussions-en-cours/

S’ensuit un séminaire national "Continuité écologique" le 14 mai, auquel participent 200 cadres et délégués des DREAL, DDT, AFB et Agences de l’eau, chargés de décliner sur les territoires cette "politique apaisée" définie dans la note technique DEB du 30 avril, « issue de 18 mois de travail avec pour la première fois tous les acteurs concernés », souligne à notre attention Claude Miqueu.

Qui nous fait tenir, nous l’en remercions, son « discours de la méthode » :

Introduction séminaire national ; Claude Miqueu, 16 mai 2019 -
Introduction séminaire Simone Saillant, 14 mai 2019 -

On prendra dès lors connaissance, lesté de ces préalables, de la fameuse Note technique susmentionnée :

Note technique "Continuité apaisée", DEB 30 avril 2019 -.

A compléter avec le guide élaboré par les Agences de l’eau, l’Agence française de la biodiversité et l’IRSTEA, qui propose des préconisations de suivi dans le cadre d’opérations de restauration hydromorphologique des cours d’eau :

https://professionnels.afbiodiversite.fr/fr/node/473

Enfin, au terme de cette exploration en eaux profondes dans les abysses de la gestion souterraine de la gestion de l’eau à la française, on se rendra compte que l’apaisement est loin d’être encore au rendez-vous, si l’on en croit l’Observatoire de la continuité écologique (OCE) aka nos amis des étangs et moulins :

http://continuite-ecologique.fr/cne-continuite-ecologique-apaisee-analyse/

D’où il appert que la continuité est encore loin d’avoir revêtu les atours d’un long fleuve tranquille, n’en déplaise aux sommités du Divan évoquées plus avant…

Tiens, on va attendre longtemps une "Conférence de Roquelaure" sur la continuité :

https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/ministere-transition-ecologique-et-solidaire-lance-conferences-roquelaure

Marc Laimé - eauxglacees.com