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Les régies hors la loi ?

25 mars 2019

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Une régie à personnalité morale et
autonomie financière, en toute logique assujettie au même régime juridique que sa
collectivité de rattachement, peut-elle se dispenser d’organiser un Débat d’orientation budgétaire (DOB) et d’adopter son Rapport d’orientation budgétaire (ROB) induit, préalablement au vote de son budget primitif ? Interrogés par un élu guadeloupéen deux militants français, experts de la gestion publique, viennent de lui répondre, ouvrant un débat qui éclaire d’un jour cru les limites démocratiques des modalités actuelles de la gestion des services publics locaux.



La question de Jacques Davila :

Jacques Davila est administrateur des régies dites « rénoc eau » et « rénoc assainissement » créées à la suite de la faillite du SIAEAG en Guadeloupe. Ces deux régies ne parviennent malheureusement pas à répondre aux enjeux vitaux d’une rénovation drastioque des services d’eau de l’ile.

« L’article 107 de la loi NOTRe, et la loi de Programmation des finances publiques 2018 - 2022, en son article 13, modifiant l’article L.2312-1 du CGCT, font obligation aux EPIC de plus de 10 000 habitants et comportant une commune de plus de 3500 habitants d’organiser un Débat d’orientation budgétaire (DOB) dans les 2 mois précédant le vote du budget primitif de l’exercice.

Il s’avère qu’à ce jour, en Guadeloupe, les 2 régies dites « rénoc eau » et « rénoc assainissement », avec pour enseigne commerciale « "rénoc Caraïbes", ne figurant ni dans leurs statuts respectifs, ni sur leur K bis respectifs, ne l’ont toujours pas fait, tout comme l’année dernière, sans que cela n’ait fait l’objet de lettre d’observations concernant, tant le budget primitif que le compte administratif, car le ROB, Rapport d’orientation budgétaire induit, doit être obligatoirement joint à chacune de ces affaires précitées.

Ce qui est une cause d’annulation juridique. desdits budgets et comptes administratifs, sans omettre les décisions financières modificatives postérieures. Ce qui bien sur n’a pas été fait.

Il en est de même de l’absence de CCF (Commission de contrôle financier) obligatoire mais inexistante, tant à la CANGT, dont elles sont issues, détachées, qu’au SIAEAG, leurs collectivités de référence statutaires, avec lesquelles elles n’ont toujours pas de conventions d’objectifs, alors qu’opérationnelles depuis le 1° janvier 2016.

Sans que ceci n’aît été relevé aussi dans le dernier avis de la CRTC relatif au SIAEAG, et dans les chapitres concernant tant la CANGT que les 2 régies rénoc. Je pense qu’il en est de même pour toutes les autres autorités organisatrices…

Par ailleurs le Président de notre agglo propose de voter le BP 2019, sans report à nouveau,
donc sans vote préalable du compte administratif 2018, et connaissance de
l’état des restes à réaliser...

Vous comprendrez sans peine au vu de ces informations combien il serait utile de connaître les obligations d’une régie à personnalité morale relativement à l’organisation d’un DOB et l’adoption du ROB induit), préalablement au vote du budget primitif de la régie.

L’analyse de Patrick du Fau De Lamothe, membre de Transcub et président d’ARC’EAU :

« Sauf erreur de ma part, la première question posée concerne les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière chargées de l’exploitation d’un service public à caractère industriel et commercial. On pourrait penser que dotée de la personnalité morale donc distincte de la collectivité qui l’a créée, elle est soumise à des règles spécifiques, c’est le cas.

Ainsi l’article L.2221-5 du Code général des collectivités territoriales stipule : « Les règles « budgétaires et comptables » des communes sont applicables aux régies municipales, sous réserve des modifications prévues par les décrets en Conseil d’État mentionnés aux articles L.2221-10 et L.2221-14 ». Seul l’article L.2221-10 concerne les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Il renvoie à des décrets

Pour les régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière chargées de l’exploitation d’un service public à caractère industriel et commercial, on les trouve aux articles R.2221-35 à R.2221-52 . Toutefois loin de donner un régime spécifique, l’article R.2221-35 précise : « Les règles de la comptabilité communale sont applicables aux régies dotées de la personnalité morale et de l’autonomie financière chargées de l’exploitation d’un service public à caractère industriel et commercial, sous réserves des dérogations prévues au présent paragraphe ».

Or aucune disposition des articles R.2221-35 à R. 2221-52 qui composent le paragraphe 2. RÉGIME FINANCIER ne dispense la collectivité du débat d’orientations budgétaires préalable. Celui-ci est donc, selon moi, obligatoire pour ce type de régie. Ce débat doit se tenir dans les deux mois qui précèdent le vote du budget et celui-ci doit être adopté avant le 15 avril 2019.

La deuxième interrogation est celle du vote d’un budget qui ne reprendrait pas les résultats de l’exercice écoulé. Ce serait effectivement particulièrement gênant pour un SPIC puisque les tarifs à réclamer aux usagers sont fixés en fonction des besoins financiers pour assurer l’équilibre financier de la régie. L’article R.2221-48-1 du CGCT répond : « En l’absence d’adoption du compte financier à la date du vote du budget de l’exercice suivant, lorsque le résultat de la section de fonctionnement, le besoin de financement, ou le cas échéant l’excédent de la section d’investissement et la prévision d’affectation sont reportés par anticipation, dans les conditions fixées au quatrième alinéa de l’article L.2311-5, les inscriptions au budget sont justifiées par la production en annexe d’une fiche de calcul des résultats prévisionnels ».

Ainsi selon moi, il y aurait, dans ce cas, obligation de reprendre par anticipation les résultats de l’exercice écoulé, quitte à devoir les régulariser ultérieurement (cf. L.2311-5). En effet, l’article R.2221-38 exige que : "Les taux des redevances dues par les usagers de la régie sont fixés par le conseil d’administration. Les taux sont établis de manière à assure l’équilibre financier de la régie dans les conditions prévues aux articles L.2224-1, L.2224-2 et L.2224-4 ». »

L’analyse de Jean-Louis Linossier, président de l’Association des consommateurs d’eau du Rhône (ACER), membre de la Coordination des associations de consommateurs d’eau (CACE) et d’Attac 69 :

« Pour ce qui concerne l’application de cette réglementation, et c’est bien dommage pour la démocratie et le contrôle citoyen, il n’est pas facile d’en trouver des exemples, aussi bien en provenance de la justice, que des régies elles-mêmes. Et c’est bien dommage dans le cas des régies qui restent en général très discrètes pour ce qui concerne leur fonctionnement interne.
Lorsqu’une collectivité décide de déléguer la gestion de ses services d’eau et d’assainissement, au moins 1/3 du coût du service est assuré par la collectivité, avec un budget annexe dont l’exécution est contrôlée par un compte administratif. Et cette gestion ressemble fort à celle d’une régie.

Or, avec la Métropole de Lyon, ou par exemple à Genas pour une commune, et à propos de ce budget annexe, je n’ai jamais entendu prononcer l’expression « Débat d’Orientation Budgétaire Préalable » ni même employer le sigle DOBP.

Mais par contre on nous dit que l’avis de la Commission qui en a débattu, a été pris en compte. Et d’ailleurs, lors du vote de l’assemblée délibérante, le maire ou le président prononce toujours la même demande, avant de passer au vote : « Avis de la Commission monsieur le rapporteur » et le rapporteur de répondre : « Avis favorable Mr le président » (ou Mr le Maire).

Par contre un vrai débat peut avoir lieu en Assemblée délibérante, préalablement au vote, à la demande des membres de l’assemblée. Mais comme il ne respecte pas les délais, ce n’est pas un DOBP.

J’en viens donc à me demander si le débat en Commission ne serait pas, là, dévoyé en remplacement d’un vrai DOBP ?

S’il en était ainsi, un gros bémol démocratique car les débats de la commission ne sont pas publics et la diffusion du rapport est très restreinte pour ne pas dire « secrète ».

Pour anticiper les orientations de la collectivité en ce qui concerne sa politique, il est alors nécessaire d’avoir des « taupes » dans la Commission et c’est déplorable.

On peut également penser que de toute façon et en réalité, les domaines « d’autonomie » des régies par rapport à leurs collectivités ne vont pas au-delà des limites qui leur sont octroyées par ces mêmes collectivités.

Il me semble même que c’est écrit en toutes lettres dans le CGCT, au moins pour ce qui concerne les régies à autonomie financière qui ne sont pas dotées de la personnalité morale.

Clairement, et non moins malheureusement, tous les débats décisionnels se déroulent dans l’opacité, même si cela est réglementaire comme pour les Commissions et à tous les niveaux. »

Autant dire que la démocratie pourrait encore progresser à pas de géants dans ces domaines.

Qui en parle ? Qui la défend ? Qui la promeut ?

NOTE :

Le Débat d’Orientation Budgétaire (DOB)
Mise à jour du 29/01/2018



Présentation des nouvelles règles encadrant le débat d’orientation budgétaire


Quelles sont les collectivités concernées par le DOB ?


Le DOB constitue une étape impérative avant l’adoption du budget
primitif dans toutes les collectivités de 3 500 habitants et plus
ainsi que les EPCI qui comprennent au moins une commune de 3 500
habitants et plus.


Dans quel délai le DOB doit-il avoir lieu ?


La tenue du DOB doit avoir lieu dans les deux mois précédant le vote
du budget primitif.


Quelles évolutions récentes ont impacté le DOB ?


Le Décret n°2016-841 du 24 juin 2016 apporte des informations quant
au contenu, aux modalités de publication et de transmission du rapport
d’orientation budgétaire.
Le débat d’orientation budgétaire doit faire l’objet d’un rapport
conformément aux articles L.2312-1, L.3312-1 et L.5211-36 du CGCT.
Pour les communes d’au moins 3 500 habitants, les établissements
publics de coopération intercommunale qui comprennent au moins une
commune de 3 500 habitants et plus, les départements, ce rapport doit
comporter :


 les orientations budgétaires envisagées portant sur les évolutions
prévisionnelles des dépenses et des recettes en fonctionnement et
investissement. Sont notamment précisées les hypothèses d’évolution
retenues pour construire le projet de budget, notamment en matière de
fiscalité, de subventions ainsi que les principales évolutions
relatives aux relations financières entre la collectivité et le
groupement dont elle est membre ;


 la présentation des engagements pluriannuels ;


 les informations relatives à la structure et à la gestion de
l’encours de la dette.
Dans les communes de plus de 10 000 habitants, les établissements
publics de coopération intercommunale de plus de 10 000 habitants et
qui comprennent au moins une commune de 3 500 habitants, les
départements, le rapport comporte également les informations
relatives :


 à la structure des effectifs ;


 aux dépenses de personnel comportant notamment des éléments sur la
rémunération tels que les traitements indiciaires, les régimes
indemnitaires, les bonifications indiciaires, les heures
supplémentaires rémunérées et les avantages en nature ;


 à la durée effective du travail.


Il est pris acte du débat d’orientation budgétaire par une
délibération de l’assemblée délibérante qui doit faire l’objet d’un
vote.

Par son vote l’assemblée délibérante prend acte de la tenue du
débat et de l’existence du rapport sur la base duquel se tient le DOB.


Transmission : le rapport et la délibération doivent être transmis au préfet


Publication : le rapport fait l’objet d’une publication.


NOUVEAUTE 2018 : La loi de programmation des finances publiques (LPFP)
pour les années 2018 à 2022 du 22 janvier 2018 contient de nouvelles
règles concernant le débat d’orientation budgétaire.


Le II de l’article 13 de la LPFP ajoute deux nouvelles informations
qui devront être contenues dans le rapport présenté à l’assemblée
délibérante à l’occasion de ce débat.
Il s’agit des objectifs concernant :


 L’évolution des dépenses réelles de fonctionnement, exprimées
en valeur, en comptabilité générale de la section de fonctionnement


 L’évolution du besoin de financement annuel calculé comme les
emprunts minorés des remboursements de dette.
Ces éléments prennent en compte les budgets principaux et l’ensemble
des budgets annexes.

Marc Laimé - eauxglacees.com