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Le gouvernement enterre la Directive cadre européenne sur l’eau

8 octobre 2018

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Au motif de lutter contre la (prétendue) « surtransposition » des directives européennes dans le droit national, le gouvernement Philippe-Macron, alias les « progressistes contre les populistes », flanque à la poubelle la Directive cadre européenne sur l’eau, complément obligé de la destruction délibérée, organisée, systématique, des politiques publiques de l’eau conduite depuis quinze mois. Et sous quel motif ? "L’inertie des milieux" ! On comprend du coup pourquoi Jupiter vient d’être sacré "Champion de la terre" au royaume d’Hollywood...



Extrait de l’étude d’impact conduite avant le dépôt du projet de loi au Sénat le 3 octobre 2018 :

SECTION 2 : EAU

Article 17 : Suppression d’une sur-transposition portant sur les échéances fixées pour l’atteinte du bon état des masses d’eau du fait des conditions naturelles et application à Mayotte des dispositions relatives aux régions ultra-périphériques de l’Union.

 1. État des lieux

 1.1 L’article 4 de la directive cadre sur l’eau 2000/60/CE prévoit que les échéances pour l’atteinte du bon état écologique des masses d’eau, à savoir 15 ans après la date d’entrée en vigueur de la directive (soit en 2015), peuvent faire l’objet de reports notamment lorsque « les conditions naturelles ne permettent pas de réaliser les améliorations de l’état des masses d’eau dans les délais prévus ». Ces reports d’échéance ainsi que les motifs doivent être « explicitement indiqués et expliqués dans le plan de gestion de district hydrographique ». Ils sont limités à un maximum de deux nouvelles mises à jour du plan de gestion de district hydrographique, « sauf dans les cas où les conditions naturelles sont telles que les objectifs ne peuvent être réalisés dans ce délai ».

 1.2 La transposition française actuelle de l’article 4 de la directive cadre sur l’eau limite le report des échéances fixées pour l’atteinte du bon état des masses d’eau du fait des conditions naturelles à deux mises à jour du document de planification de l’eau (d’une durée individuelle de 6 ans), soit jusqu’à 2027.

Or, l’article 4 de la directive cadre sur l’eau susmentionnée prévoit la possibilité de mobiliser cette dérogation sans qu’elle soit accompagnée d’une limite de report, dans le cas particulier où les conditions naturelles ne permettent pas de respecter cette échéance.

 1.3 Cet écart de transposition a été mis en lumière par le rapport de la mission inter-inspections sur la sur-transposition des directives communautaires qui indique que : « Aux termes de l’article 4, les motifs de ces reports sont explicités dans le plan de gestion de district hydrographique (PGDH) qui a pour équivalent, en France, le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), (Art. 4.4 b). Les reports sont limités à un maximum de deux cycles de mises à jour du PGDH (deux fois six ans) sauf dans les cas où les conditions naturelles sont telles que les objectifs ne peuvent être réalisés en 2027. L’article L. 212-1 du Code de l’environnement indique que ""les objectifs [environnementaux] doivent être atteints au plus tard le 22 décembre 2015. [...] Toutefois, s’il apparaît que, pour des raisons techniques, financières ou tenant aux conditions naturelles, les objectifs [...] ne peuvent être atteints dans ces délais, le [SDAGE] peut fixer des échéances plus lointaines, en les motivant, sans que les reports ainsi opérés puissent excéder la période correspondant à deux mises à jour du SDAGE ". La transposition en droit français apparaît plus restrictive dans la mesure où seuls deux reports de délais sont autorisés par le code de l’environnement sans possibilité de report supplémentaire alors que la directive 2000/60 prévoit cette possibilité pour le motif de "conditions naturelles". On se trouve ici en présence d’un écart de transposition objectif. »

Il convient en effet d’aligner les termes de la transposition française sur les termes de la directive elle-même dans la mesure où les échéances fixées par le droit national sont plus exigeantes que celles du droit européen dans certaines situations du fait de conditions naturelles.

Cet écart dans la transposition française n’a pour autant pas eu de conséquences jusqu’à présent, dans la mesure où les dérogations prévues en l’état du droit national sont possibles y compris pour le document de planification de l’eau applicable sur la période 2016-2021. La dérogation que la présente disposition introduirait dans le droit national pourrait être mobilisée dans le cadre de la préparation des documents de planification pour la période 2022-2027.

 1.4 Les Etats membres se sont accordés sur la notion de conditions naturelles récemment, dans le cadre d’une note validée lors de la réunion des directeurs de l’eau du 4-5 décembre 2017 : ils ne peuvent solliciter de report de délais pour conditions naturelles au-delà de 2027 que lorsque toutes les mesures nécessaires pour atteindre le bon état des eaux ont été mises en oeuvre avant 2027, donc lors des trois cycles prévus par la directive (2009-2015, 2016-2021, 2022-2027)

Les plans de gestion à venir 2022-2027 devront donc mettre en lumière l’inertie des milieux pour justifier les reports de délais d’atteinte du bon état des masses d’eau post 2027.

(C’est donc à travers ce biais que la tricherie va se déployer. Note Eaux glacées).

 1.5 A ce jour, dans les documents de planification applicables sur la période 2016-2021, les statistiques de masses d’eau qui dérogent à l’échéance pour des raisons tenant aux conditions naturelles sont les suivantes :

 Etat écologique des eaux superficielles : 1148 masses d’eau en dérogation pour conditions naturelles / 11 414 masses d’eau, soit environ 10%,

 Etat chimique des eaux superficielles : 201 masses d’eau en dérogation pour conditions naturelles / 11 414 masses d’eau, soit près de 2%,

 Etat quantitatif des eaux souterraines : 32 masses d’eau en dérogation pour conditions naturelles / 645 masses d’eau, soit près de 5%,

 Etat chimique des eaux souterraines : 155 masses d’eau en dérogation pour conditions naturelles / 645 masses d’eau, soit environ 24 %.

 1.6 Depuis la départementalisation de Mayotte effective depuis le 31 mars 2011, le principe de l’identité législative implique que, sauf adaptation spécifique, l’ensemble des dispositions législatives et règlementaires applicables à la métropole sont applicables à ce territoire. L’échéance d’atteinte du bon état des masses d’eau fixée à 2015 en application de la directive cadre sur l’eau 2000/60/CE, transposée à l’article L. 212-1 du code de l’environnement, est donc aujourd’hui applicable à Mayotte, avec des possibilités de report.

Pour autant, Mayotte se voit appliquer le droit de l’Union avec des adaptations possibles à compter du 1er janvier 2014, date de sa reconnaissance en tant que région ultra-périphérique de l’Union.
L’article 3 de la directive 2013/64/UE permet ainsi une adaptation pour Mayotte en ce qui concerne notamment l’échéance d’atteinte du bon état des masses d’eau, fixée à 2021.

Cet écart de transposition n’a pour autant pas été préjudiciable jusqu’à présent, dans la mesure où Mayotte disposait d’ores et déjà d’un document de planification de l’eau pour le cycle 2010-2015 et est aujourd’hui doté d’un document de planification de l’eau pour le cycle 2016-2021.

2. Nécessité de légiférer et objectifs poursuivis

La présente mesure vise tout d’abord à remédier à l’écart de transposition en matière de report des échéances fixées pour l’atteinte du bon état des masses d’eau du fait des conditions naturelles.

Le 1° de la disposition législative permettra de reporter l’échéance d’atteinte du bon état d’une masse d’eau pour motif de « conditions naturelles » après 2027, à condition que l’état de la masse d’eau concernée ne se détériore pas d’avantage (ex : temps de résorption d’une substance après suppression des sources de pollution, rétablissement de la biologie après des mesures de restauration hydromorphologique, etc.).

Le 2° de la présente disposition permettra de reporter l’échéance d’atteinte du bon état d’une masse d’eau à 2021 pour Mayotte, avec en outre d’autres possibilités de report.

3. Analyse des impacts de la disposition envisagée

Le 1° de la présente disposition modifie les dispositions actuelles définissant les échéances d’atteinte du bon état des masses d’eau. Elle pourra être prise en compte dans les futurs schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux pour la période 2022-2017.

Il n’y a pas d’impact immédiat sur les services de l’Etat et les collectivités territoriales puisqu’ils appliquaient d’ores et déjà le texte européen. Il n’y a pas non plus d’impact sur les entreprises car un report de délai pour "conditions naturelles" suppose que toutes les mesures pour atteindre le bon état des eaux aient été prises et que l’on attend que le milieu réagisse.

Cette modification permettra pour ces masses d’eau de ne pas avoir à prendre de nouvelles mesures coûteuses pour les usagers de l’eau (industriels, collectivités territoriales et notamment services publics de l’eau et de l’assainissement, énergéticiens, etc.), alors que les mesures adaptées ont déjà été prises et que l’inertie du milieu ne permet pas l’atteinte du bon état dans les délais imposés.

Le 2° de la disposition conduira à l’insertion d’un article L. 652-3-1 au sein du code de l’environnement.

Cela modification permettra par ailleurs d’apporter la souplesse nécessaire à Mayotte pour l’application des dispositions de la directive cadre sur l’eau 2000/60/CE.

4. Consultation menée

La mission interministérielle de l’eau a été consultée le 14 septembre 2018 et a rendu un avis favorable.

5. Modalités d’application

Le 1° de cette disposition sera d’application immédiate.
Il s’appliquera dans les régions et départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion et Mayotte).

Le 2° sera d’application immédiate et ne nécessite pas de textes réglementaires d’application.
Il se traduira dans les prochains schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux de Mayotte.

- Le projet de loi :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl18-010.html

- Etude d’impact :

https://www.senat.fr/leg/etudes-impact/pjl18-010-ei/pjl18-010-ei.html#_Toc526158921

- L’avis du Conseil d’état :

https://www.senat.fr/leg/pjl18-010-avis-ce.pdf

Lire aussi :

 Précis de décomposition de la politique de l’eau :

http://www.eauxglacees.com/Precis-de-decomposition-de-la

Les eaux glacées du calcul égoïste, 26 septembre 2018.

Marc Laimé - eauxglacees.com