Retour au format normal


Danse avec ma STEP...

11 août 2018

par Marc Laimé - eauxglacees.com

C’est l’histoire ordinaire de quelques villages en province qui n’ont effectué aucun investissement sérieux depuis des années en matière d’assainissement des eaux usées. A la faveur d’un transfert de compétence loi NOTRe à une communauté d’agglomération, un projet de construction d’une “grosse” STEP centralisée va voir son devis augmenter de plus 125% en moins de trois ans…



C’est une histoire banale. Une histoire exemplaire. Un village de la Loire dont l’eau et l’assainissement sont gérés en régie communale. Soit 600 abonnés pour 35 000 m3 facturés annuellement.

Sauf que les deux budgets annexes correspondant sont en réalité « fondus » dans un seul budget, dénommé « assainissement », et qu’ils sont aussi utilisés pour payer des travaux de voiries, de parking et d’aménagement urbain. Cela ne dérange personne. Un conseiller municipal interloqué s’émeut, frappe à toutes les portes : sous préfecture, Caisse des dépôts, Chambre régionale des comptes... La trésorerie est consciente du problème, et pourtant ien ne bouge.

La loi NOTRe arrive. L’assainissement a déjà été transféré à l’intercommunalité et l’eau devrait suivre en 2020. Hélas, à première vue on risque de passer du panier de crabe à celui de homard.

Quelques citoyens s’organisent pourtant, qui partagent le souhait de conserver l’eau en gestion communale pour garder l’actuel tarif de 1,3 euros / m3 en zone de montagne contre 2,5 à 3 dans la majeure partie de l’ancienne communauté d’agglomération. Bon, avec les derniers arbitrages du gouvernement, ça semble plié.

Et voilà que par là dessus surgit un projet de création d’une STEP intercommunale, désormais porté par la communauté d’agglomération, dont le devis a littéralement explosé en un peu plus de 2 ans, passant de 5 à 12 millions d’euros !

A l’origine c’est la commune de Boen sur Lignon, qui portait le projet au nom de cinq autres communes. De fait toutes étaient impliquées dans les décisions, les réunions, mais sur le papier, seule Boen apparaissait, notamment pour la passation du marché. Tout cela, officiellement, « pour simplifier et aller plus vite ». Boen a donc refacturé à chaque commune une partie du coût, déduction faite des subventions du Conseil général et de l’Agence de l’eau Loire Bretagne. On peut comprendre le pataques lié à toute la procédure de prise de compétence par l’Agglo, avec, comme partout, les tensions entre les bons et les mauvais élèves, ceux qui sont endettés et ceux qui ne le sont pas, l’arbitrage à la CLECT…

La maîtrise d’ouvrage a été classiquement confiée à un bureau d’études spécialisé, Réalité Environnement, basé en Rhône Alpes, à Trévoux près de Lyon, qui possède une antenne dans le Roannais.

Le tout peu ou prou piloté par une AMO « officieuse », assurée par le syndicat de rivière du coin, étant donné que les stations d’épuration sont incluses dans les actions du contrat de rivière du Lignon. Un syndicat, qui va lui-même être dissous dans la communauté d’agglomération le 1er janvier 2019.

A ce stade il s’agissait de réaliser une sorte d’étude de faisabilité globale, sans diagnostic précis et quantifié, en gros juste une étude documentaire. Son cahier des charges avait été visé par le service de la MAGE du Conseil général, anciennement SATESE, qui avait proposé d’ajouter des analyses, des mesures en réseaux. Ce qui avait été retoqué par l’AMO/MO au prétexte qu’il fallait « aller vite »…

Résultat, après avoir envisagé rien moins que 14 scenarii, une réunion confidentielle avec la Police de l’eau et le Conseil général, sans qu’aucun élu ne soit présent, a débouché sur deux solutions.

Des unités dispersées pour 4,8 millions d’euros et une unité centralisée avec réseaux et postes pour 5,1 million d’euros. Encore ne s’agissait-il que d’un premier chiffrage prévisionnel, avec pas mal de données non chiffrées, par exemple des bassins d’orage, un éventuel traitement H2S, ou le changement du réseau de transfert sous-dimensionné.

Sans surprise, un vote intervient ensuite très vite en faveur du scénario "groupé"

Ensuite ça va s’accélérer quand la maîtrise d’ouvrage est reprise le 1er janvier 2018 par la Communauté d’agglomération Loire Forez (Montbrison), qui a un service assainissement et constitue un nouveau groupement de bureaux d’étude, où l’on retrouve le bureau Réalité, pour la partie diagnostic et l’élaboration d’un schéma directeur, associé à… IRH qui se voit confier le dimensionnement de la station et l’élaboration du cahier des charges pour sa construction à venir.

A ce stade il s’agit en fait de réaliser enfin un diagnostic technique sérieux pour les réseaux et les stations, mais pour confirmer un scénario déjà choisi !

Lors du transfert de maîtrise d’ouvrage, le bureau d’études de l’agglomération avait refait un chiffrage qui avoisinait les 6 millions d’euros.

Peu après, lors d’une réunion intermédiaire, un nouveau calcul prévoit entre 7 et 8 millions d’euros, le tout sans aucun vote des élus, qui continuent d’entériner le scénario prévu sans aucune remise en question.

Il semble, pour être complet, que sont venus se greffer 700 équivalent-habitants (EH) supplémentaires sur les 6000 à 6500 initiaux, ce qui ne saurait suffire à justifier l’augmentation pharamineuse du devis, même s’il a depuis lors aussi intégré quelques compléments sur des petits hameaux isolés.

Au printemps) 2018, la situation évolue encore, avec semble-t-il un nouveau changement de site, lors même que les études de sol avaient été effectuées, et surtout des rumeurs d’un nouveau devis à… 12,6 millions d’euros !

En effet, lors d’un COPIL réuni fin juin, il se confirme qu’on est bien passé de 7 à 8 millions d’euros à 11,9, d’ores et déjà budgétés !

Et les techniciens qui pilotent d’affirmer en coeur avec les élus en chef, « c’était le chiffrage d’il y a 6 mois pas de changement. »

Comme à ce stade il n’y a plus de compte-rendu de réunion, ni de diffusion des power point (comme par hasard), l’opacité gagne à grand pas.

On aura donc un gros truc, avec plein de tuyaux, de bassins,
lors même que la rivière est aussi polluée par les rejets agricoles, ce sera magique et en plus c’est dimensionné pour un territoire en croissance, alors qu’il baisse en population depuis 20 ans et avec les hôpitaux, postes, écoles, et gares qui ferment, ça ne risque pas de s’arranger...

Globalement, tous les élus sont contents d’avoir un gros truc, espérons qu’il fonctionne, et tant pis si cela doit coûter "un petit peu plus", "une légère augmentation"...

On est juste à + 125% depuis le début, une paille surtout quand ça ne sort pas de sa poche !

Et ce sont les mêmes élus locaux, même si ce ne sont pas les mêmes budgets, qui dénoncent vertement la baisse de leur DGF imposée par l’Etat, mais sur des montants qui parfois n’excèdent pas quelques milliers d’euros. Difficile à comprendre...

Entre les approximations techniques, la non importance de l’économie (cela a été dit "il ne faut pas voir là dedans l’économie"), le silence de la police de l’eau et du département sur le dérapage financier, le suivisme des élus qui a bien fonctionné... tout le monde est content et... l’usager payera. Manque juste le privé pour gérer tout cela et on aura la cerise sur le gâteau.

La situation locale ne doit pas être totalement étrangère à cette inflation qui semble ne pas pouvoir connaître de fin prévisible.

SAUR a en effet lancé une offensive dans cette région de plaine de la Loire. Et vient d’évincer Suez de la gestion de la station d’épuration de Montbrison (SITEPUR), et doit récupérer celle de Saint Bonnet le Château en fin d’année en évinçant Suez une fois de plus.

Veolia pour sa part a récupéré la nouvelle station d’épuration de Saint Marcellin, toujours sur la même agglomération.

Etrangement, alors que les élus de l’exécutif de la Communauté d’agglomération Loire-Forez insistent à l’envi sur l’importance de la gestion publique de l’assainissement, ils balancent petit à petit des pans entiers dela gestion courante au privé, même s’il n’est pas encore question de DSP.

Comme l’agglo a émis le souhait de récupérer la compétence AEP au 1er janvier 2020, si cette dernière est aussi déléguée, en partie ou en totalité au privé, l’usager risque donc pourrait bien de se faire « esSAURer » d’ici peu !

Facile à comprendre. La prise de compétence par l’agglo provoque une montée en charge effrénée, au rythme d’un recrutement par semaine, avec heureusement quelques transferts tout de même des communes à l’agglo.

Et dépit de tout cela, pour l’assainissement, l’agglo délègue régulièrement à fond au bureau d’études privé, qui est sous pression pour faire ce que le MO dit vouloir faire. Maître d’ouvrage qui se cache derrière le bureau d’études pour dire que "c’est le BE qui l’a dit".

Soulignons à nouveau l’absence de réaction des financeurs, soit l’Agence de l’eau, et presque feu le Conseil général, pour valider la surenchère alors qu’ils vont payer davantage que prévu. Quant à la police de l’eau elle pousse à fond pour des grosses dépenses, se montrant tatillonne sur des points de détail quand elle reste muette sur les pollutions agricoles, des rejets industriels et les surcoûts de ce type de projet

Marc Laimé - eauxglacees.com