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Prix de l’eau : la FNCCR polémique avec Que choisir

15 janvier 2008

par Marc Laimé - eauxglacees.com

Ca continue ! Cette fois c’est la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) qui met en cause à son tour, après les entreprises accusées de réaliser des marges colossales par l’association de consommateurs, la méthodologie de Que choisir. Intéressant car on sent tout de même la FNCCR, qui regroupe en son sein régies et collectivités délégataires (la carpe et le lapin...), un brin gênée aux entournures. Jusqu’à reconnaître que l’association pose aussi de bonnes questions…



La FNCCR, qui regroupe 500 collectivités françaises, après avoir étudié l’étude sur les prix de l’eau publiée par l’UFC-Que choisir en novembre 2007, a rendu publics les résultats de son analyse le 11 janvier 2008.

Pour elle, l’association de consommateurs pose de bonnes questions (c’est déjà çà !) mais sa démarche "souffre d’erreurs méthodologiques qui mettent en évidence les points faibles d’une grande partie de ses conclusions, souvent basées sur une analyse trop sommaire du fonctionnement des services concernés".

Que choisir affirmait que l’eau était surfacturée dans de nombreuses agglomérations, épinglant les "bénéfices faramineux" des groupes Veolia, Suez et Saur, et appelait les élus à envisager le retour en gestion publique.

La FNCCR reproche notamment "la modélisation excessivement schématique" mise en oeuvre dans cette enquête, qui ne permet pas d’estimer précisément le prix de l’eau. "On ne peut pas comparer les tarifs actuels à des références de coûts remontant à plusieurs années ou correspondant à des cas particuliers", estime-t-elle.

(Amusant : en creux la Fédération reconnaît donc qu’il est quasiment impossible d’obtenir des références de coûts incontestables, ce en quoi nous la rejoignons volontiers…)

La méthodologie de l’UFC-Que choisir serait donc "très éloignée des modes d’organisation réels des services d’eau et d’assainissement".

Et ne prendrait pas en compte, par exemple, les coûts liés à la sécurité et à la protection des ressources, d’autant plus élevés que les agglomérations sont importantes.

(Là encore cela signifie-t-il que les petites communes n’ont pas les moyens de protéger leurs ressources ? On le croit volontiers, hélas…)

Elle laisserait aussi de côté les coûts supplémentaires liés à une épuration performante. "Eliminer 98% de la pollution d’une agglomération coûte beaucoup plus cher qu’éliminer 95%, estime la FNCCR. Mais cela permet de diviser par 2,5 la pollution rejetée dans les cours d’eau puisqu’elle est réduite à 2% au lieu de 5%. Or, les collectivités sont de plus en plus soumises à de telles exigences, surtout les grandes collectivités dont l’impact sur l’environnement est très significatif."

(Un peu court ! On se demande bien dès lors pourquoi M. Borloo a éprouvé le besoin de lancer un plan d’urgence pour remettre aux normes une bonne moitié du parc épuratoire français, si les collectivités concernées ont dépensé des fortunes pour se doter d’une épuration performante, comme le soutient la FNCCR…)

Pour la Fédération, les « économies d’échelle » mises en avant par Que choisir relèvent de la théorie et non des faits.


(Là on aimerait que la FNCCR nous démontre par A + B qu’il coûte aussi cher, proportionnellement, de raccorder 200 0000 personnes concentrées en ville que 500 ruraux dispersés sur un territoire étendu… Pas sérieux.)

Autre reproche adressé à l’association de consommateurs : elle part d’un très faible taux de renouvellement des réseaux (0,8% par an), qui reviendrait à un renouvellement complet des réseaux au bout de 125 ans. Or, "la durée de vie moyenne des réseaux est de l’ordre de 60 à 80 ans maximum", assure la FNCCR.


(On croit rêver : nombre de représentants de Veolia et Suez reconnaissent volontiers en « off » que le détournement des « provisions pour renouvellement » a fait gagner indûment des milliards d’euros aux entreprises, tout en affirmant pieusement que ce sont là pratiques révolues… Voir aussi les cris d’alarme des Canalisateurs de France qui insistent sur l’urgence d’engager de pharaoniques travaux de renouvellement…).

Ne travaillant pas à partir de chiffres actuels, l’UFC-Que choisir n’aurait pas non plus intégré dans ses calculs le coût réel des travaux qui a augmenté deux fois plus vite que l’inflation ces dernières années, selon la fédération.


(Tiens, tiens, puisque c’est la FNCCR qui le souligne, voilà donc que l’hypothèse selon laquelle les filiales des grands groupes surfactureraient allégrement les travaux qui leur sont dévolus quasiment légitimée. Merci la FNCCR !).

Par ailleurs, regrette-t-elle, "l’UFC-Que choisir met toutes les collectivités au même niveau, ignorant les variations saisonnières importantes en termes de production que peut nécessiter une population multipliée par 3 ou 4 l’été, en raison du tourisme".

(Admettons).

Autre grief exprimé par la FNCCR : l’enquête ignore aussi les différents mécanismes de subventions des agences de l’eau permettant à certaines collectivités de bénéficier de financements que les autres n’ont pas.

(Diable, toutes les collectivités ne seraient donc pas égales quand il s’agit de décrocher des subventions ! Voilà qui met à mal l’image idyllique de nos admirables Comités de bassin et va considérablement peiner Bernard Barraqué !).

La Fédération rejette également des "accusations totalement injustifiées à l’égard des collectivités", en particulier celles visant "de prétendus profits et marges exorbitantes" réalisés au détriment des usagers des services d’eau et d’assainissement. Pour elle, le fait que ces services soient dotés de budgets spécifiques et soumis au contrôle des chambres régionales des comptes permet de "garantir la transparence et la sincérité des comptes".

(Là on ne comprend décidément pas pourquoi des dizaines de rapports régulièrement publiés par les Chambres régionales des comptes pointent sempiternellement des dérives accablantes…)

"En conséquence, les profits et marges évoqués par l’UFC ne peuvent être qu’imaginaires puisque s’ils existaient réellement, les collectivités concernées seraient immédiatement rappelées à l’ordre par la préfecture ou la chambre régionale des comptes."


(C’est bien le problème : pourquoi les rappels à l’ordre des CRC sont-ils si peu suivis d’effet ?)

Convergences ?

Reste qu’en dépit de ces critiques, la Fédération partage le point de vue de l’association de consommateurs sur plusieurs points :

 le faible intérêt porté par l’Etat au prix de l’eau,

 la préférence accordée à un retour en régie publique au moment de l’expiration de contrats de délégation,

 la gestion des eaux pluviales, qui pose des problèmes à de nombreuses collectivités en raison des dépenses importantes qui en résultent.

"Comme l’indique l’UFC, ces dépenses ne devraient pas être payées par les usagers des services d’assainissement, la facture d’eau incluant normalement le coût de collecte et de traitement des eaux usées mais non les opérations qui concernent les eaux pluviales, estime la FNCCR. Pourtant, dans le contexte financier et budgétaire actuel, certaines collectivités n’ont pas d’autre solution que d’imputer une partie des dépenses relatives aux eaux pluviales dans le budget de l’assainissement, bien que ce soit irrégulier."

La taxe sur les eaux pluviales prévue par la loi sur l’eau du 30 décembre 2006, dont on attend toujours le décret d’application, ne résoudra pas tout et la FNCCR plaide aussi pour des politiques d’urbanisme plus raisonnables, qui minimiseraient les rejets d’eaux pluviales dans les réseaux publics.


(Comme le groupe de travail qui prépare le décret d’application de cette fameuse taxe pluvial, nous y reviendrons, se montre très attentif aux préoccupations des représentants de Veolia et Suez qui y participent très activement, çà ne risque hélas pas de s’arranger ! En la matière tout laisse même à penser que ce fameux décret va très vite, quand il sera promulgué, déclencher un charivari du même type que celui que suscite la mise en œuvre de l’ANC…)

Compte tenu des échéances fixées par les directives européennes et par la LEMA, la Fédération juge enfin urgent de perfectionner les outils de gouvernance des services publics d’eau et d’assainissement.

Persuadée que la participation des usagers, par la voie de leurs organisations représentatives, est indispensable au bon fonctionnement de ces services publics, elle juge qu’"un réel dialogue ne pourra s’instaurer que sur la base d’une méthode incontestable".

(Ah bon, il pourrait donc exister une méthode incontestable ? Il serait temps en effet de la porter sur les fonts baptismaux !)

Car selon elle, si les polémiques sur le prix de l’eau persistent, les collectivités auront du mal à réaliser les lourds investissements à venir.

(Là, nos Saint-Jean Bouche d’or ont mille fois raison, le « consentement à payer » de l’usager, c’est pas gagné à l’horizon des prochaines années… On se demande bien pourquoi ?)

A SONG :

Arbetlose Marsch – « Le chant des chômeurs »

Marc Laimé - eauxglacees.com